La collecte des Restos du Cœur a lieu ce weekend et le concert des "Enfoirés" sera diffusé vendredi soir. À cette occasion, Patrice Douret, président de l'association, et Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, étaient les invités du Grand entretien ce jeudi. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-29-fevrier-2024-4553033
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00:00 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10
00:06 Et à la veille de la diffusion sur TF1 et France Bleu du concert anniversaire des Enfoirés,
00:12 nous tenions ce matin avec Léa Salamé à évoquer dans le grand entretien cette France
00:17 précaire, dans la difficulté, dans la pauvreté, qui a du mal à boucler ses fins de mois,
00:22 voire tout simplement parfois à vivre et à se nourrir.
00:25 Vos questions, amis auditeurs, au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:33 Deux invités sont ici en studio, Christophe Robert, délégué général de la Fondation
00:38 Abbé Pierre, vous publiez pour Les Sans Voix aux éditions Artaud, et Patrice Douré qui
00:44 est le président bénévole des Restos du Chœur.
00:48 Bonjour à tous les deux.
00:49 Bonjour.
00:50 Et merci d'être là.
00:51 On est heureux de vous recevoir tous les deux ensemble, je crois que c'est une première.
00:55 Absolument.
00:56 Voilà.
00:57 Et on va donc explorer avec vous l'ensemble de ces sujets en exergue de votre livre.
01:04 Christophe Robert vous citait l'abbé Pierre.
01:06 N'oublions pas que nous avons deux yeux.
01:08 Il faut avoir le courage d'avoir un œil ouvert sur la misère et l'autre sur la beauté
01:14 des êtres et du monde.
01:16 On va revenir sur le combat que vous racontez dans ce livre.
01:19 Livre intime, poignant, engagé.
01:22 Mais d'abord, Patrice Douré, on se souvient de votre cri d'alarme en septembre dernier.
01:29 Vous disiez que face à l'augmentation du nombre de demandeurs, les Restos du Chœur
01:34 risquaient de mettre la clé sous la porte.
01:36 Vous étiez asphyxié financièrement.
01:39 Dites-nous, quelle est aujourd'hui la situation des Restos à la veille du concert des Enfoirés ?
01:45 On peut être rassuré aujourd'hui parce qu'on a gagné du temps.
01:48 Parce qu'il est vrai que les Français ont été au rendez-vous de la générosité.
01:52 Et que l'on peut aujourd'hui dire que l'on tiendra jusqu'à la fin de cet exercice comptable
01:57 au 30 avril.
01:59 Pour autant, on n'est pas rassuré sur la suite.
02:01 Pourquoi ? Et c'était l'objet de ce cri d'alarme.
02:03 C'était de dire que ce n'est pas les Restos aujourd'hui qui sont en difficulté,
02:07 c'est les Français qui sont en très grande difficulté.
02:10 Et on continue aujourd'hui à avoir une vague de précarité énorme.
02:13 C'est-à-dire que tant que, et on le dit depuis longtemps,
02:17 tant que l'on ne combattra pas la pauvreté à la racine par des mesures structurelles,
02:22 les associations de solidarité seront en souffrance.
02:25 Et c'était le cas des Restos du Coeur.
02:26 Mais vous manquez concrètement, il y a 6 mois quand vous aviez fait ce cri d'alarme sur TF1,
02:31 il vous manquait 35 millions d'euros.
02:32 Le gouvernement vous a accordé 10 millions d'euros.
02:35 Bernard Arnault 10 millions d'euros.
02:36 Les Français et les entreprises, les 10 millions restants.
02:39 Aujourd'hui vous êtes sorti d'affaires alors qu'on parle sur les Restos.
02:43 Sur la période en cours, tout à fait.
02:44 Et peut-être que dans 6 mois vous revenez chez nous à notre micro et vous dites on n'y arrive pas.
02:49 Notre alerte est portée sur les 3 prochaines années.
02:50 C'est-à-dire que si l'on ne faisait rien, et on a pris des mesures très difficiles,
02:54 on pourra y revenir, si l'on ne faisait rien à 3 ans,
02:57 effectivement les Restos du Coeur pourraient mettre la clé sous la porte.
03:00 Alors ce matin, qu'est-ce que vous dites ?
03:01 Vous avez lancé en novembre votre 39e campagne de dons.
03:04 Vous allez faire tout un week-end spécial.
03:06 Tout ce week-end, parce qu'il y a le concert des Enfoirés demain soir.
03:10 Mais il y a aussi 80 000 bénévoles des Restos du Coeur
03:13 qui seront présents dans des milliers de magasins, de supermarchés.
