James Ellroy : "Mon métier, c'est de réécrire l'Histoire selon mes propres normes"

  • il y a 9 heures
À 9h20, l'écrivain américain James Ellroy publie "Les Enchanteurs" (éditions Rivages), une sombre affaire qui se déroule en 1962, après la mort de Marilyn Monroe. Il est l'invité de Léa Salamé. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-jeudi-26-septembre-2024-4835733

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00:00Et Léa, ce matin, vous recevez un écrivain américain ! Vous avez entendu le glapissement
00:07du Doug ? Bonjour James Elroy ! Bonjour ! Bonjour ! On est très très heureux de vous recevoir
00:16ce matin, les français vous adorent depuis longtemps, depuis le Dahlia Noir et LA Confidential,
00:22et Nicolas Demorand ici présent est le président de votre fan club ici en France.
00:26Nicolas, il intervient quand il veut ! Je vais le faire ! On va parler des enchanteurs
00:32de votre nouveau roman dans un instant, mais d'abord, dites-nous, je commence toujours
00:34comme ça, dites-nous si vous étiez, James Elroy, une ville, un président américain
00:40et une décennie, vous seriez qui ? Vous seriez quoi ?
00:44Selon moi, il y a une grande ville, je l'appelle la Ciudad, c'est Madrid.
01:00Madrid.
01:01Vous avez donc choisi Madrid et pas Los Angeles ? Bien ! Si vous étiez un président américain ?
01:07Ronald Reagan ! Et si vous étiez une décennie ?
01:13Les années 40 en Amérique, particulièrement 1946 jusqu'à 1949, et puis donc il y aurait
01:39un film noir sur une nana, et puis il y aurait les pluies en plus sur la ville de Los Angeles.
01:47Alors là, vous n'avez pas choisi les années 40, mais plutôt…
01:51C'est la vedette de Phantom Lady, les pluies de Los Angeles.
01:59Oui, ça aurait été sa petite amie.
02:01James Elroy, vous qui êtes croyant, je voulais vous citer pour commencer ce verset du premier
02:05répitre de Saint Jean, « Petits enfants, gardez-vous des idoles ». Est-ce que ça
02:10vous parle, vous qui aimez tant déboulonner les idoles ?
02:14Je suis fidèle, je suis chrétien, je ne crois pas à l'idolâtrie, et mon métier
02:34est de réécrire l'histoire selon mes propres normes, créer un niveau délibéré de distorsion,
02:47de désinformation générale, et vraiment de maudire les morts.
02:56Et de ce point de vue-là, c'est parce que j'ai fait confiance à mes instincts en ce qui concerne les êtres humains.
03:09Donc, vous pouvez prendre pour acquis, si je dis de quelqu'un qu'il est vénal, c'est qu'il est vénal.
03:18James Elroy, vous êtes l'un des plus grands romanciers américains, vous êtes l'écrivain,
03:22l'empereur du roman noir, le plus mythique, en tout cas l'explorateur depuis 40 ans des
03:26bas-fonds de votre pays, l'Amérique, le grand démolisseur des idoles et du rêve américain.
03:32Vous publiez donc « Les Enchanteurs » aux éditions Rivage, un roman entêtant, déroutant,
03:37frénétique et halluciné qui nous plonge dans les bas-fonds de Hollywood.
03:41Non pas dans les années 40, celui-là, il se passe en 1962.
03:44Il y a du vice, des crimes et de la corruption.
03:47Les présidents couchent avec les stars de cinéma et sont épiés par des flics véreux.
03:51C'est le début de la presse à scandale et c'est l'été où Marilyn Monroe est retrouvée morte.
03:56Et j'ai envie de vous dire, enfin, enfin, vous vous attaquez à Marilyn Monroe,
04:01le mythe des mythes, la légende des légendes.
04:04Vous en avez mis du temps, James Elroy, vous qui êtes si obsédé par cette période et par ces mythes,
04:09pour vous attaquer à Marilyn.
04:11Peut-on imaginer qu'elle vous faisait un peu peur, Marilyn Monroe ?
04:15Que vous n'ayez pas osé jusque-là vous attaquer à elle, vous qui n'avez peur de pas grand-chose ?
