• il y a 2 mois

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00:00– Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
00:23– Chers téléspectateurs, chers auditeurs,
00:25bienvenue dans votre nouvelle émission « Angle de vue »,
00:28l'émission de la presse martiniquaise.
00:30Chaque semaine, nous recevrons une personnalité que vous pensez connaître,
00:35son histoire, ses combats, ses engagements politiques,
00:38la vision portée sur notre territoire,
00:41un portrait à retrouver sur nos trois médias,
00:43car pour mener cet échange intime et sans concession,
00:47à mes côtés, Mélinda Boulet, rédactrice en chef de France Enty,
00:50ainsi que Kathleen Bilaskopet, rédactrice en chef de RCI.
00:54Un plateau 100% féminin pour cette première
00:57puisque l'invité qui a accepté d'ouvrir le bal n'est autre que Marie-Joséa-Ali Montieux.
01:02Merci d'avoir accepté notre invitation.
01:05– Je peux dire un truc, je sais que je vais être très dissipée
01:07pendant toute l'émission, mais franchement, c'est extraordinaire ce qui se passe.
01:11Trois rédactrices en chef de trois médias différents.
01:15À l'époque où j'ai été rédactrice en chef, j'étais seule au monde, toute seule.
01:19Et là, je dis bravo, on vit une époque formidable.
01:22Bravo mesdames, je suis ravie d'être là avec vous aujourd'hui.
01:25– On est ravis de vous accueillir. – Merci à vous.
01:27– Nous avons retenu trois grands thèmes pour tenter de décrire une vie aux multiples facettes.
01:33Votre carrière de journaliste, bien entendu, nous allons en parler,
01:36celle qui vous a mené hors des frontières de votre île.
01:39La musique également, qui a toujours eu une place prépondérante dans votre vie,
01:43ainsi que votre travail d'écrivaine.
01:45Mais avant de rentrer dans le vif du sujet,
01:47Mélinda Boullée a la lourde tâche de tenter de vous résumer.
01:52– Marie-Joséa-Ali, bienvenue.
01:55La voix des sans-voix, c'est comme cela que l'on pourrait vous définir.
01:58Marie-Josée Sidalise-Montez, c'est votre patronyme.
02:01Moune Diamant et Mounefaud France, votre père est architecte
02:05et votre mère pianiste, enseignante de musique.
02:07Vous avez grandi à Fort-de-France où vous avez effectué toute votre scolarité.
02:12À la maison, vous baignez dans la musique, la lecture, l'histoire et la politique.
02:16Vous décrochez votre bac à 16 ans, vous avez soif de vivre, d'apprendre,
02:20soif de liberté, d'échanges, de rencontres.
02:24Le journalisme, presque une évidence pour vous.
02:26Vous êtes diplômée de l'École supérieure de journalisme de Paris en 1974
02:31et vous avez étudié aussi les lettres et la sociologie.
02:34Vous entrez à l'ORTF Martinique grâce à Jean-Claude Argentin en tant que pigiste.
02:38Vous avez soif d'informer et de donner la parole à tous,
02:41à une époque où l'information est sous contrôle politique.
02:44Vous évitez donc les reportages avec les patrons et les hommes politiques de droite.
02:48Vous êtes mutée à FR3 Bourgogne en 1977
02:52où vous devenez la première présentatrice noire d'un journal télévisé en France.
02:56Vous revenez à Martinique en 1979.
02:59Vous devenez la première rédactrice en chef,
03:02puis la première directrice régionale et la première directrice nationale
03:06en charge des diversités.
03:07Vous êtes une professionnelle exigeante, rigoureuse, indisciplinée aussi.
03:12À votre brillante carrière professionnelle se mêle celle d'une artiste talentueuse.
03:17Le grand public vous découvrira avec caressé moins
03:21que vous écrivez alors que vous êtes à Dijon dans le froid.
03:24Une amoureuse des mots, c'est votre rencontre avec Aimée Césaire
03:27à la bibliothèque de l'Assemblée nationale qui vous donne envie de partager vos écrits
03:32et de publier quelques ouvrages.
03:33Vous êtes une grande gueule, mais aussi une personne sensible,
03:37mariée deux fois, mère de trois filles avec lesquelles vous avez une relation fusionnelle.