03:16 C'est ça, tout le week-end, vendredi, samedi, dimanche.
03:18 De quoi vous avez besoin ? Qu'est-ce qu'il faut donner ?
03:21 Voilà, allez-y, vous avez le micro.
03:23 Cette collecte nationale, elle est primordiale.
03:25 Elle est capitale parce qu'elle représente en 3 jours
03:27 12% des dons en nature que l'on reçoit habituellement en une année.
03:30 Elle apporte de la diversité, elle apporte des produits
03:33 que l'on n'a pas forcément les moyens à l'échelle de 1,3 millions de personnes d'acheter.
03:37 Et puis elle permet à nos 88 000 bénévoles qui seront présents ce week-end sur le terrain
03:42 d'expliquer nos actions, d'accueillir avec le sourire
03:45 et surtout, plus que jamais, collecter des produits dont on a besoin.
03:48 Alors lesquels ? Les produits d'hygiène notamment ?
03:51 Les produits d'hygiène sont des produits très très chers.
03:53 Les produits pour les bébés sont des produits très très chers.
03:55 Et les familles que nous accueillons en ont besoin.
03:58 Et puis des conserves qui sont essentielles, les conserves de poisson, des conserves de viande
04:02 et des produits qui sont tout autant importants pour compléter des repas
04:05 pour les personnes qui viennent chez nous.
04:06 Dans votre livre pour les sans voix, Christophe Robert,
04:10 vous vous inquiétez de l'effacement des réflexes de solidarité.
04:14 Je vais vous citer.
04:15 « La solidarité, l'entraide, la protection sociale, bien loin de renvoyer à des valeurs désuètes,
04:21 constituent, j'en suis profondément convaincu, de vrais remparts face aux différentes crises
04:27 que nous subissons. »
04:29 Vous avez l'impression que ces réflexes de solidarité sont de plus en plus oubliés aujourd'hui
04:35 sous le poids des égoïsmes, de l'indifférence.
04:38 Dans les restos comme pour la Fondation Abbé Pierre,
04:41 vous avez l'impression, comme vous l'écrivez, de prêcher dans un désert d'indifférence.
04:47 Il y a deux choses dans ce que vous dites.
04:50 Il y a la solidarité de proximité, la solidarité avec le don qui peut être fait à la Fondation Abbé Pierre.
04:57 Au Restos du Coeur, la Fondation Abbé Pierre n'agit que grâce au don.
05:00 Et ce don, il est présent.
05:01 Les personnes sont solidaires.
05:02 La solidarité de proximité, de voisinage, dans les familles.
05:07 Mais la question, c'est celle que posait Patrice, c'est-à-dire celle de la protection sociale.
05:11 Pourquoi je dis ça ?
05:12 Pourquoi j'ai voulu faire ce livre ?
05:14 C'est de regarder comment les choses ont évolué parce qu'on commande tous l'actu.
05:17 Et on dit « voilà, il y a eu tant de milliards en moins sur les APL,
05:20 on va s'attaquer encore une fois à l'indemnité chômage ».
05:23 Mais au fond, la protection sociale, elle sert à quoi ?
05:28 Elle sert justement aux personnes qui ne peuvent pas être aidées par leur proximité.
05:33 Je dis la protection sociale ou la puissance publique, c'est la famille de ceux qui n'en ont pas.
05:36 Je dis ça dans ce livre.
05:38 Et c'est là où il y a un vrai sujet de société.
05:40 Est-ce qu'aujourd'hui, elle est aussi performante que celle qui s'est déployée à la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
05:46 Non.
05:47 Moi, je crois qu'il y a des gens qui pensent qu'il faut baisser notre protection sociale.
05:50 Et que petit à petit, on grignote.
05:51 Mais c'est ça le fond idéologique de l'histoire.
05:55 C'est qu'il y a sans doute, et c'est sur ça que vous devez répondre.
06:01 Chez les Français, de manière générale, un postulat idéologique,
06:05 parfois repris par le gouvernement, qui est de dire l'assistanat.
06:10 Qui est de dire, ils n'ont qu'à traverser la rue et on trouve un travail.
06:14 Qui est de dire, on donne trop, déjà on donne énormément.
06:18 Le gouvernement dit, on a déjà donné énormément, on a protégé pendant le Covid, etc.
06:23 Et maintenant, qu'ils se prennent en main. Parce que c'est ça le fond.
06:26 Absolument.
06:27 Moi, ce que je vois, des pauvres qui deviennent plus pauvres.
