• l’année dernière
Transcription
00:00Bonjour à toutes et à tous, et bien je suis très contente de vous présenter un des livres
00:08de la rentrée d'hiver d'Alva, Boa, d'Anne-Sophie Jacques, qui est là, c'est un premier roman,
00:15mais ce ne sont pas ses premiers pas dans l'écriture puisque Anne-Sophie a longtemps
00:20été journaliste avant de se consacrer à l'image et d'être responsable d'un festival
00:28de très courts métrages, et puis depuis quelques mois, complètement dédiée, corps et âme,
00:36à l'écriture, ce qui nous vaut d'avoir reçu ce très très beau manuscrit, Boa, dont je
00:44vous montre le livre. Alors Boa, c'est un texte comme une petite capsule dans le temps
00:53qui nous emmène, qui nous évade. On se trouve dans une société de deux mains, et toutes les crises
01:01d'aujourd'hui sont parvenues à leur paroxysme absolu. L'environnement est une catastrophe,
01:06les crises sociales se sont accentuées, et la guerre des sexes bat toujours son plein. On y
01:16rencontre dans cette société la jeune Léo, qui, on le comprend assez vite, a opté pour
01:23une décroissance choisie. Elle est ce qu'on appelle une volontaire, T E 2 R E. Elle fait
01:31partie de ces urbains qui, au moment des grandes crises, se sont portés volontaires pour travailler
01:38dans des fermes et permettre de nourrir le monde. Elle est assez contente de sa vie. On comprend,
01:45au fil du livre, qu'elle a vécu tous les sous-bresseaux de la société. Sa mère quittait
01:52le foyer en même temps que des milliers d'autres femmes pour s'échapper des contraintes domestiques.
01:59Elle a un peu galéré pour le boulot, un peu galéré pour tout un tas de choses, mais là,
02:06elle est assez heureuse. Elle a un gros manque, cette Léo, c'est qu'elle aime nager, et il n'y a
02:11plus d'eau. Alors, au début du livre, quand on la rencontre, elle vient d'apprendre, elle a appris
02:16il y a peu de temps, que de l'eau avait été libérée dans la rivière et que le lit de la rivière était
02:24de nouveau rempli grâce à un barrage qui s'est ouvert. Et donc, avec l'aide de ses camarades
02:30de travaux agricoles, elle s'échappe de la ferme quelques heures pour aller nager. Elle emprunte
02:39un vieux taco qui reste là, le seul véhicule qui reste dans cette ferme, et puis elle s'échappe.
02:47Elle a droit à quelques heures de nage magnifiques, des très belles pages de ce livre, mais voilà,
02:54le bonheur a un prix, bien sûr. Donc, quand elle reprend le chemin de la ferme à la nuit tombée,
03:00le fameux taco ne résiste pas très longtemps et tombe en panne. Donc, on sent qu'il y a une vraie
03:07tension, que la répression s'est faite plus forte avec les crises accumulées dont j'ai parlé tout à
03:13l'heure, et qu'elle a un vrai moment de panique. Puis elle voit des phares apparaître loin. Elle
03:19se dit « ça y est, c'est bon, je vais finir par croupir en prison ». Sauf que, de cette voiture
03:25qui s'arrête près d'elle, sort un personnage assez étrange, une femme très mystérieuse. C'est Boa,
03:32qui donc donne son nom au livre. Et cette Boa, c'est une clandestine. Elle a opté pour une
03:39résistance beaucoup plus radicale au monde qui est devenu notre monde. Et elle va lui dire « écoute,
03:47je vais t'aider ». Et elles partent toutes les deux. Elles vont passer une nuit à échanger sur
03:53justement comment on peut vivre dans ce monde aujourd'hui, dans cet aujourd'hui de demain.
03:59Donc, quels sont les choix qui se présentent à nous ? C'est un livre de dialogues à la fois très
04:05drôle, très profond. Elles sont recluses dans un petit abri caché dans les montagnes. Le vivant,
04:13la nature est présent. C'est là. Et elles vont parler, parler, parler, et essayer de réparer
04:21ce fichu taco. Voilà, c'est vraiment un moment suspendu que cette lecture. Mais je vais laisser
04:27Anne-Sophie nous raconter, nous en dire un peu plus sur peut-être ce qui l'a amené à l'écrire,
04:33et ce qu'elle a voulu y mettre. Merci beaucoup, Juliette. Bonjour à toutes et à tous. Je suis
04:39vraiment ravie d'être ici ce matin. Alors, je ne sais pas vous, mais moi, j'ai plutôt tendance
04:45à un peu angoisser dès qu'on aborde les questions de réchauffement climatique, d'effondrement,
04:52d'extinction des espèces. Et je crois qu'il y a un mot qui me convient plutôt bien, qui est le
04:57mot « éco-anxiété ». Je pense qu'il a été fait pour moi. Je ne sais pas comment vous vous situez
05:01là-dedans. Et pourtant, je vous assure, je me protège, mais je me protège à fond. J'ai entamé
05:08une diète médiatique en 2020. On pourra en reparler de cette diète médiatique si vous voulez. Je ne
05:13suis plus du tout sur les réseaux sociaux. Je ne lis aucun journal. Vous voyez, ça ne m'arrive
05:18pas comme ça. La seule façon d'avoir les infos, c'est ma mère qui me les envoie sous forme de
05:24texto. Par exemple, « Est-ce que tu es au courant que Macron a décidé la dissolution de l'Assemblée ?