03:42Vous partagez la scène d'ailleurs avec deux d'entre elles.
03:45Ce que l'on sait moins de vous,
03:46c'est que vous êtes une passionnée de la mythologie grecque,
03:50que vous avez le trac quand vous montez sur scène
03:52et que vous êtes une grande timide, une femme singulière et originale
03:57qui ne supporte pas la connerie.
03:58Voilà pour votre portrait.
04:00Est-ce qu'il est fidèle ?
04:01J'aime bien, oui, il est assez fidèle.
04:04Je crois que c'est un peu...
04:06Il y a toute une partie qui est moi et puis il y a une partie qui est...
04:09C'est vrai que je suis très timide.
04:11C'est vrai que je traque encore.
04:12Là, je fais une émission...
04:13Quand je suis invitée, je traque moins.
04:15Mais si je devais la présenter, si j'étais à votre place, j'aurais traqué à mort.
04:18Donc, j'aurais ça toute ma vie, en fait.
04:21C'est vrai que c'est...
04:22Et que le côté multi-activité a toujours été
04:29à la fois mon enrichissement à moi, mais aussi un problème.
04:33Aujourd'hui, c'est beaucoup plus simple à comprendre.
04:35Mais à l'époque, quand j'ai dit que je fais de la musique
04:38et puis en même temps, je suis journaliste,
04:40donc j'interview le président de la République de passage,
04:43monsieur tout le monde, monsieur le pêcheur,
04:45et en même temps, je chante Caressez-moi,
04:47maintenant, ça va pas le faire, Marie-Josée, tu déconnes ou quoi ?
04:49On peut pas, c'est pas sérieux, ton histoire.
04:51Il faut choisir.
04:53J'avais pas envie de choisir, parce que c'est ce que j'avais en moi.
04:55C'est ce qu'on m'a donné, donc je fais.
04:57Et beaucoup de rigueur.
04:58C'est-à-dire qu'en fait, si je devais résumer ce que vous avez dit,
05:01c'est que je me prends absolument pas au sérieux, jamais, jamais.
05:05Mais je prends toujours tout ce que je fais au sérieux.
05:07Voilà, c'est un peu ça.
05:09C'est un peu ça, donc...
05:11Si je devais rajouter juste une petite phrase en post-symptôme.
05:15D'accord.
05:16Nous avons déniché deux photos que l'on vous laisse découvrir.
05:20Allez.
05:23Ah oui !
05:26Vous pouvez nous en parler ?
05:28Qu'est-ce que ça marque chez vous ?
05:29Il y a un, deux, trois, quatre générations de femmes.
05:32Voilà, c'est ça que ça veut dire.
05:33Là, c'est ma grand-mère, qui m'a beaucoup élevée.
05:35Sur la droite, qui tient ma deuxième fille,
05:39qui venait de naître, c'était le baptême de ma deuxième fille.
05:42Il y a moi, là, au milieu, il y a ma première fille sur mon...
05:45et ma mère, à gauche.
05:47Donc, il y a quatre générations de femmes.
05:48Alors, ce qui est extraordinaire, c'est que ma grand-mère a eu ma mère très tard.
05:52Et elle pensait ne pas voir la communion de sa fille.
05:55Non seulement, elle a vu la communion de sa fille,
05:57mais elle a vu ma naissance, elle m'a élevée,
06:00elle a vu ma communion à moi, mon mariage et le baptême de mes enfants.
06:04Elle est morte à 100 ans.
06:06Et elle m'a transmis extrêmement de choses.
06:10Et c'est vrai que nous sommes...
06:13Je vais dire, une tribu de femmes, c'est pour ça que je défends beaucoup...
06:17L'essentiel de mon combat, c'est la femme.
06:21Vraiment.
06:22Si je dois résumer, vraiment, l'essentiel de mon combat, c'est la femme.
06:24La femme dans la société Monde, la femme dans la société Martiniquaise,
06:27mais la femme dans la société Monde, la femme dans notre époque aujourd'hui.
06:30Et tous les dangers auxquels elle peut être encore confrontée,
06:34parce qu'il ne faut pas s'asseoir sur ses loyers.
06:36Et la manière de...
06:38La vigilance qu'on doit avoir pour ne pas perdre le terrain
06:41qu'on a peu à peu gagné.
