• il y a 2 mois
Professeur de Français et de Latin, En direct Studio, Myriam Meyer publie un livre témoignage qui dresse avec beaucoup d'humour et de sensibilité le portrait de la génération "Xesh, Wesh Madame ? ! Rires et larmes d'une prof de banlieue", paru chez Robert Laffont.

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Transcription
00:00RTL Matin
00:03Thomas Soto et Amandine Bégaud
00:05Il est 8h19, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Amandine, en ce jour de rentrée scolaire, vous avez eu envie de coller une interro-surprise à une prof.
00:11Elle s'appelle Myriam Meyère et il paraît que c'est la prof que vous auriez rêvé d'avoir.
00:15Amandine, bonjour et bienvenue à vous.
00:17Madame Meyère, comme on dit pour appeler des profs.
00:19Madame vieux mot, c'est comme ça que vos élèves vous ont surnommée.
00:24Merci beaucoup d'être là.
00:25Je vais planter le décor.
00:26Vous êtes professeure de français, de latin et de grec.
00:28Vous publiez ce livre « Wesh Madame » que j'ai adoré.
00:31Journal de bord des 6 années que vous avez passées dans un collège du Val-de-Marne.
00:35Collège de réseau d'éducation prioritaire, les REP.
00:38On rit beaucoup, on pleure un peu et surtout, on apprend plein de choses sur ce qui cloche aujourd'hui à l'école.
00:44Un mot d'abord, Myriam Meyère, du titre « Wesh Madame ».
00:47Vous écrivez « C'est ainsi que tout a commencé ».
00:49C'est comme ça que ça a commencé, vraiment ?
00:50Oui, vraiment.
00:52Réellement, ils m'ont regardée avec beaucoup de surprises.
00:55« Mais pourquoi elle nous vouvoie ? Qu'est-ce que c'est que cette créature qui nous vouvoie ? »
00:59Et ce qui est ironique avec ce titre, c'est que j'ai littéralement passé 6 années
01:03à les harceler sur l'importance du mot juste, de la diversité de la langue française
01:09et que je leur ai interdit pendant 6 ans de dire « wesh » mais comme de dire tout un tas d'autres mots
01:14qui étaient devenus d'éthiques verbaux pour eux et qui les empêchaient d'accéder
01:19à une forme de pensée beaucoup plus nuancée et complexe.
01:21Donc à chaque fois qu'il y avait un « wesh », c'était 50, 100 lignes ?
01:26Alors, pas 100 lignes. 100 lignes, c'est s'ils avaient fait exprès de ne pas faire leur punition
01:30mais j'essayais à chaque fois de prendre une phrase un peu humoristique
01:33contenant des mots qu'ils ne connaissaient pas pour leur permettre, à force de l'écrire,
01:37de mémoriser ces mots-là, nouveaux pour eux.
01:40Quand on vous lit, effectivement, on découvre à quel point ces enfants,
01:45qui sont donc des collégiens, ont des vraies lacunes de vocabulaire.
01:50Un jour, il y en a un qui vous dit « je ne veux pas faire du latin, Rome, c'est trop la honte,
01:54ça a fait les Roumains, c'est de la merde, les Roumains, les Roms ».
01:59C'est assez stupéfiant comment on enseigne le français,
02:02alors j'allais encore pire, le latin et le grec, à des enfants
02:06qui ne maîtrisent même pas le basique de notre langue finalement.
02:10Je paraphraserais Cyrano qui disait que c'est bien plus beau lorsque c'est difficile.
02:16Il est clair que quand on arrive, on peut avoir un petit choc thermique,
02:19parce que vous avez un niveau de concours qui, malgré tout, est très élevé,
02:23des programmes qui sont très ambitieux, et puis vous vous retrouvez face à une classe
02:27où vous passez une heure à expliquer la différence entre une nature,
02:30ce qui est un super mot, et la fonction, à quoi il sert.
02:34Pour ça, il faut s'adapter.
02:36Cela étant dit, le niveau était très hétérogène.
02:39Dans la même classe, je pouvais avoir Hermione Granger assise à côté de Dark Vador,
02:43en matière de comportement.
02:45Finalement, on pouvait toujours s'appuyer sur des élèves qui étaient moteurs,
02:50qui avaient une bonne maîtrise de la langue française,
02:52et qui avaient une envie, mais je vous assure, une envie de briller,
02:56de réussir, d'atteindre leurs objectifs,
02:58qui permettaient quand même aussi d'en tirer certains vers le haut.