04:21Non, non.
04:23Voilà l'affaire.
04:25J'étais occupé par Los Angeles après la Seconde Guerre mondiale.
04:30Et puis ensuite, j'étais très occupé avec la trilogie Underworld USA,
04:37avec les dernières années 60 aux États-Unis, le début des 70.
04:43Et puis je suis revenu à la Seconde Guerre mondiale.
04:46J'ai entendu ça.
04:51Vraiment au fin fond de mon cerveau.
04:54Et 1962 est apparu dans ma conscience soudain.
04:59Et j'ai vu que je pouvais prendre Marilyn Monroe,
05:10que je tiens entier prêtre, en très piètre estime,
05:14mauvaise actrice, mauvais être humain, mauvaise présence culturelle,
05:20et l'inclure dans mon demi-monde criminel.
05:27Alors, effectivement, elle prend cher Marilyn Monroe dans votre demi-monde, comme vous dites.
05:32Pour nous, le mythe de Marilyn et de John Kennedy, parce qu'il est aussi très présent dans le livre, c'est ça pour nous.
05:40Happy birthday to you.
05:44Happy birthday to you.
05:50Happy birthday, Mr. President.
05:56Happy birthday to you.
06:02Alors voilà, Marilyn qui souhaite un bon anniversaire au président.
06:07Le mythe qui prend cher, je le disais.
06:10Dans votre livre, vous en parlez comme de la putain de Babylone.
06:14Une star de cinéma et criminel en herbe défoncée au cacheton et à l'alcool.
06:18Une bluffeuse, manipulatrice sans envergure, cinglée perverse à fantasmes tordus
06:24et prête à tout pour impressionner.
06:27Pourquoi êtes-vous si sévère avec Marilyn Monroe, James Ellroy ?
06:32Parce que c'est ce que je crois qu'elle était.
06:38C'est Marilyn Monroe, comme un seul homme sans intérêt romantique en elle, la connaît.
06:51C'est Freddy Ottach.
06:53C'est un détective privé dans la vie réelle et le narrateur de ce livre, de mon livre Les Enchanteurs.
07:02C'est difficile à résumer votre livre tant il y a d'intrigues et de personnages.
07:07Il y a même un index à la fin du livre des personnages.
07:11Tellement il y en a.
07:13C'est dur de se repérer au début.
07:16Mais c'est vrai que c'est le détective privé Freddy Ottach qui est un ancien flic,
07:21véreux, corrompu, un voyeur qui est chargé d'espionner Marilyn Monroe
07:26pour salir son image à la demande de Robert Kennedy, salir son image après sa mort,
07:33pour empêcher que le scandale atteigne le président John Kennedy.
07:39C'est ça le pitch de l'histoire.
07:41C'est l'histoire que Freddy Ottach m'a racontée
07:49pendant notre courte amitié superficielle qui a duré trois ans jusqu'à sa mort.
07:56Oui, parce que je précise que c'est un personnage qui a réellement existé, Freddy Ottach,
08:01qui a inspiré le personnage de Jack Nicholson dans Chinatown et que vous avez connu.
08:08Il n'a pas vraiment inspiré Jack Nicholson dans le film surestimé Chinatown.
08:18Il était un pauvre artiste, il vérifiait les histoires pour un magazine de ragots du pays.
08:36C'était un type qui était attaché à la surveillance de certaines personnes.
08:42En résumé, Freddy Ottach, je dirais qu'il est tout à fait au sommet du sac à merde
08:54des 100 pires Américains du XXe siècle.
09:00Et pourtant, vous l'aimez bien, non ?
09:02Non, vraiment pas. Je ne l'aime pas du tout.
09:06Le Freddy Ottach que j'ai connu, non, je ne l'aimais pas.
09:08Donc, j'ai décidé de réécrire Freddy Ottach vraiment du début jusqu'à la fin.
09:13Un type qui, vraiment, qui vous tord le cœur.
09:17Il est tendre, et vous savez quoi ?
09:23Il essaie de s'en sortir, il essaie de changer.
09:32Il est toujours, c'était un catholique libanais maronite,
09:42il fait toujours le signe de croire quand il pense à quelque chose d'horrible ou qu'il fait quelque chose d'horrible.
