Hitler tente de s'emparer du pouvoir par les urnes _ Documentaire Seconde Guerre

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Avant la catastrophe, L' allemagne 1929-1932 : montée progressive du nazisme.

Avant la catastrophe raconte, à travers les pas et les mots des correspondants de presse étrangers en Allemagne, l'avènement du mouvement nazi comme la première force politique allemande au cours de la période 1930-1933. Face aux nazis qui ont, pour un temps, renoncé au coup de force et jouent en apparence le jeu de la République de Weimar, que perçoivent ces journalistes étrangers du bouleversement qui se profile ?
Qu'ont-ils écrit des faiblesses de la démocratie allemande, des conséquences du krach, des luttes sanglantes entre nazis, communistes et sociaux-démocrates ? Qu'ont-ils vu de la propagation de la misère et des violences, de la folie et de la foi des partisans de chaque camp ? La presse étrangère a-t-elle été, à son tour, fascinée par le Führer allemand ? Que nous disent ces témoins privilégiés de ces années où la peste brune est parvenue à gagner l'Allemagne par les urnes ?
Joseph Kessel, Dorothy Thompson, Pierre Mac Orlan et quelques autres parmi les plus fines plumes de l'époque racontent au jour le jour cet angle mort de l'histoire du nazisme, ce moment où une République se saborde elle-même et sombre dans l'abîme.

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00:31Avec le soutien de
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01:30Merci à
01:49Depuis des années, un phénomène extraordinaire commençait à intéresser les journaux.
01:57Un homme était apparu dans la vie de l'Allemagne,
02:01un homme alors complètement inconnu, qui s'appelait Adolf Hitler.
02:07Il avait réuni autour de lui des hommes de tout Akkabi,
02:12avait écrit un livre qui s'appelait Mein Kampf,
02:15qui était devenu la Bible de ces hommes et de ce parti,
02:19et avait commencé de secouer l'Allemagne
02:22pour arriver au pouvoir.
02:3024 ans avant cet entretien,
02:32Joseph Kessel débarquait en Allemagne pour le journal français le matin.
02:37C'était au printemps 1932.
02:39Hitler n'était pas encore ni chancelier, ni président du Reich.
02:46Il était un homme politique, chef du parti national-socialiste,
02:50dont les partisans rêvaient de faire tomber la République de Weimar.
02:56A l'époque, Berlin grouille de correspondants et d'envoyés spéciaux éphémères.
03:02Dans leurs articles et livres,
03:04ces journalistes témoignent au présent de ce qu'il se passe,
03:08de ce qu'ils voient,
03:10de ce qu'ils pensent.
03:21Presque un siècle plus tard,
03:23que nous disent ces témoignages archivés sur papier
03:26de l'avènement de la dictature nazie ?
03:29Qui sont ceux qui ont fait le choix d'Hitler ?
03:32En quoi ont-ils cru, rêvé, espéré ?
03:36Quelle était la vie en Allemagne avant le 30 janvier 1933 ?
03:40Avant la catastrophe ?
03:42Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
03:44Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
03:46En 1929, l'Allemagne est en pleine effervescence.
03:49La République de Weimar vient de célébrer sa première décennie.
03:53Née dans le chaos de la Grande Guerre,
03:56dont elle assume encore un rôle important,
03:59l'Allemagne est en pleine effervescence.
04:02L'Allemagne est en pleine effervescence.
04:05L'Allemagne est en pleine effervescence.
04:08L'Allemagne est en pleine effervescence.
04:11L'Allemagne est en pleine effervescence.
04:14Née dans le chaos de la Grande Guerre,
04:17dont elle assume encore le coût des réparations,
04:20elle accélère le pas.
04:22Tout va vite, très vite.
04:25Les rues s'allongent,
04:28le ciel se rapproche,
04:31l'État devient Providence.
04:34Les nazis, eux, restent à la marge de la vie politique allemande,
04:39avec seulement 12 députés au Reichstag.
04:43Pour de plus en plus d'Allemands, c'est le temps de l'apaisement,
04:46des loisirs et des nuits sans fin.
04:54Berlin éclaire l'Europe de ses arts.
04:57La ville gronde,
04:59tangue,
05:00danse.
05:08Les célébrités se nomment Thomas Mann,
05:10Bertolt Brecht,
05:11Marlène Dietrich,
05:13ou encore Fritz Lang,
05:15qui vient de tourner son dernier film,
05:17La Femme sur la Lune.
05:23En ce mois d'octobre 1929,
05:25les berlinois ont la tête dans les étoiles.
05:28Ils ne savent rien du drame qui prend forme à New York.
05:32Quelques jours après la première de Fritz Lang,
05:34la bourse de Wall Street s'écroule.
05:36La finance revient sur terre.
05:39Le premier crash financier du siècle s'abat sur l'Allemagne.
05:45La crise frappe de plein fouet la République de Weimar.
05:48Le chômage s'envole,
05:50les magasins ferment.
05:52Peu à peu, la misère s'installe.
05:58Face à cette situation,
05:59le nouveau chancelier, le centriste Heinrich Brüning,
06:02prône l'austérité.
06:05Sans majorité au Parlement,
06:06il espère obtenir le soutien des Allemands,
06:08qu'il appelle aux urnes le 14 septembre 1930.
06:18En France,
06:19de nombreux journaux décident de suivre l'événement.
06:22Le matin, qui vend chaque jour plus de 500 000 exemplaires,
06:26on voit l'un de ses journalistes les plus importants,
06:28Henri de Corab.
06:32Quelques jours avant le scrutin,
06:34l'envoyé spécial débarque à Berlin.
06:38Le jour de l'élection
06:44Comment la France, j'ai envie de dire,
06:46pourrait-elle détourner les yeux de l'Allemagne ?
06:48Pour des raisons historiques.
06:49Elle est quand même déjà au deuxième conflit.
06:51Elle a eu deux conflits et elle attend le troisième.
06:54Donc l'Allemagne, c'est quand même l'ennemi héréditaire.
06:57Enfin, difficile pour la France
06:59de ne pas regarder du côté de l'Allemagne.
07:02À 36 heures des élections,
07:05la moitié de l'Allemagne ne sait pas encore
07:07comment elle manifestera son mécontentement.
07:10Les hitlériens, car tout tourne ici
07:12autour de leur chance de succès,
07:14auront 120 mandats au Reichstag, assurent les pessimistes.
07:18Ils ne seront que 100, 60, 40, 36, disent les autres.
07:23Évidemment, l'on n'en sait rien,
07:25car ce seront les derniers instants
07:28qui décideront de l'orientation
07:30d'une Allemagne déconcertée et mécontente.
07:34Quand la crise de 1929 arrive,
07:36elle déboule à toute puissance dans l'économie allemande
07:40et très rapidement, le taux de chômage explose.
07:421929, début de l'année 1930.
07:44Ça crée déjà une crise assez forte dans la République de Weimar.
07:47Jusque-là, les nazis et Hitler,
07:49c'est toujours un petit parti sans influence.