06:44Parce qu'il ne faut pas oublier une chose,
06:45c'est que moi, quand je me suis mariée, mon premier mariage,
06:47j'ai fait une découverte, mais extravagante.
06:51J'ai découvert que pour ma première paye,
06:54je vais à la banque, je dépose, j'ouvre un compte, etc.
06:58Et qu'on m'explique que pour que je puisse avoir un chéquier,
07:01il faut que je demande l'autorisation de mon mari.
07:03Et là, j'ai pété un câble.
07:04J'ai pété un câble parce que j'étais dans une époque
07:06où je ne comprenais même pas que ce soit possible.
07:09Donc, on part de là, quand même.
07:10On part de là, il ne faut pas qu'on l'oublie,
07:12parce que tous les combats qu'on a gagnés petit à petit,
07:14on peut les perdre à n'importe quel moment,
07:16parce que n'importe quel fou s'installe,
07:19Trump, Bolsonaro, enfin, je ne vais pas les citer,
07:22mais il y en a plein qui n'ont absolument pas une image de la femme
07:27qui nous permettra de nous épanouir si on n'est pas vigilants.
07:30Ça, c'est juste la petite...
07:32Et deuxième photo.
07:35Oh oui !
07:37Alors, le chien, il n'est pas à nous.
07:39D'accord.
07:39Le reste, c'est nous.
07:41Le reste, c'est donc mon deuxième mari, Christophe,
07:44qui est musicien, qui est compositeur,
07:46qui est un type formidable pour me supporter.
07:48Il faut être formidable, c'est sûr.
07:50Et puis, Soé, ma dernière, qui est rentrée dans...
07:54qui est maintenant une femme et qui fait des choses aussi formidables,
07:57qui est musicienne, qui est réalisatrice.
08:00En fait, dans cette famille, on est vraiment attirés par les...
08:05D'abord, les métiers artistiques, c'est sûr,
08:07mais la possibilité de faire plusieurs choses.
08:09On est le couteau suisse, le truc à plusieurs tranchants.
08:13Je sais pas, on est faites comme ça.
08:15C'est pas une volonté, c'est pas...
08:18Lutter contre nous-mêmes, ça serait dire...
08:20Allez, on met sous le tapis, en ce qui me concerne par exemple,
08:24la musique et puis on fait que du journalisme.
08:27On met de côté le journalisme, on fait que de la musique.
08:30On met de côté...
08:31J'ai pas réussi à être écrivaine en même temps que le journalisme et la musique
08:36parce que franchement, quand on embarque avec des personnages,
08:39surtout que c'est... Romancière.
08:41Quand on écrit un essai, c'est pas pareil.
08:43On peut travailler sur un truc, revenir...
08:45Mais les personnages qu'on crée, ils nous emmènent tellement loin.
08:48On est avec eux tout le temps, on s'endort avec eux, on se réveille avec eux.
08:51On peut pas faire autre chose que ça.
08:53Donc ça, j'ai découvert qu'il fallait se calmer
08:55et qu'il fallait que je quitte la télé
08:58pour pouvoir écrire vraiment.
09:00Ce que j'ai fait, il y a pas très longtemps, en fait.
09:03On va faire un petit bond dans le passé, quand même, si vous le permettez.
09:07Justement, on va parler de votre carrière de journaliste, mais pas que.
09:11À 17 ans, vous débarquez à Paris, quelques mois à peine après mai 68,
09:16en école de journalisme.
09:17Vous avez toujours considéré le journalisme
09:20comme la plus belle invention de l'homme.
09:22Près de 50 ans de carrière après, est-ce que vous le pensez toujours ?
09:26Je le pense. Je le pense.
09:28Je le pense et puis je revendique qu'on fasse le journalisme,
09:31non pas celui que j'ai connu comme si j'avais la nostalgie d'une époque,
09:34c'est pas ça, mais le journalisme, d'abord, c'est un excellent outil,
09:39le meilleur outil de la démocratie,
09:40parce que ça permet à chacun d'être informé.
09:42Ça veut dire qu'aussi, on est assigné,
09:48je veux dire, convoqué à s'oublier soi,
09:51à oublier ses propres convictions, à oublier le jeu
09:56pour donner à voir aux gens des choses
09:59pour qu'eux se fassent leur propre idée.