06:30 Depuis 20 ans que je suis à la Fondation.
06:32 Des personnes qui n'arrivent pas à finir les fins de mois parce que les dépenses contraintes sont trop élevées.
06:35 Logement, chauffage, alimentation.
06:38 Et puis des personnes qui, sans être en situation de précarité ou de pauvreté,
06:41 ont peur pour leur avenir, à eux, et celui de leurs enfants.
06:45 Et donc, tous ces discours qui consistent à laisser entendre
06:49 qu'il y aurait une responsabilité individuelle.
06:51 Alors, on peut toujours trouver des cas de personnes qui profitent d'un dispositif.
06:53 Mais attention, parce que ces petites phrases, cette philosophie, cette lecture du monde,
06:58 de fil en aiguille, elles conduisent à des décisions.
07:01 On en est à la troisième réforme de l'assurance chômage.
07:03 Ça veut dire quoi ?
07:04 Qui sait aujourd'hui que parmi les demandeurs, parmi les personnes inscrites à Pôle Emploi,
07:09 à France Travail, plus de la moitié ne sont pas indemnisées.
07:13 Et pourtant, on nous annonce une troisième réforme.
07:15 Oui, c'est ce qu'a dit Gabriel Attal au Salon de l'Agriculture et des Pays de l'Ontario.
07:19 Pourquoi on ne fait pas évoluer le RSA ?
07:22 Il a perdu de son pouvoir d'achat depuis 1988 qu'il a été créé le RMI.
07:26 C'était 40% du SMIC, aujourd'hui c'est 33%.
07:29 Donc il y a une dégradation.
07:31 Et je ne suis pas sûr que ce soit ça que nos concitoyens veulent pour les hôpitaux,
07:35 pour l'alimentation, pour la santé, pour la protection sociale.
07:38 C'est là où il faut, à mon avis, un vrai débat de société.
07:40 - Patrice Douré, vous êtes d'accord avec Christophe Robert ?
07:42 - Oui, vous savez, nous on a l'habitude d'alerter, c'est le rôle des associations,
07:48 d'agir bien évidemment en premier lieu sur ce qu'on constate.
07:51 Ce qu'on constate est très clair.
07:52 Les personnes qui viennent chez nous, elles ont un problème de pouvoir d'achat.
07:55 Alors il y a une équation qui est simple.
07:56 Des ressources qui ne sont pas suffisantes pour des dépenses fondamentales.
08:02 Tu parlais, Christophe, de l'alimentation, la santé, le logement.
08:06 Et cette équation aujourd'hui, elle est déséquilibrée.
08:09 Les solutions à trouver, ce sont ceux qui nous gouvernent qui doivent les trouver.
08:12 Point. Mais la lutte contre la pauvreté, la grande pauvreté,
08:16 doit être une priorité nationale pour éviter sa reproduction.
08:19 Aujourd'hui, on accueille au Resto du Coeur des bébés, des enfants,
08:23 dont les parents étaient déjà des personnes accueillies au Resto du Coeur.
08:27 Et elles seront probablement des personnes accueillies demain.
08:29 Ça, ça doit cesser. C'est inacceptable aujourd'hui en France.
08:32 - Sur le profil des gens, des personnes qui viennent au resto,
08:37 vous le détaillez, Patrice Douré, des retraités, donc famille monoparentale,
08:44 étudiants, personnes sans emploi, travailleurs dont le salaire ne permet plus de boucler les fins de mois.
08:51 Vous êtes frappé par la précarité des jeunes, près de la moitié des personnes accueillies à moins de 25 ans.
08:57 Et dans les jeunes, pour qu'on soit bien clair, vous parlez aussi d'une augmentation des mineurs et des zéros à 3 ans.
09:03 - Absolument, c'est bien ça aussi qui nous inquiète.
09:06 C'est que, on voit bien depuis bientôt 40 ans que les Restos du Coeur existent.
09:10 Et mon prédécesseur était venu vous voir il y a 4 ans.
09:13 Aujourd'hui, rien n'a changé, sauf en pire.
09:16 Surtout ces publics. On a des retraités qui ont travaillé toute leur vie,
09:20 qui n'ont plus les moyens de manger.
09:22 On a des personnes qui travaillent, qui, une fois payées le loyer et les charges locatives,
09:27 n'ont plus 1 euro pour vivre.
09:29 On a des étudiants qui font tout pour bosser, avec des jobs d'étudiants,
09:33 qui espèrent avoir une vie où ils pourront se nourrir et vivre décemment.
09:37 Et puis on a des bébés, des enfants, de moins de 3 ans, 126 000 bébés aujourd'hui.
