Cours de cinéma par Audrey Haensler, spécialiste de la représentation LGBTQIA+ à l’écran.
Thématique Refaire l'amour, La comédie romantique dans tous ses états, du 17 septembre au 1er décembre 2024.
Thématique Refaire l'amour, La comédie romantique dans tous ses états, du 17 septembre au 1er décembre 2024.
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00:00:00Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, merci beaucoup d'être venus ici ce soir.
00:00:15Merci aussi très chaleureusement au Forum des images pour l'organisation de ce cycle
00:00:21et à Pauline Frachon et à Zina Gabert que j'ai déjà perdu des yeux.
00:00:24Mais pour la programmation, j'ai énormément de choses à vous dire
00:00:29et je vous propose qu'on attaque directement sur le sujet de ces minorités dans la comédie romantique.
00:00:36Alors moi, je suis maîtresse de conférente, enseignante chercheuse
00:00:40et quand j'ai commencé à réfléchir à la forme de ce cours, je me suis dit
00:00:45si j'étais face à mes étudiants, on ferait un petit exercice de brainstorm pour ouvrir ce cours
00:00:50qu'on ne va pas faire ici ensemble pour des raisons de temps et de praticité
00:00:54mais je commencerai en posant la question de dire est-ce que vous pouvez me citer
00:00:59des comédies romantiques qui vous ont marqué, vos comédies romantiques préférées ?
00:01:03Est-ce que vous avez des titres qui vous viennent en tête immédiatement ?
00:01:07Il y a des chances que quand je pose cette question, on me cite des films comme
00:01:13Coup de foudre à Notting Hill, comme le journal de Bridget Jones peut-être,
00:01:18Annie Hall pour certains, Pretty Woman, à quoi je pense à Marie à tout prix par exemple
00:01:26et normalement quand j'évoque ces titres, doivent vous venir en tête les couples emblématiques
00:01:32de ces comédies romantiques et on remarque très rapidement je pense que le point commun
00:01:37de tous ces personnages, c'est qu'ils sont tous blancs et tous hétérosexuels.
00:01:41Quand j'ai commencé à faire mes recherches pour préparer ce cours,
00:01:45je suis tombée sur un article publié sur le site Vulture qui est un site américain
00:01:50publié en 2015 et qui recensait ou qui dressait une liste des 25 meilleurs rom-coms
00:01:56depuis Harry rencontre Sally donc en 1989 et sur ces 25 comédies romantiques,
00:02:01il n'y en a pas une seule avec un personnage racisé ou avec un personnage LGBTQ+.
00:02:07Vulture a modifié sa liste ensuite pour inclure un film avec des personnages LGBTQ+,
00:02:14mais toujours pas de personnages racisés.
00:02:17Alors bien sûr, on est au moment de la publication en 2015, ça pose un peu problème
00:02:23et donc ils vont s'en expliquer dans l'introduction de leur article
00:02:26et je cite l'explication qu'ils fournissent, ils disent, c'est ma traduction,
00:02:31si les comédies romantiques africaines-américaines ont prospéré pendant cette période,
00:02:35nous n'avons pu nous mettre d'accord sur aucun titre que nous jugeons suffisamment bon
00:02:39ou suffisamment convaincant pour mériter de figurer sur cette liste.
00:02:44Alors la raison pour laquelle je vous donne cette citation, c'est que pour moi,
00:02:48il y a une justification qui est un peu légère, à mon sens, à cette absence des minorités
00:02:53et qui mériterait qu'on s'interroge sur nos biais de spectateurs dans la mesure
00:02:59où il me paraît quand même assez surprenant que sur 25 films, on n'en ait pas trouvé un seul
00:03:05qui soit suffisamment bon, en tout cas plus bon que les 25 qui ont été choisis
00:03:10avec des personnages blancs hétérosexuels et qui méritent d'être inclus.
00:03:14Une autre anecdote pour vous montrer que ce n'est justement pas anecdotique,
00:03:18cette invisibilisation. En mai 2024, donc il y a très peu de temps,
00:03:23la Cinémathèque a organisé un cycle, alors beaucoup plus court que celui-ci, j'admets,
00:03:28sur la comédie romantique qui s'appelait La comédie romantique en 20 films indispensables
00:03:33et vous me voyez venir parmi ces 20 films indispensables, pas un seul film
00:03:38avec des personnages issus des minorités, que ce soit des personnages racisés
00:03:43ou des personnages LGBTQ+. Alors hier soir, je prenais un verre avec des amis
00:03:49et je parlais de ce cours et j'en parlais à quelqu'un que je venais de rencontrer
00:03:54qui m'a dit ça doit être super rapide à préparer un cours comme ça
00:03:58parce qu'il ne doit pas y en avoir beaucoup, des minorités dans la Rome comme...
00:04:02Mais c'est normal. En fait, des minorités dans la Rome comme, il y en a,
00:04:06il y en a même beaucoup, il y en a de plus en plus, ça fait sens étant donné
00:04:10les évolutions sociales, politiques de ces dernières années, de ces dernières décennies,
00:04:15ça fait sens aussi étant donné les évolutions de l'industrie du cinéma
00:04:20qui accueille de plus en plus des voix minorisées, pas que dans la Rome comme d'ailleurs,
00:04:27mais en réalité, l'inclusion des minorités dans la Rome comme,
00:04:31ce n'est pas un phénomène qui est si récent et ce n'est pas un phénomène
00:04:34qui est si marginal non plus. Pendant son tout premier cours, Marianne Lévy,
00:04:40pendant le premier cours de ce cycle, Marianne Lévy disait que pour écrire son livre
00:04:44sur la Rome comme, elle avait visionné encore plus de 500 films, ce qui est énorme,
00:04:49titanesque, elle en a retenu 300. A titre de comparaison, pour vous donner une idée,
00:04:54lorsque j'ai commencé à recenser les comédies romantiques avec des personnages principaux,
00:05:00et j'insiste là-dessus, qui soient soit racisés, soit LGBTQ+, soit les deux,
00:05:06j'en ai trouvé plus d'une centaine, ce qui me semble être déjà assez honorable,
00:05:11d'autant que je suis sûre et certaine que je ne suis pas du tout à l'exhaustivité
00:05:16et qu'on va le voir très rapidement, cette production avec des minorités,
00:05:21qui commence beaucoup plus tardivement que le début de la Rome comme,
00:05:25qu'on date à peu près dans les années 30. Donc ce que je propose dans le cadre de ce cycle
00:05:30qui s'appelle donc Refaire l'amour, c'est à la fois de faire un historique
00:05:35un peu des minorités dans la Rome comme, et aussi en filigrane, de poser la question
00:05:41d'un potentiel renouvellement du genre de la comédie romantique par l'inclusion des minorités,
00:05:47ou en tout cas peut-être un peu plus modestement, de poser la question de ce que les minorités font à la Rome comme,
00:05:53de si elles vont bouleverser les codes du genre, de si elles le renouvellent,
00:05:57elles le revivifient par l'émergence de nouveaux personnages, de nouveaux récits,
00:06:02de nouvelles problématiques, ou si au contraire, pas du tout.
00:06:05Donc ce sera une question qui va être traitée un peu tout au long, finalement, de ce cours.
00:06:11Alors pour commencer par le début, je voulais commencer par un petit historique
00:06:15pour expliquer pourquoi les minorités sont longtemps invisibles dans la Rome comme.
00:06:22Pour ça, il faut remonter aux origines du genre, et au cinéma, on remonte généralement à la comédie screwball.
00:06:29La comédie screwball, elle émerge dans les années 20, mais elle se solidifie,
00:06:34elle connaît un peu son heure de gloire dans les années 30 et dans les années 40 aux Etats-Unis.
00:06:40Et les années 30, c'est aussi le moment où se met en place un code d'autocensure des studios hollywoodiens
00:06:46qu'on appelle le code Hays, qui s'appelle en réalité le Motion Picture Production Code,
00:06:51qui est un code qui est mis en place par les studios pour éviter que les films soient produits,
00:06:57puis censurés au dernier moment, officiellement.
00:07:00Donc c'est pour éviter, finalement, de perdre de l'argent.
00:07:04Alors les studios vont se donner une liste de thèmes qu'il n'est pas possible de représenter
00:07:09pour éviter la censure. Il y a énormément de thèmes.
00:07:12On ne peut pas représenter la sexualité, le blasphème est interdit à l'écran,
00:07:16on interdit la violence, les drogues, mais on interdit aussi, pour ce qui nous intéresse,
00:07:21la perversion, c'est le mot qui est utilisé, et il faut comprendre par perversion l'homosexualité.
00:07:27Et on interdit aussi, en anglais, la messagenation, c'est-à-dire les couples mixtes à l'écran.
00:07:34Alors ces censures, ces interdictions, elles ne sortent évidemment pas de nulle part,
00:07:41elles sont le reflet de ce qui est jugé acceptable à ce moment-là dans la société américaine.
00:07:47Pour faire un très bref historique, même si je pourrais en parler longuement,
00:07:52sur la question de l'homosexualité, au début du XXe siècle,
00:07:56les attitudes sont relativement laxes, relativement progressistes,
00:08:01sur ce qu'on va appeler des conduites homosexuelles, mais le mot n'existe pas vraiment,
00:08:06ou en tout cas il n'est pas employé de la même manière qu'on l'utilise aujourd'hui à l'époque.
00:08:10Et dans l'entre-deux-guerres, donc on va tomber dans les années 30,
00:08:14les persécutions étatiques contre les homosexuels ou contre les conduites homosexuelles s'intensifient,
00:08:21l'homosexualité va être criminalisée et on comprend bien qu'Hollywood va complètement se refuser
00:08:29à représenter l'homosexualité dans ses films d'amour à l'écran.
00:08:35Du côté des minorités raciales, il faut se rappeler qu'on est dans les années 30-40,
00:08:40dans une Amérique qui est profondément ségrégée, notamment dans les États du Sud.
00:08:45Cette ségrégation va durer jusque dans les années 60, jusqu'à la fin du Code finalement.
00:08:50Et de la même manière, je pense qu'on se représente assez aisément
00:08:55qu'une société qui va forcer sa population noire à utiliser des toilettes séparées,
00:09:00des fontaines à eau séparées, des parcs séparés, des cinémas séparés,
00:09:05n'est pas prête à voir un Africain-Américain comme le héros d'une romance hollywoodienne.
