Après les inondations dramatiques dans le sud-est de l'Espagne, Emma Haziza, Robert Vautard et Arancha González sont les invités du Grand Entretien ce jeudi 31 octobre de France Inter.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00Peut-on déjà tirer des leçons de ce qui vient de se passer en Espagne, ces inondations
00:04donc d'une violence extrême, en particulier dans la région de Valence, près de 100 morts,
00:09des dégâts énormes et encore une fois, trois questions essentielles, celles de la
00:13lutte, de la prévention et de l'adaptation face aux dérèglements climatiques.
00:18Vos questions, auditeurs de France Inter, comme d'habitude, au 0145 24 7000 et sur
00:23l'application de Radio France et trois invités pour en parler ce matin.
00:26Arantxa González, bonjour.
00:28Bonjour.
00:29Vous êtes ministre espagnole des affaires étrangères de 2020 à 2021 dans le gouvernement
00:33de Pedro Sánchez, vous êtes aujourd'hui doyenne de l'école des affaires internationales
00:37de Sciences Po à Paris.
00:39Emma Aziza, bonjour.
00:40Bonjour.
00:41Hydrologue, experte en adaptation climatique et Robert Votard, bonjour.
00:44Bonjour.
00:45Climatologue, coprésident du groupe de travail sur la physique du climat au sein du GIEC,
00:49le groupe d'experts mandaté par les Nations Unies pour étudier l'évolution du climat.
00:53Vos réactions d'abord à ces inondations, donc dans le sud-est de l'Espagne, la vôtre,
00:58Arantxa González, quel est votre état d'esprit ce matin, celui de vos compatriotes espagnoles ?
01:04C'est un pays qui est sidéré.
01:06C'est la tristesse, l'énorme tristesse pour des gens qui ont perdu les familles,
01:13les proches et pour d'autres qui ont tout perdu dans un événement climatique fort,
01:21dans une région où on est habitué aux gouttes froides.
01:25La goutte afrienne, vous dites en espagnol, les gouttes froides.
01:28On connaît ça aussi en France, c'est un phénomène très courant dans cette région.
01:32C'est courant dans cette région, mais avec une virulence aujourd'hui qu'on n'a pas connue avant
01:38et pour laquelle il faut se préparer.
01:40Et pour se préparer, il faut commencer par admettre que les changements climatiques,
01:45ce n'est pas une question idéologique, c'est un risque.
01:49Et pour ce risque, à ce risque, il faut repondre à la fois dans les infrastructures,
01:56dans la préparation, dans l'adaptation, mais aussi dans la préparation des citoyens.
02:02La prévention et la sensibilisation vont pouvoir aborder toutes ces problématiques.
02:07Emma Aziza, vous avez été surprise, les gens sur place ont été surpris eux-mêmes
02:11par la virulence, la violence extrême de cet épisode, vous aussi ?
02:15Oui, j'ai suivi les images quasiment toute la nuit, jusqu'à 3h du matin, ça ne s'arrêtait pas.
02:20On a eu des précipitations diluviennes qui ont piégé les populations
02:25au moment où ils rentraient des écoles et du travail, mais ça a continué toute la nuit.
02:30Et on avait un système qui était stationnaire, c'est le pire.
02:34Des mois de pluie en quelques heures ?
02:36Oui, c'est vraiment la forme orageuse la plus violente et la plus dévastatrice qu'on puisse connaître,
02:41que le pourtour méditerranéen connaît bien, que la région a déjà connue.
02:45Parce que ces épisodes méditerranéens ne sont pas nés avec le changement climatique,
02:51ils existent depuis toujours, si on monte dans l'histoire de ce territoire.
02:55On a eu un événement de quasiment la même intensité en 1996, avec plus de 80 victimes.
03:02Si on remonte un peu plus dans le temps, en 1957, on avait encore plus de 80 victimes aussi.
03:06Et si on remonte bien plus loin, on a plus de 75 événements de ce type-là sur les 7 derniers siècles.
03:11Par contre, on voit que les choses se transforment, qu'on a une vulnérabilité énorme
03:15des masses et des populations qui sont là et qui étaient sur ce territoire en train de vivre normalement,
03:21de traverser la route et qui ont été emportées sur le chemin.
03:23Et donc c'est là où on voit qu'il y a encore un gap énorme de travail à faire
03:27sur la manière de conduire les populations à comprendre les gestes qui sauvent dans ces zones inondables.
