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"J'étais le secret, mais je connaissais l'histoire de mes parents. La seule chose que je ne pouvais pas vraiment faire, c'était dire la vérité sur mon identité", explique Mazarine Pingeot, romancière, professeure de philosophie et autrice de "11 quai Branly", aux éditions Flammarion. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-17-octobre-2024-8930125

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Transcription
00:007h48, Sonia De Villers, votre invitée, la fille de l'ancien président de la République,
00:09François Mitterrand.
00:10Fille qui a vécu cachée dans un appartement de fonction sécurisé situé au 11 Quai Branly
00:16à Paris.
00:17Lieu dont elle décrit le vide abyssal pour l'enfant qu'elle a été, seule, terriblement
00:21seule.
00:22Ça donne un livre court, publié chez Flammarion, souvent cinglant et très bien écrit.
00:28Pour la première fois, la bâtarde de la République se réapproprie son histoire, la France entière
00:34l'ayant racontée à sa place.
00:35Bonjour Mazarine M.
00:37Pinjot.
00:38Bonjour.
00:39Bâtarde, c'est ainsi que vous vous êtes vécue ?
00:40Le mot est violent et c'est un mot social, il n'était pas prononcé, moi je ne le prononçais
00:47pas non plus, mais en tout cas il légitime, il y a une forme d'illégitimité qui vous
00:51colle à la peau quand même, oui bien sûr.
00:53Votre mère à vous c'est Anne Pinjot, grande amour secret du président, conservatrice au
00:57musée d'Orsay.
00:58Vous saviez bien, racontez-vous, que François Mitterrand avait une autre famille, une autre
01:03femme.
01:04Je la voyais à la télévision.
01:05Oui, moi j'étais le secret, mais en revanche je savais, je connaissais l'histoire de mes
01:11parents et elles ne m'étaient pas secrètes, c'était moi le secret, c'est tout à fait
01:16différent et donc la seule chose que je ne pouvais pas vraiment faire, c'était dire
01:23la vérité, et ce n'était pas que dire la vérité, c'était dire la vérité sur
01:26mon identité.
01:27C'est ça qui est étrange, parce qu'après je pouvais raconter des choses en taisant
01:31les noms.
01:32Jusqu'à la révélation de votre visage, de votre existence, de votre identité précisément,
01:38vous écrivez cette phrase terrible « j'ai cru mourir chaque fois qu'il me fallait
01:43le dire ». À votre première amoureux, à une copine de collège, j'ai cru mourir ?
01:50Oui, parce que lorsqu'on est structuré par le secret, le fait de dire, plus que de
01:57parler, de dire, c'est comme tout votre statut d'existence qui s'évanouit, qui
02:06se dissout, parce que d'une certaine manière c'est par le secret que tout était justifié,
02:12le fait d'habiter dans cet endroit caché, le fait d'être caché dans cet endroit caché,
02:16le fait de ne pas porter un nom, le fait de… Voilà, toute mon existence se justifiait
02:21à l'aune du secret.
02:22Et donc à un moment donné où le secret n'existe plus, d'une certaine manière
02:25c'était ma mission sur terre qui n'existait plus et c'est vrai que…
02:30Au risque de se désintégrer ?
02:32Oui, ce risque-là était là.
02:33Alors vous êtes née en 1974, vous grandissez dans le 2 pièces de votre mère sous les
02:39toits jusqu'à l'âge de 6 ans à Saint-Germain-des-Prés, il ne vient que le soir, les choses changent
02:46après 1981 quand François Mitterrand a remporté l'élection présidentielle.
02:50Le 11 quai Branly, l'Alma comme vous dites, c'était d'abord pour vous protéger tous
02:55les trois ?
02:56Oui bien sûr, c'était d'ailleurs uniquement pour ça, c'était pour que ce soit plus
03:00simple pour la sécurité et pour mon père.