10:02Et pourtant, vous n'avez jamais totalement oublié vos propres convictions,
10:05puisque vous faites partie des premières femmes
10:07à être montée à l'antenne, comme on dit à l'époque aux Antilles,
10:12à présenter un journal télévisé,
10:14et pourtant, vous avez toujours dit que vous refusiez d'entretenir
10:18une télé cocotier aux ordres de Paris.
10:21Pourquoi ? Qu'est-ce qu'on vous demandait à l'époque ?
10:22Ça, c'est pas une option politique.
10:24Je veux dire que c'est une option de survie,
10:26de survie de nous, de notre dignité, de ce que nous sommes,
10:29que nous puissions nous inscrire dans le monde.
10:32Moi, à l'époque, la droite était au pouvoir.
10:35C'était pas la droite d'aujourd'hui.
10:36C'était une droite qui ne savait pas ce que c'était que l'opposition,
10:40qui voulait pas en entendre parler.
10:42Puis en plus, l'opposition version Martinique,
10:44c'était quand même Aimé Césaire, qui était considéré comme le diable,
10:47et puis la gauche, et puis les indépendantistes, etc.
10:49Donc, il fallait... On était droit dans les bottes.
10:52Enfin, je racontais tout à l'heure aux Antennes
10:55que la création du service public
10:57s'est faite à travers la radio
11:00et que la RTF, avant l'ORTF, c'est-à-dire RTF,
11:03les locaux de la RTF, c'était dans la préfecture,
11:08à l'intérieur même de la préfecture.
11:10Donc, on descendait les communiquer et puis on les lisait.
11:12Et puis l'État, c'était à 8 000 bornes.
11:15Comment on peut ne pas devenir cinglé quand on vit comme ça ?
11:17C'est pas possible.
11:18On peut pas demander à un peuple de vivre comme ça.
11:20C'est un déni.
11:21Vous avez été placardisé.
11:23Parce que j'ai voulu ouvrir l'Antenne à la gauche.
11:26Enfin, à tout le monde.
11:27Que les gens puissent se faire une idée.
11:28Qu'ils puissent aller aux urnes avec des outils
11:30pour réfléchir et pour choisir.
11:32C'était pas le cas.
11:33C'était juste...
11:34On donne la parole...
11:37La parole vient d'en haut.
11:39La parole est de droite.
11:40La parole est, je dirais, néocoloniale.
11:44Et puis vous, là, vous obéissez.
11:46Le petit doigt sur la couture du pantalon.
11:48Et puis bon, la gauche, c'est le diable de toute façon.
11:49Donc, il y avait une espèce d'entente tacite
11:53pour que, dans ce service public de l'époque,
11:56la gauche soit interdite d'antenne.
11:58Ca n'était pas dit, ça n'était écrit nulle part.
12:00Mais on ne la voyait pas, on ne l'entendait pas.
12:02D'ailleurs, je n'ai jamais voulu travailler, au départ,
12:04à la télévision ni à la radio d'Etat à cause de ça.
12:07Je voulais monter, justement, un magazine de presse écrite
12:11dans lequel on parlerait de pays de la Caraïbe
12:14dans les trois langues.
12:15L'équivalent, on va dire, du Nouvel Obs ou de Antilla.
12:19Mais dans ce magazine,
12:23on parlerait de tous les pays de la Caraïbe,
12:26c'est-à-dire qu'on se réinscrirait dans notre milieu naturel.
12:29Ca, c'était mon objectif.
12:30J'avais tout fait, déposer les...
12:31-"Ce magazine n'a pas besoin..."
12:33J'avais tout fait, déposer les statues à la préfecture, etc.
12:36Mais c'est beaucoup plus compliqué qu'on ne le pense.
12:39Déjà, il n'y avait pas de pont réel qui était établi.
12:44On n'avait pas de téléphone portable, on n'avait pas tout ça.
12:46Il n'y avait rien de tout ça.
12:48Et donc, il fallait y aller, il fallait prendre des contacts,
12:51inventer que ça se passe par téléphone.
12:53C'était assez compliqué à monter, donc il me fallait un peu de temps.
12:56En attendant, j'avais...
12:57Parce que j'arrive à faire... Je fais toujours tout en même temps.