03:33Est-ce que vous pouvez nous expliquer, Robert Votard, ce qu'on entend par « goutte froide »
03:38et pourquoi elle a été particulièrement virulente cette fois-ci ?
03:42Alors voilà, sur l'Atlantique, sur l'Europe, les masses d'air se divisent souvent en deux,
03:48avec des masses d'air froids au nord, des masses d'air chaudes au sud,
03:52avec une limite entre les deux qui ondule et qui parfois, dans cette ondulation,
03:59il y a une bulle qui se détache, une bulle d'air froid qui vient du nord,
04:04qui se détache et qui va se promener sur des régions où les surfaces sont chaudes,
04:10notamment la mer Méditerranée, mais pas seulement, même aussi l'Océan Atlantique.
04:15Donc c'est cette confrontation des masses d'air qui arrive souvent à l'intersaison,
04:20qui va créer un petit peu cette instabilité très forte de l'air froid en altitude,
04:26de l'air chaud près du sol.
04:27Et donc là, avec le réchauffement climatique, la mer Méditerranée est plus chaude
04:32et donc il y a plus d'humidité dans l'air, ce qui a aggravé le phénomène,
04:35le lien avec le dérèglement climatique, il est établi ?
04:38Alors sur ce cas précis, il faut encore rester un petit peu prudent, on va faire les études,
04:44mais je pense qu'on a aujourd'hui suffisamment d'études sur le bassin méditerranéen
04:49pour pouvoir dire, et le rapport du GIEC le dit déjà,
04:53que les épisodes méditerranéens ont une intensité qui a augmenté.
04:57Dans le sud de la France, les intensités des pluies ont augmenté d'environ 20%.
05:04On a plusieurs études qui le montrent depuis le milieu du siècle précédent,
05:09donc c'est tout à fait clair aujourd'hui.
05:10Juste un mot, on connaît ce terme de goutte froide, on l'entend ici à la météo, en France aussi,
05:16vous avez prononcé aussi les mots d'épisodes méditerranéens tout à l'heure,
05:19et ça, les Français le connaissent encore mieux,
05:23on en a eu un d'ailleurs il y a moins de deux semaines sur le centre-est, le sud-est de la France,
05:27avec de gros dégâts aussi, c'est un épisode méditerranéen qui a eu lieu en Espagne, c'est la même chose ?
05:33Oui, d'ailleurs c'est la même goutte froide qui a concerné le Var que l'Espagne,
05:38c'est-à-dire qu'une goutte froide, c'est une anomalie de température située entre 4000 et 10000 mètres latitude.
05:43Elle va générer dessous une dépression,
05:46et cette dépression, c'est ça qu'on n'arrive pas à localiser avec les modèles,
05:50parce que c'est très complexe de déterminer où exactement ça va se produire.
05:54Ceci dit, on arrive tout de même à savoir qu'on va avoir des précipitations diluviennes,
05:58et là, qu'est-ce qui se met en place ?
06:00C'est un phénomène qu'on appelle un V,
06:01vous avez des cellules orageuses qui naissent à la pointe du V,
06:04et qui vont se propager à l'arrière, là ça s'est bloqué sur valence.
06:08Et donc les cellules diluviennes sont arrivées, ont précipité sur valence,
06:12la pluie, quand elle est tombée, elle arrive sur un territoire complètement urbanisé,
06:15donc elle ruisselle en surface,
06:18et quand elle se met à ruisseler, vous ramenez de nouvelles cellules orageuses,
06:21sauf que le problème et la localisation qu'on avait exactement,
06:26fait qu'on avait une surcote marine.
06:28Donc en fait, ces cours d'eau qui normalement permettent de s'échapper en mer,
06:33le fait que vous ayez une mer qui soit d'un mètre plus haut,
06:36fait qu'il n'y a plus de possibilité d'écoulement,
06:38en fait on ferme le bouchon de la baignoire,
06:40on continue l'eau à s'écouler,
06:41on continue sur une zone complètement fermée,
06:44et on piège toutes les populations localement.
06:46C'est vraiment ce qui s'est passé, et c'est ce qui en fait la gravité.
06:49Venons-en à la question de la prévention, que vous avez évoquée Arantxa González.