00:09:12Pour replacer dans un contexte cinématographique, les années 30-40,
00:09:17c'est le moment de la sortie d'Autant en emporte-le-vent,
00:09:20qui n'est pas une rom-com, mais qui est une grande histoire d'amour,
00:09:23considérée comme une des grandes histoires d'amour du cinéma hollywoodien,
00:09:27qui est en réalité une fresque à la gloire des États du Sud et de l'esclavage.
00:09:32Et dans Autant en emporte-le-vent, qui sort en 1939,
00:09:37on a effectivement des personnages noirs, mais ils sont tous esclaves,
00:09:42qui viennent aider, soutenir l'histoire d'amour des personnages blancs,
00:09:47de leurs maîtres blancs.
00:09:49Donc on est bien à mille lieux, dans cette période-là des années 30-40,
00:09:53de les imaginer comme les protagonistes de rom-coms.
00:09:58Si je donne tous ces éléments de contexte,
00:10:01si je m'attarde sur le contexte historique, le contexte institutionnel,
00:10:04c'est pour insister sur le fait qu'au moment où la rom-com émerge,
00:10:09au moment où elle va se développer, au moment où elle va se formaliser,
00:10:13où elle va trouver ses codes, où elle va trouver ses tropes,
00:10:16qu'elle va ensuite réutiliser à l'infini,
00:10:20ou en tout cas varier autour de ces tropes-là jusqu'à nos jours,
00:10:24c'est un moment où il est complètement inenvisageable
00:10:28de représenter une histoire d'amour queer, homosexuelle,
00:10:32ou une histoire d'amour avec des personnages racisés.
00:10:36Pour autant, les historiens du cinéma,
00:10:39ici je pense notamment à Vito Russo ou à Patricia White,
00:10:42ont montré que, concernant en tout cas les minorités queers,
00:10:46il y a toujours, même dans les films produits sous le code Hayes,
00:10:50surtout dans les films produits sous le code Hayes,
00:10:53des représentations, des personnages qui pouvaient être lus comme queers,
00:10:58qui étaient codés comme queers,
00:11:01et qui pouvaient être interprétés de cette manière-là
00:11:04par des spectateurs, par des spectatrices,
00:11:08qui ne seraient eux-mêmes pas hétérosexuels.
00:11:11Je pense ici, par exemple, à un film qui s'appelle Certains l'aiment chaud,
00:11:15dont je voudrais vous montrer un extrait dans une minute.
00:11:18Certains l'aiment chaud sort en 1959,
00:11:21c'est un film qui appartient au sous-genre de la sex-comédie,
00:11:25qui est une des évolutions de la rom-com.
00:11:28C'est un film qui, d'un côté, parodie le film de gangster des années 20-30,
00:11:32mais qui va aussi réutiliser les codes de la romance,
00:11:35les codes de la screwball,
00:11:37notamment sur les identités masquées, sur la mascarade,
00:11:41et sur une inversion des rôles de genre,
00:11:44en tout cas un jeu avec les rôles de genre.
00:11:46Très rapidement, sur le synopsis, c'est l'histoire de deux musiciens
00:11:50qui vont se retrouver mêlés, un peu malgré eux,
00:11:53à un règlement de compte de gangster,
00:11:55et qui, pour échapper au représailles, vont se travestir,
00:11:59vont se déguiser en femmes.
00:12:01Et c'est sous cette fausse identité de femmes
00:12:04qu'ils vont tous les deux tomber amoureux.
00:12:07Le premier, Joe, tombe amoureux de Sugar,
00:12:10qui est joué par Marilyn Monroe,
00:12:12qui, à l'écran, forme, on pourrait le dire, un couple de femmes
00:12:15puisqu'elles s'embrassent, ces deux personnages s'embrassent
00:12:18alors que Joe est déguisé en femme.
00:12:20Et l'autre musicien s'appelle Jerry,
00:12:23son alter ego féminin s'appelle Daphné,
00:12:26et à la fin du film, il s'enfuit avec un autre personnage
00:12:30qui s'appelle Osgood.
00:12:32On regarde tout de suite la scène de fin de Certain l'aime chaud.
00:13:00Sous-titrage MFP.
00:13:31On voit dans cette scène que ce personnage d'Osgood est fou, amoureux,
00:13:35très visiblement, de Jerry Daphné.
00:13:37Il projette de l'épouser, il lui dit
00:13:39« je pourrais te prêter la robe de ma mère »
00:13:41et Daphné, Jerry, va essayer de lister tous les défauts qu'il a
00:13:47qui pourraient empêcher le mariage.
00:13:49Je trouve assez intéressant que,
00:13:52dans le film, il y ait un moment où,
00:13:56je ne suis pas une vraie blonde,
00:13:58qui fait tout de suite écho pour nous, spectateurs,
00:14:01au fait que Jerry slash Daphné n'est pas une vraie femme,
00:14:06dans le sens d'une femme cisgenre.
00:14:08Et puis, on voit qu'Osgood n'est pas vraiment perturbé
00:14:12par ces révélations.
00:14:13Finalement, le fait que Jerry ne puisse pas,
00:14:16ne soit pas une femme cisgenre,
00:14:18et qu'il n'est pas une femme cisgenre,
00:14:21ne puisse pas avoir d'enfants, soit « built »,
00:14:24donc qu'il ait une carrure différente des autres femmes,
00:14:27ce n'est pas vraiment un problème.
00:14:29Et quand, finalement, Jerry va cracher le morceau
00:14:32et lui dire « mais je ne suis pas une femme »,
00:14:34Osgood lui fait cette réplique qui est devenue culte
00:14:37« well, nobody is perfect »,
00:14:39qui, en fait, vient confirmer l'homosexualité de ce personnage
00:14:44qui a été codé depuis le début du film.
00:14:46Alors, bien entendu, on a ce recours à la comédie,
00:14:50on a ce recours au travestissement,
00:14:52on est en plein sous le code Hays,
00:14:54ce serait complètement inenvisageable de représenter
00:14:57des couples homosexuels,
00:14:59mais, par la comédie, le film réussit à contourner la censure
00:15:04dans un sens du code Hays,
00:15:06et nous propose, en fait, d'un moment donné,
00:15:09d'un autre moment donné,
00:15:11d'un autre moment donné,
00:15:13de la censure dans un sens du code Hays,
00:15:15et nous propose un couple, deux couples même,
00:15:18qu'on pourrait considérer comme queer,
00:15:20qui dérogent à la norme,
00:15:22dans leur présentation de genre en tout cas,
00:15:24dans leur identité sexuelle.
00:15:26Et puisque ce que je vous ai montré là,
00:15:28c'est la scène de fin,
00:15:30on pourrait considérer qu'il s'agit d'une happy end,
00:15:33et qu'il s'agit d'une happy end queer,
00:15:35en 1959, sous le code Hays,
00:15:38ce qui reste extrêmement subversif pour la période
00:15:41et qui va le rester pendant encore un sacré bout de temps.
00:15:44Alors, vous allez peut-être me dire que
00:15:46c'est un peu tiré par les cheveux
00:15:48de voir certains l'aime-chaud comme une rom comme queer.
00:15:51Je tenais absolument à l'inclure
00:15:53parce que c'est ça l'expérience
00:15:55des spectateurs et des spectatrices queer
00:15:57du cinéma pendant très longtemps.
00:15:59C'est aller chercher des traces du queer
00:16:02dans des signes, dans des codes,
00:16:04dans des textes qui sont de manière
00:16:07hégémonique, hétérosexuelle et hétéronormée.
00:16:11À partir des années 1960,
00:16:13le code Hays s'assouplit,
00:16:15il finira par être abrogé à la fin des années 1960,
00:16:18la comédie romantique va évoluer,
00:16:20elle va connaître de nouveaux développements,
00:16:22de nouveaux cycles,
00:16:24mais pour autant,
00:16:26et même après l'abrogation du code,
00:16:28les personnages restent assez obstinément blancs
00:16:30et hétérosexuels.
00:16:32Alors, il faut dire aussi que le moment de renouveau
00:16:34de la comédie romantique,
00:16:36l'arrivée de ce qu'on appelle la rom-com
00:16:38néo-traditionnelle, c'est les années 1980,
00:16:40et que les années 1980,
00:16:42c'est la période Reagan
00:16:44qui est donc marquée par un très, très grand
00:16:46conservatisme, un retour au conservatisme
00:16:48qui n'est pas très propice
00:16:50à la représentation
00:16:52des minorités à l'écran.
00:16:54À peu près 30 ans
00:16:56après l'abrogation du code Hays,
00:16:58en 1992, dans un des
00:17:00premiers grands travaux d'envergure
00:17:02sur la comédie romantique,
00:17:04Steve Neill, qui est un universitaire,
00:17:06écrit, et je cite,
00:17:08« À ma connaissance, il n'existe pas
00:17:10de comédie romantique dont les membres du couple
00:17:12soient lesbiennes ou gays
00:17:14ou asiatiques ou noirs. »
00:17:16C'est une affirmation qui est
00:17:18un peu surprenante, ou alors,
00:17:20si on a envie d'être gentil avec Steve Neill,
00:17:22on peut dire qu'il a été un peu visionnaire,
00:17:24selon la datation qu'on veut adopter,
00:17:26parce que, en fait, si on regarde cette période-là
00:17:28de plus près, on se rend compte qu'il existe
00:17:30déjà depuis le milieu des années 1980
00:17:32un cinéma indépendant,
00:17:34un cinéma de niche qui produit
00:17:36des comédies romantiques avec
00:17:38des personnages issus des minorités.
00:17:40Alors, d'un côté,
00:17:42on voit se développer
00:17:44le sous-genre de la rom-com noire
00:17:46ou de la rom-com africaine-américaine,
00:17:48avec une production qui va être
00:17:50très prolifique dans les années 90
00:17:52et dans les années 2000.
00:17:54L'article de Vulture que j'ai cité
00:17:56en introduction le souligne.
00:17:58Ces rom-coms noires, elles sont
00:18:00réalisées par des cinéastes qui sont
00:18:02désormais reconnus, et là je pense à
00:18:04Spike Lee, qui réalise
00:18:06Nola Darling n'en fait qu'à sa tête en
00:18:081986.