12:59J'étais enceinte de ma première fille.
13:00Donc, je suis enceinte, je vais être maman.
13:03Il faut de l'argent, il faut des sous.
13:05On me propose d'être pigiste, de faire des piges à la radio.
13:09Bah, service public.
13:11Donc, j'y vais.
13:12En me disant, bon, je vais faire ça, ça va me permettre de gagner trois sous.
13:15J'en suis jamais partie.
13:16J'en suis jamais partie parce que...
13:17-"Vous avez été tentée par le privé ?"
13:19Le privé est arrivé bien après.
13:21Le privé est arrivé...
13:22Je me souviens de l'arrivée d'ATV.
13:24C'était la première télévision privée.
13:26Et du fait que j'avais invité le directeur ou le rédacteur en chef d'ATV
13:30sur Martinique, qui n'était pas Martinique la première,
13:33mais qui était, à l'époque, RFO.
13:36Et où j'avais été...
13:37Mais ça va pas, comment tu peux faire ça ?
13:39Mais c'est un événement, je disais.
13:41C'est un événement.
13:42En Martinique, c'est un événement.
13:43Et moi, je suis là pour couvrir les événements.
13:45Donc voilà, ma notion, ma vision du journalisme, c'est ça.
13:48Et cette vision du journalisme n'a pas toujours été...
13:51Bon, accompagnée de...
13:52Et quand j'ai essayé, effectivement, d'ouvrir et je proposais,
13:56je ne comprenais pas comment c'était possible
14:00que mes César n'ait jamais eu un droit d'antenne sur...
14:04C'était simple, parce qu'il y avait l'homme politique,
14:06mais il y avait aussi le poète et tout.
14:08Pour moi, c'était invraisemblable.
14:10J'avais fait mes études avec des jeunes Africains
14:15qui connaissaient César, qui le vénéraient.
14:17Et je me rendais compte que, dans mon propre pays, on ne le connaissait pas.
14:21Quand je suis rentrée, mon premier truc, c'était de me dire
14:24qu'on allait ouvrir l'antenne.
14:26J'ai essayé de faire ça.
14:28Bon, on m'a expliqué très clairement qu'un, un, un, ça ne va pas être possible.
14:33Et on m'a envoyée en Bourgogne.
14:37– Alors justement, on vous a envoyée en Bourgogne.
14:40Vous avez été la première femme journaliste noire
14:44à présenter un journal télévisé sur une chaîne hexagonale.
14:48Quel accueil vous a été réservé à cette époque ?
14:50– Eh bien, à cette époque, je me souviens que, d'abord,
14:53j'ai pris six mois pour essayer de comprendre la région,
14:55parce que je déteste prendre l'antenne
14:57et puis même faire des reportages sans savoir de quoi je parle.
15:01Donc j'ai pris un retrait de six mois en travaillant sur la radio avec des gens et tout.
15:05Et puis, au bout d'un moment, il y a eu besoin de remplacer un journaliste
15:09qui présentait le journal télévisé.
15:10On m'a demandé de le faire, je l'ai fait.
15:12Donc il y a eu un accueil qui était assez chaleureux
15:14parce que, bon, je pense que je n'étais pas trop mauvaise.
15:17Et puis, il y a eu des réactions terribles.
15:20Il y a eu un matin où je me suis réveillée avec tous les murs de Dijon,
15:25« Allez dehors, rentre chez toi, sale bougnoule ! »
15:27parce qu'en fait, avec ce nom-là en plus,
15:30tout le monde pensait que j'étais arabe, métissée de négro,
15:34enfin, un truc inacceptable dans la France profonde,
15:37parce que c'était quand même la télévision régionale.
15:40Et je me souviens que ça a provoqué, effectivement, une sorte de schisme.
15:44Et j'ai continué à le faire et je l'ai fait.
15:46Et je crois que les gens étaient...
15:49J'ai commencé à comprendre le partage de la peur.
15:55Parce qu'il y avait la peur de l'autre.
15:57Pourquoi je présente un journal régional ?
15:59C'est l'intime des gens.
16:00C'est même pas un journal national, c'est un journal régional.
16:03On parle de la région.
16:04Et puis, au fur et à mesure, les gens se sont habitués.