09:41 - C'est ça qui nous a alertés avec Nicolas, c'est que, au final, on parle des jeunes, donc on pense aux étudiants.
09:48 Mais ce que vous montrez au Resto, c'est qu'il y a de plus en plus de mineurs,
09:51 et de plus en plus d'enfants, et de bébés, comme vous dites, de 0 à 3 ans.
09:54 - Et si l'on n'y fait rien, ce seront les adultes accueillis demain au Resto du Coeur.
09:57 C'est ça qui est inacceptable.
09:59 A quel moment... - C'est-à-dire ce sont des générations que vous décrivez ?
10:02 - A quel moment va-t-on se dire simplement que ce n'est pas une fatalité chaque année d'avoir des chiffres qui augmentent ?
10:08 Ce n'est pas normal.
10:09 Ce n'est pas acceptable de se dire "Tiens, l'année prochaine, on aura des pauvres en plus".
10:14 Non. Ce n'est plus acceptable.
10:16 - Christophe Robert ? - Oui, je crois que c'est vraiment le sujet majeur.
10:18 Et je voudrais dire une chose, c'est que je crois qu'on a la capacité de faire autrement.
10:22 Je vais juste prendre un exemple pour expliquer. Enfin, deux exemples.
10:25 Cette dégradation de la protection sociale, pour faire vite,
10:29 pour qu'on comprenne, parce que tout le monde n'est pas expert de ces sujets-là,
10:32 c'est un peu ce qui s'est passé avec l'hôpital. On s'est dit "Waouh,
10:35 grosso modo, on a un système de santé qui est plutôt bon en France, performant,
10:38 comme on a une protection sociale qui est considérée comme une meilleure du monde".
10:41 Tout ceci est vrai. Mais on a vu avec l'hôpital, petit à petit, les choses se dégradaient.
10:45 Et nous avons tous vu, au moment du Covid, qu'il y avait une vraie crise.
10:48 Crise dans les urgences, crise des métiers, crise de l'attractivité,
10:51 crise de la capacité d'apporter des réponses.
10:53 C'est un peu la même chose que moi je décris dans ces 20 ans.
10:55 Je ne dis pas que ce pays ne fait rien. En revanche, nous avons des moyens.
10:59 Et là, la question du ciblage est posée. Je prends juste un exemple.
11:02 Le gouvernement n'a pas rien fait quand il y a eu la crise de l'énergie, des prix de l'énergie.
11:06 50 milliards d'euros en deux ans. Le bouclier thermique, on va dire.
11:10 50 milliards. Alors on se dit "Waouh, ce pays est protecteur et c'est vrai".
11:15 Mais après, il s'est retiré complètement.
11:17 Mais ces 50 milliards, ils ont servi les très très riches, qui peuvent avoir 10 voitures, 10 bateaux,
11:22 qui utilisent des avions en permanence, comme les très très pauvres, de manière uniforme.
11:26 Et quand il s'est retiré, il s'est retiré pour les très très riches, comme pour les très très pauvres.
11:30 Est-ce qu'on ne pourrait pas utiliser ces moyens de la capacité budgétaire de notre pays
11:34 pour cibler les bonnes réponses, pour donner la capacité aux ménages les plus fragiles,
11:39 aux classes moyennes inférieures, aux catégories modestes et bien sûr aux plus pauvres, de vivre mieux ?
11:44 Pas seulement grâce à l'action des Restos du Coeur, de la Fondation Abbé Pierre ou d'autres,
11:47 mais de vivre mieux de leurs ressources.
11:50 Donc il y a la question du salaire, il y a la question des ADL, des RSA.
11:54 Eh bien oui, par exemple, on sort du bouclier thermique,
11:57 eh bien il faut tripler le chèque énergie pour que les gens puissent se chauffer.
12:00 Vous voyez ce que je veux dire ? Les produits essentiels.
12:02 Faire que l'accès à l'eau, les premiers mètres cubes, soit gratuit.
12:05 Et plus on consomme, plus c'est élevé.
12:07 Il y a des villes qui ont fait du transport gratuit, par exemple,
12:10 considérant que beaucoup de gens ne pouvaient pas se payer une voiture pour aller au boulot, par exemple.
12:14 Donc c'est cette réflexion-là peut-être que nous pourrions avoir,
12:17 alors où les choses ont évolué entre le début de notre protection sociale
12:20 qui s'est développée après la Seconde Guerre mondiale
12:23 et aujourd'hui la situation que nous décrivons.
12:24 Mais vous dites l'un et l'autre, on a les moyens.
