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Avec l’arrivée de l’hiver, il est fréquent de se méfier des microbes et des bactéries, de se laver les mains plus souvent, de fuir les gens qui toussent ou éternuent, de craindre de tomber malade ou de contaminer des proches fragiles. Mais il faut savoir qu’il existe de « bons microbes », de « bonnes bactéries »… Des germes qui peuvent aider agriculture, la dépollution des eaux et même renforcer notre système immunitaire. Alors, faut-il complètement changer de regard sur les microbes, les virus, les bactéries ? Comment expliquer la tendance des dernières décennies qui nous a tant appris à nous méfier d’eux ? Le Covid a-t-il aussi crée un traumatisme et un rejet encore plus fort ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :

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Transcription
00:00Ces microbes qui nous veulent du bien, un film surprenant de François Rousset.
00:05Et si nous avions diabolisé à tort le monde microbien,
00:09devons-nous vraiment réintroduire les microbes dans nos vies ?
00:12Pas mal d'idées reçues tombent avec ce documentaire.
00:15On va en parler avec nos invités.
00:16Bernard Jomier, bienvenue.
00:17Vous êtes sénateur socialiste de Paris,
00:19vice-président de la Commission des affaires sociales, médecin généraliste.
00:22Et pour rappel, vous étiez le co-rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale
00:26sur la gestion de la crise sanitaire au moment du Covid.
00:29Agnès Buzyn, bienvenue à vous également.
00:30Vous êtes médecin, professeur d'hématologie, docteur en immunologie,
00:34ministre de la Santé entre 2017 et 2020,
00:36ancienne présidente de l'Institut national du cancer,
00:39puis du Collège de la haute autorité de santé.
00:41Et actuellement, vous êtes conseillère maître à la Cour des comptes.
00:44Aude Bernheim, bienvenue à vous également.
00:46Microbiologiste spécialisée dans l'étude de l'immunité bactérienne.
00:50Vous avez fondé et vous dirigez le laboratoire
00:53« Diversité moléculaire des microbes » à l'Institut Pasteur.
00:56Et vous venez tout juste de recevoir le prix
00:59Irène Joliot-Curie, jeune femme scientifique.
01:01Félicitations à vous.
01:03Marie-Monique Robin, bienvenue.
01:05Vous êtes journaliste d'investigation, écrivaine, réalisatrice,
01:08lauréate du prix Albert Londres.
01:10Vous avez réalisé de très nombreux documentaires qui ont fait grand bruit,
01:13dont « Le monde selon Monsanto » et « La fabrique des pandémies ».
01:16Plus récemment, vous avez vous-même réalisé un documentaire
01:19sur les bienfaits des microbes diffusé sur Arte,
01:21intitulé « Vive les microbes »,
01:23comme le livre que vous avez publié aux éditions La Découverte,
01:25coédité avec Arte Éditions.
01:27Et je précise que le documentaire est en replay
01:30actuellement sur la plateforme d'Arte.
01:31Merci à tous les quatre d'être ici.
01:33Voilà donc un film qui nous fait un peu, et même beaucoup,
01:36revoir notre point de vue sur les microbes,
01:38en tout cas pour les non-scientifiques que je représente sur ce plateau.
01:41Tous les bienfaits des microbes qui sont décrits dans ce film,
01:46sont-ils réels, Aude Bernheim ?
01:48Est-ce que les microbes, finalement, seraient nos meilleurs amis ?
01:51Est-ce qu'on peut le dire comme ça ?
01:52Alors, personnellement, j'adore les microbes.
01:54Je suis peut-être un peu biaisée.
01:56Mais en tout cas, ce que je pense, c'est que pendant très longtemps,
01:59il y a une vision très négative des microbes,
02:01quand on s'est rendu compte qu'ils causaient énormément de maladies.
02:04Mais c'est vrai qu'en fait, dès 1908,
02:07il y a des premières études qui démontrent aussi
02:09qu'il y a des microbes dans les yaourts,
02:10par exemple Elie Metchnikoff qui démontre ça,
02:13qui sont très utiles pour nous.
02:14Mais c'est quand même passé un peu à côté avec ce lien avec les maladies.
02:18Et donc, c'est un peu une redécouverte aujourd'hui
02:20de toute la biodiversité microbienne
02:22et de tous les bienfaits que ça peut avoir.