16:07Et puis, voilà, je l'ai fait jusqu'à ce que...
16:10On t'appréciait aussi également peut-être votre regard novateur,
16:13justement, sur l'actualité de leur région.
16:15Vous, qui êtes dans la découverte...
16:17Je me suis tapée tous les marronniers que personne ne voulait faire.
16:20La foire de Dijon, les trucs comme ça,
16:22parce que moi, j'avais un regard tout neuf.
16:24Donc, moi, j'étais interpellée par tout ça.
16:26Et les propositions éditoriales que je pouvais faire sur des sujets
16:30qui, ma foi, étaient des sujets que les journalistes n'avaient plus du tout envie de traiter,
16:34ben, effectivement, ça a apporté un sang neuf.
16:37C'est pour ça que j'aime bien quand il y a des gens nouveaux qui arrivent
16:40avec un regard neuf, mais un regard respectueux.
16:43Si on n'est pas respectueux de l'endroit où on est
16:45et des téléspectateurs ou des auditeurs auxquels on s'adresse,
16:49eh ben, on est à côté de la plaque, quoi.
16:53Alors, vous n'avez pas que présenté le journal télévisé,
16:56vous êtes grand reporter aussi, vous avez fait énormément de terrain.
17:00C'est plus facile d'être journaliste de terrain en Martinique ou dans l'Hexagone ?
17:05Non, je...
17:07C'est pas facile d'être journaliste de terrain quand on est une femme, c'est tout.
17:10Je le dis franchement.
17:11Parce que bon, ce que j'ai fait en tant que grand porteur, c'était...
17:14Ça dépend aussi des sujets qu'on choisit.
17:16Si on choisit d'inaugurer les chrysanthèmes, là, c'est pas trop compliqué.
17:20Mais si on choisit d'aller là où il y a du bobo, là où ça blesse,
17:23là où il y a des problématiques, c'est compliqué quand on est une femme,
17:26surtout à l'époque où je l'ai fait.
17:27C'est-à-dire que les femmes étaient perçues comme des jolis objets
17:31dont on pensait qu'ils avaient envie de sortir de leur niche,
17:33mais enfin, pas trop quand même, faut pas déconner, les filles,
17:36restez là tranquilles, s'il vous plaît.
17:38Donc, moi, j'avais envie de lire des trucs.
17:40Bon, ici, j'ai fait des trucs sur les quartiers.
17:44Alors, justement, de toute cette vaste carrière,
17:47on doit vous poser la question souvent, mais je vous la pose,
17:50quel est le moment le plus mémorable, l'interview, le reportage,
17:54qui vous a jamais marqué ?
17:58Alors, le reportage qui m'a le plus marquée, c'est une rencontre...
18:02C'est drôle, cette question, parce que ça me remet...
18:05C'est une rencontre que j'ai faite avec un responsable amérindien
18:11au fin fond de la forêt du Guyana.
18:13Bon, il faut déjà essayer de situer le truc.
18:16Je rencontre ce mec qui est donc peuple premier
18:19d'un espace qui a été extrêmement colonisé
18:22et divisé avec des frontières.
18:26Ça, ça appartient à la Hollande, ça, ça appartient à la France,
18:28ça, ça appartient...
18:29Et ce gars m'explique qu'il est le chef de file
18:34de tous les Amérindiens d'une zone qui dépasse largement
18:38les frontières qui ont été tracées par la colonisation.
18:40Ils parlent la même langue, ils se réunissent régulièrement
18:43pour savoir comment ils vont aborder le monde, etc.
18:45Et je découvre un univers que je ne connais pas,
18:48celui du silence de tous les médias,
18:54du silence des décideurs, du silence de ça.
18:56Et je me dis, mais oui, c'est là qu'il faut aller.
18:58Et il me dit...
19:00Moi, je leur posais la question de savoir
19:03comment ils ont été finalement pillés,
19:06leur pays, leur savoir, la pharmacopée, tout ça,
19:10et comment ils vivaient les choses.
19:13Comment ils s'étaient peut-être laissés dépasser par les événements
19:16et comment ils avaient perdu la maîtrise
19:21et le pouvoir dans leur propre espace,
19:24qu'ils connaissaient par cœur.
19:26Et il me dit un truc...