03:01Je n'étais pas toute seule dans cette mission.
03:03Ces six années auront été, écrivez-vous, les plus fécondes, les plus riches,
03:05les plus fortes de ma carrière de professeure, les plus difficiles aussi,
03:08car j'ai été confrontée à des situations que je n'aurais jamais pensé vivre un jour.
03:11C'est quoi ces situations ?
03:13Alors, ça peut être des situations familiales, qui sont extrêmement douloureuses,
03:18ou des élèves où on a vraiment l'impression qu'on ne va pas pouvoir les aider.
03:23Vous savez, avec ce métier vient souvent un peu le complexe du sauveur.
03:26On voudrait sauver tout le monde, vraiment.
03:29Malheureusement, en termes d'image, je dirais que le professeur évite l'océan avec une petite cuillère.
03:34Il est à la fois, vous dites, flic, assistante sociale.
03:37On est flic, on est psy, on est assistante sociale,
03:40et on a plein de casquettes, une seule tête, pas beaucoup de temps,
03:43beaucoup d'élèves, des programmes qui changent tout le temps,
03:46des réformes, une réforme qui chasse un autre,
03:48ne parlons même pas d'Abalzéministre, puisque là, c'est une Macarena de ministre.
03:51Donc, il faut s'adapter en permanence.
03:53Vous voudriez tous les sauver.
03:55Et il y a aussi des élèves qui ne veulent pas forcément l'être.
03:58Et ça, c'est très douloureux.
04:00Des parents aussi qui ont complètement lâché l'affaire, complètement démissionnaires.
04:03Il y a de tout.
04:04Ceux qui ne peuvent pas, ceux qui ne peuvent plus, ceux qui ne veulent plus.
04:07Il y a de tout.
04:08Moi, j'ai eu la chance d'être soutenue par des parents qui étaient extrêmement bienveillants,
04:12qui étaient vraiment derrière leurs enfants, qui en voulaient.
04:15Et puis, des parents qui ne sont pas là,
04:17ou qui ne se rendent pas forcément compte de ce qui est en train de se passer là,
04:21sous leurs yeux, c'est l'avenir de leur enfant qui est en train de se construire.
04:24Il n'y a pas forcément cette prise de conscience.
04:26Et puis, vous avez aussi les parents qui sont dans l'opposition,
04:28qui ont un rapport à l'enseignement,
04:30qui est un peu un rapport de consommateur.
04:33Et ça, ça revient souvent.
04:36Vous disiez, Myriam Meyer, et vous le dites dans le livre,
04:41l'éducation nationale, le système ne va pas bien.
04:45C'est un sujet dont on parle, nous, très souvent dans les médias.
04:50Et on a l'impression, finalement, que réforme après réforme, rien ne va.
04:54C'est quoi le truc qui manque aujourd'hui à l'éducation nationale ?
04:58Alors, je sais que je vais faire hurler dans les cheminières tout un tas d'auditeurs,
05:02mais on a quand même un problème de salaire.
05:06Le niveau de traitement des enseignants français
05:09ne fait pas du tout partie des plus élevés des pays de l'Occident.
05:13Mais ils ont été augmentés.
05:14Ils ont été augmentés, début de carrière,
05:16et c'est quand même assez dingue de se dire que,
05:18plus vous avez d'expérience, moins vous allez être récompensé.
05:22C'est-à-dire qu'à partir de l'échelon 7 aujourd'hui,
05:24ce qui correspond à peu près à 10 ans d'enseignement,
05:26vous n'allez plus être augmenté.
05:29Un prof, ça gagne combien aujourd'hui à l'échelon 7 ?
05:31Il n'y a pas de règles, je vous assure.
05:32D'un professeur des écoles à un professeur de lycée,
05:34en fonction de l'établissement où il se trouve
05:36ou du nombre d'heures supérieures qu'il va faire,
05:39il n'y a pas de règles.
05:40Il y a une grille indiciaire qui est extrêmement complexe
05:42et qui fait que vous avez des professeurs des écoles
05:44qui font un travail monumental,
05:45qui vont être payés moins de 2000 euros.
05:47Aujourd'hui, c'est ça la réalité.
05:49On parle d'ailleurs beaucoup de professeurs des collèges, du lycée.
05:51Les professeurs des écoles font une mission extrêmement difficile
05:54et ne sont pas du tout valorisés à la hauteur de l'importance de leur travail.
05:58Donc ça veut dire que l'école n'ira pas mieux
05:59tant qu'on ne paiera pas mieux nos profs.
06:01Mais pas seulement.