02:24Donc, il y en a certains qui sont indiqués dans ce documentaire,
02:26mais évidemment, il y en a aussi plein d'autres
02:29qui ne sont même pas indiqués dans ce documentaire.
02:31Mais donc, en tout cas, ce que je pense,
02:33c'est qu'il faut en effet ne pas penser aux microbes
02:35que comme des causes de maladies.
02:36Ce qui est fou, parce que vous aussi, Marie-Monique Robin,
02:39quand vous réalisez ce documentaire
02:40et que vous écrivez ce livre, Vive les microbes,
02:43vous venez balayer des idées reçues sur les microbes.
02:45Ça veut dire que le grand public découvre quelque chose
02:47en regardant votre documentaire et celui-ci ?
02:49Ah oui, clairement.
02:50Moi, j'ai participé à beaucoup de projections,
02:52au débat de mon film, et les gens sont surpris.
02:54Eh oui !
02:55Moi, j'en rappelle quand même, parce que vous venez de Pasteur.
02:57Pasteur, on oublie souvent,
02:58bon, on connaît pour les vaccins contre la rage,
03:01mais pendant les trois quarts de sa vie,
03:02il a travaillé sur les bons microbes,
03:04sur les levures, sur les ferments, la fermentation.
03:07Donc voilà, on a une image vraiment très négative des microbes.
03:10Et moi-même, j'étais très surprise par cet énorme champ
03:14qu'ouvre la découverte du microbiote, notamment intestinal,
03:17avec toutes ces perspectives inouïes.
03:19On parle même d'une révolution scientifique.
03:21Et à quel point notre santé dépend véritablement
03:26des bactéries que nous avons dans notre corps.
03:27S'il y en a plein de bonnes,
03:29eh bien, il n'y a pas de place ou très peu de place pour les mauvaises.
03:32Voilà, on appelait ça l'effet dilution.
03:35Enfin, c'est-à-dire, ils sont opportunistes, les mauvais microbes,
03:37mais quand il n'y a pas assez de place pour eux,
03:39ben voilà, ils ne sont pas très embêtants.
03:41Voilà, c'est simplifié, mais c'est ça, quand même, l'idée.
03:43Et pour l'immunité, c'est extraordinaire, quoi,
03:46parce que dans l'enquête que j'ai menée auprès de scientifiques,
03:49parce que je ne suis que l'intermédiaire
03:50entre les scientifiques et le public,
03:52voilà, eh bien, on découvre que l'explosion
03:55des maladies d'origine inflammatoire,
03:58comme l'asthme et les allergies, qui, je rappelle,
04:00ne frappaient que moins de 5% de la population
04:02il y a 50 ans et aujourd'hui plus de 35%,
04:05c'est notamment l'hyperhygiénisme,
04:07l'absence de contact avec la nature,
04:09les animaux, les arbres, les plantes,
04:11trop d'antibiotiques aussi, on pourra peut-être en reparler,
04:14qui va faire que le microbiote de nos enfants est très pauvre
04:18et n'ont pas de quoi, vous voyez,
04:20s'entraîner, s'éduquer, entraîner ce système immunitaire
04:23et du coup, ils sont propices à des excès inflammatoires.
04:26On a tous été surpris, en tout cas le grand public non scientifique,
04:28vous, vous l'êtes, est-ce que vous avez été un tout petit peu surprise
04:31quand même, Agnès Buzyn, en découvrant les bienfaits des microbes ?
04:34Alors, certainement pas sur les bienfaits des microbes,
04:36parce qu'évidemment, ça fait maintenant
04:38pratiquement une vingtaine d'années qu'on a découvert
04:40ce qu'on appelle le microbiote, c'est-à-dire l'ensemble
04:43de la flore microbienne qui nous colonise,
04:46notamment dans le tube digestif,
04:48et dont on a découvert progressivement
04:50les vertus anti-inflammatoires et l'intérêt que ça pourrait avoir
04:54sur certaines maladies.
04:56Et donc, je ne suis pas surprise.
04:57Ce qui m'a surpris, par exemple, c'est de voir que certains microbes
05:01pouvaient produire de l'électricité, comme on l'a vu,
05:03et je voudrais peut-être insister là-dessus,
05:06parce qu'on a toujours une vision de la recherche
05:09très centrée sur les résultats et on parle de recherche appliquée.