03:02Un lieu clos, coupé du monde que vous décrivez, vous y avez vécu de 9 à 11 ans, la fin de
03:08l'enfance, le début de l'adolescence, vous détestez cet endroit que vous appelez
03:12un tombeau, alors qu'est-ce qui est mort dans cet immense appartement ou alors qu'est-ce
03:17qui n'a pas pu prendre vie ?
03:19J'aurais aimé savoir ce qui aurait pu prendre vie et qui n'a pas pris vie de fait, c'était
03:26un lieu, comment dire, c'est très étrange parce qu'en fait c'était un lieu coupé
03:30du monde et lorsqu'on est adolescente c'est précisément le monde qu'on a besoin de
03:34rencontrer et moi j'avais vécu cette adolescence dans ce lieu-là, qui était à la fois physiquement
03:42coupé du monde parce que c'est un quartier qui était très excentré de tout, en tout
03:46cas moi de tous mes centres de vie, il n'y avait pas encore le musée, il n'y avait pas
03:49encore l'église orthodoxe russe et c'était une sorte d'autoroute qui passait devant.
03:58Vous dites que c'était un jour sans fin, il ne s'y passait rien, le téléphone ne
04:02sonnait jamais, on n'y reçoit aucun ami.
04:05C'était le lieu de l'intimité au sens très très littéral du terme, c'est-à-dire
04:10qu'en effet la porte ne s'ouvrait pas facilement à tel point que moi lorsqu'elle se refermait
04:14sur moi je ne ressortais pas, mais je ne ressortais pas ni de l'appartement ni même à l'intérieur
04:20du corps de bâtiment parce qu'on pouvait y jouer d'une certaine manière, il y avait
04:23des enfants qui jouaient dans la cour et moi je ne m'autorisais pas de le faire parce
04:27que, sans doute j'aurais pu le faire en plus, mais c'était vraiment encore une fois parce
04:32que j'avais endossé cette évidence.
04:35Vous vous y sentez tellement seule que vous finissez par demander à vos parents d'avancer
04:42le dîner du soir, ne serait-ce que pour raccourcir ce moment interminable où vous êtes seule
04:47entre la sortie du collège et le dîner du soir ?
04:50C'est vrai, il y avait quand même Santa Barbara qui m'a beaucoup aidée, mais oui
04:55c'est vrai je leur ai demandé qu'on dîne plus tôt aussi parce qu'on regardait de
05:00manière très cérémoniale les informations le soir, le 20h, comme le matin on écoutait
05:05France Inter et donc c'était aussi avoir un petit laps de temps pour être ensemble
05:12sans commencer tout de suite par regarder les informations.
05:16D'ailleurs, quand Flammarion vous propose d'inaugurer cette collection Retour chez
05:21soi, c'est-à-dire que vous allez avoir les clés d'un appartement, d'un lieu, de votre
05:25choix où vous avez grandi, vous avez vécu, vous avez choisi l'alma, le 11 quai Branly,
05:29vous revenez dans cet appartement où tout a changé et au fond la pièce la plus gaie
05:34c'était la cuisine, très vétuste mais baignée de lumière et quand vous y retournez,
05:39Mazarine Pinjot, l'odeur du pain grillé flotte encore et les voix de France Inter flottent
05:44encore dans cette cuisine.
05:45Il y a toujours Philippe Meyer qui est là, il y a toujours Yvan Levaille qui est là,
05:48il y a toujours Stéphane Paoli qui est là et vous vous racontez un souvenir très précis,
05:55c'est-à-dire de qui elle parle cette matinale de France Inter quand vous étiez petite et
05:58que vous preniez le petit déjeuner avec vos parents ? De votre père et c'était une
06:02torture pour vous ?
06:04Ça arrivait fréquemment, c'est sûr.
06:06La torture c'est l'espèce de dichotomie totale entre le père et le président, c'est-à-dire
06:12qu'on parlait tout le temps du président, forcément que ce soit dans la cour de récré,
06:17que ce soit à la télévision, que ce soit sur les ondes de radio mais moi je connaissais
06:20une autre personne et donc la difficulté c'était d'arriver à…
06:22Et vous, vous étiez contrainte et réduite au silence ?