06:02La question de l'autorité,
06:03c'est une question dont vous parlez aussi beaucoup dans ce livre.
06:06Vous les malmenez un peu vos élèves.
06:08Avec beaucoup d'amour.
06:10Vous y allez casse, vous leur pariez franco.
06:13L'autorité, c'est comme ça que vous les tenez ?
06:16C'est un mélange.
06:17C'est un mélange.
06:18Il faut beaucoup d'autorité, beaucoup de bienveillance.
06:21C'est-à-dire que l'autorité pour l'autorité,
06:23ça n'a aucun sens et ça ne marchera pas.
06:25Il faut qu'ils sentent que cette autorité
06:27s'appuie sur une légitimité, déjà,
06:29et qu'il y a beaucoup de bienveillance derrière
06:31et que c'est parce que vous voulez leur bien.
06:33Il ne s'agit pas, si vous voulez, de punir,
06:35comme ça, à tour de bras,
06:36d'être dans une psychologie du petit chef.
06:38Ce n'est pas du tout le but.
06:39L'autorité, c'est pour les éduquer.
06:41C'est-à-dire vraiment pour les tirer vers l'eau.
06:43Et ça, il faut qu'ils comprennent que c'est pour ça
06:45que vous mettez des règles et un cadre
06:47pour qu'eux puissent travailler, du reste, dans des conditions vraies.
06:49Sauf que ça, sur le papier, c'est facile.
06:51Dans les faits, c'est plus compliqué.
06:52On apprend.
06:53Vous savez, encore une fois,
06:54on n'a jamais prétendu que c'était un métier évident.
06:56Aujourd'hui, c'est vrai, il est encore plus difficile qu'avant.
06:59Vous apprenez un peu sur le tas,
07:01un peu à la dure.
07:02Vous apprenez très vite, mais vous apprenez.
07:04Un besoin d'être aimé, d'un amour authentique,
07:07amour qui ne doit pas être ni aveugle, ni laxiste,
07:09mais exigeant.
07:10Voilà, selon ton besoin, ces élèves.
07:13Et vous le dites, que ça vaut, d'ailleurs,
07:15pour des élèves en réseau d'éducation prioritaire,
07:18comme dans les autres.
07:19Ces élèves, en tout cas, ils vous aiment.
07:21Et ça, c'est la partie où j'ai versé ma petite larme dans le livre.
07:24Puisqu'ils ont continué à vous écrire,
07:26à vous donner des nouvelles,
07:27une fois que vous avez quitté cet établissement.
07:29Soutien aussi, quand ils ont appris que vous aviez un cancer.
07:32Vous concluez ce livre avec ces mots,
07:35l'avenir de ces adolescents oblige notre pays.
07:38Oui.
07:39Ils vous ont porté.
07:40Ils m'ont porté.
07:41Ils continuent de me porter.
07:42Lorsqu'un certain nombre d'entre eux ont su, effectivement,
07:45que je venais d'avoir un diagnostic de cancer assez agressif.
07:49J'ai reçu des dizaines de messages,
07:52des uns et des autres, me disant,
07:54il faut vous accrocher, vous n'avez pas le droit de mourir.
07:56Vous êtes une battante, vous allez vous en sortir.
07:59Et à une époque où on critique beaucoup les adolescents,
08:02où on explique qu'ils sont très versatiles, etc.
08:05Ce qui n'est pas faux.
08:06Ce qui n'est pas faux.
08:07Non, mais la réalité est toujours nuancée, absolument.
08:10Moi, j'ai aussi fait l'expérience de leur grande bonté.
08:13Et quand j'étais en chimio,
08:15ils m'envoyaient des petits messages en me disant,
08:17ne lâchez pas.
08:18On vous attend.
08:19On vous attend après.
08:20Restez là.
08:21Je crois qu'on doit être à la hauteur aussi de ces gamins-là,
08:25parce qu'ils existent et qu'on n'en parle pas assez.
08:27Les bons élèves, en fait, et des gentils.
08:30Ils sont l'avenir aussi de ce pays.
08:32Absolument.
08:33Merci beaucoup, Myriam Meyer.
08:34Merci à vous.
08:35Et courage, tenez bon.
08:37Vous ne ferez pas votre rentrée cette année pour cause, justement, de maladie.
08:42Mais je suis sûre qu'il y a beaucoup d'élèves qui attendent que vous repreniez.
08:45Merci.
08:46Le livre s'appelle Wesh, Madame !
08:47Et c'est aux éditions Robert Laffont.

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