05:13Or, ce qui est merveilleux dans la recherche,
05:16c'est qu'en réalité, les plus grandes découvertes au monde
05:18viennent de recherches plus fondamentales
05:20ou de secteurs qui n'ont rien à voir avec le résultat qu'on observe.
05:24Et donc, voilà, typiquement, on se rend compte
05:27que certains microbes peuvent produire de l'électricité
05:30et qu'on pourrait l'utiliser.
05:32Ça n'est pas quelque chose qui avait été envisagé
05:35quand on cherche à travailler sur les batteries
05:37ou sur d'autres sources électriques.
05:39Donc, il faut garder à l'esprit que la recherche nécessite
05:43d'avoir une vue très, très, très ouverte sur l'étendue des possibles
05:48et qu'on est toujours surpris par la recherche fondamentale.
05:51Bernard Jomier, pourquoi avons-nous à ce point diabolisé les microbes
05:55pendant des décennies, peut-être même un peu plus ?
05:58Oui, sans doute un peu plus, parce qu'il était fait mention de Pasteur.
06:01Je crois qu'il y a des grands noms comme ça,
06:03parce que c'est un grand nom, Pasteur,
06:05mais qui ont marqué de façon très schématique,
06:08très caricaturale, au fond, les patients.
06:11On le voit bien, d'ailleurs, quand ils viennent en consultation,
06:15il y a « mais j'ai peut-être un microbe ».
06:17Mais un microbe, si on ouvre un dictionnaire,
06:20c'est un agent qui peut transmettre des maladies.
06:23Donc, effectivement, le microbe est par définition vécu
06:26comme étant un agent agresseur.
06:29Oui, exactement.
06:30Pendant malade, il a très mauvaise presse.
06:32Oui, il vous tombe dessus et donc, il faut vous en débarrasser.
06:36Donc, donnez-moi des antibiotiques et voilà.
06:39Mais ça évolue beaucoup, je trouve.
06:41Alors, il y a une grande diversité,
06:43il y a une biodiversité chez les Français,
06:45évidemment, comme chez les microbes.
06:47Et il y a beaucoup de personnes, maintenant,
06:50qui ont pris conscience que c'était un peu plus complexe que ça, au fond,
06:54et que notre organisme était plein de microbes.
06:56Donc, ils ont compris qu'il y en avait sur la peau.
06:58Les femmes ont depuis longtemps compris
07:00que quand elles prenaient un antibiotique pour une cystite,
07:03elles pouvaient faire une mycose.
07:04Et donc, c'est que l'antibiotique modifiait, au fond, un équilibre
07:09et que, voilà, certes, on s'était débarrassé de la bactérie,
07:13et il fallait s'en débarrasser parce qu'il y a des bactéries
07:15qui sont quand même dangereuses pour l'homme.
07:17C'est ce que j'allais vous dire.
07:18Est-ce qu'on parle de tous les microbes,
07:19de toutes les bactéries qui seraient bonnes ?
07:20Je trouve, et alors, moi, c'est quelque chose qui m'a marqué dans ce reportage,
07:24c'est qu'au fond, c'est un peu ce que disait Agnès Buzyn,
07:26c'est-à-dire qu'on voit qu'on ne sait pas grand-chose, au fond.
07:30On ne sait pas grand-chose.
07:31Et symboliquement, ça se termine dans le lac Pavin,
07:34qui est au cœur de notre pays.
07:36C'est-à-dire, c'est un lac qui est là, il est là, on vit avec.
07:39Moi, je suis né pas loin, en plus.
07:40Et en fait, on se rend compte qu'au fond de ce lac,
07:43à 80 mètres de profondeur, on apprend encore des tas de choses
07:47et que les microbes, on en a encore beaucoup à apprendre
07:50et on a certainement beaucoup à en tirer en termes de traitement,
07:54voilà, en santé humaine et en agriculture.
07:57Il faut distinguer les bons des mauvais microbes ?
07:59Dans quelle proportion ?
08:01Quand je pense, je ne sais pas, au métro, par exemple,
08:02je viens de dire que le microbe du métro,
08:04il faut quand même s'en méfier et l'éviter ou même pas ?
08:06Alors, il y a une étude scientifique qui s'est intéressée
08:09aux microbes du métro et qui montre qu'en fait,
08:11il y a très, très peu de pathogènes,
08:12c'est-à-dire les pathogènes, c'est ces microbes
08:15qui vont rendre malades.
