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André Chabot, photographe et explorateur des cimetières, capture depuis plus d’un demi-siècle des images de tombes et de monuments funéraires. Pour lui, c’est un moyen de comprendre comment les vivants prennent soin de leurs morts.

Il a même conçu son propre monument funéraire, intitulé "Mourir, plutôt crever" : une façon d’apprivoiser sa peur de la mort et de s’assurer de laisser une empreinte à son image.

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Transcription
00:00Tout le monde y passe, quel qu'il soit, tu étais toute ma vie, mon Michel, ton chaton.
00:07Ce que j'aime dans le cimetière, précisément, c'est la surprise, la découverte, c'est
00:15l'émotion, c'est aussi le rire, pourquoi pas ?
00:17André Chabot, promeneur nécropolitain, mais promeneur toujours accompagné d'un appareil
00:31photo, puisque je pourrais ajouter collectionneur de tombes.
00:36Dans mes archives, il y a pas loin de 260 000 photos maintenant, c'est une recherche
00:46qui pour moi s'est étalée déjà sur plus d'un demi-siècle, qui me permet de m'intéresser
00:53à la façon dont les vivants s'occupent de leurs morts, plus ou moins.
00:57Ce cimetière, c'est un des premiers que j'ai visités, et je me souviens qu'une
01:06des premières photos que j'avais faites, c'était cette tombe-là, Maurice Arnoux,
01:12mort pour la France, parce que c'est vraiment un très beau monument.
01:16Je me suis aperçu que je suis moi-même un individu mortel, comme tout le monde, et ça
01:23a été un gros choc.
01:24Il m'a semblé que c'était une forme d'exorcisme, que d'apprivoiser la mort, tenter de l'apprivoiser,
01:31mais qu'il y a peut-être une petite parade, c'est de laisser des traces, et c'est ce
01:37que j'essaie de faire dans ce créneau très particulier qu'est le cimetière.
01:46Je suis allé par exemple à Sapinta, en Roumanie, c'est un petit village qui serait totalement
01:52resté anonyme s'il n'y avait pas là un cimetière étonnant.
01:59Pratiquement toutes les tombes consistent à montrer les circonstances de la mort d'un
02:06individu.
02:07Alors on voit par exemple un type qui se prend un coup de fusil, on voit une dame au bord
02:11d'un trottoir qui va se faire écraser par un taxi qui passe, l'ivrogne qui lui
02:16sort du bistrot le soir, et à ce moment-là le train déboule et l'écrabouille.
02:25Nous sommes à 50, alors, 50, excusez-moi, je suis à la recherche d'une tombe que j'ai
02:35déjà vue il y a fort longtemps, c'est un type avec une paire de moustaches extraordinaires
02:39qui est quelque part par là, ça ne vous dit rien ?
02:41Je crois que c'est dans ce carré-là, la fameuse paire de moustaches extraordinaire.
02:45Je ne sais pas.
02:46Vous voyez, quelquefois, trouver une tombe, ça peut nécessiter une journée de recherche
02:54et même l'obligation de revenir le lendemain parce qu'on n'a pas trouvé la première
02:58fois.
02:59L'extraordinaire moustache qui doit être dans ce carré-là, vous ne connaissez pas ?
03:02Non.
03:03Non, vous ne l'avez jamais vue ?
03:04Dans ces cas-là, je m'acharne.
03:09Tout naturellement m'est venue, bien entendu, l'idée de mon propre monument funéraire.
03:17J'ai pu racheter au Père Lachaise une chapelle, je l'ai restaurée complètement et nous
03:25avons ajouté une espèce de symbole de soi, à savoir l'appareil photo que j'ai utilisé
03:30pendant des années.
03:31C'est laissé ne serait-ce qu'un petit nom quelque part.
03:34Tu resteras dans mon cœur pour m'avoir aimé et élevé comme ta propre fille.
03:46Et puis de l'autre côté, alors ça devient plus intime, tu étais toute ma vie mon Michel,
03:52ton chaton.
03:53En Italie, à Carrara, je suis tombé sur un quartier de cimetière, une division de
04:01cimetière regroupant des anarchistes avec une épitaphe qui m'a beaucoup plu.
04:07S'il vous plaît, ne priez pas sur cette tombe.
04:11Faites attention, je dis ça, je me casse la gueule quelquefois, mais c'est vachement
04:21glissant.
04:22C'est quand même sinistre.
04:27C'est sinistre et c'est affreusement standardisé.
04:33Toutes les tombes pratiquement se ressemblent, c'est vraiment de la fabrication en série
04:38et il y a trop peu de personnalisation.
04:42J'en ai fait beaucoup plus que je n'en ferais, hélas, mais ce que j'espère c'est
04:53être suffisamment vaillant le plus longtemps possible sans avoir à envisager ce mot horrible
05:00qui me désespère lui aussi, le mot de retraite.
05:03Mourir plutôt crever, celle-là je la trouve absolument extraordinaire.

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