05:30Véridique », c'est elle qui me l'a appris. Et d'ailleurs, je dois vous dire que ces derniers
05:34temps, ces dernières semaines, ces textos ne commencent souvent pas. Je ne voudrais pas te
05:37plomber le moral, mais voilà. Donc, il y a cette forme d'angoisse. Je ne sais pas comment vous
05:44vivez avec, mais pour le coup, moi, elle ne me tétanise pas. J'ai plutôt entamé un dialogue
05:49avec elle en essayant de trouver des endroits de résilience, des endroits où on va l'épuiser
05:55dans la force. Et ça fait un moment, ça fait des années déjà que je sais que cet endroit-là,
06:01pour trouver cette force, c'est vraiment l'endroit, à mon avis, de la fiction ou des récits. Ou alors
06:07mieux encore, des contre-récits, c'est-à-dire des histoires qui vont nous permettre de raconter
06:12un monde dans lequel nous, on a envie de vivre, et pas forcément celui qu'on a un peu le sentiment
06:17de subir de temps en temps. Alors, une fois que je dis ça, vous allez me dire « D'où vient Léo ?
06:22D'où vient Boa ? » Eh bien, un jour, enfin plutôt une nuit, j'ai fait un rêve. J'ai rêvé d'une femme
06:32aux cheveux bleus avec un petit chien blanc. J'ai vraiment fait ce rêve. Je ne vous le raconte pas
06:36ici parce que vous le retrouverez dans le livre. Mais cette femme, femme puissante, m'a vraiment
06:42intriguée et j'ai décidé de partir à sa rencontre. Quelques mois plus tard, c'est dans une voiture,
06:49sur une route complètement déserte de la Drôme, qu'est née Léo, la deuxième protagoniste,
06:53celle qui a vraiment furieusement envie de nager. Et à partir de là, j'ai laissé les deux femmes
06:59dialoguer en moi. Et puis, elles sont venues, hop, toutes seules dans ce récit. Et de quoi parlent
07:05Boa et Léo finalement ? En fait, elles parlent de leur lutte et de leur façon de lutter, sans
07:12aucune hiérarchie entre elles. Et c'est ça en fait, je crois. C'est qu'il n'y a pas de hiérarchie dans
07:17les luttes. Toutes les luttes se valent et toutes les luttes se respectent. Et mieux encore,
07:23elles sont complémentaires. Et c'est ça qui se dit dans le dialogue entre Boa et Léo. Je vous
07:29dis ça aussi parce qu'en fait, la semaine dernière, j'ai discuté avec ma meilleure amie, qui est une
07:34militante féministe et qui est complètement déprimée. Elle me racontait que, notamment dans
07:43la communauté LGBTQI+, en ce moment, ça se tirait dans les pattes, ça tirait à boulet rouge. C'était
07:49vraiment la foire d'empoigne. Et que les règlements de comptes sur les réseaux sociaux s'enchaînaient
07:55à tout rompre. Et je l'écoutais et je comprends vraiment, ça déprime, ça démotivation même. Et
08:02en l'écoutant, je me suis dit, peut-être qu'on est à ce moment-là, on est au bord de la rupture en
08:07fait. Et d'ailleurs, à mon sens, l'élection de Trump, alors que ma mère m'a apprise aussi. Merci
08:15maman, je te remercie. Je pense que cette élection dit beaucoup du moment qu'on est en train de vivre
08:22là. Et je crois qu'il faut s'attendre, et là je vais plomber le moral comme ma mère, à une vague
08:28de fascisme, à une sorte de vague qui va nous déferler dessus. Et face à cette vague, la narration
08:35forte devient plus que jamais une technique de lutte. Alors ça, ce ne sont pas mes mots, je les
08:40ai empruntés à Alain Damasio, qu'il a écrit dans son livre La vallée du silicium. Et Alain considère
08:46que face à des hommes comme Elon Musk ou Bill Gates par exemple, qu'il appelle des mythocrates,
08:54c'est-à-dire des hommes qui vont imposer le mythe, qui vont imposer la légende, qui vont imposer leur
08:59histoire. Face à ces hommes, ces mythocrates, on peut essayer de trouver des mythopoètes, c'est-à-dire
09:06celles et ceux qui vont mettre des mythes dans les interstices du béton effondriste. C'est joli,
09:13c'est d'Alain Damasio. Et quand j'ai lu ce livre cet été, ça a vraiment fait résonance en moi,
09:19parce que pour lui, la mythopoésie, c'était vraiment une façon, enfin c'était un avenir
09:25politique. Il l'avançait comme un avenir politique. Et je crois, je suis même sûre,
09:30que Boas, que le livre, est exactement à cet endroit-là. Merci.

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