Xerfi Canal a reçu Aurélien Acquier, professeur, habilité à diriger des recherches à ESCP Business School, pour parler de la fin de l'abondance.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Aurélien Ackier, bonjour Jean-Philippe Deney. Aurélien Ackier,
00:12Anthropocène, Limites planétaires et Nouvelles frontières des sciences de gestion. C'est
00:16l'introduction du numéro spécial de la revue française de gestion que vous avez coordonné
00:19avec Julie Maillère, donc IQUB-CRG, École Polytechnique Université de Rennes et Bertrand
00:23Vaillure-Gueulem-Lyon Business School. Un numéro qui fait débat, qui fait même parfois polémique,
00:31numéro dans lequel vous identifiez des points de bascule. Il y a un point de bascule général,
00:37c'est qu'il faut arrêter de parler d'anthropocène, il faut parler d'organocène. Et donc ça place
00:41les sciences de gestion au cœur, et donc leur management, au cœur de tous les débats. Parmi
00:49ces points de bascule que vous discutez, il y a la question d'une formule qu'on doit au Président
00:55de la République, Emmanuel Macron, la fin de l'abondance. Nous vivons la fin de l'abondance.
00:59Quelles conséquences pour le management de cette fin de l'abondance ? Est-ce qu'il faut vraiment
01:03parler de fin de l'abondance ? Et quelles conséquences ? Alors peut-être d'abord pour
01:07clarifier le point de départ qu'on a essayé de développer avec Bertrand et Julie dans cet
01:18article et à travers ce numéro spécial, on prend acte de l'anthropocène. C'est-à-dire que cette
01:25notion de l'anthropocène, d'abord elle est double. Elle dit qu'on rentre dans des dynamiques très
01:30instables par rapport aux dynamiques historiques qu'on a connues sur le système Terre, et ces
01:34dynamiques-là sont intrinsèquement reliées, elles sont inséparables de l'influence humaine. Tous
01:41ces éléments-là, il nous semble qu'ils sont quand même largement posés aujourd'hui dans
01:45les disciplines scientifiques qui s'intéressent au sujet. Et en fait, les débats autour de
01:51l'anthropocène portent surtout sur la datation, le point de départ de l'anthropocène. Mais la
01:56réalité des impacts humains sur le changement climatique, là il n'y a par exemple aucun débat.
02:02C'est-à-dire ce que nous dit le GIEC dans le dernier rapport du groupe 1 en 2021, c'est 100%
02:09du changement climatique observé est dû à l'action anthropique. Donc en fait, le fait que
02:15les humains aient un impact massif, décisif, historique, inédit sur la dynamique du système
02:22Terre, ça ne fait pas débat. Après, à l'intérieur de ce débat, effectivement, on a voulu montrer qu'il
02:28faut penser la place des organisations. Et que penser la place des organisations, c'est à la
02:33fois indispensable, mais il faut aussi appareiller les sciences de gestion et les sciences des
02:38organisations pour penser ces sujets à la bonne hauteur. Et donc, c'est dans ce cadre-là qu'on
02:42identifie ce qu'on appelle des points de bascule disciplinaires, qui sont les éléments à travers
02:48lesquels on va rediscuter. Il faudrait qu'on rediscute des axes centraux de théorisation
02:54pour les sciences de gestion. Et l'un de ces éléments-là, c'est effectivement la fabrication
02:59de la raréfaction des ressources. Pas seulement la rareté d'ailleurs, parce qu'on sait par exemple
03:04que l'économie, c'est une discipline qui pense la location de ressources rares, etc. Le problème
03:09auquel on est confronté aujourd'hui, c'est la raréfaction. Donc là, on est devant un objet nouveau
03:15qui appelle pas mal de reconceptualisation. La raréfaction, c'est un processus, ce n'est pas
03:19juste un constat instantané. Exactement. La raréfaction, c'est un processus d'épuisement,
03:24en fait. Et effectivement, aujourd'hui, on est pris devant une tension très, très forte entre
03:29deux éléments. D'abord, le fait qu'on est dans des sociétés qui sont de plus en plus gourmandes
03:33en ressources. C'est-à-dire, si on regarde par exemple dans une perspective historique,
03:36notre usage des ressources depuis les années 70, notre usage des ressources, en fait,
03:41il a été multiplié par 4. Alors que la population mondiale, elle, sur cette période-là,
03:47elle a été multipliée par 2. Vous évoquez l'idée qu'il faut explorer la construction sociale du
03:52risque anthropocène. Oui. Alors en fait, d'abord, peut-être avant de dire qu'est-ce qu'il faut
03:59étudier, c'est aujourd'hui, d'abord, on voit ces processus de raréfaction qui sont à l'œuvre.
04:03Sur des ressources renouvelables, il suffit de regarder les controverses autour de l'accès à l'eau,
04:08auxquelles on est confronté aujourd'hui en France. La problématique de la raréfaction de la ressource
04:13en eau, qui est aussi une question clé dans tous les pays du Sud. Derrière, il y a la question de
04:19la capacité à soutenir des modèles agricoles. Donc, on n'est pas devant de petits sujets.
04:23Alors après, il y a évidemment d'autres ressources qui, elles, sont encore très,
04:27voire trop abondantes, en fait. C'est-à-dire que si on voulait rester dans un budget carbone
04:31compatible avec un réchauffement gérable, il faut qu'on accepte de ne pas utiliser des ressources
04:38qui restent trop abondantes, qui sont les ressources fossiles. Donc, vous voyez,
04:42cette question de fin de l'abondance, elle se pose différemment selon les ressources. Mais du coup,
04:48ce qu'on voit, c'est qu'on est devant des objets qui vont redéfinir massivement nos sociétés,
04:54nos économies, que ça va redéfinir aussi massivement les stratégies des entreprises.
04:59Là-dessus, comment on fait ? Premier point, c'est d'étudier ces processus-là. Par rapport
05:04aux sciences de gestion et aux disciplines du management, nous, ce qu'on dit, c'est d'abord
05:09un point d'entrée qui nous semble évident, c'est qu'il faut développer cette culture des ressources.
05:13Évidemment. Parmi les propositions, on retiendra que Jean-Pierre Dupuis,
05:19il y a plus de 15 ans, nous proposait déjà un catastrophisme éclairé, que vous citez dans
05:24l'article, et que c'est sans doute, du point de vue épistémologique, c'est-à-dire de création
05:28de connaissances nouvelles, probablement une épistémologie à méditer. Absolument. Merci à vous.