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Selon un rapport sénatorial de mars 2022, 30,2 % de la population française vit dans un désert médical. Face à cette situation, le docteur Martial Jardel a cofondé Médecins Solidaires. L’idée : installer des centres médicaux dans des villes qui manquent d’accès aux soins. Des médecins s’y relaient toutes les semaines. M.Jardel vient nous expliquer ce que cela change pour les habitants et les collectivités avec Guy Rouchon, maire d’Ajain. Il s’agit de la première ville où ce réseau s‘est installé.

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Transcription
00:00Générique
00:06On parle de la lutte contre les déserts médicaux, la pénurie de médecins avec le docteur Martial Jardel.
00:12Bonjour, bienvenue. Vous êtes médecin généraliste, cofondateur de Médecins Solidaires et Guy Rouchon, bonjour.
00:17Bienvenue. Le maire d'Agin, dans la Creuse, trouvait un généraliste dans votre département avant Médecins Solidaires.
00:25Je remonte quelques années en arrière. C'était quoi ? C'était impossible ? C'était un défi ?
00:29C'était quasiment impossible. C'était un vrai défi, oui. Effectivement. Parce que trouver un médecin, alors qu'on sait qu'au niveau national, il manque tellement de médecins,
00:37que pourquoi un médecin viendrait particulièrement en Creuse ? En Creuse, un département rural qui, malheureusement, se dépeuple. C'était quasiment impossible.
00:48On a essayé. Vous savez, on a fait une vidéo. À l'entrée du village, on a mis « Agin recherche médecin ».
00:55Je suis allé sur différents médias, France Inter, France 2, etc. Bon, rien n'y a fait. Rien du tout.
01:02Avec quelles conséquences en termes de santé publique, de retard de diagnostic, peut-être d'habitants qui veulent partir parce que c'est une espèce de cercle vicieux ?
01:14Alors les retards de soins, effectivement, ça met Martial pour en parler plus que moi. Mais effectivement, on s'est aperçus, les Médecins Solidaires s'est aperçus
01:22qu'effectivement, il y a des gens qui ne consultaient plus depuis 2 ans avec des diabètes, avec plein de choses. Et donc effectivement, ça devenait urgent de récupérer un médecin.
01:34Mais sans Médecins Solidaires, peut-être qu'aujourd'hui, on n'aurait pas de médecin, parce que Médecins Solidaires était agent depuis 2 ans.
01:40Ça fait 2 ans que ça fonctionne et qu'il y a un médecin toutes les semaines et un nouveau médecin chaque semaine.
01:45Et il y a votre sourire qui apparaît immédiatement. Centre pionnier en quelque sorte pour Médecins Solidaires, ouvert il y a 2 ans, on l'a dit.
01:51Alors on va rappeler l'idée déjà. C'est quoi le principe de Médecins Solidaires ?
01:55Le principe de Médecins Solidaires, c'est de dire, puisqu'on ne peut pas demander beaucoup à peu de médecins, peut-être qu'on peut essayer de demander peu à beaucoup de médecins.
02:03En créant un relais. C'est-à-dire que chaque semaine, c'est un médecin différent qui va venir exercer dans un centre de santé qu'on installe dans un territoire
02:12qui ne parvenait pas à trouver un médecin, où il y a une offre qui a disparu. Et les médecins, ils peuvent être jeunes remplaçants, installés, retraités.
02:20Ça peut vraiment adresser toute la population de médecins généralistes en France. Et on prend en charge leurs frais de transport.
02:26On prend en charge leur logement. On leur met un véhicule à disposition. On simplifie toutes les démarches administratives.
02:32Sur place, il y a des coordonnatrices qui font qu'ils sont vraiment là pour faire que de la médecine dans un cadre d'exercice serein.
02:40Et du coup, ils ont envie de revenir parce qu'ils trouvent que c'est chouette. Et du coup, on arrive à activer comme ça un cercle vertueux.
02:45– Comment ça se passe pour les patients, les maladies de longue durée ?
02:49Parce que, il n'y a pas de suivi. Enfin, comment le suivi est fait ? Parce que le médecin change chaque année, chaque semaine.
02:56– Oui, oui, c'est une excellente question. En fait, aujourd'hui, on est quand même dans une société où la traçabilité de l'information,
03:02c'est quelque chose qu'on maîtrise. L'information médicale, encore plus. On l'apprend dès les premières années de la fac.