08:16Donc, en fait, on est entouré de microbes.
08:18On vit dans un monde microbien.
08:20Nous-mêmes, humains, on a plus de cellules bactériennes
08:23que de cellules humaines, donc on appelle ça une symbiose.
08:26On vit avec ces microbes et ça se passe très bien.
08:29L'immense majorité du temps, ça se passe extrêmement bien.
08:32Dans quelles proportions les bons microbes,
08:33les mauvais microbes, en gros ?
08:35En général, on dit 99 %, n'est-ce pas ?
08:3799 % des microbes sont bons ?
08:40Ils sont bons, oui.
08:411 % des microbes seulement seraient mauvais pour nous ?
08:42Oui, et même moins d'un pour cent seraient mauvais.
08:43Je ne sais pas si vous confirmez.
08:44Alors, ça va évidemment dépendre de comment vous comptez,
08:47mais oui, on est dans des proportions qui sont celles-là.
08:49C'est impressionnant.
08:50Il faut aussi s'imaginer que quand on voit les microbes,
08:53en pensant, on va dire, santé humaine,
08:54on donne une place très importante à l'humain,
08:57alors que les microbes étaient là avant les humains.
08:59Les microbes sont là dans beaucoup d'environnements,
09:01comme c'est très bien démontré,
09:03où ne sont pas les humains.
09:05Et ce qu'il faut savoir, c'est que dans toute cette diversité
09:09microbienne, c'est d'une richesse folle.
09:11Il y a énormément de choses à aller découvrir.
09:14Et quelque chose dont on n'a pas forcément conscience les gens,
09:16c'est que beaucoup, par exemple, des antibiotiques
09:18que nous utilisons aujourd'hui,
09:20en fait, à la base, sont produits par des bactéries.
09:22Donc, c'est des bactéries qui veulent tuer d'autres bactéries
09:25dans le sol et qui produisent des antibiotiques.
09:27Et nous, les humains,
09:29on va prendre le résultat de ces centaines de millions
09:32d'années d'évolution et s'en servir comme médicament.
09:35Et pourtant, j'ai l'impression qu'on a une tendance hygiéniste
09:38dans nos sociétés modernes, Marie-Monique Robin.
09:40Je voulais raconter des anecdotes.
09:41On veut les chasser, ces microbes.
09:43L'une des scientifiques de mon film et livre,
09:45Érika von Mutius, qui est la grande dame de l'allergologie
09:49dans le monde, qui a mené une étude longitudinale,
09:52ça veut dire elle est très longue, pendant 20 ans,
09:53dans cinq pays européens, qui a démontré ce qu'on appelle
09:56l'effet de la ferme.
09:57En résumé, les enfants qui sont nés dans les fermes traditionnelles,
10:00qui mangent de l'herbe, où il y a des vaches qui mangent
10:03de l'herbe et du foin et qui boivent du lait de la ferme,
10:05n'ont pas d'asthme d'allergie.
10:06Et quand je lui dis, qu'est-ce que vous me conseillez alors ?
10:08Elle m'a dit, un peu provocatrice, mais quand même,
10:11par rapport à cette notion d'hygiène.
10:13Écoutez, quand le bébé naît, moi, je dirais que l'idéal,
10:16c'est que vous trouviez un tas de fumier et vous le roulez dedans.
10:19Elle me dit ça, mais c'était de la provocation.
10:21Mais oui et non, c'est-à-dire qu'en fait,
10:24ils ont identifié dans les tables, particulièrement dans les tables,
10:26c'est-à-dire que les vaches sont vraiment très importantes,
10:29certainement parce que c'est des vraies usines de fermentation,
10:31les vaches, elles ont donc beaucoup de très, très bonnes bactéries,
10:34qu'on retrouve dans le fumier, qu'on retrouve dans l'air,
10:37vous voyez, des étables, ils ont même identifié
10:39les très bonnes bactéries, les très bons champignons des tables,
10:41ils sont en train de préparer à Munich, à l'université,
10:44un spray nasal destiné aux bébés qui vont naître dans les villes
10:47et qui n'ont pas la chance d'avoir une vache pas loin de chez eux.
10:50Donc, vous voyez, on revoit toute l'image qu'on a, finalement,
10:54vous voyez, de la propreté, parce que les bousses de vaches,
10:57on pense que si on met le pied dedans, c'est pas forcément...