06:25J'étais contrainte et réduite au silence par rapport au président mais de ce fait
06:28par rapport au père et en fait il y avait une sorte de confusion permanente et en même
06:32temps c'est vrai que les hommes et femmes politiques sont très attaqués et que ces
06:35attaques souvent finissent par concerner la personne et donc pour un enfant, aujourd'hui
06:41je les comprends très bien, je comprends comment fonctionne le jeu politique mais pour
06:45un enfant c'est très étrange cette confusion et donc on essaye de défendre mais sauf que
06:51moi de toute façon je ne pouvais pas défendre puisque je ne pouvais pas dire qui j'étais
06:55et c'est vrai que ça met dans une sorte de corner comme ça, d'angle mort où finalement
07:03on est très impuissant.
07:04Et aujourd'hui ? Aujourd'hui vous vous trouvez dans une situation ambivalente à
07:09vous lire, c'est-à-dire que vous n'êtes pas spécialiste du socialisme, vous n'êtes
07:13pas spécialiste du mithéandisme, vous êtes même ignorante, vous êtes même spécialiste
07:18en ignorance de l'histoire de votre père et pourtant vous êtes vigile d'une mémoire.
07:23Pourquoi vigile ?
07:24Oui, c'est toute la contradiction, c'est-à-dire que tout le monde est persuadé que je connais
07:28tous les anciens ministres, ce qui s'est passé dans toute la vie historique du PS
07:35évidemment, moi je n'en ai pas une connaissance plus que les autres en tout cas, en plus je
07:39suis née à un moment où mon père était déjà 7 ans avant d'arriver au pouvoir donc
07:43il était déjà sur la fin de sa carrière et puis ce n'était pas enseigné encore dans
07:47les livres d'histoire.
07:48La fin de sa carrière alors qu'il n'était même pas encore arrivé au pouvoir ?
07:51Oui mais en fait pour moi ça s'identifiait aussi à la fin de sa vie et donc je suis
07:58arrivée à un moment où finalement j'avais assez peu de connaissances et donc on me pose
08:01toujours des questions et les gens s'étonnent que je ne connaisse rien.
08:04Oui, et vous dites je n'aime pas qu'on le maltraite, vous écrivez je n'aime pas qu'on
08:08le maltraite, c'est mon papa après tout, c'est mon papa c'est-à-dire que le mot
08:12a fini par surgir.
08:13Ça l'a toujours été, ça l'a toujours été et en même temps ça a été aussi l'autre
08:19personne.
08:20Sauf que les deux ne se retrouvaient jamais aussi parce que moi je ne le voyais jamais
08:24en représentation, je ne le voyais jamais dans ses fonctions, je n'allais pas le voir
08:28au bureau.
08:29Et donc là où je le voyais c'était dans le lieu de l'intime, c'était dans le lieu
08:32du père et le lieu du Président, je n'y allais pas.
08:35Et puis il y a ces pages d'une violence inouïe, Mazarine M.
08:39Pinjot sur la révélation sur ce jour du 10 novembre 1994 quand vous avez 19 ans, quand
08:46votre visage s'affiche en couverture de Paris Match, il est repris dans toute la France
08:51et où vous devenez une bête traquée.
08:53Vous en voulez encore aux journalistes qui ont révélé votre visage.
08:57Vous dites « cet événement m'a simplement écrasée, comme la carcasse d'une voiture
09:01accidentée broyée à la casse pour prendre moins de place et être mise au rebut, empilée
09:06parmi d'autres ».
09:07Ah oui, ça a été d'une grande violence pour moi mais bon, c'était en même temps,
09:14ça ne pouvait pas se passer autrement sans doute, la violence du secret répondait à
09:17la violence de l'immense publicité.
09:20Et c'est vrai que de voir son visage partout quand on a été invisible, c'est quelque
09:23chose d'assez compliqué à s'approprier sa propre image lorsqu'on pensait qu'elle
09:32n'existait pas.
09:33Ça prend un peu de temps.

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