07:52Mais très rapidement, quand on regarde
07:54un peu plus précisément au niveau des territoires,
07:56aux élections municipales, aux élections régionales,
07:59début des années 1930, les choses commencent à bouger.
08:01Le parti nazi commence à faire 6-7%.
08:05Durant tout l'été 1930,
08:07les sections d'assaut, les SA,
08:09la milice armée du parti nazi, investissent les rues.
08:13En chemise brune, drapeau en tête,
08:15ils défilent, occupent les places
08:18et encadrent les meetings.
08:21En un mois, les nationaux-socialistes réussissent
08:24l'exploit d'organiser 34 000 rassemblements.
08:28L'un des derniers se déroule à Berlin,
08:31dans la salle du Sportpalace,
08:33en présence d'Adolf Hitler.
08:36Le lendemain, Henri de Corab raconte à ses lecteurs
08:39ce qu'il a ressenti à la vue des partisans nazis.
08:43« Vive le Troisième Reich ! »
08:45répète sans arrêt un individu en bras de chemise.
08:49Qu'est-ce que cela veut dire ?
08:52Personne ne saurait y répondre.
08:55Ces gens descendent dans la rue
08:57par besoin d'acclamer.
08:59Ils cherchent un dieu, un empereur peut-être,
09:02peut-être une religion.
09:05Deutschland, Erwahr, Allemagne, éveille-toi !
09:09Au début des années 1930,
09:11on a du mal à imaginer une sortie de la crise.
09:14Et c'est là où le nazisme va s'incruster
09:17et va dire « Nous, on va offrir du travail,
09:20on va offrir le plein emploi,
09:22on va offrir une amélioration,
09:24et évidemment aussi en désignant un ennemi. »
09:29« Ce sera la faute des Juifs,
09:31ce sera la faute du capital,
09:33ce sera la faute du communiste. »
09:35Une partie de la population allemande,
09:37douze ans après la guerre,
09:39a perdu la raison.
09:41C'est l'impression ahurissante
09:43que donne la ville de Berlin
09:45à la veille des élections.
09:47Ce ne sont pas des partisans politiques,
09:49ces gens qui crient en secouant
09:51leur petit drapeau avec des gestes de maniaques.
09:54Ce sont des fous !
09:57Le 14 septembre 1930,
09:59près de 19% des Allemands
10:01donnent raison au candidat de la Croix-Gamée.
10:04107 députés sont élus.
10:06Le parti remporte sa première victoire nationale d'envergure
10:10et devient la seconde force politique du pays.
10:15Chaque déplacement du leader nazi
10:17est désormais couvert par la presse internationale.
10:20Hitler le sait et en joue.
10:24Fin septembre, à Leipzig, il déclare
10:29« Encore deux ou trois élections
10:31et nous assisterons au soulèvement raciste. »
10:35Une haute cour sera constituée
10:37pour que le crime de novembre 1918
10:39trouve son châtiment.
10:41À ce moment-là, des têtes tomberont.
10:44Après l'échec du putsch du 9 novembre 1923,
10:47qui a été vécu dans sa chair par Hitler,
10:49il a eu peur. Il a eu peur de mourir.
10:51Il s'est enfui en taxi.
10:53Il a été récupéré tout tremblant par la police de Bavière
10:56dans la banlieue de Munich.
10:58C'est une expérience cuisante pour lui que l'échec de ce putsch.
11:01Et donc, depuis lors, il a décidé que l'accession au pouvoir
11:04se ferait électoralement, légalement,
11:06quitte à tout subvertir après.
11:08Le procès de Hitler pour haute trahison en 1924
11:11a été le premier événement qu'a couvert Edgar Hansel Maurer,
11:14le correspondant permanent du Chicago Daily News.
11:19Avant l'Allemagne, Maurer a été reporter
11:21dans les tranchées côté français.
11:24Puis il a raconté l'Italie
11:26et la marche des fascistes de Mussolini.
11:31Edgar Hansel Maurer, c'est celui qui n'a pas transigé.
11:34Il va couvrir tout Weimar
11:36et il va voir monter à partir de 1929-1930.
11:40Il va voir monter en puissance les nazis.
11:43Il va voir les russes se remplir de chemises brunes.
11:47Il va voir progressivement se développer
11:50les persécutions antisémites du quotidien.
11:54Le jour de l'ouverture du Nouveau Parlement,
11:57Maurer assiste dans les rues de Berlin
11:59au combat entre les partisans nazis et la police.
12:03Il témoigne ainsi, dès octobre 1930,
12:06de la violence ciblée et orchestrée du soulèvement raciste.
12:12Des fusillades et de violentes émeutes
12:14ont marqué l'ouverture du Vème Parlement
12:16de la République allemande aujourd'hui.
12:18De petits groupes de fascistes
12:20ont afflué des rues latérales en criant
12:22« Allemands, réveillez-vous !
12:24Abbas les Juifs ! »
12:28Ils ont brisé les énormes vitres de tous les magasins juifs,
12:31y compris l'important grand magasin Wertheim,
12:34où seule une fenêtre est restée entière.
12:38Rien n'a été volé, mais les chahuteurs
12:40ont menacé à tue-tête.
12:42Nous allons revenir.
12:44Ce n'est qu'un avant-goût pour vous montrer
12:46ce que nous pouvons faire,
12:48à moins que vous décidiez de nous aider
12:50à devenir libres et à trouver du travail.
12:54Dès ce 13 octobre 1930,
12:56par la voix des députés nazis,
12:58la violence pénètre aussi
13:00à l'intérieur même du Reichstag.
13:02L'entrée de ces députés dans le Reichstag
13:04change tout.
13:06Jusque-là, les communistes menaient
13:08une opposition en interne, mais une opposition
13:10correcte. Le verbe très haut,
13:12la révolution à tout bout de champ,
13:14mais en commission parlementaire,
13:16ils travaillaient à une amélioration
13:18des conditions des ouvriers.
13:20Les nazis arrivent, ce n'est pas des gens
13:22qui ont cette culture-là du tout.
13:24Il y a énormément d'interjections antisémites,
13:26où quand un député présumé d'origine juive
13:28par les nazis arrive au pupitre,
13:30il hurle des insultes antisémites, etc.
13:32Dès 1930,
13:34les sessions parlementaires
13:36se raccourcissent.
13:38Il y a moins de sessions parlementaires
13:40et il n'y a plus de décisions
13:42présidentielles.
13:44C'est cette ambiguïté de la Constitution
13:46de Weimar qui facilite
13:48ce processus.
13:50En février 1931,
13:52les travaux du Parlement sont suspendus
13:54pendant six mois.
13:56La République se recroqueville entre les mains
13:58du président et du chancelier Bröning,
14:00qui annonce de nouvelles mesures d'austérité.
14:02Malgré tout,
14:04rien n'y fait.
14:06La crise s'amplifie et touche
14:08de plus en plus de foyers.
14:10À la fin de l'été,
14:12plus de 5 millions d'Allemands pointent désormais au chômage.