06:54Comment vous expliquez, je crois que c'est une question d'ailleurs qui fait polémique déjà en Espagne,
07:01comment vous expliquez que les gens n'aient pas vu venir le phénomène ?
07:05Est-ce que les alertes ont été efficaces ?
07:09Quelles sont les questions qui se posent autour de cette problématique en Espagne ?
07:13Je crois que la question qui se pose, c'est qu'il se pose en Espagne,
07:17mais partout en Méditerranée, c'est faire les liens entre la prévision
07:22qu'ils font les météorologues, qui ont fait leur boulot,
07:25qui nous ont donné l'alerte.
07:27Il y avait une alerte rouge.
07:28Ils nous ont donné une alerte rouge, qui ont, depuis une semaine,
07:31nous ont dit que cela arrivait.
07:33Donc faire les liens entre les météorologues
07:36et les responsables de la gestion des crises civiles et militaires.
07:41Et cette jonction n'est pas faite correctement.
07:44Les gens disent qu'ils ont reçu les messages sur leur téléphone portable trop tard.
07:48Mais parce qu'ils ont reçu les alertes quand ils étaient en plein milieu
07:52des inondations et des pluies torrentielles.
07:55Donc il aurait fallu, il faut anticiper.
07:58Mais j'irais en amont.
08:01Il faut préparer les gens psychologiquement.
08:05Il faut les éduquer dans la gestion des risques.
08:07Nous devons améliorer notre propre éducation pour préparer les citoyens
08:13à recevoir, peut-être d'une manière un peu plus régulière,
08:16des alertes dans leur téléphone.
08:18Et qu'il n'y ait pas la panique, mais qu'il y ait la réponse.
08:21Faire des exercices, Robert Wotta.
08:23Je crois que la ville de Paris a fait des exercices en cas d'épisode de canicule à 50 degrés.
08:29Comment les services municipaux réagiraient ?
08:32On peut le faire, on pourrait le faire, on devrait le faire pour les épisodes plus vieux.
08:35Oui, on devrait le faire.
08:36On est trop souvent à imaginer la situation qui vient de se produire.
08:45Mais aujourd'hui, il faut bien prendre conscience qu'avec le changement climatique,
08:51ces situations vont être en croissance en termes d'intensité.
08:56Donc je pense qu'en termes de risques, il y a une vraie nécessité à imaginer des situations,
09:02le pire des cas, par exemple, des choses comme ça,
09:05qui permettraient dans les plans de protection de la population
09:12d'avoir vraiment les zones qui pourraient être impactées, le type de risque, etc.
09:17Donc ce type d'exercice se fait, mais peut-être mériterait d'être encore plus communiqué.
09:23Simplement sur les alertes, on est évidemment très habitué,
09:27les Espagnols aussi, à ces alertes orange-rouge,
09:30si bien qu'on n'y réagit plus forcément.
09:34On se dit, s'il ne s'est rien passé la dernière fois, je peux prendre ma voiture
09:37ou je peux aller me promener au bord de la mer.
09:39Est-ce que la grille d'alertes de vigilance de météo France qu'on connaît aujourd'hui,
09:43Robert Votard, est adaptée ?
09:45Alors, c'est toute une question de communication.
09:48Il est évident qu'avec l'augmentation des intensités et de la fréquence,
09:52on va avoir de plus en plus d'alertes orange et rouge.
09:55Et la signification de ces alertes orange et rouge
09:59ne doit pas être banalisée comme une non-alerte, en fait.
10:05Une question justement sur la prévention, je crois, d'Esther, au Standard de France Inter.
10:10Bonjour, Esther.
10:11Oui, bonjour, vous m'entendez bien ?
10:13Très bien, on vous écoute.
10:15Je me présente, je m'appelle Esther, je suis ingénieure en prévention des risques
10:19depuis maintenant des années.
10:22Donc, j'ai travaillé sur ce qu'on appelle des plans de prévention aux risques d'inondation
10:25pendant mes études.
10:27Et on m'avait appris quelque chose que je me rends compte
10:31et que je constate depuis maintenant des années.
10:34On n'acte pas assez sur la prévention, mais on acte,
10:38en France et en Europe, on n'est pas des préventeurs.
10:42C'est inondé, c'est détruit, on reconstruit.
10:47Et on n'est pas assez dans la prévention des risques
10:50pour anticiper et mettre en place des choses.