03:09Et nous, c'est des médecins qui sont très sensibilisés à ce sujet, puisqu'ils connaissent le principe de l'association.
03:14Et donc, on a des logiciels dans lesquels tout est rempli, les antécédents, toutes les consultations sont tracées, etc.
03:19Et puis, les coordonnatrices, qui sont les points fixes du centre de santé, veillent aussi à faire ce lien entre le patient et les médecins.
03:27Et avec deux ans de recul à Agen, on se rend compte que les patients sont aussi assez heureux de bénéficier de ces regards croisés
03:33de différents praticiens qui vont pouvoir valider leur prescription en disant,
03:37« Si quatre médecins différents ont dit que mon ordonnance, elle était adaptée... »
03:42— Je vais arrêter d'aller sur Internet pour trouver un autre diagnostic que celui qu'ils m'ont donné.
03:45Est-ce que ça attire du monde ? Vous voyez ce que je veux dire ? C'est-à-dire depuis que le centre Médecin solidaire a ouvert à Agen.
03:53Donc on est dans la creuse. C'est A-J-A-N. — A-J-A-I-N.
03:56— A-J-A-I-N. Il me manquait une lettre. — Tout à fait.
03:59— Il y a des patients qui viennent de plus loin, quoi. — Ah bah bien sûr. Les patients viennent d'Agen, de la commune.
04:05Mais des communes périphériques et notamment de Guéret, qui est chef-lieu de département.
04:11— Ça veut dire que c'est une source d'activité aussi pour la ville, d'une certaine façon ?
04:15— Tout à fait. C'est des gens qui viennent à Agen. On a une pharmacie à Agen. On avait plus de médecins.
04:19La pharmacie, sa pérennité était compromise sans médecin, alors qu'aujourd'hui, elle retrouve un regain d'activité.
04:29On a des commerces qui ont été repris. On a une supérette qui allait fermer et qui a été reprise par un jeune.
04:37On a un bar, un bar tabac presse, qui... Le propriétaire partait à la retraite.
04:42On a retrouvé quelqu'un, une jeune femme de 40 ans – t'as dû la voir, peut-être – qui est dynamique. Voilà.
04:49— Mais attendez. Vous liez tout ça au centre de l'entrée.
04:53— Alors je sais pas si on peut le lier directement, mais n'empêche qu'à Agen, on en parle beaucoup.
04:58Je sais pas si vous en avez entendu parler. On en a parlé beaucoup dans les médias de médecins solidaires.
05:03Et à Agen, effectivement, en creuse... Bon, effectivement, ce H-I-A-I-N rayonne, mais il rayonne au-delà de la creuse.
05:11Et donc voilà, effectivement, il y a les commerces. Et puis il y a les habitations. Sur la commune, il y a des habitations qui, malheureusement,
05:20les propriétaires décèdent. Et toutes ces maisons ont été vendues. Toutes les maisons du Bourg, par exemple, ont retrouvé preneur.
05:26Alors on va faire un lotissement. J'espère qu'effectivement, ce sera la même chose.
05:30— C'est super. On est dans un cercle vicieux qui s'est transformé en cercle vertueux, quoi. C'est vraiment ça, l'histoire.
05:35— Il y a eu quelque chose d'assez extraordinaire. C'est-à-dire qu'avant l'arrivée de médecins solidaires, j'étais le maire de la commune, certes.
05:42Mais je n'étais que le maire. Et j'ai eu l'impression que tout de suite après, après les réunions publiques, et puis quand les gens ont appris
05:48que vraiment, il y aura un médecin et un médecin toutes les semaines, ils se sont inquiétés un petit peu au départ, effectivement, de ce turnover.
05:54Mais ils se sont pas inquiétés très longtemps. Et après, j'ai l'impression d'avoir réalisé quelque chose d'une prouesse, enfin d'être le messie, comme je dis.
06:02Des fois, c'est l'héros. C'est vraiment un héros. — C'est du statut de maire à un statut de héros.
06:06— Ah, tout à fait. Super. Combien de centres de santé médecins solidaires en France, aujourd'hui ? Et puis peut-être dans quel département ?
06:13Parce que c'est assez intéressant d'essayer de se situer. — Alors aujourd'hui, on en est à 5. On vient d'ouvrir le 5e.
06:18On en a 2 en Creuse, dans lesquelles il y a 2 médecins. Donc ça fait 4 médecins en Creuse toutes les semaines.