12:26 Enfin l'État n'a plus beaucoup les moyens.
12:28 L'État est très endetté, l'État est en déficit.
12:31 Et vous avez entendu Bruno Le Maire, il y a quelques jours,
12:34 expliquer que là il va falloir faire encore 10 milliards d'euros d'économie
12:39 et les trouver parce que sinon la note de la France sera dégradée,
12:43 parce que sinon ça n'ira pas bien.
12:45 Et on en a conscience.
12:46 Vous en avez conscience ?
12:46 C'est pour ça que je parle de ciblage.
12:48 Et sans doute il y a un autre débat à voir, c'est le débat sur la fiscalité.
12:51 On peut sans doute un peu plus partager les richesses dans ce pays
12:55 comme on peut partager le pouvoir sur la question démocratique, sincèrement,
12:58 en disant ne pas être dans une logique confiscatoire.
13:01 Mais quand on supprime la taxe d'habitation, y compris pour les plus riches,
13:04 on perd 18 milliards d'euros par an.
13:07 Quand on supprime la taxe sur l'audiovisuel, c'est plus de 3 milliards d'euros par an.
13:10 Quand on décide de supprimer l'ISF et le transformer en impôt sur la fortune,
13:13 on perd 2,5 milliards.
13:14 Est-ce que c'est bien raisonnable, alors qu'on a une transition écologique à faire
13:17 et à protéger nos concitoyens les plus fragiles ?
13:19 - Patrice Doré ?
13:20 - On a bien conscience que l'aide de l'État, et Christophe le disait,
13:24 nous aujourd'hui on ne fait qu'avec le soutien que l'on reçoit.
13:27 Et ce soutien vient essentiellement du public,
13:29 que je remercie d'ailleurs à travers votre micro,
13:32 des entreprises et pour un peu plus de 15% des collectivités locales et de l'État.
13:37 On a pu démontrer que dès que l'argent public, l'État mettait 1 euro dans nos actions,
13:43 on déployait 4 euros d'actions sur le terrain.
13:45 C'est-à-dire qu'avec 160 euros d'argent public, on aide une personne pendant une année.
13:50 Et si l'État devait nous remplacer, pour toutes nos actions, ça lui coûterait 4 fois plus cher.
13:54 On est sur un investissement social, très clairement.
13:57 Je dirais même plus, quand j'élargis au périmètre de l'Europe,
14:01 l'Europe aujourd'hui, au resto du cœur, grâce aux fonds européens qui aident les plus démunis,
14:05 représente un repas sur quatre.
14:07 Il y a 95 millions d'Européens qui vivent aujourd'hui en situation de pauvreté.
14:12 Le budget européen de la lutte contre la pauvreté, c'est rien, c'est 0,5% du budget européen.
14:17 On est à quelques mois d'une échéance électorale importante en Europe.
14:21 L'Europe s'est engagée à 2030 à réduire la pauvreté de 15 millions.
14:26 Moi j'attends là aussi des engagements des candidats aux élections européennes
14:31 sur les mesures qui seront prises pour garantir aux associations
14:34 qu'on pourra continuer cette lutte de manière beaucoup plus sereine.
14:37 On va passer au standard d'Inter. Arlette nous y attend. Bonjour madame et bienvenue.
14:42 Bonjour à vous. Voilà, je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient d'être dit.
14:46 Et j'ai été bénévole pendant 11 ans au resto du cœur.
14:50 Et je ne supportais plus cette équation. C'est pourquoi j'ai cessé là récemment.
14:55 L'équation précarité-charité.
14:59 Précarité-charité.
15:01 Précarité-charité. C'est-à-dire qu'on joue sur la misère humaine,
15:05 que les gouvernements devraient faire quelque chose,
15:07 parce que tant que les gens n'auront pas faim, ils ne feront pas la révolution, tout simplement.
15:11 Et quand je vois qu'à moitié de nos ministres sont millionnaires,
15:14 des gens qui sont censés nous représenter,
15:17 je trouve ça inacceptable au XXIème siècle qu'il y ait autant de pauvreté sur cette planète.
15:22 Autant de pauvreté. Voilà, c'est ce que je voulais dire.
15:25 Et on arrive à démobiliser complètement les gens,
15:27 parce qu'ils ont une salle d'alerte qui est à 30 km de leur autre pied.
15:31 C'est plus compliqué.
15:32 Merci Arlette pour ce témoignage. On va donner dans la foulée la parole à Khaled. Bonjour.
15:37 Bonjour.
15:38 Bienvenue, on vous écoute.