11:00Agnès Buzyn ?
11:01Je pense qu'il faut faire attention quand on dit
11:03bonnes bactéries et mauvaises bactéries.
11:04Tout est une question d'équilibre, d'abord,
11:07et ensuite, chez certaines personnes,
11:09certaines bactéries qui sont inoffensives
11:12pour certains d'entre nous vont devenir extrêmement pathogènes.
11:15Il se trouve que nous avons de plus en plus de malades
11:18qui sont traités avec des traitements lourds de chimiothérapie
11:21ou avec de l'immunothérapie et qui, donc, vont avoir
11:24un système immunitaire très fragilisé
11:27et des bactéries totalement inoffensives vont devenir très pathogènes.
11:30Donc, attention à ne pas généraliser non plus.
11:31Et donc, il ne faut pas généraliser non plus.
11:33Il y a certaines personnes qui doivent vivre dans un environnement protégé
11:37parce qu'elles ont un déficit immunitaire profond lié à des traitements.
11:42Vous voyez, on ne peut pas aller d'une mode à l'autre,
11:44totalement hygiéniste, totalement...
11:47Pro-bactéries et pro-microbes.
11:48Pro-pro-bactéries.
11:49En fait, les systèmes sont complexes.
11:51Ce sont des systèmes qui s'équilibrent en permanence.
11:54Certains hôtes sont fragiles, il faut les protéger.
11:57D'autres ne le sont pas et donc sont beaucoup moins sensibles aux pathogènes.
12:02Mais cette tendance hygiéniste qu'on observe depuis pas mal d'années,
12:06est-ce qu'elle n'a pas été aussi soit réactivée,
12:08soit même renforcée par le Covid qui a un peu traumatisé tout le monde ?
12:11Il y a un traumatisme Covid.
12:13On s'est interdit de se faire la bise, de se serrer la main
12:16pour fuir justement le virus.
12:18Est-ce qu'avec ce Covid, on n'a pas aussi été dans un autre extrême ?
12:23Alors le Covid, c'est un peu le rappel que les maladies infectieuses
12:26ont beaucoup tué dans notre pays et de moins en moins quand même
12:29ces dernières décennies par les progrès de l'antibiothérapie, justement.
12:34Et donc le Covid est venu, et ce n'était pas une bactérie,
12:37pour le coup c'était un virus,
12:39est venu rappeler brutalement la permanence de cette question infectieuse.
12:44Je ne parle pas du risque infectieux.
12:45Moi je me méfie des mots en fait dans tous ces débats,
12:48parce que vous parliez tout à l'heure de bons et de mauvais microbes.
12:53Ce n'est pas la nature est bonne ou elle est mauvaise, ce n'est pas comme ça.
12:57Je veux dire, prenez la question de l'alimentation,
12:59c'est super de ne pas acheter de l'alimentation ultra transformée
13:02mais de faire une bonne conserve à la maison.
13:06Oui enfin si vous ne la stérilisez pas, le botulisme ça existe.
13:08Et ça tue, et chaque année en France, il y a des cas de botulisme.
13:12Donc il faut faire attention aux mots qu'on emploie.
13:17Il n'y a pas se référer à ce qui est naturel va être nécessairement bon,
13:22et il y a, survient là-dessus, voilà, des manipulations ou autres
13:27qui feront qu'il y aurait du mauvais.
13:29La nature est complexe, notre environnement est complexe,
13:32et nous sommes complexes.
13:33Madame a rappelé que oui on a plus de micro-organismes
13:38que de cellules humaines dans notre corps.
13:40Et l'appréhension de cet environnement complexe
13:44et la traduction dans nos comportements et les traitements qu'on va utiliser,
13:50c'est encore un champ qui est extrêmement vaste.
13:53On voit bien, on utilise trop d'antibiotiques,
13:55on dit ah non il ne faut pas, vous n'en utilisez pas assez,
13:58vous avez des gens qui risquent de mourir,
14:00vous avez une angina streptococque, pourquoi on utilise l'antibiotique ?
14:03Parce que dans les années 60, on faisait des complications au cœur
14:06ou aux articulations d'une bête angine.
14:09Et ça on le voit en France plus, enfin à ma connaissance, quasiment plus.
14:14Donc on est dans cette complexité.