10:53Et c'est, je dirais, en France et surtout au niveau de l'Europe.
10:57Et ces catastrophes, en fait, se renouvellent.
10:59Et ma question, c'est pourquoi des gens compétents
11:03qui connaissent très bien la situation climatique
11:07n'ont pas un pouvoir au niveau des politiques
11:12pour faire changer les choses, tout simplement ?
11:14Mais justement, on en a quelques-uns qui connaissent très bien la situation
11:17autour de ce plateau. Merci, Esther.
11:19Emma, Aziza, qu'est-ce que vous pensez de ce que vient nous dire notre auditrice ?
11:22Je pense qu'il y a beaucoup de choses encore qui restent à faire,
11:24mais il y a tout de même beaucoup de choses qui sont faites,
11:26qui souvent ne sont pas connues.
11:28Mais par contre, on parlait tout à l'heure de la gestion de crise.
11:30C'est obligatoire en France, lorsque vous habitez dans une zone
11:34où vous avez un risque d'inondation avéré,
11:37de faire votre plan communal de sauvegarde en tant que maire
11:40et d'organiser un exercice de gestion de crise
11:42et de le réorganiser régulièrement pour tester la population.
11:46C'est fait quasiment partout.
11:48Bien sûr qu'il y a encore des endroits où il faut qu'on aille plus loin,
11:50mais en tous les cas, on avance énormément et c'est systématique.
11:53On le fait maintenant avec les écoles.
11:55On forme les enfants dans les écoles, sur tout le pourtour méditerranéen.
11:59Tous les enfants, du CP quasiment jusqu'à la terminale,
12:03vont avoir des programmes adaptés à leur cursus scolaire.
12:07Donc, je crois qu'on ne peut pas dire qu'on ne fait rien.
12:09Et puis surtout, il y a de très grands programmes qui existent aujourd'hui en France.
12:13Et je travaille au cœur de ce système, donc je le vois tous les jours.
12:16On va à l'intérieur des villes, on prend la main des populations,
12:20on les aide à faire gratuitement des diagnostics de vulnérabilité
12:24face aux risques d'inondation.
12:25C'est-à-dire qu'on va leur dire quelle est la hauteur d'eau potentiellement chez eux.
12:29On va les accompagner jusqu'à faire les travaux qui sont financés par l'État
12:32à hauteur de 80%.
12:34Ce que je veux dire, c'est qu'il y a tout de même beaucoup de choses.
12:36Bien sûr qu'on peut faire plus, bien sûr qu'on peut aller plus loin
12:38et surtout plus vite, parce que ça prend trop de temps.
12:41Mais par contre, on fait...
12:42Ça prend du temps, mais on ne parle pas de zéro.
12:44Robert Votard, vous êtes d'accord ?
12:45Non, on ne parle pas de zéro, mais on n'a pas encore suffisamment intégré
12:50la notion de changement climatique, c'est-à-dire le fait que ces risques-là,
12:53ils changent, ils évoluent chaque décennie, presque chaque année.
12:58Ces risques évoluent et deviennent pour certains de plus en plus forts.
13:03Donc, les niveaux de risques doivent être pris en compte.
13:09C'est le risque du futur qu'il faut prendre en compte aujourd'hui.
13:12Ce n'est pas le risque du passé.
13:13Alors justement, en parlant de l'adaptation, il y a la question de la bétonisation.
13:18Et vous l'avez évoqué d'ailleurs, Emma Ziza, tout à l'heure, à Rancho González.
13:22C'est vrai que vu d'ici, quand on pense à cette région espagnole...
13:26Pardon, ça fait peut-être un peu cliché de dire ça, mais je pense à la Costa Brava,
13:30un territoire très urbanisé.
13:33Ça a joué forcément énormément dans le caractère extrême de cette catastrophe.
13:41Je crois que le point de départ, c'est d'imaginer que les risques qui étaient
13:45extraordinaires il y a 30 ans sont devenus des risques habituels aujourd'hui.
13:50Et donc, ça doit être notre point de départ pour préparer les citoyens,
13:53mais aussi pour revoir la résilience de nos infrastructures.
13:58C'est vrai que s'il y a une hausse du niveau de la mer, et c'est une réalité aussi,
14:04il faut revoir les infrastructures, toutes les infrastructures côtières.