00:18:10Et ces rom-coms, elles comptent
00:18:12à leur casting des stars du cinéma,
00:18:14Eddie Murphy et Halle Berrig dans
00:18:16Boomerang en 1992,
00:18:18Whitney Houston, Angela Bassett
00:18:20et Forest Whitaker dans
00:18:22Où sont les Hommes, en français, en
00:18:241995. Angela Bassett
00:18:26va jouer dans énormément de comédies romantiques dans les
00:18:28années 90. Et puis ensuite,
00:18:30c'est Queen Latifah qui prend la relève,
00:18:32qui devient
00:18:34la reine de la rom-com dans
00:18:36les années 90, dans les années 2000,
00:18:38on peut citer Bronx à Bel-Air
00:18:40en 2000, Vacances sur Ordonnance
00:18:42en 2006 ou Love and Game
00:18:44en 2010.
00:18:46Je ne sais pas si ces titres vous évoquent
00:18:48quelque chose. Et en réalité,
00:18:50c'est un peu surprenant qu'elles soient si
00:18:52peu connues du grand public,
00:18:54et par là j'entends le public blanc,
00:18:56puisque ce sont des films
00:18:58qui ont rencontré un très grand succès
00:19:00auprès des audiences africaines,
00:19:02américaines au moment de leur sortie. Ce sont des films
00:19:04qui ont aussi été de vrais succès
00:19:06au box-office pour certaines,
00:19:08et qui, pour autant,
00:19:10restent assez méconnus
00:19:12des publics blancs.
00:19:14Je ne suis pas sûre que, encore une fois, si on se livrait
00:19:16à cet exercice dont je parlais
00:19:18en introduction de brainstorm,
00:19:20des titres qui viennent à l'esprit
00:19:22quand on parle de rom-com,
00:19:24les premières qui vous viennent à l'esprit sont les titres
00:19:26que je viens de citer.
00:19:28On est désormais 20 ans, 30 ans
00:19:30plus tard après cette production
00:19:32de comédies romantiques africaines,
00:19:34américaines, et ces
00:19:36rom-coms restent assez connus
00:19:38des publics noirs aux Etats-Unis,
00:19:40mais complètement invisibles
00:19:42du panthéon de la rom-com, du canon
00:19:44de la rom-com tel qu'on le connaît
00:19:46généralement.
00:19:48De l'autre côté, celui des
00:19:50représentations queer, les années 90,
00:19:52c'est aussi une période charnière
00:19:54pour le développement d'un cinéma
00:19:56qui va mettre en scène des gays
00:19:58et des lesbiennes.
00:20:00C'est le moment du New Queer
00:20:02Cinema, c'est la théoricienne
00:20:04B. Ruby Rich qui théorise ce
00:20:06New Queer Cinema qui va émerger
00:20:08au tout début des années 90.
00:20:10Les figures emblématiques
00:20:12du New Queer Cinema, c'est Todd Haynes,
00:20:14Gus Van Sant, Greg Araki
00:20:16qui développent des
00:20:18esthétiques très expérimentales,
00:20:20d'avant-garde,
00:20:22avec des thématiques qui sont
00:20:24très sombres et surtout
00:20:26un refus de toute représentation
00:20:28positive, en tout cas
00:20:30heureuse, optimiste
00:20:32de l'homosexualité.
00:20:34Une forme
00:20:36de nihilisme aussi,
00:20:38on se refuse vraiment
00:20:40à représenter
00:20:42la vie queer comme étant
00:20:44une vie tolérable et au contraire
00:20:46on va la représenter comme étant
00:20:48une vie très solitaire
00:20:50dans laquelle le bonheur n'est pas
00:20:52accessible. Il faut bien
00:20:54penser qu'on est au milieu des années 90
00:20:56en plein dans la crise du sida et que ça
00:20:58va aussi influer sur les représentations
00:21:00au cinéma.
00:21:02Donc avec le New Queer Cinema, on est assez
00:21:04loin, a priori, de la
00:21:06rom-com, de la légèreté de la rom-com, du
00:21:08happy end de la rom-com, mais
00:21:10à partir du milieu des années 90
00:21:12va se développer
00:21:14en miroir ou peut-être
00:21:16en extension du New Queer Cinema
00:21:18puisque Greg Araki
00:21:20finira par faire une rom-com avec
00:21:22Splendeur qui est montrée dans le cadre de ce
00:21:24cycle.
00:21:26On va voir se développer donc
00:21:28des rom-coms avec des personnages
00:21:30gays et lesbiens qui mettent
00:21:32en scène des histoires d'amour gays et lesbiennes.
00:21:34Le film dont on considère
00:21:36qu'il lance ce tout premier
00:21:38cycle de la rom-com gay, c'est un film
00:21:40lesbien qui s'appelle Go Fish.
00:21:42C'est un film qui est réalisé par
00:21:44Rose Trochet en 1994.
00:21:46Si le nom de Rose Trochet
00:21:48vous dit quelque chose, c'est parce qu'elle
00:21:50fait partie de l'équipe qui réalisera
00:21:52et écrira pour la série
00:21:54The L Word 20 ans plus tard.
00:21:56Je vous propose qu'on regarde tout de suite
00:21:58un extrait de Go Fish.
00:22:14...
00:22:24...
00:22:36...
00:22:46...
00:23:04...
00:23:14...
00:23:32...
00:24:00...
00:24:10...
00:24:20...
00:24:34J'ai beaucoup hésité dans le choix
00:24:36de l'extrait parce que Go Fish
00:24:38sera donc projeté juste
00:24:40après ce cours et que je ne voulais pas spoiler
00:24:42les personnes qui
00:24:44auraient pris des places.
00:24:46Sur le plan formel,
00:24:48on voit tout de suite ce côté
00:24:50très expérimental.
00:24:52Pas seulement hérité du new queer cinema
00:24:54qui va être moins dans
00:24:56ce côté noir et blanc,
00:24:58mais on a une esthétique d'avant-garde.
00:25:00On a des
00:25:02expérimentations sur le plan sonore
00:25:04avec cette voix off qui est redoublée
00:25:06du murmure. On a
00:25:08des superpositions d'images, un jeu sur
00:25:10la transparence. Quelque chose
00:25:12qui est presque au carrefour
00:25:14du théâtre, de la photographie
00:25:16et du cinéma,
00:25:18qui cuirise un peu la forme,
00:25:20qui va un peu tordre la forme
00:25:22attendue de la rom-com.
00:25:24Et sur le plan idéologique,
00:25:26on a une scène
00:25:28qui, dans la voix off,
00:25:30mais aussi dans la mise en scène,
00:25:32va interroger l'injonction
00:25:34à l'hétérosexualité avec
00:25:36la robe de mariée qui est un symbole
00:25:38très fort de cette
00:25:40institution
00:25:42du mariage.
00:25:44Un voile qui est baissé sur les yeux
00:25:46pour cacher le secret de l'homosexualité
00:25:48avec toute l'ambiguïté
00:25:50de cet objet puisqu'un voile, c'est
00:25:52transparent, qu'on voit à travers.
00:25:54Et puis, cette robe
00:25:56qui symbolise l'injonction,
00:25:58symbolise l'institution
00:26:00hétérosexuelle, mais
00:26:02montre aussi que
00:26:04les rôles de genre et l'hétérosexualité
00:26:06sont des performances
00:26:08puisqu'on peut
00:26:10enlever et remettre la robe,
00:26:12enlever et remettre ce costume.
00:26:14On est là dans une mise en scène
00:26:16qui évoque les travaux en théorie queer
00:26:18qui vont être produits au même moment,
00:26:20notamment Judith Butler, autour de la performance.
00:26:22On a une réflexion
00:26:24sur des problématiques communautaires,
00:26:26notamment le fait de n'être jamais
00:26:28assez out. Je crois que
00:26:30le sous-titre dit assumer, mais c'est
00:26:32vraiment cette idée d'être pas assez
00:26:34lesbienne, de ne pas faire assez lesbienne.
00:26:36Et cet aspect
00:26:38communautaire,
00:26:40c'est aussi confirmé dans la mise en scène
00:26:42par le fait que toutes les amies
00:26:44de ce groupe d'amis de lesbiennes vont mettre
00:26:46la même robe, s'essayer
00:26:48à ce costume-là,
00:26:50où on voit que finalement,
00:26:52elles ont probablement toutes fait
00:26:54ce travail de négociation
00:26:56de, et si finalement, je me
00:26:58conformais aux attentes, et si j'épousais
00:27:00un homme, peut-être que je pourrais
00:27:02garder mon nom, peut-être que je pourrais garder
00:27:04mon salaire, peut-être que ça pourrait
00:27:06être plus confortable.
00:27:08Ce qui m'intéresse
00:27:10dans cette scène, c'est qu'elle vient
00:27:12interrompre l'histoire d'amour. Alors,
00:27:14Go Fish, c'est une narration un peu fragmentée,
00:27:16mais il y a une histoire d'amour,
00:27:18c'est une rom-com.
00:27:20Et la scène, elle vient interrompre
00:27:22finalement la narration,
00:27:24pour montrer que le personnage principal
00:27:26est en proie à des
00:27:28questionnements, qu'elle va venir
00:27:30engager dans la relation amoureuse,
00:27:32dans sa relation aux autres et à sa communauté
00:27:34aussi. Et il y a
00:27:36dans Go Fish, une charge politique
00:27:38qui est
00:27:40très souvent, le plus souvent,
00:27:42absente de la comédie romantique classique.
00:27:44Et c'est pour moi
00:27:46la première inflexion, la première influence
00:27:48de l'inclusion des minorités dans la rom-com
00:27:50que cette incorporation
00:27:52d'un propos politique dans
00:27:54l'histoire d'amour.
00:27:56Alors, qu'il s'agisse des films
00:27:58africains-américains à destination
00:28:00d'un public africain-américain,
00:28:02ou qu'il s'agisse des films queer,
00:28:04vus essentiellement par des spectateurs
00:28:06et des spectatrices queer,
00:28:08on reste quand même pour l'instant dans des productions
00:28:10qui sont très indépendantes, qui sont très
00:28:12à la marge du cinéma grand public.
00:28:14Dans les productions mainstream,
00:28:16dans les productions grand public,
00:28:18les minorités vont commencer
00:28:20à faire des incursions timides,
00:28:22toujours comme personnage secondaire,
00:28:24avec un trope qui est le même
00:28:26pour les personnages
00:28:28racisés et pour les personnages gays,
00:28:30qui est le trope du meilleur ami.