19:29Le mec me dit, Marie-Josée,
19:31est-ce que l'air que tu respires,
19:34est-ce que tu peux mettre des barrières et des frontières
19:36autour de l'air que tu respires ?
19:38Est-ce que c'est possible ?
19:41Non, évidemment, ce n'est pas possible.
19:43Il me dit, mais la terre, elle est aussi indispensable
19:45que l'air qu'on respire.
19:47À partir du moment où on commence à mettre des frontières vers l'air,
19:49c'est que du fake, c'est que du faux.
19:52Donc, à partir de ce moment-là, on est rentrés dans un schéma
19:55qui va nous amener très loin.
19:57Il ne faut pas qu'on s'enferme dans ce schéma-là.
19:59Et là, je me suis dit...
20:01C'est vrai que c'est un peu utopique,
20:03mais il y a une parole
20:06des habitants de ce monde
20:08qui n'a jamais été entendue.
20:10Et moi, mon truc, c'était de me dire,
20:12il faut que cette parole-là soit entendue
20:14parce que cette parole-là doit alimenter la réflexion de l'humanité
20:17sur elle-même, sur son devenir,
20:19sur la projection d'un futur possible.
20:22Donc voilà, ça, ça m'a vraiment marquée.
20:24Après, il y a eu d'autres trucs,
20:26mais ça, oui, vraiment.
20:28– De journaliste de terrain, présentatrice télé,
20:32vous devenez rédactrice en chef
20:34de la chaîne du service public en 1994,
20:36puis Mélinda Ladi, directrice régionale et nationale.
20:39Managez des hommes et des femmes
20:41dans un milieu où, vous l'avez dit,
20:44il y a à l'époque, son corps,
20:46finalement, peu de responsabilité aux femmes.
20:48À quoi ça ressemble quand vous êtes nommée à ces postes-là ?
20:50– Non, ce n'était pas tellement ça, la difficulté, en fait.
20:52La difficulté, c'était que je me retrouvais à gérer
20:56des gens avec qui j'ai travaillé,
20:59avec qui j'ai fait du terrain,
21:01avec qui je suis partie en reportage tous les jours
21:03et où je connaissais tous les petits trucs,
21:05toutes les petites… voilà, on s'arrête là,
21:07parce qu'il faut que j'aille chercher une poule,
21:10on perd du temps, il est midi,
21:12on dépose la caméra parce qu'on ne tourne plus,
21:14parce que c'est fini, on est en heure sup',
21:16je connaissais tout de l'intérieur.
21:18Donc j'étais vécue comme…
21:20C'était difficile, je pense, pour eux,
21:23d'accepter l'idée aussi facilement que, brusquement,
21:26je me mette à être leur chef et à leur dire des trucs,
21:28alors que, en fait, la problématique, c'est que…
21:32ben, personne ne pouvait me couillonner, quoi, en fait.
21:34Et là, ça complique les choses.
21:37Là, ça complique les choses.
21:39Mais le fait d'être une femme et de tout ça,
21:41je me souviendrai toujours de Camille Alexandre
21:43qui avait dit une phrase qui était…
21:46Dans ton rédaction, t'as là…
21:48Je vais être grossière, je peux ?
21:50« N'y a un seul monde qui n'y empeigne,
21:53c'est Marie-Josée Alicia ».
21:55Camille Alexandre qui avait dit ça un jour,
21:57conférence de rédaction où j'expliquais
21:59qu'il fallait absolument faire, j'étais simple journaliste.
22:01Donc il y a ce côté…
22:04Non, moi, la rédaction m'a toujours accordé
22:07le fait que j'étais une professionnelle fiable
22:11et que je pouvais…
22:13Que j'avais des choix éditoriaux
22:15qui étaient des bons choix éditoriaux.
22:18Mais simplement, c'est le management
22:20qui est compliqué.
22:22Alors qu'une directrice régionale,
22:24ça a été encore pire.
22:26J'ai dit « Mais Marie-Jo, comment vous m'emmerdez à ce point-là ? »
22:29Alors que finalement, il y a eu des tas de directeurs,
22:31des hommes, des…
22:33Elle m'a répondu « Mais Marie-Jo,
22:35c'est beaucoup là qu'il y a de la vie.