14:08C'est vrai que s'il y a...
14:09Le problème, il a été soulevé par Esther, au Standard, il y a un instant,
14:15c'est-à-dire qu'on le fait après la catastrophe.
14:17Il faudrait le faire en amont.
14:19Bon, peut-être que c'est une des leçons que nous devons tirer.
14:22Mais vous savez, c'est intéressant qu'au même moment que cela a eu lieu en Espagne,
14:27à Valence, à Bruxelles, la présidente de la Commission européenne était en train
14:32de dévoiler un rapport qu'elle a demandé de l'ancien président finlandais.
14:37Un rapport sur la préparation des citoyens au risque.
14:41Alors, elle l'avait demandé dans les cadres de la guerre en Ukraine,
14:45de la préparation psychologique des citoyens européens au risque majeur
14:50pour la sécurité et la défense.
14:51Je crois que la leçon que nous devons tirer, c'est qu'aujourd'hui,
14:55nous sommes en guerre aussi contre les dérèglements climatiques
14:59et qu'il faut intégrer cette notion de préparation psychologique de nos citoyens.
15:04Nous sommes en guerre, on l'a beaucoup entendu au moment du Covid.
15:06Vous dites qu'il faudrait utiliser ce même vocabulaire pour peut-être
15:10créer un électrochoc psychologique au sujet du dérèglement climatique.
15:14Ce que nous devons, c'est prendre plus au sérieux cet énorme risque
15:18qui est les changements climatiques, à la fois en réduisant les émissions,
15:21mais aussi dans tout cet agenda qu'on a un peu négligé chez nous comme ailleurs,
15:26qui est celle de l'adaptation.
15:28Il inclut l'adaptation de nos infrastructures.
15:30Alors justement, en France, vous qui avez été ministre avant de Chez Gonzales,
15:32j'imagine que vous avez suivi ça de près, le Premier ministre Michel Barnier
15:35vient de présenter le troisième plan de prévention, d'adaptation plutôt,
15:40aux changements climatiques, tenter d'adapter la France à un réchauffement climatique
15:44de 4 degrés à l'horizon 2100.
15:48D'abord, la question que j'ai envie de vous poser, Emma Azizah,
15:51est-ce que c'est possible de s'adapter à un réchauffement,
15:53à une température de plus 4 degrés ?
15:55Alors, je ne sais pas vraiment ce que sera la France à 4 degrés,
15:58mais en tous les cas, ce qui est sûr, c'est que déjà,
16:00il va falloir s'adapter aux risques qu'on a toujours eus.
16:02Ces phénomènes météorologiques, on les est dramatiques et meurtriers,
16:06on les a toujours connus.
16:07Ce qui est intéressant, c'est que la France est très en avance
16:09parce qu'on a connu Nîmes en 1988, on a connu Vaison-la-Romaine en 1992,
16:14donc on a 20 ans de politiques très actives et intenses
16:18qui ont été mises en place pour justement travailler sur ces sujets.
16:21Vous avez des villes qui sont très concernées, comme Nîmes, Montpellier,
16:25qui s'adaptent et qui transforment les bâtiments, maison par maison,
16:29qui essayent de travailler sur le danger, sur la menace,
16:31avec la quantité d'eau qui arrive, qui vont la retenir en amont.
16:34Mais par contre, on voit très bien que sur ce type d'événements
16:38qui se produisent en France comme en Espagne,
16:40de toutes les façons, on est complètement impuissant.
16:42Donc, il faut de toute façon agir aussi à l'échelle des enjeux et des bâtiments.
16:46En tous les cas, ce qui est sûr, c'est qu'on sait le faire.
16:48Et à l'époque, il y a eu un fonds Barnier qui a été mis en place
16:52du nom du premier ministre, qui a été la plus grande action
16:56qui a été menée en matière de prévention, qui fonctionne encore aujourd'hui.
16:59C'est l'une des mesures principales de ce plan d'adaptation.
17:02Et qui va être renforcée.
17:03De le porter à plus 75 millions d'euros pour le porter à 300 millions d'euros
17:06l'année prochaine pour prévenir les risques liés aux catastrophes naturelles.
17:10Pardon, mais 300 millions d'euros, Robert Vota,
17:13c'est du mercurochrome sur une jambe de bois ou c'est vraiment utile et efficace ?