06:22— D'accord. — On en a un dans le Cher, à Charenton-du-Cher, un dans la Nièvre, à Chantenay-Saint-Hubert et un dans la Haute-Vienne, à Arnac-la-Poste.
06:29— Que vous venez d'ouvrir, celui de la Haute-Vienne. C'est ça. Et il y a d'autres ouvertures prévues, là.
06:32— Oui. On va ouvrir en novembre à Ménigouth, dans les Deux-Sèvres, en décembre à Reuilly, dans l'Indre.
06:40Et puis on espère en ouvrir encore 6 autres l'année prochaine et peut-être 8 autres aussi en 2026.
06:46— Oui. Est-ce qu'on parle que de ruralité ? Parce que j'entendais cette semaine – je crois que c'était chez nos confrères de France Info – l'exemple de Malakoff.
06:56Malakoff, on est en région parisienne. Enfin on pourrait imaginer qu'on est dans un tissu de soins et d'offres médicales ultra serrés.
07:05Eh bien à Malakoff, on commence à manquer de médecins. Donc est-ce que c'est seulement une question rurale ?
07:09— Ah non, pas du tout. On dit d'ailleurs que Paris est le plus grand désert médical. Ça, on le dit maintenant.
07:14C'est pas du tout qu'une question de la ruralité. La différence, c'est que dans les territoires ruraux, il n'y a pas d'autre solution d'accès aux soins.
07:20À Malakoff, vous avez peut-être du mal à trouver un accès à un médecin traitant. Mais enfin au pire du pire, vous avez SOS Médecins,
07:27vous prenez le métro, vous allez aux urgences de Saint-Antoine ou de Lariboisière ou de je ne sais où. Vous avez une possibilité.
07:33À Agen, dans ces territoires ruraux, s'il n'y a pas de médecin, il n'y a pas d'option. Et on se retrouve avec des gens qui nous disent
07:41« Mais moi, j'ai 4 enfants. Quand ils sont malades, je ne sais pas quoi faire ». Et c'est cette absence de solution qui est inacceptable.
07:48— Les médecins qui viennent consulter, comment ils sont payés ? Parce qu'il y a aussi les mercenaires qui vont d'un hôpital à l'autre
07:57et qui sont beaucoup mieux payés que les statutaires. Donc c'est quoi, le principe ?
08:00— Alors nous, c'est un collectif de médecins solidaires. Et ça porte quand même son nom. C'est des médecins qui ne sont pas bénévoles
08:05mais qui sont volontaires. Et leur rémunération, c'est 1 000 € la semaine. Donc c'est quand même une rémunération solidaire,
08:12parce qu'ils pourraient trouver largement plus ailleurs. Et c'est la rémunération qui fait que ça nous évite justement de rentrer
08:18dans une logique de mercenariat. C'est pas des médecins qui viennent chercher de l'argent. C'est des médecins qui viennent contribuer
08:23à un projet d'intérêt général, collectif, et qui sont animés par ce désir d'aider.
08:29— Guillauchon, votre centre de santé a reçu la visite de la ministre de la Santé il y a quelques jours. Qu'est-ce qu'elle voulait voir ?
08:36Comment ça s'est passé ? — Je pense qu'elle voulait voir avant tout Médecin solidaire. Bon, effectivement, Médecin solidaire a été
08:43le lieu d'expérimentation de Médecin solidaire. Mais elle venait surtout voir Médecin solidaire. Je pense qu'elle voulait savoir
08:50comment ça fonctionnait. C'était ça. Et bien sûr, elle est venue à Agen. Donc je l'ai reçue. — Comment elle a réagi ? Ce que j'entends
08:59dans votre description, c'est qu'il y a peut-être là un modèle à dupliquer, à développer, quoi. C'est ça ?
09:05— Ah bah tout à fait. Je crois qu'elle a dû dire qu'effectivement, elle vous aiderait, elle aiderait Médecin solidaire à ouvrir
09:12de nouveaux centres ou à se développer en Nouvelle-Aquitaine peut-être ou ailleurs.
09:16— Oui. Ce qu'on a percuté, nous, avec Médecin solidaire, c'est l'idée qu'on pouvait innover. On pouvait sortir du dogme du médecin de famille,
09:26qui est un modèle auquel je suis très attaché. Je suis moi-même installé en tant que médecin de famille. Il n'y a pas de sujet.