00:28:32Le meilleur ami gay, le meilleur ami noir,
00:28:34le meilleur ami asiatique, etc.
00:28:36Ce meilleur ami,
00:28:38il est souvent isolé au sein
00:28:40d'un groupe d'amis qui, eux, sont tous blancs
00:28:42et tous hétérosexuels,
00:28:44et la question de
00:28:46sa sexualité, la question de son origine
00:28:48ethnique n'est jamais posée,
00:28:50elle n'est jamais centrale à l'intrigue,
00:28:52en tout cas, ce qui fait que les questions
00:28:54d'homophobie, de racisme,
00:28:56d'identité ne sont jamais abordées
00:28:58dans ces films-là.
00:29:00C'est ce type
00:29:02de représentations
00:29:04qui vont contribuer
00:29:06à faire croire, dès le début
00:29:08des années 90, au mythe
00:29:10d'une Amérique post-gay
00:29:12et post-raciale, c'est-à-dire
00:29:14dans laquelle l'homosexualité
00:29:16ou l'identité
00:29:18ethnique ne serait
00:29:20plus une question, ne serait plus
00:29:22un facteur susceptible
00:29:24d'influer sur la vie,
00:29:26sur l'expérience des
00:29:28personnes. On est là dans des
00:29:30représentations qui sont complètement apolitiques,
00:29:32dans des représentations
00:29:34très inoffensives de ce
00:29:36meilleur ami gay, de ce meilleur ami noir
00:29:38qui est un peu circoncis à la marge,
00:29:40et qui vont
00:29:42permettre au public
00:29:44de s'auto-congratuler
00:29:46sur leur tolérance,
00:29:48mais de ne pas vraiment
00:29:50engager de réflexion
00:29:52sur la condition
00:29:54de ce fameux
00:29:56meilleur ami.
00:29:58Le prochain extrait que je voudrais vous montrer,
00:30:00il est tiré d'une comédie romantique
00:30:02mainstream qui est très connue,
00:30:04qui date de 1994,
00:30:06même date que
00:30:08Go Fish, c'est une
00:30:10rom-com dans laquelle il y a un couple gay.
00:30:12Ce ne sont évidemment pas
00:30:14les personnages principaux du
00:30:16film, mais ils font partie du groupe
00:30:18d'amis du personnage principal
00:30:20qui est joué par Hugh Grant.
00:30:22La scène que je vais vous montrer,
00:30:24c'est une scène qui arrive à peu près aux trois quarts du film
00:30:26et c'est la scène où on comprend
00:30:28que ces deux personnages
00:30:30qu'on a toujours vus isolément
00:30:32forment en fait un couple.
00:30:34Je vous propose qu'on regarde tout de suite l'extrait
00:30:36de 4 mariages et 1 enterrement.
00:30:54...
00:31:24...
00:31:26...
00:31:28...
00:31:30...
00:31:32...
00:31:34...
00:31:36...
00:31:38...
00:31:40...
00:31:42...
00:31:44...
00:31:46...
00:31:48...
00:31:50...
00:31:52...
00:31:54...
00:31:56...
00:31:58...
00:32:00...
00:32:02...
00:32:04...
00:32:06...
00:32:08...
00:32:10...
00:32:12...
00:32:14...
00:32:16...
00:32:18...
00:32:20...
00:32:22...
00:32:24...
00:32:26...
00:32:28...
00:32:30...
00:32:32...
00:32:34...
00:32:36...
00:32:38...
00:32:40...
00:32:42...
00:32:44...
00:32:46J'ai dû couper l'extrait
00:32:48c'est un peu long
00:32:50mais je vous donne l'information.
00:32:52Matthew qu'on voit là donner l'horizon funèbre
00:32:54est présenté au début
00:32:56de l'extrait
00:32:58par le prêtre au début du service
00:33:00comme his closest friend
00:33:02donc l'ami le plus proche
00:33:04de cette personne qui est morte
00:33:06et qui était en fait son amant.
00:33:08Et Matthew
00:33:10exprime son amour
00:33:12pour Gareth
00:33:14via un poème de W.H. Auden
00:33:16qui s'appelle Funeral Blues
00:33:18qui en gros parle
00:33:20de l'absurdité de continuer à vivre
00:33:22et de voir le monde continuer à tourner
00:33:24lorsqu'on a perdu
00:33:26l'être aimé.
00:33:28C'est un poème qui a une résonance
00:33:30toute particulière pour la communauté gay
00:33:32puisqu'il a souvent été lu
00:33:34pendant des funérailles
00:33:36d'hommes morts du SIDA dans les années
00:33:3880-90.
00:33:40Et l'arc narratif de Gareth
00:33:42et de Matthew dans 4 mariages et 1 enterrement
00:33:44c'est un arc narratif
00:33:46qui est triste, c'est un arc narratif
00:33:48qui est tragique
00:33:50tout le contraire a priori de l'art homme comme
00:33:52et surtout
00:33:54le film
00:33:56réussit dans un sens
00:33:58à nous faire comprendre
00:34:00qu'ils formaient un couple seulement une fois
00:34:02que l'un des deux est mort
00:34:04ce qui permet de ne jamais représenter
00:34:06l'intimité entre deux hommes
00:34:08ce qui permet de ne jamais représenter
00:34:10de signes d'affection entre eux
00:34:12et de ne pas risquer de s'aliéner
00:34:14une partie du public
00:34:16qui ne souhaiterait pas voir
00:34:18ce type de scène au cinéma.
00:34:20Alors en contrepoint
00:34:22de cette scène assez triste
00:34:24je voudrais vous montrer un extrait
00:34:26d'une rom-com qui date de l'année suivante
00:34:28donc de 1995
00:34:30qui est une rom-com gay que j'ai découvert
00:34:32en préparant ce cours
00:34:34et que j'ai adoré
00:34:36qui s'appelle Jeffrey
00:34:38et je vous propose qu'on regarde ensemble
00:34:40tout de suite la scène d'ouverture du film
00:35:10...
00:35:20...
00:35:30...
00:35:58...
00:36:26...
00:36:30donc au contraire
00:36:32de 4 mariages et 1 enterrement
00:36:34vous le voyez on n'a pas peur ici
00:36:36de représenter l'intimité entre deux hommes
00:36:38le film s'ouvre sur
00:36:40une scène de sexe
00:36:42le personnage principal
00:36:44Jeffrey qu'on voit se réveiller d'un cauchemar
00:36:46à la fin est un homme gay
00:36:48qui est terrorisé
00:36:50à l'idée d'attraper le SIDA
00:36:52et qui va donc jurer
00:36:54qu'il va mettre en pause sa vie sexuelle jusqu'à ce qu'il rencontre quelques heures plus tard un homme sublime à la salle de sport
00:37:00qui va venir tester sa résolution.
00:37:04Alors,
00:37:05il y a déjà
00:37:07là-dedans un renouvellement assez original et assez osé de l'obstacle
00:37:13qui empêche le couple de s'aimer librement, qui est un des éléments essentiels de la rom-com, cet obstacle qui
00:37:20retarde l'histoire d'amour,
00:37:22avec l'utilisation du sida comme obstacle, de la peur du sida comme obstacle.
00:37:27On est dans une esthétique qui est beaucoup plus proche de la comédie romantique
00:37:32traditionnelle que Go Fish, mais on a encore une fois une prise en compte du contexte politique
00:37:39alors que souvent dans la rom-com on opère un peu en vase clos.
00:37:44Vous avez peut-être reconnu l'incrustation d'images de discours de Clinton, de Bush,
00:37:50les unes de journaux qui traitent de la crise du sida, et ce film Jeffrey,
00:37:56il réussit la prouesse de faire une vraie rom-com légère, très camp,
00:38:03très drôle, autour du VIH tout en n'étant pas aveugle à
00:38:09la violence que c'est d'être un homme gay au milieu des années 90 alors que
00:38:15on perd des amis par paquet à cause du VIH.
00:38:20Outre cette menace, cette peur de tomber malade et de mourir, et la mort est représentée dans ce film,
00:38:27il y a aussi une scène d'agression homophobe assez violente
00:38:31qui rappelle bien
00:38:33aux spectateurs et à la spectatrice
00:38:36qu'il n'est pas
00:38:38possible pour des hommes gays à ce moment-là de se payer le luxe, de ne pas penser au monde extérieur
00:38:45et de s'enfermer dans une bulle rose d'amour
00:38:48où rien ne se passe.
00:38:50Alors avec Go Fesh, avec Jeffrey, je pense qu'on commence déjà à toucher du doigt certaines des particularités
00:38:56de la rom-com queer, de ce que ça change
00:38:59d'avoir des rom-coms qui sont centrés sur des minorités. On a une mise en avant de la communauté, des pratiques culturelles qui lui sont propres,
00:39:08au contraire d'une vision un peu
00:39:10universaliste du monde dans la comédie romantique classique. On a un propos politique sur l'expérience de la marge,
00:39:17on a aussi des expérimentations dans la forme
00:39:20comme si la queerness, l'identité queer des personnages déteignait sur la forme.
00:39:27Alors vous n'avez pas vraiment pu le voir ici mais Jeffrey c'est quand même un film qui est un peu
00:39:32fantasque dans sa mise en scène, il y a des choses un peu folles.
00:39:35Encore une fois je vous le conseille chaudement. Et puis un autre point qui est soulevé dans Jeffrey
00:39:42c'est la thématisation de la sexualité.
00:39:46Qui n'est pas vraiment le sujet de mon cours mais sur lequel il y aurait énormément de choses à dire, qui est une particularité qui est
00:39:52propre à la rom-com gay et aux rom-coms noirs
00:39:56dans lesquels la sexualité est beaucoup plus centrale que dans les rom-coms
00:40:01néo-traditionnels qui sont donc produites à partir des années 80 et 90.
00:40:05C'est un des points
00:40:07par lesquels la rom-com qui inclut des minorités diffère de la
00:40:14comédie romantique traditionnelle.