14:16À l'étranger,
14:18les malheurs de l'Allemagne font vendre.
14:20À la Une,
14:22en troisième page, ou dans celle des dépêches,
14:24Berlin ne quitte plus les colonnes
14:26d'un grand quotidien qui multiplie
14:28leurs reportages sur place.
14:30Les années 30,
14:32c'est vraiment l'apogée
14:34du média de presse
14:36en termes de chiffres,
14:38d'importance, d'impact.
14:40Tous les journaux veulent faire du reportage à cette époque.
14:42C'est une condition sine qua non
14:44de la concurrence
14:46de la presse dans les années 30.
14:48Mais tous ne peuvent pas
14:50financer ces reportages qui coûtent très cher.
14:52Donc ceux qui sont à la pointe,
14:54ce sont les cinq grands.
14:56C'est Le Matin, Le Petit Parisien,
14:58Le Journal, Le Petit Journal
15:00et L'Echo de Paris.
15:02Et ces cinq quotidiens-là,
15:04à eux seuls,
15:06atteignent un tirage de 5 millions d'exemplaires
15:08sur 6 pour la totalité des tirages parisiens.
15:12À la fin de l'été 1931,
15:14Henri de Corabe passe de nouveau la frontière
15:16pour Le Matin.
15:18Il a choisi comme première étape de son grand reportage
15:20Essène.
15:22Au cœur de la Roure,
15:24cette cité fut l'un des cœurs battants du renouveau industriel
15:26du pays,
15:28qui attisa la convoitise des vainqueurs de la Grande Guerre.
15:32Pendant deux ans, les soldats français et belges
15:34occupent les lieux.
15:36Henri de Corabe l'a vécu et raconté.
15:38Essène n'est donc pas choisie
15:40par hasard.
15:42La ville est remplie de fantômes,
15:44ceux de l'inflation, de l'occupation
15:46et désormais du crash.
15:52Là, j'aperçus enfin
15:54quelques vieilles voitures
15:56de déménagement sans roues,
15:58transformées en habitations
16:00et précédant un échiquier de maisons de bois.
16:02Des femmes,
16:04sur le pas de leurs portes ou à leurs fenêtres,
16:06répondaient à nos questions
16:08d'une manière maussade
16:10et évasive.
16:12Ce qui frappe, c'est
16:14la longueur de ce reportage,
16:16la sérialité
16:18presque continue
16:20pendant parfois un mois,
16:22un mois et demi.
16:24Il ne s'appelait pas grand reportage pour rien.
16:26Ce n'était pas seulement parce qu'on allait loin pour quitter la Nouvelle,
16:28c'était aussi parce qu'il était grand
16:30en termes de format.
16:32Enfin, un vieux qui sortait d'un enclos
16:34répondit par un sourire
16:36à notre salut.
16:38Les temps sont durs et ce sont les hommes
16:40qui ont changé.
16:42Et les femmes, elles travaillent,
16:44c'est vrai, elles apportent un peu d'argent
16:46à la maison, mais elles ne font plus de cuisine,
16:48ce n'est plus la mode.
16:50Le soir, ce sont elles qui payent le cinéma.
16:52C'est ça qui est grave
16:54et non les temps difficiles.
16:56Cette passage
16:58d'Henri Décorab est extrêmement intéressant
17:00parce que ça nous déplace
17:02un peu des lieux communs Berlin
17:04et on va dans un quartier
17:06populaire, appauvri.
17:08On voit que
17:10dans les foyers, il y a vraiment beaucoup de conflits.
17:12Il y a des conflits
17:14tout d'abord entre les couples
17:16parce que la main-d'oeuvre féminine
17:18est beaucoup moins chère que la main-d'oeuvre
17:20ouvrière masculine.
17:22Et les industries vont
17:24rationaliser et virer
17:26les ouvriers
17:28pour embaucher leurs femmes
17:30mais à un prix beaucoup plus avantageux.
17:36Qu'est-ce qu'ils font les ouvriers ?
17:38Ils sont oisifs, ils ont perdu
17:40un peu toute la sociabilité
17:42d'entreprise, l'entre-soi masculin.
17:44Et donc ils vont aller
17:46dans les bistrots,
17:48ils vont boire des coups,
17:50ils vont parler de politique
17:52et certains vont aussi
17:54se faire charmer par les nazis.
17:58La SA joue le rôle un petit peu
18:00d'Emmaüs
18:02ou de la soupe populaire pour ces gens-là
18:04qui sont souvent des chômeurs
18:06qui trouvent au sein de la SA
18:08une famille, un groupe
18:10à manger, une soupe chaude,
18:12parfois un logement
18:14et qui trouvent au-delà de ça
18:16un honneur,
18:18un honneur retrouvé, restauré.
18:20Là au moins,
18:22vous pouvez jouer aux soldats,
18:24vous pouvez revêtir un uniforme,
18:26faire de l'exercice, exercer votre virilité,
18:28votre violence et vous réaffirmer
18:30comme un sujet
18:32de votre propre existence.
18:34Le nazisme va aussi
18:36parler à ce public-là
18:38en disant nous on va
18:40réintégrer à nouveau les relations
18:42entre les sexes, on va mettre de l'ordre,
18:44on va mettre les femmes à leur place,
18:46on va d'abord donner du travail aux hommes
18:48et on va vous réinstaurer
18:50comme partenaire familial,
18:52comme la personne qui vraiment
18:54souvient aux besoins de la famille.
18:58Le reportage d'Henri de Corab
19:00se conclut à Berlin,
19:02le jour où, dans certains quartiers,
19:04on célèbre Rosh Hashanah,
19:06la fête du nouvel an juif.
19:10Rosh Hashanah se passe de nuit,
19:12une nuit où la rue est devenue mauvaise,
19:14hostile.
19:18Du fond de l'avenue,
19:20nous arrivait un bruit de tumultes,
19:22des cris, un hurlement de sirènes.
19:24Des gens arrivaient en courant,
19:26en criant au passage
19:28« Dinadzi ! Dinadzi ! »
19:30Une élégante jeune femme s'arrêta
19:32et soufflait devant notre table.
19:34Elle nous raconta
19:36qu'ils s'étaient glissés un à un dans le café
19:38en s'assayant à des tables déjà occupées.
19:40Puis, tout à coup,
19:42sur un coup de sifflet,
19:44venant du dehors,
19:46ils se sont mis à nous battre.
19:48C'était la même chose en face,
19:50à droite, à gauche.
19:52Ce que je retins surtout
19:54de cette répugnante aventure,
19:56c'était le coup de sifflet.
19:58Décidément, rien ne se passerait
20:00en Allemagne sans un coup de sifflet,
20:02sans un ordre précis.
20:04Plus le parti va grandir,
20:06cette question de l'antisémitisme
20:08va devenir clivante.
20:10Et notamment à partir de 1930,
20:12où les nazis passent de 2,6% à quasiment 20%,
20:14Hitler et les autres dirigeants nazis
20:16savent bien qu'ils ne vont pas
20:18conquérir plus de voix
20:20en conservant un aussi grand discours
20:22antisémite, aussi radical.