14:17Et le Covid est venu réactiver pour le meilleur et pour le pire.
14:22Pour le meilleur et pour le pire.
14:23Puisqu'on a trouvé un vaccin très vite,
14:27c'est historique, pour protéger la population et qui a été très efficace,
14:32mais ça a suscité une réaction contre ces interventions sur le virus,
14:38en même temps et à un niveau qui est très élevé.
14:42Justement, l'une des grandes découvertes dans ce documentaire,
14:44c'est qu'en plus de l'agriculture et de la dépollution des eaux,
14:47cette réhabilitation récente des microbes, vous l'avez dit,
14:49ouvre un champ presque infini à la recherche médicale.
14:53Est-ce que ça veut dire qu'on a peut-être perdu beaucoup de temps ?
14:55Que peut-être les scientifiques eux-mêmes ont délaissé ce champ pendant très longtemps
15:00à cause des mêmes a priori que nous avions depuis des décennies ?
15:03Je vais vous laisser me répondre juste après ce court extrait.
15:06Par peur du microbe, nous avons aseptisé notre environnement,
15:09nos modes de consommation, nos traditions culinaires et donc notre tube digestif.
15:17Tout est lié, au point que notre flore protectrice ne fait plus son travail.
15:26Replonger dans ce précieux patrimoine microbien et intime,
15:29c'est ouvrir de nouvelles pistes pour la recherche médicale.
15:33Je retiens cette expression « replonger dans ce patrimoine microbien ».
15:37Aude Bernard, mais est-ce que ça veut dire que les scientifiques s'en étaient trop éloignés ?
15:41Alors, moi, je pense que je suis absolument d'accord avec tout ce qui vient d'être dit.
15:45C'est-à-dire qu'il ne faut pas voir tout blanc ou noir.
15:47Pendant longtemps, les scientifiques ont étudié les microbes et notamment étudié les pathogènes.
15:52Il faut quand même se rappeler ce que c'est qu'un monde sans antibiotiques.
15:55On commence à en avoir un goût aujourd'hui avec l'antibiorésistance et on se fait mal, on peut en mourir.
16:02Enfin, je veux dire, il y a des moments où il faut quand même repenser à ça.
16:06Donc, on va dire qu'il y avait des urgences à traiter, comment on priorise ce qu'on va découvrir.
16:11Il y a tellement de millions de morts qui ont pu être évitées grâce aux recherches sur les bactéries pathogènes
16:16que je n'ai pas envie de dire « ah là là, on n'a pas regardé ce qu'il fallait ».
16:20Je pense juste qu'on a un temps limité et en fait, tout est allé très vite
16:22parce qu'on parle de moins d'un siècle de science qui nous a permis aussi bien de découvrir les antibiotiques,
16:28d'en découvrir plein, de traiter des infections et en même temps de découvrir le microbiote intestinal,
16:34sa diversité, tout ce qu'on peut en trouver et vers ça.
16:37Donc, j'aurais plus tendance à dire que c'est très excitant, ça ouvre beaucoup de perspectives de recherche
16:42mais pas forcément à dire « ah, on aurait dû y penser avant ».
16:45Oui, et jetons tout le reste à la poubelle.
16:46Exactement, je pense qu'en fait, c'est juste qu'il faut savoir qu'aussi on a maintenant des aspects technologiques
16:52qui nous permettent d'être largement meilleurs à pouvoir comprendre ce qui se passe.
16:56Il y a ce qu'on appelle la révolution de la génomique.
16:59C'est quoi la génomique et notamment ce qu'on appelle la métagenomique, désolée pour les termes techniques.
17:03C'est être capable d'avoir accès à l'ADN, ce qui fait le matériel génétique des bactéries,
17:09donc savoir, de pouvoir les identifier, de pouvoir identifier la composition,
17:13comment cette composition varie, dans quelles conditions
17:16et grâce à ça, c'est des choses qui sont nouvelles, qu'on peut faire vraiment à l'échelle depuis le début du XXe siècle,
17:21ça nous permet d'aller beaucoup plus vite en recherche et de comprendre beaucoup de choses
17:26qui ne nous étaient pas accessibles avant.
17:28Donc c'est un champ infini qui s'ouvre à nous, Marie-Monique Robin ?
17:31Ah oui, absolument énorme.