09:49Il est, comme chacun d'entre nous, il a une âme à prendre.
09:57Freddy Ottach, c'est votre bonhomme.
10:01Oui, c'est votre papa.
10:04Non, non, ce n'est pas le même style.
10:06Freddy Ottach, vous dites, il assumait d'être un voyeur chevronné.
10:11Un peu comme vous qui disiez à Libération de James Ellroy,
10:14« Je suis un voyeur, un mateur, j'aime les secrets, la boue, la merde.
10:19Rien n'est plus personnel, intime et révélateur des gens que leur sexualité.
10:24La sexualité qui est omniprésente dans ce livre où il y a des bésodromes secrets.
10:30À la fin des fins, on a l'impression qu'il n'y a que ça qui vous intéresse.
10:35La relation entre le pouvoir et le sexe comme moteur du monde.
10:40Oui, c'est tout à fait vrai.
10:43Il y avait une ligne de gags quand j'étais gamin.
10:48Je ne sais pas où j'ai entendu ça pour la première fois.
10:53Ça va être d'un type à qui je vendais des enfaites,
11:01un homosexuel qui repose en paix.
11:06Je voudrais trouver le mec qui a inventé le sexe
11:12et lui demander sur quoi il travaille maintenant.
11:18Donc, ça vous dit tout ce dont vous avez besoin
11:23au sujet de la force du sexe dans le monde,
11:28le ridicule du sexe dans le monde,
11:32la folie morale du sexe,
11:37l'interconnexion avec les actes de Saint Paul.
11:47Cette ligne de gags que j'ai entendue dans L.A.,
11:53probablement il y a 45 ans, c'est ça, ça dit tout.
11:56À la fin, c'est le sexe qui dit tout.
11:58C'est le moteur universel du monde.
12:01Et de la violence, et du mal, et du bien.
12:06Oui, tout à fait.
12:08Nicolas, pourquoi vous aimez tant James Aylroyd ?
12:11Il faut dire aux gens que vous êtes un immense lecteur,
12:14mais quand un bouquin d'Aylroyd sort, ça écrase tout.
12:17Je rentre en trance parce que depuis le premier livre d'Aylroyd
12:21que j'ai lu il y a des années, des décennies,
12:26j'ai eu l'impression de rencontrer un ami.
12:30Et c'est très très rare, au fond, quand on lit des romans,
12:35de se dire cette personne-là me parle sur une fréquence,
12:42sur un ton très particulier.
12:44Et c'est devenu une amitié.
12:48Je considère que je ne lis pas des romans d'Aylroyd,
12:51mais je prends des nouvelles de mon ami.
12:56Et dès que j'ai fini la dernière page,
12:59là, j'attends le prochain signe, demain, qui viendra d'Aylroyd.
13:05Et puis pour moi, c'est aussi, quand j'étais plus jeune,
13:09j'aimais énormément lire les grandes cathédrales romanesques,
13:13Balzac, Zola.
13:15Pour moi, Aylroyd, c'est l'un des derniers constructeurs
13:20d'une cathédrale romanesque absolument gigantesque
13:25dans laquelle il faut aller, retourner, il faut lire,
13:28il faut relire.
13:30Et puis, dernier point, mais il y en a mille autres,
13:33son rapport à l'histoire, à la vérité,
13:37à ce que sont des faits, à la manière dont on les tord,
13:40c'est une expérience de chimie cérébrale
13:44qui est quand même vraiment extrêmement intéressante à vivre.
13:47Voilà, en deux mots.
13:49C'est pas mal.
13:55Ça, c'est vraiment un résumé très émouvant de ma carrière, Nicolas,
14:01si j'en ai jamais entendu un.
14:03Et votre déclaration d'amitié, c'en est la meilleure partie.
14:09Mais je vais vous donner une citation.
14:13Et ça vient du juriste éminent et critique David Bazlen,
14:23qui écrivait au sujet de l'auteur d'Achille Hammett.
14:27Le cœur de l'art de Hammett, c'est la figure masculine
14:33dans la société américaine.
14:37Il est principalement quelqu'un qui a un travail.