15:40 Oui, bonjour. Je voulais parler à Christophe Robert,
15:43 parce que j'ai eu un problème avec les restos du cœur d'Annonay.
15:47 Ce n'est pas un problème, mais je voulais une fois, deux fois, trois fois par mois faire une chorba.
15:53 Et l'offrir aux restos du cœur pour qu'ils donnent à manger,
15:56 ça fait au moins 15 personnes une chorba.
15:59 Une soupe ?
16:01 Oui, une soupe. Voilà. Excusez-moi.
16:04 Non, non, il n'y a pas de problème.
16:06 Et donc, ils m'ont dit qu'on ne peut pas, par rapport à l'hygiène,
16:10 parce qu'il faut des cuisines, je ne sais pas, aseptisées, je ne sais pas.
16:16 Mais moi, ce que je disais à mon interlocutrice,
16:20 je n'ai jamais empoisonné personne.
16:23 Je veux bien aller manger la chorba avec eux pour trouver...
16:28 Pour tester, pour être un cobaye.
16:31 Oui, être le goûteur de la chorba avant de la distribuer.
16:34 Merci beaucoup. Merci Khaled pour cette...
16:37 Et c'est Patrice Douré qui va vous répondre.
16:39 Voilà, c'est Patrice Douré qui va vous répondre sur cette question des règles d'hygiène.
16:42 Déjà, merci parce qu'encore une fois, ce geste fait preuve d'une générosité qui est importante.
16:47 Et puis, oui, à l'échelle de 1,3 millions de personnes,
16:50 il est évident qu'on a des règles qui ne sont pas les nôtres,
16:53 qui sont des obligations réglementaires sur la traçabilité notamment,
16:56 qui font qu'on fait très attention aux produits que l'on distribue.
16:59 Mais encore une fois, c'est ce qui ne revêt pas du tout en cause la qualité de ce que vous faites.
17:04 Et puis encore une fois, merci beaucoup pour ce geste et d'y avoir pensé.
17:07 Et sur le témoignage d'Arlette, 11 ans au resto du cœur,
17:11 qui arrête parce qu'elle estime que c'est de la charité.
17:17 Précarité, charité, là où l'État devrait s'en occuper.
17:21 Christophe Robert.
17:22 Oui, vraiment ça fait écho à quelque chose que j'ai abordé dans ce livre,
17:25 c'est le risque de démission face au mur de l'impuissance.
17:29 Je l'ai dit comme ça pour essayer de résumer.
17:31 Il y a énormément de bonne volonté dans ce pays, on l'a dit,
17:33 il y a énormément de volonté de solidarité, de gens qui sont engagés, bénévoles,
17:37 de travailleurs sociaux, d'associations, l'économie sociale et solidaire.
17:40 Tout ce mouvement-là, quand vous êtes travailleur social, par exemple,
17:44 vous n'avez pas fait ce boulot pour dire aux gens, quand vous avez 100 personnes
17:48 et une solution à proposer, de leur dire "Restez dans la rue parce qu'il y a plus grave que vous,
17:52 parce qu'il y a des gens qui sont à la rue avec un enfant de moins de 3 ans,
17:55 vous, votre enfant, il a 7 ans".
17:56 Vous voyez ce que je veux dire ?
17:57 C'est-à-dire qu'on n'est pas là pour trier, je parle de lutte des places.
18:01 Et donc, il faut faire très attention à ça.
18:04 Mais vous le sentez, vous le voyez, la tentation de la démission ?
18:08 Terrible, terrible. Mais vraiment.
18:10 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, c'est difficile de recruter dans le secteur de l'action sociale.
18:14 Les gens, ils rentrent chez eux et me disent "Mais j'ai pas pu apporter des réponses,
18:17 j'ai pas fait ça pour dire aux gens de patienter".
18:19 Vous voyez ce que je veux dire ? Accroître la file latente.
18:21 Et donc, ces réponses dont nous parlons depuis tout à l'heure,
18:26 cette nécessité de redéployer cette protection sociale,
18:30 ce puissant vecteur de protection, il est essentiel aussi pour encourager
18:34 tous ceux qui veulent faire bien dans ce pays, qui veulent dynamiser la réponse sociale.
18:39 Et ça, il faut être très vigilant parce qu'on ne fait jamais ce métier par hasard.
18:43 Sur l'application d'Inter, Martine, bénévole au Resto du Coeur,
18:47 "Oui, on tient, mais on a réduit les quantités offertes aux bénéficiaires".
18:52 Patrice Doré.