17:17C'est à peu près l'ordre de grandeur des coûts d'une catastrophe liée aux inondations.
17:24D'une catastrophe.
17:26Bonjour Philippe.
17:27Oui, bonjour.
17:28Une question pour nos invités, on vous écoute.
17:31Oui, une question toute simple.
17:33Pourquoi on continue à construire sur ces zones qui sont parfaitement définies ?
17:37Toutes les cartes d'éboulement, d'inondation, de montée des eaux sont en mairie,
17:43sont en préfecture et on continue à construire sur ces zones.
17:47Alors, il y a quand même une réglementation qui est aujourd'hui très claire
17:50et très ferme sur le fait de ne plus construire en zone inondable.
17:53Ça ne veut pas dire que ça ne peut pas être fait localement,
17:55mais en tous les cas, aujourd'hui, on a une cartographie réglementaire
17:58qui impose le fait de ne plus construire ou qui met en place des normes.
18:02Par contre, ce qui est sûr, c'est que ça, ce sont les chiffres rassureurs.
18:05Sur ces cinq dernières années en France, 50% des personnes qui ont été inondées
18:09l'ont été en dehors de zones inondables.
18:11Là, ça signifie qu'on a une signature différente du cycle de l'eau
18:15et qu'on a des volumes d'eau précipitables qui sont beaucoup plus importants.
18:18Ça veut dire que l'eau n'a pas le temps de rejoindre le cours d'eau.
18:21Elle prend la moindre rue et ça se transforme en rivière.
18:24Et c'est là où on va devoir agir parce que déjà, il faut continuer à agir sur les zones inondables.
18:28Mais en plus, elles sont en train de se transformer et de s'étendre.
18:30Donc, le travail est colossal.
18:32Il faut aller plus vite.
18:33Il va falloir utiliser des outils aussi numériques parce qu'on ne va pas pouvoir
18:38continuer à aller maison par maison pour le faire.
18:41Il faudra développer ça massivement et surtout dans les cinq années qui viennent
18:45pour pouvoir se préparer au mieux.
18:46On a parlé prévention, adaptation.
18:49Mais si on ne lutte pas vraiment pour limiter les émissions de gaz à effet de serre,
18:52évidemment, tout ça ne servira à rien.
18:55Il y aura des limites à l'adaptation et un climat globalement 3 degrés sur la France, 4 degrés,
19:05va être extrêmement difficile à vivre avec les successions à la fois d'une part de vagues de chaleur,
19:12mais aussi d'épisodes de pluies extrêmement intenses.
19:18Sècheresse et pluie, c'est un petit peu les deux visages du changement climatique en France.
19:26Donc, c'est vraiment extrêmement important.
19:29On peut encore agir sur les émissions de gaz à effet de serre, la limitation des énergies fossiles.
19:34Il y a une COP qui va arriver, COP 29.
19:38C'est possible, les solutions existent.
19:40Alors oui, bien sûr, l'espace se restreint.
19:44Donc, les 3 degrés globalement, c'est à peu près les politiques climatiques qui sont déjà mises en place.
19:51Ça correspond au réchauffement lié à ces politiques climatiques.
19:56Donc, il est possible de réduire ça encore bien davantage et ça sera nécessaire.
20:03Mais il faut bien avoir conscience que ce n'est pas une théorie.
20:07Ces émissions de gaz à effet de serre, elles sont liées à l'utilisation des combustibles fossiles qu'on utilise tous les jours.
20:14Il faut le relier à des choses très simples.
20:17Donc, le pétrole, le gaz et le charbon, principalement.
20:21Arantxa González, vous qui avez dirigé la diplomatie espagnole, qu'est-ce que vous en attendez ?
20:26C'est dans 10 jours à Bakou, en Azerbaïdjan, la COP, la Conférence des Nations Unies pour le climat.
20:33Qu'est-ce que vous en attendez, tout simplement ?
20:36Malheureusement, les attentes ne sont pas à la hauteur des besoins.
20:41Et il faut être clair, on peut réduire les émissions de gaz à effet de serre.
20:47On peut le faire.
20:48En Europe, on a montré comment on peut réduire ces émissions.
20:52Et comme on peut le faire face à des événements comme celui qu'on vient de vivre, on doit le faire.
20:58Alors, on doit le faire en Européen et il faut le faire en travaillant avec d'autres partenaires,
21:04à savoir la Chine, les États-Unis et l'Inde, qui représentent les grandes émissions au monde.