22:37À n'importe quel moment,
22:40on ne peut pas… »
22:42« On peut pas faire ça avec toi.
22:45Donc on va être raide, raide, raide, raide. »
22:47Donc voilà, j'ai compris ça.
22:49C'était ça, le truc.
22:51– Vous avez toujours milité pour que le journalisme
22:53n'appartienne pas à une élite.
22:56Quel regard, aujourd'hui, vous portez sur la profession en 2024 ?
22:59Alors qu'en plus, n'importe qui, aujourd'hui,
23:01peut dégainer son téléphone portable et rendre compte.
23:04Quel regard vous portez sur cette évolution-là ?
23:06– Je ne pense pas que n'importe qui peut dégainer
23:09et rendre compte.
23:11N'importe qui peut, non pas rendre compte,
23:13mais donner son opinion.
23:15Bon, c'est des opinions perso.
23:17Il ne faut pas confondre l'information
23:19et puis Milan.com, on en est là.
23:22Donc, heureusement qu'il existe encore des espaces
23:24où il y a une volonté d'informer
23:26et non pas seulement de se faire l'écho
23:29des différentes…
23:31de la température et des hausses de température
23:34et des baisses de température de la société.
23:36Mais en même temps, je pense que les journalistes
23:38doivent se protéger de ces hausses de température.
23:40Ils doivent se protéger de cette ambiance.
23:42Moi, je n'ai pas eu, je ne connais pas,
23:44je ne sais pas ce que vous vivez aujourd'hui.
23:47Je ne sais pas comment on se protège
23:49de la fake news de base,
23:51encore que j'ai été victime de fake news,
23:53moi, en tant que personne, à une époque où
23:55il n'y avait pas de téléphone portable.
23:58Mais je ne sais pas comment on se protège
24:00tous les jours, tout le temps, toutes les heures
24:02de cette espèce d'afflux, de tsunami d'informations
24:04plus ou moins vraies, plus ou moins fausses.
24:06Alors, oui, mais il n'y a pas de fumée sans feu,
24:08c'est pas vrai. Donc, je ne sais pas comment on fait.
24:11Mais je pense que la seule manière de le faire,
24:13c'est justement, raide-marteau,
24:15de faire des émissions d'informations,
24:17de créer des débats, de créer des espaces
24:19où la parole tourne,
24:22où les gens viennent d'horizons différents
24:24et donnent leurs opinions différentes
24:26pour que ceux qui sont assis devant leur téléviseur
24:28soient respectés en tant que citoyens
24:30et puissent se faire leurs propres idées.
24:33Donc, vous êtes optimiste, tout de même,
24:35pour l'avenir de ce métier ?
24:37Ça dépend des individus. En fait, je suis optimiste
24:39pour ce qu'on peut écrire
24:41de l'histoire du devenir.
24:43Mais c'est toujours la même chose.
24:46Tout est entre nos mains,
24:48entre nos mains d'êtres humains,
24:50dans notre responsabilité de chacun.
24:52Comment chacun estime
24:54et ressent
24:57son métier de journaliste.
24:59En tout cas, moi, je suis absolument sûre
25:01que le métier de journaliste
25:03n'est absolument pas compatible
25:05avec la distribution
25:08d'idées qu'on peut avoir
25:10soit sur soi.
25:12Il faut savoir s'effacer, il faut avoir l'humilité
25:14de s'effacer. Moi, je l'ai vécu pendant la période du Covid.
25:16Je pouvais dire exactement
25:19qui était pour ou contre la vaccination
25:21en regardant les journaux.
25:23C'est un délire, ça !
25:25Pour moi, c'était un manquement total
25:27à ce que j'ai appris de ce métier-là.
25:30Et je me dis,
25:32on prend les gens pour des cons, en fait.
25:34Ils ont la liberté de penser,
25:36de choisir. C'est un manque de respect
25:38de la population. Et là, je suis raide-marteau là-dessus.
25:40Mais j'ai de l'espoir
25:43parce que quand je vois toutes les trois,
25:45je me dis, waouh !
25:47Les temps ont changé, trois rédactrices en chef !
25:49Sur ces paroles très encourageantes,
25:51Marie-Josée Limonthieu, on va marquer une courte pause.
25:54On se retrouve dans quelques instants
25:56pour la suite de cet entretien.

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