18:53 Pas le choix. Pas le choix parce que 1,3 millions de personnes,
18:57 c'est 200 000 personnes de plus en quelques mois seulement.
19:00 Et aujourd'hui, et tous nos bénévoles l'ont compris, il y a une période difficile qui est à franchir.
19:06 On a quelques signes d'éclairci, et puis on a, comme tu le disais Christophe,
19:10 des bénévoles qui sont dans nos associations extrêmement engagés.
19:13 C'est très difficile de dire non.
19:15 C'est un vrai crève-cœur de dire non à des personnes que l'on accueille,
19:17 parce qu'on n'est pas là pour ça.
19:19 Et il n'y a rien de plus frustrant que de se dire qu'on n'a pas trouvé de solution.
19:22 Mais quand vous dites "on a réduit les quantités",
19:24 expliquez-moi ce que vous donniez au Resto il y a cinq ans,
19:27 que vous ne pouvez plus donner.
19:28 Comment ça se matérialise ?
19:30 Très clairement, on a réduit le nombre de repas.
19:32 On n'a pas ni la prétention de sauver le monde, ni de répondre à tous les besoins.
19:36 On a réduit le nombre de repas par personne.
19:38 On reste pour autant une association qui donne beaucoup.
19:41 Mais pour pouvoir accueillir plus de monde, il y avait deux solutions.
19:45 Soit on allait réduire très massivement le nombre de personnes accueillies,
19:48 on a dû le faire comme on le fait depuis le début,
19:50 mais de manière plus importante pour les personnes qu'on aurait dû accueillir.
19:53 Vous avez dit non à un certain nombre de personnes ?
19:55 On ne peut pas vous donner ?
19:56 Absolument.
19:57 C'est-à-dire qu'ils viennent au resto et vous dites "je suis désolée, on ne peut pas vous servir".
20:00 Absolument.
20:01 Et il est important que ces personnes là viennent,
20:03 puisqu'elles ne bénéficient pas forcément de l'aide alimentaire,
20:06 mais de toutes les autres activités d'accompagnement qui permettent de s'en sortir plus rapidement.
20:10 Donc vous avez dit non à un certain nombre de personnes,
20:11 et vous avez réduit la quantité de soupe que vous mettiez à chaque fois.
20:17 Christophe Robert ?
20:18 Vous savez, avec le phénomène qu'on décrivait tout à l'heure
20:20 des pauvres qui sont plus pauvres,
20:22 ou de ceux qui sont en situation de fragilité,
20:24 qui par exemple avec l'inflation basculent dans la précarité.
20:27 Ce qui vient d'être décrit sur les pratiques des Restos du Coeur,
20:30 ils n'ont pas le choix.
20:31 Mais c'est vrai aussi, par exemple, dans les aides qui peuvent être distribuées
20:34 par les départements qui ont la fonction de l'action sociale dans notre pays,
20:37 qui vont dire "alors, vous, vous n'arrivez plus à payer votre loyer ?
20:40 Vous n'arrivez plus à payer vos charges ?"
20:41 Avec le risque d'expulsion au bout.
20:43 "Ah non, vous l'avez déjà eu l'année dernière, vous ne pourrez plus l'avoir."
20:45 Vous voyez ce que je veux dire ?
20:46 C'est-à-dire qu'il y a un moment où l'élargissement des personnes
20:49 qui n'arrivent pas à s'en sortir est tel que
20:51 soit on se donne les moyens, soit on cible les moyens pour les aider,
20:54 soit on va aider moins de personnes, soit on va moins aider chacune des personnes.
20:58 Il n'y a pas de secret.
20:59 Et c'est ça qui est en train de se passer.
21:00 Alors, au standard, question de Laurence,
21:03 qui nous appelle d'Aix-en-Provence.
21:05 Bonjour et bienvenue.
21:06 Oui, bonjour Monsieur Damme, merci de poser ma question.
21:08 J'appelle pour vous demander si on pouvait accompagner aussi
21:12 les personnes qui ont des difficultés à gérer le budget.
21:15 Je pense que si on pouvait aider ces personnes à dire
21:19 "Pourquoi vous payez deux fois votre assurance ? Pourquoi vous payez ?"
21:23 Parfois on ne comprend pas bien.
21:25 Et je pense que moi j'ai fait l'essai et ça a marché.
21:29 C'est-à-dire que j'ai maîtrisé mon budget.
21:31 Je me suis dit "Voilà, ça je le paye en double, pourquoi ?"
21:33 Je posais la question, mais ce n'est pas facile.
21:35 Parfois on n'a pas envie, c'est tellement compliqué.