00:40:17Si la question vous intéresse je voudrais renvoyer au travail d'une universitaire qui s'appelle Karen Boudry
00:40:23qui s'intéresse à la manière dont les comédies romantiques noires
00:40:28détournent ou en tout cas dérogent au code de la rom-com. Elle montre par exemple qu'il y a très très rarement
00:40:35dans les comédies romantiques noires du mid-cute, donc ce moment un peu magique où le couple se rencontre un peu par hasard,
00:40:41il n'y a pas le grand romantic gesture, donc ce geste très romantique, le flash mob
00:40:48qu'on voit dans la rom-com,
00:40:51et qu'au contraire dans ces comédies romantiques noires, mais c'est vrai pour la rom-com gay aussi,
00:40:57on va insister davantage sur la sexualité et davantage sur la dimension comique, parfois les deux en même temps.
00:41:04Ces spécificités-là, je n'ai pas vraiment le temps de rentrer dans l'analyse mais elles sont
00:41:09évidemment liées à l'hyper-sexualisation
00:41:13qui va toucher et les corps
00:41:15racisés et les corps gays dans la culture populaire et la rom-com ne va pas faire exception
00:41:22évidemment à ces stéréotypes et à ces dynamiques-là.
00:41:28Alors,
00:41:29jusque-là, j'ai traité la question de la minorité LGBTQ+, et la question de la minorité ethnique à part l'une de l'autre,
00:41:36surtout par manque de temps, il y aurait beaucoup de choses à dire de la sensibilité queer des rom-coms noirs des années 90,
00:41:43mais évidemment il existe des rom-coms où le personnage est à la fois racisé et à la fois LGBTQ+.
00:41:51J'ai longtemps hésité
00:41:53entre vous monter The Watermelon Woman ou l'extrait que j'ai finalement choisi, mais il a été question de The Watermelon Woman dans
00:42:00d'autres cours et donc j'ai choisi de varier un peu. Je voudrais vous montrer un extrait d'un film
00:42:06qui s'inscrit dans une sorte de premier âge d'or de la rom-com
00:42:10LGBTQ+, au milieu des années 2000. Je pense à des films comme Imagine Me and You en 2005,
00:42:17Kissing Jessica Stein, La Tentation de Jessica en 2001, Touch of Pink en 2004.
00:42:24Le film que je voudrais vous montrer s'appelle Saving Face, il est réalisé par Alice Wu
00:42:29et c'est un film qui raconte l'histoire d'amour entre Will, qui est une petite fille d'immigrés chinois, et Vivianne,
00:42:36qui est une danseuse sino-américaine.
00:42:39Vivianne est ouvertement lesbienne.
00:42:41Will est dans le placard, notamment auprès de sa mère,
00:42:45qui est veuve et qui vient d'être mise à la porte par ses propres parents parce qu'elle est enceinte
00:42:50de quelqu'un dont on ne connaît pas l'identité.
00:42:53Dans la scène que je voudrais vous montrer, Vivianne a réussi à convaincre Will
00:42:58de l'inviter à dîner avec sa mère, quitte à ce qu'elle soit présentée comme sa meilleure amie.
00:43:03Juste une remarque sur le sous-titrage, on a eu un peu de mal à trouver un extrait qui soit sous-titré.
00:43:10Donc, lorsque les personnages parlent en mandarin, c'est sous-titré en anglais,
00:43:16lorsqu'elles parlent en anglais, c'est sous-titré en français, c'est un peu contre-instinctif et je m'en excuse.
00:43:20On regarde tout de suite l'extrait de Saving Face.
00:43:33Oui, c'est très bien, maman.
00:43:40Tu travailles où?
00:43:43Vivianne est danseuse.
00:43:46Danseuse?
00:43:48Non, je danse au ballet de New York City.
00:43:56Oh, du ballet.
00:43:57Oh, du ballet.
00:44:09Modern.
00:44:15Expressive.
00:44:19Oh, c'est du ballet.
00:44:27Et ton bébé, il va bien?
00:44:36Mon bébé va bien, c'est juste qu'il est trop occupé pour travailler et je ne peux pas le voir.
00:44:43C'est ton bébé.
00:44:58Tu as un copain?
00:45:05Non.
00:45:07Tu es si belle, il y a sûrement beaucoup de gens qui te cherchent.
00:45:14Chloé a un copain qui est enceinte.
00:45:17Il passe tout le temps ici.
00:45:20Tu n'es pas intéressée?
00:45:22Non.
00:45:24Tu n'aimes pas les noirs?
00:45:26Tu n'aimes pas les noirs?
00:45:28J'aime les noirs.
00:45:29Elle n'aime pas les noirs?
00:45:30Non, elle aime les noirs.
00:45:31Alors pourquoi n'est-elle pas dans ce groupe?
00:45:33C'est une barbe.
00:45:41Ici, les codes de la rom-com sont remplis.
00:45:44On a une histoire d'amour impossible.
00:45:47Je vous spoil, on a un happy end à la fin.
00:45:50On a cette dimension comique et légère qui est apportée par la panique de Will dans son bol de nouilles,
00:45:56par cette forme de déni dans lequel sont les personnages avec l'équipe roco.
00:46:02Il y a pour autant quand même aussi ici un renouvellement de l'obstacle
00:46:07qui est encore une fois un élément très important de la rom-com
00:46:10avec cet outil narratif du coming out,
00:46:13et là c'est un peu ma passion puisque c'est mon sujet de thèse,
00:46:17qui constitue un obstacle vraiment tout trouvé et parfait à l'histoire amoureuse.
00:46:24La mise en scène vient travailler cette impossibilité de l'histoire d'amour
00:46:29avec ce plan final en surcadrage
00:46:32qui montre l'enfermement des personnages dans des normes,
00:46:37ici des normes hétérosexuelles et des normes culturelles,
00:46:40qui montrent le piège finalement dans lequel elles sont toutes prises et toutes aussi complices.
00:46:45La question du coming out est complexifiée ici par l'appartenance ethnique des personnages.
00:46:52Ce qui m'intéresse c'est notamment cette alternance du dialogue entre le mandarin et l'anglais.
00:46:59On remarque que c'est Vivian qui passe le plus souvent à l'anglais,
00:47:04donc le personnage qui est ouvertement lesbien, même si la mère ne le sait pas,
00:47:09qui passe le plus souvent à l'anglais,
00:47:11notamment dès qu'il est question de lâcher prise de modernité,
00:47:15comme si ces mots-là lui venaient plus naturellement en anglais.
00:47:19La question de la langue vient reproduire la dichotomie entre tradition et modernité.
00:47:28Elle est rejouée dans le dialogue autour de la danse classique et de la danse moderne.
00:47:33Puis elle est en fait une métaphore de la dichotomie entre l'hétérosexualité,
00:47:39l'injonction à l'hétérosexualité et l'homosexualité.
00:47:43Vivian très visiblement est plus du côté de la fluidité, de la modernité.
00:47:48Le fait qu'elle utilise autant l'anglais, ça pourrait être lu a priori de manière un peu binaire,
00:47:54comme un propos homonationaliste qui voudrait que les Blancs soient plus tolérants
00:47:59et la communauté chinoise moins tolérante sur les questions d'homosexualité.
00:48:04Pour autant, cette séparation entre tradition et modernité,
00:48:09elle vient être complexifiée par le secret de la mère,
00:48:13qui est à la fois garante de la tradition, mais aussi enceinte hors mariage,
00:48:19veuve en plus, qui a un peu brisé les codes de sa communauté et de la tradition.
00:48:29Et en fait, à la fin du film, et je vous spoil encore, je m'en excuse,
00:48:33on va réaliser que la communauté sino-américaine, surtout chinoise,
00:48:38qui entoure la mère et la fille sont beaucoup plus tolérantes que ce qu'elles avaient imaginé.
00:48:43En fait, la question centrale de Saving Face, c'est l'incompréhension entre la mère et la fille
00:48:50et aussi ce qui les unit, ce qu'elles perçoivent comme étant le poids de la tradition
00:48:56et qui est moins prégnant que ce qu'on s'imaginait.
00:49:00Pour moi, il y a une réflexion qui est développée dans le film
00:49:04sur ce qu'on s'imagine de tolérance et d'intolérance des communautés
00:49:08et qui le traite de manière assez subtile ici.
00:49:12Donc, avec Saving Face, on est dans un film qui reste quand même assez niche,
00:49:16sans être non plus dans du très indépendant comme Go Fish.
00:49:21Mais dans les années 2000, les studios vont commencer à comprendre
00:49:25que ça pourrait être intéressant d'inclure des minorités dans leurs films
00:49:29pour des raisons économiques et commerciales.
00:49:31Donc, on va sortir du cycle des rom-coms noirs
00:49:34et entrer dans un cycle où on va produire des comédies romantiques
00:49:40qui sont, on pourrait dire, inclusives ou diverses,
00:49:43qui vont être susceptibles d'attirer un public assez vaste.
00:49:48Les deux grands acteurs racisés qui émergent dans la rom-com à ce moment-là,
00:49:52c'est Will Smith et Jennifer Lopez qui jouent dans un nombre incalculable de rom-coms
00:49:58qui ont tous les deux un énorme star power, une présence, une personnalité de star,
00:50:04une image de star très large et donc sont susceptibles d'attirer les publics en salle.
00:50:09Alors, on pourrait voir dans cette évolution un nouveau signe
00:50:14d'une évolution des mentalités vers le post-racial que j'évoquais un peu plus tôt,
00:50:19mais il ne faut pas vraiment s'y leurrer.
00:50:22Je voudrais renvoyer ici aux travaux d'une chercheuse qui s'appelle Betty Kaklamanidou
00:50:27qui a beaucoup travaillé sur les rom-coms des années 2000
00:50:30et qui rappelle que déjà ces rom-coms avec des personnages racisés,
00:50:35même si elles sont très populaires, elles restent des exceptions.
00:50:38Dans la grande majorité à ce moment-là, les personnages racisés sont des personnages secondaires
00:50:43et surtout l'argument qu'elle avance c'est que ces rom-coms vont avoir recours
00:50:49à des stars qui sont si célèbres que leur célébrité va gommer leur appartenance ethnique
00:50:54qui va de toute façon aussi être minimisée dans la diégèse
00:50:59de manière à ce que finalement le public presque oublie
00:51:03que Jennifer Lopez ou que Will Smith ne sont pas blancs.
00:51:06Donc on ne va pas du tout mettre l'emphase sur leur identité ethnique
00:51:10mais au contraire la gommer.