09:30Mais il faut qu'on se permette d'ouvrir la boîte de l'innovation organisationnelle. Il y a peut-être d'autres manières de délivrer
09:36de la médecine générale que sur les épaules d'une seule personne qui s'installe pendant 30 ans dans un territoire. Alors c'est peut-être pas
09:43Médecin solidaire qui va sauver tous les territoires. Mais cette idée qu'il faut qu'on se creuse la tête pour trouver de nouvelles solutions
09:50et de nouvelles formes d'organisation, ça, ça vient percuter. — C'est aussi parce que les médecins – seulement les médecins, c'est vrai –
09:55dans plein de professions veulent plus travailler comme les parents ou les grands-parents voulaient travailler. Est-ce que c'est vrai, ça ?
10:03— Oui. Mais c'est plus large que ça. C'est-à-dire que c'est une génération qui a changé considérablement son rapport au travail.
10:09C'est vrai dans la médecine, dans tous les autres secteurs. C'est vrai aussi qu'il y a 30 ans, les médecins qui travaillaient et qui étaient réveillables
10:16la nuit et qui faisaient des journées tunnels le faisaient beaucoup par vocation, souvent aussi un peu par obligation, parce que s'ils ne le faisaient pas,
10:24ils perdaient leurs patients, puisque c'était très concurrentiel. Donc la donne a changé. Et puis il y a 30 ans, vous vous installiez dans un territoire rural.
10:32Si 2 ans après, vous vouliez changer de projet de vie, c'était pas un problème. Quelqu'un était ravi de reprendre votre place.
10:37Aujourd'hui, vous vous installez dans un territoire rural. Si au bout de 2 ans, vous changez de projet de vie, vous êtes coincé, parce que personne ne peut vous remplacer.
10:45Donc vous créez un drame humain. Et donc ça génère un frein énorme à l'installation. La pression morale qui est aujourd'hui sur les épaules des jeunes médecins
10:51qui peuvent penser à s'installer éventuellement dans ces territoires, elle est énorme. — Tiens, dernière question. Comment ça se passe ?
10:56Parce qu'il y a besoin de spécialistes aussi. Et un médecin généraliste, souvent, il est dans une chaîne de soins. C'est-à-dire qu'il va détecter une maladie.
11:03Il faut qu'éventuellement... Est-ce qu'il peut prendre un avis d'un spécialiste ? Est-ce qu'il y a un peu de télémédecine ? Enfin j'essaye de comprendre
11:09comment ça se met en place, quoi. — Oui. Il y a un carnet de correspondants qui est mis à jour au fil de l'eau et où on a des adressages qui,
11:20selon chaque territoire, sont spécifiques. On en réfléchit à développer les solutions, évidemment, de téléexpertise, qui vont être particulièrement
11:27intéressantes en dermatologie, par exemple. Et puis on est vraiment dans cette idée que pour l'instant, on construit une offre de soins de médecine générale
11:36bien structurée. Il y a beaucoup de spécialistes, d'ailleurs, qui ont voulu nous rejoindre. Mais pour l'instant, on freine un peu sur ça.
11:42On attend d'être très solides sur la médecine générale pour pouvoir développer après d'autres offres de spécialité.
11:47— Bon, vous avez fait les jaloux, dans le département ? — Oui. Oui, tout à fait. Je fais partie d'une communauté d'agglomération du Grand Garais.
11:55Et maintenant, à chaque fois qu'on me voit, on me dit... Alors certains me disent « Bonjour, docteur ». Voilà. Et t'étais encore dans le journal, t'étais à la radio,
12:02t'étais à la télé. — Ça va pas s'arranger. Vous pourrez diffuser cette émission. — Oui, tout à fait. Non, mais vous savez qu'il y a...
12:06Oui, puis il y a plusieurs maires qui m'ont dit « Mais comment on fait pour que Médecin solidaire vienne chez nous ? ». Il y en a plusieurs.
12:12Il y en a même qui m'ont demandé « Est-ce que je pourrais pas avoir les adresses ou les mails des médecins qui viennent à Amèges ? ».
12:18Non, c'est pas comme ça que ça peut se passer. Mais pour savoir s'il n'y en a pas un qui voudrait venir s'installer par exemple dans une commune proche d'Agen.
12:26— Bon, c'est une belle histoire que vous nous avez racontée tous les deux. Merci beaucoup d'être venu la partager sur Smart Impact.
12:33On passe tout de suite à notre rubrique « Start-up ».

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