21:10Et c'est là où il y a un aspect non négligeable dans cette discussion,
21:15qui est ces politiciens qui nient l'existence du changement climatique.
21:21D'où l'importance, quand on va aux élections, d'être conscient de quel est le choix.
21:26Et je pense ici aux élections très importantes de la semaine prochaine.
21:29Dans moins d'une semaine, élection présidentielle aux États-Unis,
21:32duel très serré entre Kamala Harris et Donald Trump.
21:36La perspective d'un retour à la Maison Blanche de Donald Trump vous inquiète ?
21:40Ça m'inquiète énormément, pas parce que j'ai projeté, mais parce qu'on a vécu une présidence de Donald Trump.
21:48On a vécu déjà la sortie des États-Unis, l'accord de Paris.
21:53On a vu ce que cela veut dire en termes de signal que cela envoie aux entrepreneurs,
22:00au secteur des énergies fossiles, aux citoyens.
22:03Et on a compris que nous devons faire de cela aussi une bataille politique.
22:10Robert Votard, je m'adresse à l'expert du GIEC, comme je le fais depuis le début de cette interview d'ailleurs.
22:16La neutralité carbone en 2050, c'est un objectif athénien, peut-être au niveau européen,
22:22mais effectivement, comme le soulignait Ramachan González, si la Chine, l'Inde, les États-Unis ne s'y mettent pas, on n'y arrivera pas ?
22:28Il y a beaucoup de pays qui ont déjà des plans.
22:32Aujourd'hui, ces plans-là, les trajectoires ne vont pas vers cette neutralité, en tous les cas, globalement.
22:42Le fait qu'on ait besoin d'arriver à cette neutralité, c'est simplement pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré.
22:56Il est bien difficile aujourd'hui de savoir si les politiques qui vont être mises en place vont le permettre.
23:01Mais en tous les cas, aujourd'hui, elles ne le permettent pas.
23:04On parlait tout à l'heure du fonds Barnier, du coût des catastrophes naturelles, Emma Aziza.
23:09Pour terminer, est-ce que finalement, ce qui peut décider les politiciens à agir, c'est le coût justement ?
23:17Parce que ça coûte très cher aux finances publiques.
23:19Exactement, ça coûte très cher et de plus en plus cher d'ailleurs.
23:22Un chiffre de l'ONU assez intéressant, 3% des financements mondiaux ont été mis sur les politiques climatiques,
23:31sur la question de l'eau et des extrêmes de sécheresse et d'inondation, alors qu'il s'agit de 93% des conséquences.
23:38Je crois qu'il va falloir être à la hauteur de ce cycle de l'eau qui est en train de se déformer complètement.
23:43On en a toutes les stigmates à l'échelle mondiale.
23:45Toutes les études aujourd'hui se réunissent pour nous montrer à quel point on a de plus en plus de crues éclaires, de sécheresses éclaires.
23:52On bascule d'un extrême à l'autre. Au milieu de tout ça, on a notre habitat, on a nos populations.
23:57Il va falloir les accompagner de manière très forte et très courageuse.
24:00Et effectivement, ça demandera des politiques publiques qui vont dans le bon sens.
24:06Arantxa González, c'est vrai que ça coûte des milliards.
24:09Vous l'avez constaté, vous, en tant que décideuse, que ministre des Affaires étrangères espagnole,
24:14que finalement, on ne cesse de parler d'économie en ce moment, que c'est ça qui peut faire bouger les politiques publiques ?
24:20C'est un ancien diptôme, mieux vaut prévenir que curer.
24:24Et ça doit être une des motivations.
24:28Chaque pays doit trouver la manière de faire de la lutte contre les dérèglements climatiques la priorité politique.
24:37Dans chaque pays, ça va rimer avec une raison.
24:41Chez nous, franchement, les coûts des réparations sont tellement énormes
24:46que peut-être on devrait miser un peu plus sur l'adaptation.
24:49Arantxa González, merci beaucoup.
24:51Ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères et doyenne aujourd'hui de l'École des Affaires internationales de Sciences Po.
24:56Emma Aziza, hydrologue et experte en adaptation climatique.
24:59Et Robert Votard, climatologue, expert du GIEC.
25:02Merci à tous les trois.