20:24Le discours antisémite va passer
20:26en sourdine.
20:28En même temps, la SA
20:30et les troupes nazies dans la rue
20:32continuent
20:34à agresser les juifs
20:36et dans les discours officiels
20:38entre guillemets d'Hitler,
20:40c'est un camouflage.
20:42Dans son livre,
20:44« Germany puts the clock back »,
20:46Edgar Hanselmohrer évoque par exemple
20:48le cas d'une petite ville de Bavière
20:50où dès 1932,
20:52des boycotts à l'encontre des magasins juifs
20:54étaient organisés par les SA nazis.
21:00Des sentinelles à croix gammées se tenaient
21:02à des juifs et notaient les noms
21:04de ceux qui y achetaient.
21:06Les personnes qui ne sont pas dans le quartier
21:08sont dirigées vers des magasins tenus
21:10par des allemands, c'est-à-dire
21:12des nationaux socialistes.
21:14La situation de cette petite ville
21:16n'était qu'un cas extrême
21:18de quelque chose qui s'était propagé
21:20dans toute l'Allemagne protestante.
21:24Durant ces dernières années de la République de Weimar,
21:26peu nombreux seront
21:28les journaux étrangers à évoquer
21:30les révolutions antisémites en Allemagne.
21:32Le sujet est secondaire.
21:34Souvent,
21:36le siège se dit
21:38qu'il exagère, qu'il en rajoute,
21:40qu'il prend sa troupe à cœur,
21:42etc. On rencontre souvent
21:44ce décalage. Et il y a un phénomène
21:46supplémentaire avec notre presse
21:48anglo-saxonne des années 30,
21:50c'est que la plupart des patrons français,
21:52britanniques et américains
21:54sont, comme aujourd'hui,
21:56des milliardaires.
21:58C'est-à-dire des gens riches
22:00et plutôt de droite
22:02et plutôt réactionnaires.
22:04Et on est dans des années
22:06qui suivent de très peu
22:08la révolution russe de 1917.
22:10Et la terreur
22:12de toutes les bourgeoisies
22:14occidentales,
22:16c'est l'URSS.
22:18C'est le bolchevisme.
22:28Quand Hitler
22:30monte en puissance et apparaît,
22:32avec son anticommunisme,
22:34parce que les nazis sont antisémites
22:36d'abord, mais ils sont aussi très anticommunistes,
22:38je pense que beaucoup de patrons
22:40de presse occidentaux se disent
22:42« Bon, s'il peut calmer
22:44un peu les communistes allemands,
22:46finalement, c'est quelque chose
22:48qui peut avoir du bon. » Donc,
22:50les patrons de presse, et ça vaut pour les français,
22:52ça vaut pour les britanniques, ça vaut pour les américains,
22:54ne sont pas du tout antinazis
22:56pour la plupart. Pas du tout.
23:02L'année 1932
23:04sera celle de toutes les dissimulations,
23:06des mensonges,
23:08et des violences hors champs
23:10où les nazis tuent
23:12et meurent
23:14parfois.
23:20L'année 1932 est une année
23:22précipitée, parce qu'il y a
23:24plusieurs scrutins. Le premier scrutin
23:26qui est prévu, c'est
23:28l'élection présidentielle à l'issue
23:30du septennat de Paul Vandenberghe,
23:34et cette élection présidentielle
23:36met face à face
23:38le vieux maréchal
23:40prussien conservateur
23:42qui se retrouve un peu malgré lui
23:44à incarner la République de Weimar,
23:46envers laquelle
23:48il n'est pas forcément bien disposé
23:50culturellement, et face à lui,
23:52Adolf Hitler.
23:54On va arriver à ce paradoxe
23:56complètement contre-intuitif
23:58que la gauche, le SPD,
24:00les partis centristes vont soutenir
24:02Hindenburg. Rien que ça,
24:04ça pose un énorme problème démocratique
24:06qui est qu'un parti de gauche
24:08révolutionnaire comme le SPD
24:10va en arriver, pour faire barrage à Hitler,
24:12à soutenir un général
24:14conservateur de 83 ans
24:16dont la proximité avec les thématiques
24:18sociales, etc. est toute relative.
24:22A l'étranger aussi,
24:24la présidentielle allemande est l'événement
24:26du printemps 1932.
24:28Le patron de Paris Soir,
24:30habitué aux coups médiatiques,
24:32ne rate pas l'occasion.
24:34Trois heures du reportage pour partir
24:36en même temps pour Berlin.
24:38C'est une véritable escadrille
24:40qui va survoler l'Allemagne,
24:42et en montrant tous les aspects
24:44dans la période fiébreuse qui prête cette élection
24:46à la présidence du Reich.
24:48Et quelle escadrille ?
24:50Le 8 mars,
24:52Pierre Macorlan pose sa valise
24:54au Grand Hôtel Adlon de Berlin,
24:56non loin d'Alexanderplatz.
24:58L'écrivain-reporteur,
25:00figure du fantastique social,
25:02y restera jusqu'au premier tour
25:04de la présidentielle.
25:08Dès le premier contact
25:10avec la rue de Berlin,
25:12on comprend que la misère
25:14est là, tapitée,
25:16et qu'il est temps
25:18que la misère est là,
25:20tapie comme une bête monstrueuse
25:22et informe.
25:24Voir, ce n'est pas si facile.
25:26La misère est une
25:28mégère pudique.
25:30Elle n'est point belle,
25:32elle le sait, et se maquille.
25:34Pour Macorlan,
25:36l'information s'obtient
25:38à travers la vue, le regard.
25:40Et dans ses reportages,
25:42notamment celui-là,
25:44ce qui est très frappant,
25:46c'est qu'on peut tout le temps
25:48voir et savoir.
25:50Voici par exemple
25:52un homme quelconque
25:54sur le trottoir de la Mühlachstrasse,
25:56qui est l'une des rues
25:58les plus pauvres de Berlin.
26:00Cet homme, au par-dessus correct
26:02et boutonné jusqu'au menton,
26:04n'a pas de chemise et de veston
26:06sous ce vêtement.
26:08La Mühlachstrasse n'est pas
26:10une rue pouilleuse.
26:12Sa misère est à l'intérieur.
26:14En 1932,
26:16on atteint une situation
26:18qu'on aurait même du mal
26:20à comprendre aujourd'hui,
26:22à imaginer,
26:24où vous avez 40%
26:26de la population active
26:28qui est au chômage.
26:30C'est un pays où la famine
26:32est de retour,
26:34et la famine rappelle
26:36de très mauvais souvenirs,
26:38la famine de la Grande Guerre
26:40pendant la Première Guerre mondiale,
26:42la famine des années 1840,
26:44les crises frumentaires du XIXe siècle.
26:46C'est une Allemagne
26:48qui se croit condamnée
26:50à vivre toujours
26:52et encore des crises
26:54et à ne jamais se relever.