21:38 Et je pense que l'EMAE ou les Réseaux du Coeur
21:40 devraient peut-être accompagner ces personnes à gérer le budget en disant
21:43 "Voilà, j'ai ça, je dépense trop ça."
21:47 Et je pense qu'il faut un accompagnement dans tout ce qui est budget.
21:51 Gérer le budget. On devrait même apprendre à l'école.
21:54 Et je pense que ça c'est une idée qu'il faut...
21:56 Parce que je l'ai fait et ça marche.
21:58 Je sais bien, ce n'est pas facile.
21:59 - Vous avez économisé combien à peu près par mois sur votre budget
22:02 en faisant l'effort de hiérarchiser ?
22:05 - J'ai éliminé énormément de choses.
22:07 J'avais par exemple des frais...
22:09 Après j'ai mon conseiller financier aussi qui m'a beaucoup aidée
22:12 en disant "Voilà, ça vous le payez en double."
22:14 Je peux dire que...
22:18 - Oui, ça a été significatif en tout cas.
22:20 - En 30%.
22:21 - En 30%. Merci Laurence en tout cas.
22:23 - J'ai exclu la consommation, tout ça, il faut faire attention.
22:25 - Merci Laurence pour cette intervention.
22:27 Patrice Douré, dans l'accompagnement...
22:31 - Excellente remarque et nous le faisons depuis des années.
22:33 L'accompagnement budgétaire fait partie des activités d'aide à la personne
22:36 que nous proposons à toutes les personnes qui se présentent à nous
22:39 qu'elles soient admises à l'aide alimentaire ou pas.
22:41 Et effectivement, les résultats sont extrêmement favorables
22:45 et les personnes généralement qui bénéficient de cette activité
22:47 trouvent des sources d'économie qui permettent de répondre
22:50 notamment au paiement de factures sur l'énergie et sur tout un tas d'autres sujets.
22:55 - Crucial l'accompagnement.
22:56 - Oui, et j'ajouterai l'accompagnement social et juridique.
22:59 Plus vous êtes dans une situation de fragilité, plus vous êtes pauvre,
23:02 plus il faudrait avoir fait des études pour comprendre.
23:03 Et vous voyez bien à quel point c'est compliqué.
23:05 Et certains par exemple sont abusés.
23:06 Nous on accompagne beaucoup les ménages qui sont en tension avec leur propriétaire.
23:10 Et on s'aperçoit qu'il y a des pratiques qui ne sont pas adaptées.
23:15 Et là c'est vrai que la question du développement des permanences d'accès aux droits
23:18 que nous, nous déployons un peu partout sur le territoire
23:21 avec le réseau associatif qu'on soutient, est d'une grande efficacité.
23:24 Parce que c'est très difficile de s'y retrouver.
23:26 Mais ça rejoint quelque chose.
23:27 Ça rejoint un problème qui, vous savez, c'est le fait qu'il y ait de moins en moins
23:31 dans les services publics de guichets avec des personnes.
23:34 Et là, je le pointe aussi dans le bouquin, parce que c'est une évolution.
23:37 - Dans le livre "La dématérialisation".
23:38 - La dématérialisation.
23:39 Et vraiment, j'en appelle à faire que, pour les personnes notamment sur la question de l'action sociale,
23:43 parce que pour beaucoup c'est plutôt confortable,
23:45 parce qu'on peut le faire à n'importe quelle heure,
23:46 nos démarches administratives, le soir, le matin, le week-end.
23:49 Donc, je ne critique pas la dématérialisation en soi.
23:51 Mais pour ceux pour qui c'est difficile, parce qu'on ne maîtrise pas la langue,
23:54 parce qu'on ne connaît pas les dispositifs sociaux,
23:56 il faut vraiment maintenir l'accueil individuel d'une personne,
23:59 et éventuellement le référent unique qui connaît déjà votre histoire.
24:02 Parce que plus votre histoire est compliquée,
24:04 plus ça va être difficile d'obtenir les aides auxquelles vous avez droit.
24:07 - Merci Christophe Robert pour les 100 voix, le titre de votre livre chez Artaud.
24:12 Merci Patrice Douré.
24:14 Et je rappelle, ce week-end, cette campagne de collecte des Restos du Cœur à travers toute la France.
24:23 80 000 bénévoles, partout, dans des milliers de magasins, de supermarchés.
24:28 - Des produits hygiéniques, des produits pour bébés et des conserves.
24:31 - Merci par avance à eux et à toutes les personnes qui nous soutiendront.
24:34 - Et merci à vous deux !