17:32Par exemple, dans mon film, on voit comment pour la maladie de Parkinson, par exemple,
17:37des chercheurs de l'université de Vienne ont découvert qu'il y a un médicament qu'on donne régulièrement, l'encapone,
17:43ça marche très bien pour certains malades, en tout cas, ça aide,
17:48malheureusement on ne guérit pas la maladie de Parkinson,
17:51et pour d'autres malades, ça ne marche pas, et ils ont comparé les microbiotes des deux groupes
17:55et en fait, ils ont identifié que ceux chez qui ça marchait,
17:59eh bien, il y avait des bactéries qui étaient absentes chez ceux chez qui ça ne marchait pas.
18:03Pour l'autisme, une très grande étude est en train d'être faite en ce moment à San Francisco,
18:07et très prometteuse, voilà, même chose, vous voyez le lien entre le microbiote...
18:12Donc, c'est une immense porte qui s'ouvre à nous ?
18:14Comme toujours, en recherche, dès que vous avez l'impression d'avoir découvert quelque chose de fondamental,
18:23en général, cette découverte ouvre la porte vers un infini de possibles encore plus importants,
18:29et c'est ça qui est extraordinaire dans la progression de la connaissance,
18:31c'est qu'en fait, on n'en a jamais fini,
18:33et donc, on voyait les microbes, effectivement, c'était une époque comme quelque chose d'extrêmement dangereux...
18:38Y compris chez les scientifiques ou pas ?
18:39Est-ce qu'il y a eu une partie de la science qui a peut-être délaissé ce champ microbien,
18:44parce que, pareil, souffrant des mêmes a priori que le grand public avait ?
18:47Alors, ce qui est vrai, c'est qu'en science, il y a des modes.
18:51Il y a des modes. C'est qu'à un moment, tout le monde va dans une direction,
18:54c'est porteur, les gens se connaissent, travaillent entre eux, etc.
18:58Il peut y avoir des moments où certains sujets sont délaissés,
19:01mais c'est aussi l'arrivée d'une nouvelle découverte qui, tout d'un coup, permet d'ouvrir une porte,
19:06et, de nouveau, de rendre toute cette génomique des microbes tellement intéressante.
19:11Ce qui va être intéressant, ce n'est pas seulement ce que cela va nous apporter en termes de traitement,
19:16mais peut-être, ça va nous ouvrir la voie sur des choses très différentes.
19:19Et c'est ça qui est absolument fascinant dans la recherche,
19:23c'est qu'en général, ça ouvre des portes qu'on n'imagine pas,
19:26et qui ne sont pas simplement l'utilisation des microbes pour traiter des maladies.
19:30On va pouvoir découvrir, peut-être, des applications de certains gènes pour tout à fait autre chose.
19:38Donc je laisse, évidemment, la spécialiste.
19:41Je suis absolument d'accord.
19:42En fait, on n'imagine pas qu'en étudiant les microbes,
19:46on va découvrir des choses qui sont complètement inattendues.
19:49Je vais vous donner un exemple.
19:50En étudiant des bactéries, a priori, pas forcément pathogènes,
19:55donc juste des bactéries comme ça,
19:57il y a Emmanuel Charpentier et Jennifer Doudna, deux scientifiques,
20:01qui ont découvert quelque chose qu'on appelle CRISPR-Cas, qui sont des siso-moléculaires.
20:06Ça a été découvert en étudiant comment les bactéries se défendent contre leur propre virus.
20:11Et en fait, on s'est rendu compte que ces siso-moléculaires,
20:13ça permettait de pouvoir, de façon très précise,
20:17faire des modifications sur un matériel génétique de pleine cellule.
20:20Et ça a créé une révolution dans le monde scientifique,
20:23et fait émerger un tout nouveau champ de thérapies possibles,
20:27mais aussi de choses dans l'agriculture.
20:29Énormément d'applications.
20:31Et huit ans après la découverte de ça, il y a eu le prix Nobel en 2020.
20:34Qui aurait pu penser que ce qu'on cherchait absolument, ces siso-moléculaires,
20:38étaient déjà présents dans les bactéries, qu'on n'avait pas, nous, à les ingénier, personne.
20:43C'était cette découverte qui émerge exactement comme ça,
20:46qui ouvre tout d'un coup une infinité de nouvelles portes qu'on n'aurait même pas pu imaginer.