27:04Dans le quartier
27:06de Moabit,
27:08quartier ouvrier à Berlin,
27:10Marc Orland rencontre
27:12une jeune femme laitonne,
27:14juive,
27:16et il semble avoir beaucoup
27:18d'empathie pour elle.
27:20Mademoiselle X-28
27:22se détacha lentement,
27:24comme une chose morte
27:26du groupe d'hommes et de femmes
27:28qui attendaient là pour se mettre
27:30en règle avec la situation.
27:32Cette foule ne ressemblait en rien
27:34à ce que nous pouvons voir chez nous.
27:36Toutes les classes de la société
27:38étaient arrivées au bout
27:40d'un trajet dans une sorte
27:42de no-man's land
27:44où les lois traditionnelles
27:46et le pouvoir de la société
27:48ne peuvent même plus recommander
27:50la patience.
27:54Ça montre que le chômage
27:56et la misère ne touchent pas
27:58uniquement le monde ouvrier,
28:00mais aussi la classe moyenne.
28:02Cette jeune femme
28:04travaille dans un bureau.
28:06Je ne sais pas exactement
28:08si elle est secrétaire ou sténotypiste.
28:10Ça fait dix ans qu'elle est à Berlin
28:12et avec ses camarades
28:14ou collègues du bureau,
28:16elle ne sait pas trop quoi faire
28:18et qu'est-ce que l'avenir
28:20va lui réserver.
28:36Elle travaille en Allemagne.
28:38Où elle est ? Je ne parle pas le laiton.
28:40Il me sera donc facile
28:42de mourir de faim dans mon pays.
28:44Mademoiselle X-28
28:46nous remercia
28:48et prit congé.
28:50Elle tourna au coin d'une rue,
28:52proprement restituée au néant
28:54d'une grande ville,
28:56et nous ne la revîmes plus.
28:58Je ne peux pas m'empêcher
29:00de me demander ce qui va devenir
29:02cette femme.
29:04Cette camarade de bureau,
29:06que j'imagine pour la plupart allemande,
29:08dans le sens nazi,
29:10elle est d'origine juive,
29:12laitone,
29:14et donc elle est une triple outsider.
29:16Elle sera très bientôt au chômage, c'est sûr.
29:18Elle est étrangère et elle est juive.
29:22Au même moment, aux États-Unis,
29:24un entretien d'Adolf Hitler
29:26accordé à la journaliste américaine Dorothy Thompson
29:28fait sensation.
29:30Ses pages seront la principale raison
29:32de la révolution du pays en 1934.
29:36Dorothy Thompson n'est pas correspondante sur place
29:38en Allemagne. Elle y fait des sauts.
29:40Elle a un court entretien avec Hitler,
29:42Dorothy Thompson.
29:44Ça dure une heure, ça se passe très mal.
29:46Lorsque j'ai pénétré
29:48dans le salon d'Adolf Hitler,
29:50j'étais persuadée que j'allais rencontrer
29:52le futur dictateur de l'Allemagne.
29:54En moins d'une minute,
29:56je fus convaincue du contraire.
29:58Il est incohérent.
30:00Il ne tient pas en place.
30:02Il manque d'assurance.
30:04Ses gestes sont maladroits.
30:06Il manque presque de dignité
30:08et n'inspire certainement pas le respect.
30:10Seuls ses yeux sont remarquables.
30:12Gris, sombre,
30:14exorbité.
30:16Il brille de l'éclat particulier
30:18qui distingue souvent les génies,
30:20les alcooliques et les hystériques.
30:22Lui a été très sensible
30:24aux moqueries de la presse internationale.
30:26Il y a un discours célèbre,
30:28je crois que c'est son discours
30:30d'anniversaire de la prise du pouvoir
30:32en janvier 1939,
30:34où il s'adresse à la presse internationale
30:36et dit « Vous avez bien ri.
30:38Vous ne riez plus maintenant. »
30:40Les Juifs sont tenus
30:42responsables de tout.
30:44Dans Mein Kampf,
30:46je trouve que M. Hitler arrive sans sourciller
30:48à les accuser de choses
30:50parfaitement contradictoires.
30:52Dans la stratégie d'Hitler,
30:54les Juifs n'étaient plus simplement
30:56des colporteurs et des petits créanciers.
30:58Ils étaient la finance internationale,
31:00ils étaient la commission des réparations
31:02ainsi que la République
31:04qui imposait des taxes.
31:08Le fait qu'il ait des millions d'adeptes
31:10vous étonne ?
31:12En l'écoutant, ils se sentent glorifiés.
31:14Des jours meilleurs arrivent.
31:16Elle n'a jamais été aussi proche
31:18l'ère de la race
31:20où tous les bons teutons prendront le dessus
31:22simplement parce qu'ils sont teutons.
31:24L'Allemagne se sent
31:26oppressée et ligotée,
31:28condamnée à suivre les dictates
31:30de la France jusqu'à la fin des temps.
31:32Seul ce petit homme
31:34préconise une vraie rébellion.
31:36« Allemands,
31:38levez-vous ! » crie-t-il.
31:40« Vous n'avez rien d'autre à perdre que vos chaînes. »
31:48À la veille de la présidentielle,
31:50les rues allemandes se recouvrent des couleurs
31:52des partis et des portraits des candidats.
31:54À Berlin,
31:56dans les quartiers rouges de la capitale,
31:58c'est le nom du président du parti communiste
32:00allemand, Ernst Thalmann,
32:02qu'on affiche.
32:04Les communistes du KPD ont été l'autre surprise
32:06des dernières législatives.
32:08Ils espèrent
32:10doubler les nazis et instaurer une dictature
32:12prolétaire.
32:14Le vieux maréchal
32:16Hindenburg, lui, limite sa campagne
32:18à quelques pas devant une caméra.
32:20Ses alliés
32:22sociodémocrates et centristes
32:24se chargent de faire voyager le portrait du candidat
32:26à travers tout le pays.
32:28Les nazis, eux,
32:30sont les plus ambitieux
32:32et les plus spectaculaires.
32:34À l'aide d'un avion,
32:36Hitler survole l'Allemagne.
32:38Dans un rythme effréné, il multiplie
32:40les bains de foule et les discours.
32:46Sur le front des rues,
32:48la campagne est brutale
32:50et souvent mortelle.
32:52Tel est le quotidien de la vie politique
32:54allemande que découvre
32:56Joseph Kessel à son arrivée,
32:58le dernier dimanche avant les élections.
33:00En 1932,
33:02Kessel est dans sa trentaine.
33:04Trentaine fringante.
33:06Il a une réputation assez
33:08sulfureuse, scandaleuse,
33:10et il a fait, on ne peut pas le dire autrement,
33:12un absolu tabac.
33:14L'un des reportages qui ont eu le plus grand succès
33:16de toute l'histoire du reportage.
33:18Dans ce même journal,
33:20le matin, en 1929,
33:22lorsqu'il est parti
33:24en Abyssinie
33:26sur la piste du trafic
33:28des esclaves.