14:43Il va à son boulot avec une détermination absolue
14:51qui vient vraiment d'une volonté de ne pas aller au-delà.
14:57Cette relation au travail est probablement typiquement américaine.
15:04L'idée de faire ou de ne pas faire un travail de façon compétente
15:12a remplacé le problème beaucoup plus vaste du bien et du mal.
15:19Ça, c'est Achille Hammett, et ça, c'est moi,
15:23la figure masculine de la société américaine.
15:28Hammett et moi, nous sommes l'alpha et l'oméga
15:34du roman dur américain.
15:40Sa première nouvelle a été publiée à Achille Hammett en 1929,
15:44le mien publié en France 90 ans plus tard, en 2024.
15:56Et ce sont des personnages sympathiques,
16:02ce sont des hommes qui cherchent toujours l'amour,
16:10mais qui sont souvent sceptiques
16:15et toutes leurs relations avec les femmes,
16:20ce sont des hommes qui ont besoin d'une vie ordonnée
16:29et de vouloir imposer l'ordre contre les actions criminelles
16:35pour pouvoir se sentir entiers.
16:38C'est sans doute pour ça que vous parlez tant à Nicolas Demorand
16:41et pourquoi ça résonne tant chez lui.
16:43J'avais mille questions à vous poser,
16:45parce que c'est vrai que dans ce livre,
16:47il n'y a pas que Marie-Lyne qui prend chair,
16:49il y a aussi Elisabeth Taylor, il y a Orson Welles,
16:52les psychanalystes dont vous dénoncez,
16:55vous les appelez les dingologues complètement givrés.
16:58Il y est question de la foi aussi, qui revient toujours chez vous.
17:02Et à la fin des fins, puisqu'il me reste une minute,
17:04et il vous reste une minute,
17:06j'ai envie juste de vous poser cette question à la fin,
17:08à la fin des fins.
17:09Que cherchez-vous dans l'écriture, James Ellroy ?
17:12La rédemption ou le péché ?
17:25Si vous ne haïssez pas intensément Freddie O'Tash
17:29au début de mon livre Les Enchanteurs,
17:33vous n'avez absolument aucune morale en vous.
17:39S'il ne vous déchire pas le cœur
17:41dans la dernière scène du livre,
17:43vous n'avez pas de cœur.
17:48Et ça, c'est l'arc sur lequel il est, il se trouve,
17:58et il continuera dans le prochain livre.
18:01Mais, il y a une différence.
18:09C'est la même année qui commence une semaine après
18:13la fin des Enchanteurs.
18:16Mais, pour moi, c'est la base de tous les drames.
18:24Freddie a besoin d'une femme.
18:29C'est tout ce que je dirais.
18:31On en revient toujours au même, aux femmes, au sexe,
18:35à la rédemption.
18:37Freddie meets a woman.
18:39C'est ça qu'on lit dans Les Enchanteurs.
18:41Troisième tome d'une quintette de Los Angeles,
18:44puisque ça va continuer, on va le retrouver.
18:46Vous disiez, Nicolas, qu'il est Ellroyesque, ces Enchanteurs.
18:49James Ellroy explique souvent qu'il faut choper le lecteur
18:52par les couilles dès le premier chapitre,
18:54et je dirais même qu'il le chopera.
18:56C'est ainsi.
18:58Merci à vous d'avoir été avec nous ce matin, James Ellroy.
19:02Mission accomplie.
19:04James Ellroy, vous serez...
19:06Je me suis éclaté.
19:08Merci beaucoup.
19:10Vous êtes vraiment une Maronite Libanaise ?
19:12Oh, putain, comme Freddie.
19:14Quand est-ce que vous êtes venu du Liban ?
19:17Il y a 30 ans.
19:20Quand est-ce que vous êtes venu du Liban ?
19:23Il y a 30 ans.
19:25Les gens de Freddie sont venus de Beyrouth en 1895.
19:32Merci infiniment, James Ellroy.
19:34Vous serez présent samedi et dimanche à Paris au Festival America
19:37et à Pau du 5 au 6 octobre pour le Festival de Romand Noir.
19:41Un aller-retour dans le noir.
19:43Merci encore.

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