00:51:12Alors pour autant, cette inclusion de minorités racisées dans la rom-com
00:51:18va poser de nouveaux problèmes en termes de représentation.
00:51:22Je vous propose qu'on regarde tout de suite ensemble un extrait de Itch
00:51:27avec Will Smith en 2005.
00:51:58Je n'ai pas écrit depuis des mois.
00:52:03En ce qui me concerne, je vais aller voir si quelqu'un d'intéressant est arrivé ce soir.
00:52:08Oh, tu veux dire en plus de moi.
00:52:12Je vais aller chercher ces filles, je vais les amener ici.
00:52:14On va avoir une conversation comme des êtres humains.
00:52:17Puis tu vas rentrer à la maison et je vais les emmener à mon appartement.
00:52:21Ça a l'air amusant pour moi, mais tu sais, tu vas vouloir te mettre en ligne.
00:52:26Hey girl!
00:52:28Hey, how are you?
00:52:31Can I get a couple of Coronas over at the pool table please?
00:52:34Thanks.
00:52:35Excuse me.
00:52:38Excuse me.
00:52:39Lime wedges and a bottle of wine.
00:52:41Hey, asshole, I don't work here.
00:52:45Wow.
00:52:48I'm sorry.
00:52:50The paramedics are going to have to come to get my foot out of my mouth, sweetheart.
00:52:53Just don't let it happen again.
00:52:55I knew you didn't work here.
00:52:56You did.
00:52:58How else was I supposed to get you away from all those guys?
00:53:02Why would you want to do that?
00:53:25Le personnage principal est donc un homme noir.
00:53:28Mais en fait, quand on y regarde de plus près sur la construction de la scène et sur le film de manière générale,
00:53:33on se rend compte qu'il y a dans le film une ségrégation très stricte sur le plan ethnique des couples qui vont se former.
00:53:43Les hommes blancs vont courtiser des femmes blanches et les hommes noirs vont courtiser des femmes racisées.
00:53:49Et c'est valable dans cette scène et c'est valable dans la suite du film aussi.
00:53:53Vous avez peut-être remarqué la symétrie dans la construction des plans.
00:53:58On a Will Smith à droite et son ami blanc à gauche.
00:54:02On a ces deux femmes qu'ils vont courtiser.
00:54:04Une femme racisée à droite, une femme blanche à gauche.
00:54:07Eva Mendes à droite et son ami blanc à gauche.
00:54:11Et donc rien que dans l'organisation spatiale des plans, chaque plan est découpé de manière à séparer,
00:54:18identifier d'un côté les personnages blancs et de l'autre côté les personnages racisés.
00:54:23Will Smith pavane auprès de son ami et dit qu'il va ramener ces deux femmes qu'il va courtiser chez lui.
00:54:31Mais en réalité, une fois qu'il s'approche pour donner son numéro ou pour glisser un billet dans la main de ces deux femmes,
00:54:39il ne va glisser un billet que dans la main de la femme racisée.
00:54:44Et peut-être que vous avez remarqué, mais le gros plan fait que la femme blanche disparaît du plan.
00:54:49Elle n'est même plus dans l'espace du plan, dans le public qui pourrait être considéré comme une partenaire amoureuse.
00:54:59Sur le chemin, il croise Eva Mendes.
00:55:02Tous les adeptes de comédies romantiques auront bien reconnu ce type de chassé croisé.
00:55:07On comprend tout de suite que c'est avec ce personnage d'Eva Mendes qu'il va avoir une histoire.
00:55:14Et ça tombe assez bien, puisque Eva Mendes, qui a donc des origines cubaines, est une femme racisée,
00:55:20et qu'elle ne fait pas peser sur le film le risque de représenter l'un des grands tabous du cinéma hollywoodien,
00:55:27encore à ce jour, et qui est hérité du Code Haze, qui est le couple mixte.
00:55:32On se rappelle cette question de la messagination pendant le Code Haze.
00:55:36A fortiori, s'il s'agit d'un homme noir avec une femme blanche.
00:55:42La comédie romantique ne va pas faire exception à ce tabou de la représentation,
00:55:47mais ce que l'émergence des minorités dans la rom-com fait, c'est aussi poser problème.
00:55:53Notamment le problème de savoir comment représenter des tabous sociaux très forts,
00:55:58sans perdre la dimension légère, la dimension comique qui est propre à la rom-com.
00:56:06En faisant plus de recherches, je n'ai pu trouver, mais peut-être que j'en ai loupé,
00:56:11que deux comédies romantiques qui présentent un couple hétérosexuel mixte,
00:56:15et j'insiste très fort sur hétérosexuel, parce que c'est beaucoup plus commun dans les rom-coms LGBTQ+,
00:56:22de représenter des couples mixtes.
00:56:25Ces deux films, c'est The Big Sick, en 2017, et What's Love Got To Do With,
00:56:31et l'amour dans tout ça, en 2022, qui est aussi montré dans le cadre de ce cycle.
00:56:36Dans les deux cas, le personnage masculin de ces comédies romantiques est un personnage qui a des origines pakistanaises.
00:56:43Je pense aussi à la série Master of None, qui pour moi pourrait relever de la comédie romantique,
00:56:50qui a pour personnage, l'acteur qui incarne le personnage principal est Aziz Ansari, qui est d'origine indienne.
00:56:58Ces exceptions dans la représentation des couples mixtes s'expliquent assez bien,
00:57:04si on s'intéresse aux représentations culturelles autour des masculinités racisées.
00:57:10On a d'un côté la figure de l'homme noir qui a été associée historiquement, culturellement,
00:57:17à une forme d'hypersexualité, d'hypervirilité, qui va être perçue comme étant dangereuse,
00:57:23alors que de l'autre côté, les masculinités on va dire indiennes, et par là j'englobe les hommes des pays de l'Asie du Sud,
00:57:30donc l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh, sont souvent représentés dans la rom-com,
00:57:36mais dans les médias de manière générale, comme plus dociles, plus passifs, pas vraiment focalisés sur la force physique.
00:57:43Et c'est parce que leur masculinité est considérée comme moins menaçante
00:57:49qu'on peut se permettre de représenter des couples mixtes avec un homme indien et une femme blanche.
00:57:56Dans ces cas-là, il se produit à nouveau un renouvellement de l'obstacle qui empêche le couple d'être ensemble,
00:58:04et cette fois, un obstacle qui est ancré culturellement, puisque généralement,
00:58:09le problème qui se pose, c'est celui des incompatibilités, des différences culturelles
00:58:15entre les deux protagonistes qui vont venir retarder l'accomplissement de l'histoire d'amour.
00:58:21Cette question du couple mixte, elle est aussi au cœur du prochain extrait que je voudrais vous montrer,
00:58:27qui, pour changer un peu, est donc un extrait d'une série plutôt que d'un film.
00:58:32On évoque assez souvent cette piste de la série comme un lieu où la rom-com va venir se réinventer.
00:58:40Il y a effectivement des propositions intéressantes en termes d'inclusion des minorités dans la rom-com sérielle.
00:58:47Je pense notamment à High Fidelity en 2020, qui est une réadaptation sérielle d'un film de 2000 avec John Cusack,
00:58:56où le héros blanc hétérosexuel est remplacé par une héroïne racisée bisexuelle qui est jouée par Zoe Kravitz.
00:59:03Et je pense aussi plus récemment à une série qui s'appelle Love Life, dont la deuxième saison se concentre sur le personnage de Marcus Watkins,
00:59:12qui est un homme noir marié à une femme blanche, on revient à ma question du couple mixte,
00:59:17et dont on va comprendre dès le premier épisode qu'il est un peu le noir inoffensif,
00:59:25qu'il est un peu, en anglais, on dirait le « token »,
00:59:28donc vraiment quelqu'un qui, encore une fois, est dans la veine de ce meilleur ami noir, de ce meilleur ami gay finalement,
00:59:35qui passe bien dans une entreprise de blancs, c'est le seul noir dans son entreprise là où il travaille,
00:59:42qui passe bien dans un groupe d'amis qui sont tous blancs.
00:59:45Et dans le premier épisode, il va faire la rencontre de Mia, et je vous montre tout de suite la scène de séduction entre ces deux personnages.
01:00:16C'est ce que je pensais.
01:00:32C'est vraiment romantique.
01:00:45J'ai toujours peur de me faire chier avec eux.
01:00:53Tu te ferais chier avec moi ?
01:00:59Je vais te faire chier.
01:01:08C'est une habitude.
01:01:10Alors la scène se passe, vous l'avez vu, dans un musée, au mur blanc, au sol blanc, devant un Monet,
01:01:17qui est un peintre canonique du canon blanc.
01:01:20Si on avait eu un Basquiat, on n'aurait pas eu le même effet dans cette scène.
01:01:24On a deux personnages, donc africains-américains, dont on voit qu'ils s'insèrent très aisément dans ces codes blancs,
01:01:31qu'ils les maîtrisent à la perfection.
01:01:33Et la question que pose Mia à Marcus, je la trouve intéressante parce qu'elle interroge jusqu'à quel point Marcus a assimilé les codes de la culture dominante,
01:01:46les codes de la culture blanche, qui va donc jusque dans ses choix de partenaires amoureux, sexuels.
01:01:52Elle met le doigt cette question sur une forme de racisme internalisé ou intériorisé,
01:01:58qui vient disqualifier les femmes noires du champ des possibles amoureux, même pour des hommes noirs.
01:02:05Et ce qui m'intéresse dans cette scène, c'est que l'identité ethnique des personnages vient jouer dans la relation amoureuse,
01:02:12elle vient jouer dans la séduction entre les deux personnages.
01:02:16Ce n'est pas quelque chose qui est traité de manière extrêmement didactique,
01:02:19on n'arrive pas avec des gros sabots en disant ça c'est bien, ça c'est pas bien.
01:02:23Mais je trouve que c'est une scène qui invite assez subtilement les spectateurs, les spectatrices,
01:02:29à s'interroger avec les personnages sur les biais qui viennent influencer, influer sur nos préférences amoureuses et nos préférences sexuelles.
01:02:40Alors les extraits que j'ai choisi de vous montrer jusque là, parmi, je vous le disais, la centaine de rom-com avec des minorités qui existent,
01:02:48ils sont forcément le fruit de mes propres choix et de mes propres préférences.