33:30Trois ans plus tard,
33:32le 7 mars 1932,
33:34de Berlin, Joseph Kessel transmet par téléphone
33:36son premier article
33:38qui a pour titre
33:40« Le sang qui ne compte plus ».
33:42La veille de son arrivée,
33:44Hitler est tombé, frappé à mort en pleine rue.
33:48Ce n'était pas un attentat
33:50ni la suite d'une rixe personnelle
33:52fondée sur des dissentiments politiques.
33:54Ce fut
33:56au cours d'un combat massif
33:58que cet employé de télégraphe
34:00fut tué.
34:02Quand, dans la soirée, j'appris cette mort
34:04et qu'il y avait eu en outre
34:06quatre blessés graves,
34:08je m'adressais à des informateurs bénévoles.
34:10Tous me regardèrent
34:12avec une stupeur.
34:14L'intérêt, l'émotion que je montrais
34:16pour ce sang versé
34:18les étonnait.
34:20Entre 1930 et 1932,
34:22la rue est la scène
34:24d'une certaine
34:26guerre civile,
34:28on peut même dire, entre les communistes
34:30et le nazisme
34:32et la police, la Schutzpolizei,
34:34la Choupeau, est au milieu
34:36des extrêmes.
34:38Chaque grand parti
34:40allemand dispose d'une milice.
34:42Les plus connus, ce sont les nazis,
34:44avec les SA et les SS,
34:46milices paramilitaires,
34:48avec uniformes, armes, etc.,
34:50mais des autres partis également,
34:52les combattants du Front Rouge pour le Parti Communiste Allemand,
34:54les bannières
34:56du Reich pour
34:58le SPD,
35:00et ces milices-là s'affrontent
35:02dans les rues.
35:04Nous étions en plein quartier ouvrier.
35:06Deux drapeaux
35:08rouges rassemblèrent un instant,
35:10dans leur pli orné de la faucille et du marteau,
35:12un peu de lumière,
35:14mais ils flottaient sur le vide, car la rue était déserte.
35:18Je ne pus croire que nous étions arrivés.
35:20Tout était aussi
35:22mort, aussi silencieux, là
35:24que dans le reste du quartier.
35:26Pas un groupe,
35:28pas un curieux, pas une trace,
35:30ni un signe, rien.
35:32Moi, qui n'avais pas la cuirasse
35:34que forge l'habitude,
35:36je vis mon compagnon le long de ces avenues
35:38désespérées où la colère,
35:40la haine et la violence
35:42doivent avoir un poids singulier,
35:44tout ému de sentir une guerre
35:46civile latente frémir autour
35:48de nous, une guerre civile
35:50entrer dans les murs.
35:54Le nazisme est avant tout une politique
35:56du sacrifice,
35:58et pousser de jeunes militants à mourir
36:00ou à être blessés, et un certain
36:02nombre vont l'être, c'est resserrer
36:04les rangs autour de cette idée que
36:06militer au parti nazi, c'est beaucoup plus
36:08qu'un parti politique, c'est un mouvement,
36:10et qu'être dans ce mouvement, c'est
36:12dépasser la vie terne et morne
36:14d'un petit militant politique, c'est vraiment sacrifier sa vie.
36:18Parce qu'évidemment, dans cette société-là,
36:20où les anciens combattants sont partout,
36:22pour ces jeunes gens, ces jeunes hommes,
36:24leurs frères, leurs pères, sont morts en 14-18,
36:26ou sont mutilés, ou en fait,
36:2814-18, sont des vétérans, donc
36:30qu'est-ce qu'il y a de plus excitant,
36:32de le voir comme ça, politiquement,
36:34que de revivre le soi-disant sacrifice
36:36des tranchées, dans les tranchées politiques.
36:44Le 13 mars 1932,
36:46la rue retrouve son calme.
36:48C'est jour de vote.
36:50Plus de 86% des Allemands
36:52font le déplacement.
36:54Le président,
36:56certains de sa victoire, s'est abstenu.
36:58À tort.
37:00Quand les résultats tombent,
37:02Idenbourg est en tête, mais rate la majorité à quelques voix.
37:06L'ancien caporal fait trébucher
37:08le glorieux maréchal.
37:10Le vote nazi est un vote
37:12rural, semi-rural.
37:14L'image du vote nazi, c'est
37:16la petite ville de province,
37:18de 20 000 habitants, de 40 000 habitants,
37:20traumatisée, mis en question,
37:22mis en difficulté par toute l'expression
37:24des phénomènes de la modernité,
37:26la libération sexuelle,
37:28ce monde bizarre de Berlin,
37:30les cinémas, l'homosexualité,
37:32et puis qu'est-ce que c'est que cette musique qui débarque,
37:34le jazz, et puis ces gouvernements,
37:36parfois corrompus, etc.
37:38C'est ce monde-là, un peu traditionnel,
37:40protestant, qui, en majorité,
37:42va voter pour les nazis.
37:46Le 10 avril 1932,
37:48lors du second tour de la présidentielle,
37:50Idenbourg est réélu.
37:52Mais Hitler a convaincu
37:542 millions d'électeurs supplémentaires.
37:56Le chancelier Heinrich Brüning
37:58est alors remercié.
38:00Le baron Franz von Pappen,
38:02l'un des proches du président,
38:04prend sa place.
38:06Dans le Chicago Daily News,
38:08Edgar Hanselmaurer décrit
38:10le nouvel homme fort du Reich ainsi.
38:14Pappen est un centriste,
38:16au penchant hitlérien bien connu.
38:20Il essaie de former un cabinet d'hommes
38:22dont les titres aristocratiques élevés
38:24restent des vieux jours impériaux.
38:26Pappen a l'intention de gouverner
38:28avec une main ferme.
38:30À plusieurs reprises au cours des derniers mois,
38:32il a exigé une dictature nationale
38:34libérée de tous les artifices parlementaires.
38:40Comme ses prédécesseurs,
38:42von Pappen dissout l'Assemblée
38:44et appelle les Allemands aux urnes.
38:46La campagne est courte, intense,
38:48extrêmement violente.
38:50On compte,
38:52en juillet 1932,
38:54une centaine de morts politiques.
38:58Ce haut niveau de violence
39:00est inédit et inconnu
39:02dans une démocratie occidentale à cette époque.
39:06Pendant que les troupes d'assaut nazis
39:08s'activent sur le front des violences,
39:10Hitler mène une campagne tambour battant,
39:12sous le regard des objectifs de son parti
39:14et des actualités filmées.
39:16Sur ces images,
39:18les scènes se répètent.
39:20Hitler atterrit en avion,
39:22fend la foule,
39:24reçoit des fleurs,
39:26puis monte sur l'estrade
39:28et parle.
39:46La campagne n'est pas une exposition
39:48d'un métier, d'une classe,
39:50d'un statut, d'une confession
39:52ou d'un pays.
39:54Nous voulons élever les Allemands
39:56pour qu'ils comprennent
39:58qu'il n'y a pas de vie
40:00sans droit.
40:04Et qu'il n'y a pas de droit
40:06sans puissance.
40:08Et qu'il n'y a pas de puissance
40:10sans puissance.
40:12Et que chaque puissance
40:14soit puissante.
40:18À la fin de ce discours,
40:20Hitler prend la route pour Berlin,
40:22pour le dernier meeting de la campagne.
40:24Parmi les spectateurs qui l'attendent,
40:26Joseph Kessel.
40:28Cette fois-ci,
40:30le reporter français ne s'est pas installé
40:32près de la scène,
40:34aux côtés des autres journalistes.
40:36Il a préféré voir depuis le cœur de la foule.
40:38Y avait-il 50
40:40ou 60
40:42journalistes réunis là ?
40:44Je l'ignore.
40:46Mais leur masse était écrasante,
40:48hallucinante.
40:50Depuis deux heures,
40:52ils se trouvaient là,
40:54écoutant les marches militaires.
40:56Au milieu de l'immense arène
40:58cernée par la piste,
41:00se dressaient des milliers
41:02d'hommes de choc,
41:04section par section,
41:06régiment par régiment,
41:08en uniforme de parade.
41:10Hitler a trouvé
41:12la plupart de ses militants
41:14et de son audience
41:16parmi les protestants.
41:18Et dans ces milieux,
41:20Hitler est vu comme une sorte de messie politique,
41:22ou de sauveur, si vous voulez.
41:24Quand on va
41:26voir Hitler, on entend
41:28la rage, la douleur, la souffrance,
41:30le deuil, l'énergie,
41:32la volonté
41:34et une affirmation de puissance.
41:36Autrement dit, on participe à un rituel
41:38d'ordre
41:40très archaïque, où on va entendre
41:42une forme de sorcier,
41:44une forme de chaman.
41:46Soudain,
41:48de la voûte par laquelle on accède
41:50à l'arène, une automobile
41:52surgit.
41:54Toute ardente de torches,
41:56elle se mit à faire très lentement
41:58le tour de la piste.
42:00Sur le marchepied se tenait
42:02l'idole, Adolf Hitler.
42:04Le corps
42:06d'Hitler, lors de ses meetings,
42:08c'est peut-être l'essentiel, parce que
42:10au sens littéral, c'est un médium.
42:12C'est une membrane
42:14de diffusion.
42:16C'est un moyen
42:18d'expression, c'est un vecteur d'expression.
42:20Parce que dans son corps s'exprime,
42:22et par son corps s'exprime,
42:24la peur, la rage,
42:26la haine
42:28et
42:30une forme d'espoir
42:32qui s'exprime par une transe
42:34et par des péroraisons qui culminent
42:36à juste titre, relève Kessel,
42:38par les mots « Deutschland,
42:40Deutschland », où là la voix se casse.
42:42« Je l'avais vu
42:44à Dortmund, il y a quatre mois.
42:46Mais alors, j'étais à dix mètres
42:48de lui. Tout ce qu'il a
42:50de fantoche me blessait,
42:52impitoyablement.
42:54Mais là, pareil aux dizaines
42:56de milliers d'êtres qui m'entouraient,
42:58je ne pouvais rien percevoir
43:00de lui qu'une mince
43:02silhouette tout entourée de feu.
43:04Il s'accouda au rebord de l'estrade
43:06et jamais je n'oublierai
43:08son regard d'orgueil
43:10presque dément. »
43:16Le 31 juillet 1932,
43:18à la sortie du bureau de vote,
43:20von Papen semble confiant.
43:22Le chancelier espère, grâce à ce scrutin,
43:24obtenir le soutien des Allemands
43:26et une majorité au Parlement.
43:28Paris perdu.
43:30Ce jour-là,
43:3213 millions d'Allemands font le choix d'Hitler.
43:36Avec 230 députés élus,
43:38le chef du parti nazi devient le maître du jeu
43:40du Reichstag.
43:42Une seule personne reste à convaincre,
43:44Hindenburg,
43:46qui a le pouvoir de nommer le chancelier.
43:50Le 13 août, le président convoque
43:52Hitler, afin de connaître ses intentions
43:54de coalition.
43:56« Les élections législatives du 31 juillet
43:581932 devaient marquer
44:00le couronnement de la stratégie électorale d'Hitler,
44:02ce qui est le cas. C'est devenu le premier parti
44:04d'Allemagne. Et tout cela devait
44:06mécaniquement aboutir à une logique
44:08exécutive, c'est-à-dire l'entrée
44:10des nazis au pouvoir, au gouvernement,
44:12mais surtout le fait qu'Hitler devienne
44:14chancelier. Mais ça ne se produit pas. »
44:18« On aboutit à cette scène fondamentale
44:20qui est la rencontre entre les deux
44:22hommes. Le 13 août
44:241932, Hitler arrive
44:26pour discuter avec Hindenburg. Et Hitler étant
44:28Hitler, c'est-à-dire quelqu'un qui n'écoute que lui,
44:30ne prend aucun conseil et ne
44:32veut qu'une chose, c'est-à-dire la domination absolue
44:34et être chancelier, il dicte
44:36à Hindenburg ses volontés. »
44:38« Hindenburg, en tant que
44:40président de la République,
44:42n'a pas beaucoup de sympathie pour Hitler. »
44:46« Hindenburg, c'est un maréchal du Reich,
44:48c'est un homme d'ordre, c'est un homme de discipline
44:50qui n'apprécie pas du tout
44:52les milices par rapport à l'armée. »
44:54« Et donc Hindenburg va lui dire, je ne vous nommerai jamais
44:56chancelier. »
45:00« Et là, Hitler, en partant, lui dit,
45:02ce serait dommage que je
45:04ne puisse plus tenir la bride à mes
45:06sections d'assaut. »
45:08La République
45:10ne tient plus qu'à un fil.
45:12Au Parlement, les communistes
45:14déposent une motion de censure contre le chancelier
45:16von Papen, qui a gardé son poste.
45:20Le résultat est sans appel.
45:22512 députés
45:24votent pour la censure.
45:26« C'est une censure
45:28parlementaire, et après,
45:30c'est clair, Papen
45:32n'a pas réussi d'organiser
45:34une majorité au Reichstag.
45:36C'est un régime présidentiel,
45:38on peut même dire une dictature
45:40présidentielle, proprement dite. »
45:44L'histoire semble sans fin.
45:46Le Parlement est dissous.
45:48Une nouvelle campagne débute.
45:50Dans les rangs des partisans,
45:52la fatigue se mêle à la peur
45:54et aux espoirs de monde nouveau.
45:58Ce sont ces possibles rêves de jeunes Allemands
46:00que collecte à l'automne 1932
46:02un journaliste voyageur,
46:04aussi débattant à gauche,
46:06Daniel Guérin.
46:08« La politique y apparaît
46:10à chaque instant.
46:12On sent qu'elle tourmente si
46:14violemment ses jeunes cerveaux qu'ils ne peuvent
46:16s'en abstraire.
46:18Cette folle passion est à vrai dire
46:20assez récente.