01:02:52Il existe aussi, évidemment, une production de rom-com LGBTQ+, ou racisé, ou les deux,
01:02:59qui n'interroge pas spécialement les dynamiques de pouvoir dans les relations amoureuses,
01:03:04qui ne porte pas particulièrement de propos politiques,
01:03:07qui vont se fondre dans les codes de la comédie romantique classique.
01:03:12On regarde tout de suite un exemple avec une comédie romantique qui s'appelle, en français,
01:03:17« Que souffle la romance ? », un titre, ma foi, surprenant, single all the way, et qui date de 2021.
01:03:25On regarde tout de suite l'extrait.
01:03:43« I always have been, I just needed, it took a little, like, some help to kind of realize that. »
01:03:54« I don't understand. »
01:03:56« That wasn't clear ? »
01:03:57« I mean, when I said I was in love with you before, you said that you wanted to move back home and didn't include me in those plans.
01:04:03Then you invited me to go out with you and James, and I didn't really get I'm in love with you too from any of that. »
01:04:08« You said you wouldn't leave LA. »
01:04:10« I never said that. »
01:04:11« I said that I would miss you if you moved here. »
01:04:13« But that implies that you're not moving here. »
01:04:15« Well, you never asked. »
01:04:16« I know. I was scared. »
01:04:18« I was scared too. »
01:04:20Alors là, on est dans quelque chose de très stéréotypé, très premier degré.
01:04:25J'espère ne pas me faire d'ennemi en critiquant Single All The Way.
01:04:28On a une intégration complète des codes de la rom-com.
01:04:32C'est-à-dire qu'il y a une intégration complète des codes de la rom-com.
01:04:35C'est-à-dire qu'il y a une intégration complète des codes de la rom-com.
01:04:37C'est-à-dire qu'il y a une intégration complète des codes de la rom-com.
01:04:39C'est-à-dire qu'il y a une intégration complète des codes de la rom-com.
01:04:41C'est-à-dire qu'il y a une intégration complète des codes de la rom-com.
01:04:43On est sur du très léger, on a la musique, on a la déclaration d'amour,
01:04:47on a la neige qui tombe dehors.
01:04:49On est sur du très léger, on a la musique, on a la déclaration d'amour,
01:04:53on a la neige qui tombe dehors.
01:04:55Là, je ne vous montre qu'une seule scène,
01:04:57mais en fait, on est typiquement dans un film
01:04:59dans lequel ni l'identité noire d'un des deux protagonistes,
01:05:02ni leur homosexualité n'est jamais abordée.
01:05:06C'est jamais une question, comme si ça n'avait jamais eu d'incidence.
01:05:09Encore une fois, c'est un film qui n'a jamais été abordé.
01:05:12Encore une fois, sur leur vie, sur leur relation amoureuse.
01:05:15Pour moi, Single All The Way, c'est une rom-com hétéro
01:05:19à laquelle, au dernier moment, on s'est dit
01:05:21si on mettait un noir et un gay dedans.
01:05:24Voilà, pardon, c'est à charge.
01:05:27En fait, j'ai choisi ce film-là
01:05:30parce que c'est un film qui est assez emblématique
01:05:33de l'avènement de ce que j'appellerais
01:05:35les rom-coms de Noël nulles, mais version LGBTQ.
01:05:40Je pense aussi, et je suis désolée de la jeter sur le bus,
01:05:43au film Ma Belle Famille, Noël et Moi, Happiest Season
01:05:47avec Kirsten Stewart, qui est sorti en 2020,
01:05:50qui s'intègre dans ce même sous-genre que j'invente.
01:05:57Cette remarque que je fais, cette critique que je fais,
01:05:59elle est volontairement provocatrice,
01:06:01mais je la fais parce qu'elle est liée à un questionnement
01:06:04qui revient beaucoup quand on travaille sur les minorités
01:06:07dans les médias et dans les représentations,
01:06:09qui est la question de la bonne représentation.
01:06:12Et en réalité, personne ne se pose jamais la question
01:06:15de ce que serait une bonne représentation blanche.
01:06:18C'est un impensé.
01:06:20On se pose peu, encore, que c'est en train de changer, je pense,
01:06:23la question de ce que serait une bonne représentation hétérosexuelle.
01:06:27Et ça n'est pas mon objet de délimiter
01:06:31ce qui est une bonne rom-com queer,
01:06:33une bonne rom-com avec des personnages racisés.
01:06:36Ma posture personnelle étant que,
01:06:38puisque les publics blancs hétérosexuels
01:06:41ont plein de rom-coms nuls de Noël,
01:06:44je ne vois pas pourquoi nous non plus,
01:06:46nous n'aurions pas le droit d'avoir des rom-coms nuls de Noël.
01:06:49Mais c'est important, je pense, de souligner
01:06:52que c'est une question à laquelle se confronte
01:06:54toute personne qui travaille sur des productions médiatiques
01:06:58avec des minorités, et je pense,
01:07:00toute personne qui cherche à produire de nouveaux récits,
01:07:03qui cherche peut-être à réaliser, écrire une comédie romantique
01:07:07avec des personnages gays, avec des personnages racisés.
01:07:11Le prochain extrait que je voudrais vous montrer,
01:07:13il pose cette question très frontalement
01:07:16dans les trois premières minutes de La Diégèse.
01:07:18On regarde ensemble un extrait de Browse,
01:07:20qui est réalisé en 2022.
01:07:33Un extrait de Browse.
01:08:03Un extrait de Browse.
01:08:33Alors, on a là un aspect très métatextuel, très autoréflexif.
01:08:54C'est donc un homme qui vient vilipender les comédies romantiques
01:08:58dans une comédie romantique,
01:09:00qui vient interroger les codes de la comédie romantique
01:09:03dans la comédie romantique.
01:09:05C'est généralement quelque chose, cet aspect métatextuel,
01:09:08dont on va retirer beaucoup de plaisir
01:09:10en tant que spectateur et spectatrice.
01:09:12Mais au-delà du côté humoristique de l'extrait,
01:09:15la séquence pose quand même deux questions
01:09:18que je trouve légitimes.
01:09:20La première, est-ce qu'il est possible, voire souhaitable,
01:09:24de représenter une histoire d'amour gay
01:09:26comme si c'était n'importe quelle autre histoire d'amour ?
01:09:29Ce qui, pour moi, est généralisable à d'autres minorités,
01:09:34avec cette réplique de « Love is love is love,
01:09:37no it's not, that's bullshit ».
01:09:39L'amour, c'est l'amour n'importe quoi, pour ne pas jurer.
01:09:44Et en fait, le personnage insiste sur la distinction,
01:09:48sur le fait qu'une histoire d'amour homosexuel
01:09:51n'est pas une histoire d'amour hétérosexuel
01:09:53et qu'elle ne peut pas être représentée de la même manière.
01:09:56Et puis la deuxième question, c'est la question des publics,
01:09:59des comédies romantiques minoritaires,
01:10:02c'est-à-dire, encore une fois,
01:10:04celle de qui va regarder des rom-coms avec des minorités,
01:10:08sinon les minorités elles-mêmes.
01:10:10Rappelez-vous que, je l'ai dit,
01:10:13les comédies romantiques africaines, américaines,
01:10:16sont très méconnues du public blanc.
01:10:20Ici, le studio voudrait un petit film
01:10:24qui pourrait plaire à un petit couple hétéro.
01:10:27Et on peut se poser la question de ce que ça veut dire,
01:10:30en termes de narration,
01:10:32de produire un film gay pour un regard,
01:10:36pour utiliser un terme qu'on utilise beaucoup en ce moment,
01:10:39pour un regard hétérosexuel.
01:10:41Alors, un film comme Que souffle la romance,
01:10:45c'est typiquement, à mon sens,
01:10:47la petite rom-com gay qui peut plaire au public hétéro.
01:10:51D'ailleurs, Browse va se moquer tout le long de la diégèse
01:10:55de ce type de film-là.
01:10:57Il propose des fausses pubs et des fausses bandes-annonces
01:11:00pour des comédies romantiques de Noël fictives
01:11:04qui s'intitulent Holy Polly Christmas,
01:11:06donc une rom-com polyamoureuse.
01:11:08Christmas with Either, une rom-com bisexuelle.
01:11:12En fait, Browse prend de la distance,
01:11:15se moque, prend de la distance
01:11:17avec ce type de comédies romantiques.
01:11:19Et il fait quelque chose d'assez intéressant, ce film,
01:11:22c'est que pour moi, il propose dans le mainstream,
01:11:25parce que c'est une comédie romantique mainstream
01:11:27qui a été montrée, qui a été longtemps sur Netflix d'ailleurs,
01:11:30une autre option que celle de l'assimilation.
01:11:34Ici, plutôt que de chercher à plaire à des spectateurs,
01:11:37des spectatrices hétérosexuels,
01:11:39c'est une rom-com qui s'adresse directement
01:11:42à un public d'initié ou de concerné.
01:11:46Il faut en être, ou du moins être très informé
01:11:50de la culture queer pour comprendre
01:11:52toutes les blagues qui vont se faire pendant ce film.
01:11:57Je voudrais finir sur un très bon exemple,
01:12:01à mon avis, de ce qui peut se faire dans la rom-com mainstream
01:12:05avec des personnages issus des minorités
01:12:07de manière peut-être un peu moins critique
01:12:10et autoréflexive que Browse.
01:12:12C'est un film qui constitue pour moi
01:12:15un entre-deux intéressant entre la rom-com néo-traditionnelle
01:12:20qui propose un moment d'évasion dans un monde un peu magique
01:12:24où on va s'extraire des affaires courantes du monde réel
01:12:29et donc un entre-deux entre ce côté-là
01:12:32et la tradition de la rom-com minoritaire
01:12:35qui va déployer un propos politique
01:12:37sur ce que ça veut dire de tomber amoureux
01:12:39quand on est racisé, quand on est queer
01:12:41ou quand on est les deux.
01:12:43L'extrait que je vais vous montrer,
01:12:45il vient d'un film qui s'appelle Fire Island
01:12:47qui est une réécriture queer d'Orgueil et Préjugé
01:12:50de Jane Austen.
01:12:52Les sœurs Bennet sont remplacées par un groupe d'amis gays
01:12:55qui se rendent tous les ans sur l'île de Fire Island
01:12:58qui est une vraie île qui se situe dans l'état de New York
01:13:02et qui est une destination très prisée des communautés LGBTQ+.
01:13:07On regarde tout de suite une partie de la scène d'ouverture.
01:13:10On s'est tous rencontrés il y a presque dix ans
01:13:12en travaillant dans le même spot de brunch curé à Williamsburg.
01:13:15Des mimosas sans fond, les filles !
01:13:19À l'époque, on était des queers brûlés,
01:13:21qui subissaient des lois d'études prédatoires
01:13:23et des conseils de brunch.
01:13:25C'est Luke et Keegan.
01:13:28Ils se sont rencontrés à l'école de théâtre.
01:13:30Ils se sont éventuellement séparés du programme
01:13:32mais ils sont toujours convaincus de leurs stars.
01:13:35C'est Max.
01:13:37Pouvez-vous être plus calme ?
01:13:39Super smart mais il peut être un peu...
01:13:41...témoin.
01:13:42Il dit qu'il ne vient pas sur cette voyage pour se mettre à l'aise
01:13:45mais il se met à la mouche comme les autres.
01:13:49Et puis il y a Howie.
01:13:51Le meilleur de nous sur presque tous les niveaux.
01:13:53Il m'a déchiré il y a quelques années
01:13:55pour un travail de startup à San Francisco
01:13:57mais il revient toujours chaque année pour cette voyage.
01:14:00Arvon va un peu plus loin que les autres
01:14:03pour des raisons spirituelles complexes et...
01:14:06...bien...
01:14:07Jackie Chan, tu as un refil ici ?
01:14:11Toutes les obvies aussi.
01:14:17C'est l'heure.
01:14:20Beaucoup de gens sur Twitter pensent que la positivité du corps est trop élevée.
01:14:24Pourquoi vous conformez aux normes toxiques de la communauté ?
01:14:28Je suis toujours invisible à la plupart des gens.
01:14:30Ça ne me fait rien.
01:14:32Pas de fast, pas de femme, pas d'Asie, pas du tout.
01:14:34Tu es encore 2 des 3.
01:14:36En fait, oui, mais pas du tout.
01:14:38Dans notre communauté, l'argent n'est pas la seule forme de monnaie.
01:14:41La race, la masculinité, les jambes...
01:14:45Juste quelques métriques que nous utilisons pour nous séparer en classes supérieures et basses.
01:14:49Bien sûr, je m'en fous de tout ça, mais...
01:14:52Qu'est-ce que je peux dire ? Je suis un traiteur de classe.
01:14:55Et c'est pourquoi les gens straights nous hantent.
01:14:58Je veux dire, la réceptivité, la pathologie judéo-chrétienne, l'anal...
01:15:03Peu importe ce qu'ils pensent, on ne va pas le voir pendant une semaine.
01:15:34L'île de Fire Island, c'est ce qu'on appelle...
01:15:37Je vais lâcher un grand mot.
01:15:39Une hétérotopie.
01:15:40C'est un concept que j'emprunte à Michel Foucault.
01:15:43Le concept de l'hétérotopie n'a rien à voir avec hétérosexualité, homosexualité.
01:15:49L'hétérotopie, c'est le lieu réel de l'utopie.
01:15:52C'est-à-dire que l'hétérotopie n'a rien à voir avec l'hétérosexualité.
01:15:56C'est-à-dire que l'hétérotopie n'a rien à voir avec l'hétérosexualité.
01:16:00L'hétérotopie, c'est le lieu réel de l'utopie.
01:16:03C'est le lieu où on peut faire advenir des idées utopiques.
01:16:07C'est un espace un peu magique où les règles du monde réel, du monde social,
01:16:14n'ont pas de prise, dans lesquelles on peut s'abstraire des règles du monde.
01:16:19Ici, on a cette idée qui est exprimée dans cette réplique.
01:16:24« Who cares about the straights, we're not going to see them for like a fucking week. »
01:16:28Rien à foutre des hétéros, on ne va pas les voir pendant une semaine.
01:16:32Avec ces plans sur cette île complètement paradisiaque,
01:16:36la bande originale est une reprise d'une chanson de Charlie et la chocolaterie,
01:16:42avec des paroles qui disent « si tu veux savoir ce que c'est que le paradis, viens avec moi,
01:16:49regarde autour de toi et tu le verras. »
01:16:51Cette idée d'un endroit un peu magique, où les règles ne sont pas les mêmes que dans le monde.
01:17:00Pour moi, le film « Fire Island » est une hétérotopie,
01:17:06puisqu'à partir de cette scène-là, on n'entendra plus parler d'hétérosexualité pendant deux heures.
01:17:12C'est donc un film qui permet une forme d'évasion, comme la rom-com traditionnelle le fait.
01:17:19Ici, une évasion de l'hétérosexualité.
01:17:23C'est un film qui, pour autant, évoque, dès la scène d'ouverture,
01:17:28des dynamiques de pouvoir qui existent au sein de la société,
01:17:32dont, encore une fois, il n'est pas possible pour des populations gays de s'abstraire,
01:17:38ou en tout cas de les oublier.
01:17:40Il y a un propos politique qui est développé avec humour, mais qui est quand même présent.
01:17:45On aborde notamment le racisme anti-asiatique,
01:17:48avec cette scène sur les clients du restaurant qui appellent les deux serveurs qui sont asiatiques, Jackie Chan.
01:17:57Et puis, un commentaire sur l'homophobie.
01:18:01On nous dit quand même, dans le dialogue, que les hétéros détestent les gays.
01:18:06C'est pour ça que les hétéros nous détestent.
01:18:08Et un commentaire qui est fait en réponse par le personnage de Howie,
01:18:13qui dit, oui c'est pour ça, mais c'est aussi à cause de l'hétéronormativité.
01:18:18Moi, je trouve ça assez extraordinaire d'avoir le mot hétéronormativité dans une comédie romantique,
01:18:23mainstream.
01:18:24Je pense que c'est assez fort d'avoir réussi à le faire passer,
01:18:28et potentiellement à faire découvrir à des gens ce concept-là.
01:18:32C'est un film qui met aussi en lumière des hiérarchies intracommunautaires,
01:18:39avec cette réplique de pas d'asiatiques, pas de gros, pas d'efféminés,
01:18:44qui va montrer que même au sein des communautés gays,
01:18:49certains hommes vont être invisibilisés, exclus du marché sexuel.
01:18:54Et puis, cette réplique, cette autre réplique sur le fait qu'il y a des upper class, lower class,
01:19:02il y a des classes sociales, il y a des hiérarchies au sein de la communauté gay,
01:19:07même dans un espace qui est marqué par l'utopie, l'évasion,
01:19:12il y a encore des dynamiques de pouvoir qui opèrent,
01:19:15qui vont peser plus sur certains corps, sur certains individus que sur d'autres.
01:19:20En guise de conclusion, j'ai un tout petit peu dépassé, mais il me reste deux minutes.
01:19:24Dans certains cas, la rom-com va absorber la spécificité minoritaire,
01:19:31va un peu vider la spécificité minoritaire de sa substance,
01:19:34comme si, encore une fois, l'appartenance ethnique, l'appartenance sexuelle,
01:19:38ne posait pas question. C'est le cas de Single All The Way,
01:19:41mais c'est le cas de plein d'autres comédies romantiques avec des personnages issus de minorités
01:19:46qui sont, encore une fois, écrits comme s'ils étaient blancs et hétérosexuels.
01:19:50Et certaines personnes défendraient, et ce serait valide, l'idée que c'est une bonne chose.
01:19:57C'est un grand débat, en fait, que cette question de la représentation.
01:20:02Mais en tout cas, pour la question qui nous occupe aujourd'hui,
01:20:06qui est celle de qu'est-ce que la minorité fait à la rom-com,
01:20:10cette modalité d'inclusion de Single All The Way, que souffle la romance et des autres,
01:20:17cette modalité d'inclusion-là, elle ne fait rien à la rom-com.
01:20:21En fait, elle ne la modifie pas, elle n'en change pas les codes,
01:20:25elle les adapte juste, elle les adopte même,
01:20:29sur des couples racisés, sur des couples LGBTQ+, de manière indifférenciée.
01:20:35Pour autant, je ne fais pas partie des cyniques ou de ceux qui pensent qu'il faut
01:20:41tout simplement abandonner tout espoir de voir un propos intéressant dans les productions mainstream
01:20:47qui recommande de se tourner vers des productions alternatives, vers du cinéma indépendant.
01:20:53C'est vrai qu'il y a des propositions intéressantes dans le cinéma indépendant,
01:20:57mais pour moi, on perd ce qui est l'âme de la comédie romantique,
01:21:01qui est un genre populaire, qui appartient à la culture populaire, à la culture de masse,
01:21:06selon le terme qu'on a envie d'utiliser.
01:21:09La comédie romantique, c'est un genre qui est par essence consommé par des publics très vastes,
01:21:15et ça me semble essentiel de continuer à se poser des questions sur les propos qu'elle porte,
01:21:22sur les biais aussi qu'elle comporte encore.
01:21:26Je voulais montrer dans ce cours qu'il y avait des choses à dire, des productions mainstream aussi,
01:21:31sans en idéaliser les contenus, et je voulais montrer que si certaines productions
01:21:37effectivement présentent un peu des coquilles vides,
01:21:40d'autres viennent vraiment interroger le genre de l'art homecom, interroger ses codes,
01:21:45la forcer à se modifier, à renouveler ses obstacles, à se revivifier,
01:21:52à se confronter aussi à ses lacunes, à ses absences,
01:21:56et dans ces cas-là, ce que les minorités font à la romcom,
01:22:00c'est qu'elle la force à s'ancrer dans le monde réel,
01:22:03elle la force à s'ancrer dans le monde social, dans un propos politique,
01:22:07à interroger les normes, les codes qui viennent régir nos relations amoureuses,
01:22:12nos relations amicales aussi, puisque dans la romcom minoritaire,
01:22:17il est beaucoup question de communauté, et qui viennent aussi interroger
01:22:21notre rapport à l'altérité, à un moment où je pense qu'on en a particulièrement besoin.
01:22:26Je vous remercie de votre attention, et je pense qu'on a une dizaine de minutes,
01:22:32une quinzaine de minutes pour les questions éventuelles que vous auriez pour moi.