46:22Et quand nous évoquons en comparaison
46:24la jeunesse française,
46:26engourdie par l'opium des journaux sportifs,
46:28on nous répond qu'il y a quelques années,
46:30les jeunes Allemands s'intéressaient
46:32beaucoup plus aux champions vainqueurs
46:34et aux stars de cinéma qu'à Hitler
46:36ou à Talman.
46:38Mais le chômage,
46:40la misère sont venus.
46:42Chacun a pris parti. »
46:44Le vrai problème des jeunes de cette époque-là,
46:46c'est leur débouché professionnel
46:48qui au-delà déborde
46:50en une crise existentielle
46:52de « qu'est-ce que je fais là ?
46:54Comment je vais vivre mon avenir ? »
46:56Des gens qui rentrent en plus dans la vie active
46:58à 16, 17 ans.
47:00Une autre fois,
47:02dans une petite auberge,
47:04nous ne trouverons que trois jeunes gens
47:06que le hasard a réunis.
47:08L'un d'entre eux nous explique
47:10« Nous sommes dressés les uns contre les autres,
47:12travailleurs contre travailleurs.
47:14Les passions sont poussées
47:16à un tel point que parfois
47:18nous nous entretions.
47:20Mais nous voulons au fond la même chose.
47:22Oui,
47:24la même chose.
47:26Un monde nouveau, entièrement différent
47:28du monde actuel.
47:30Mais l'un croit qu'Hitler le lui donnera
47:32et l'autre que c'est Staline.
47:34Il n'y a entre nous que cette différence.
47:38Quelle incroyable confusion dans leur cervelle.
47:40Nationalisme.
47:42Socialisme.
47:44Les notions réputées les plus claires
47:46y dansent comme des feufolets.
47:48Qui parviendra à capter
47:50cette jeunesse ambulante ?
47:52C'est l'une des inconnues de l'Allemagne d'aujourd'hui.
47:56On voit dans le regard de Guérin
47:58une sorte de circulation entre les extrêmes.
48:00Mais il y aurait à mon avis
48:02une relative fausseté à croire que
48:04tout est dans tout, que tout circule.
48:10Il faut lire les textes et il faut regarder.
48:12Hitler, dans Mein Kampf,
48:14dans tous les textes, dit que son ennemi suprême
48:16c'est les premières pages du livre, c'est le marxisme.
48:18La promesse du nazisme,
48:20ce n'est pas un programme socialiste.
48:22C'est la destruction
48:24de ce qui est considéré comme l'ennemi intérieur,
48:26les marxistes.
48:28Le nazisme parle à différentes générations
48:30en leur promettant différentes choses.
48:32Et c'est là aussi le génie du nazisme
48:34parce que ce n'est pas une doctrine uniforme.
48:36C'est plutôt
48:38une expérience vécue.
48:40C'est un mouvement et justement pas
48:42un parti politique avec un programme.
48:44Et ils vont vraiment
48:46cibler leur message
48:48et ils vont aussi être capables
48:50d'intégrer différentes générations.
49:08...
49:32En novembre 1932,
49:34pour la première fois,
49:36le parti national-socialiste perd des voix.
49:38Les nazis doutent.
49:40Les forces républicaines,
49:42allemandes et étrangères,
49:44espèrent de nouveau.
49:46Le 8 novembre, le socialiste français
49:48et directeur du journal Le Populaire,
49:50Léon Blum, écrit
49:52Hitler est désormais exclu
49:54du pouvoir. Il est même
49:56exclu, si je puis dire, de l'espérance
49:58du pouvoir.
50:00Quand on lit ça aujourd'hui, on sourit
50:02en se disant que cet homme était bien mal informé
50:04ou bien peu perspicace.
50:06Sauf que c'est tout le contraire.
50:08Léon Blum a raison de dire ça.
50:10Parce que les nazis eux-mêmes le disent.
50:12Hitler menace de se suicider
50:14en novembre 1932, parce que tout est fini.
50:16Goebbels confie à son journal
50:18à la Noël 1932, il est tout seul
50:20dans son bureau, qu'il est triste
50:22et qu'il éprouve une mélancolie suicidaire.
50:24Bref, ces gens-là ont perdu.
50:26Et ils ont été remis en selle par
50:28des petits politiciens minables de la droite
50:30bourgeoise autour du Nürnberg.
50:33Il y a des tractations, des complots.
50:35Les gens se rencontrent dans l'ombre.
50:37Chacun y va de son dîner non officiel.
50:41Il y a quelques jours de crise ministérielle.
50:43Ils sont deux ou trois à refuser le poste
50:45de chancelier, tout d'un coup, parce que justement
50:47Hitler ne veut pas soutenir un gouvernement
50:49où lui-même ne serait pas chancelier.
50:51Au premier jour de l'année 1933,
50:53à deux reprises,
50:55von Pappen rencontre Hitler.
50:57L'ancien chancelier devient émissaire.
50:59Le drame proche.
51:01Le drame prend forme.
51:03Von Pappen rassure
51:05in Nürnberg et son entourage,
51:07notamment son fils, Oskar von Nürnberg,
51:09en disant, écoutez, vous allez nommer Hitler
51:11la chancellerie, vous allez me nommer
51:13vice-chancelier,
51:15et c'est moi qui vais tirer
51:17les fils de ce jeu de marionnette.
51:21Hitler, au fond,
51:23n'est qu'un voyou mal dégrossi,
51:25un orateur de brasseries
51:27et un pantin de traiteaux,
51:29alors que le grand politique,
51:31le professionnel,
51:33c'est moi, von Pappen.
51:41Von Pappen a même ce mot
51:43qui est rentré dans l'histoire,
51:45qui est, je vais tellement l'acculer
51:47dans un coin de la pièce, ce Hitler,
51:49qu'il va finir par couiner.
51:53In fine, c'est plutôt Pappen
51:55qui a couiné.
51:59Le 30 janvier 1933,
52:01Hitler prête serment à la République
52:03dans le bureau du président Hindenburg.
52:07Par les urnes, la rue
52:09et les tractations de certains,
52:11Hitler est nommé chancelier.
52:13Le soir même,
52:15les SA nazis défilent fièrement
52:17sous les fenêtres du gouvernement.
52:21Alors qu'il y a quelques mois,
52:23la nomination d'Hitler comme chancelier
52:25aurait fait sensation en Allemagne,
52:27l'annonce d'aujourd'hui
52:29a été accueillie avec modération.
52:31Qu'il fasse un essai,
52:33telle était la teneur des commentaires
52:35même parmi les ennemis d'Hitler.
52:39Il y a des jours
52:41où l'histoire semble vaciller.
52:43Quand cela se passe,
52:45il est difficile de s'en rendre compte.
52:47Tout semble en ordre,
52:49à sa place,
52:51et pourtant plus rien ne sera comme avant.
52:53Ce sont les lendemains qui actent
52:55de cet instant
52:57où il y a eu un avant,
52:59un après.
53:55« L'histoire d'Hitler »
54:25« L'histoire d'Hitler »
54:56« L'histoire d'Hitler »
54:59« L'histoire d'Hitler »

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