20:50Et c'est la beauté de la recherche fondamentale,
20:53et la beauté de s'intéresser à la diversité du monde vivant,
20:56parce qu'on ne sait jamais là où on va trouver ce qui va être potentiellement le plus transformatif.
21:01Mais vous parliez de mode, peut-être de tendance chez les scientifiques.
21:04Là, je voudrais parler des pouvoirs publics, des autorités.
21:07Moi, je voudrais comprendre pourquoi ça fait des années qu'on a des campagnes de prévention
21:11et d'information sur attention, lavez-vous les mains, mettez un masque,
21:14éloignez-vous des microbes.
21:16Est-ce que, pardonnez-moi, les pouvoirs publics ont aussi été très influencés
21:20par cette tendance scientifique qui voulait nous éloigner des microbes,
21:24et que peut-être c'est le message inverse qu'il faudrait faire passer aujourd'hui ?
21:28Alors inverse, certainement pas.
21:29Non, mais dans un équilibre.
21:31Vous savez, dans un monde, vous connaissez le monde médiatique,
21:34où il faut véhiculer des messages simples,
21:37véhiculer la complexité nécessite une pédagogie qui dépasse souvent...
21:42Oui, donc un swap de 20 secondes.
21:44Mais il y a quand même des éléments importants à faire passer.
21:47Les microbes dont on parle depuis le début de notre échange
21:52font le lien entre le monde végétal et le monde humain.
21:55On parle beaucoup de ce concept de One Health comme étant fondamental pour l'avenir.
22:00Eh bien, les microbes, on le voit dans le reportage,
22:02en agriculture, ils vont peut-être, par le biais des biotechnologies notamment,
22:07apporter une transformation.
22:09Et en santé humaine, également, par de nouvelles applications.
22:14Il y a quand même quelque chose, moi, qui m'interroge.
22:16Vous parlez de ce que ressent notre opinion publique.
22:19On est le pays d'Europe qui consomme à peu près le plus d'antibiotiques
22:24et on est le pays d'Europe qui consomme à peu près le plus de pesticides.
22:28Et ça, c'est quand même...
22:30Qu'est-ce qui se passe culturellement ?
22:31C'est quand même, en santé humaine et en santé végétale,
22:34c'est un peu le même process, c'est-à-dire on tue,
22:39on intervient et on tue l'argama nu, là où il faudrait peut-être être plus ciblé.
22:44Mais ces microbes vont peut-être nous apporter des solutions à la matière.
22:47Parce que vous parliez de ce qui est des techniques génomiques.
22:51Tous les Français, maintenant, je pense, connaissent l'ARN depuis les vaccins Covid.
22:55Ils ne savent pas que, par contre, on a découvert beaucoup plus récemment,
22:58parce que l'ARN, ça date de 60 ans,
23:00mais un ARN qui était en dehors des cellules,
23:02alors on ne va pas être trop technique,
23:04et que l'ARN extracellulaire était une des biotechnologies les plus prometteuses
23:08dans le monde végétal, peut-être pour remplacer les pesticides,
23:13et dans le monde humain,
23:14parce que c'est des thérapies géniques ciblées via les microbes.
23:18Mais avec des tas de questions qui se posent, des questions éthiques,
23:21notamment, au début, vous parliez d'une microbiote fécale,
23:26c'est arrivé récemment, dans les réflexions des politiques,
23:29par le biais de la loi bioéthique, qu'Agnès Buzyn a porté,
23:33où pour la première fois, on a traité de cette question, c'était en 2021.
23:37Donc il y a trois ans seulement, ou l'adoption finale.
23:42C'est long, la loi bioéthique, ça dure deux ans.
23:45Mais donc, pour une découverte qui datait, ça a été rappelé, d'il y a 20 ans.
23:50Voilà.
23:52Mais comment ça peut se traduire ?
23:53Je parlais des spots de campagne, des campagnes de pub, de prévention.
23:58Tout d'abord, il ne faut absolument pas revenir sur ces campagnes de prévention.
24:01Vous les confirmez.
24:03En période d'épidémie de grippe,
24:04quand on sait que la grippe tue entre 5 000 et 10 000 personnes chaque année,
24:08oui, il faut se laver les mains, il faut éviter de se cracher dessus.
24:11Donc ça, on ne change rien.
24:13Bien sûr, on ne change rien.
24:14Il y a les spots publicitaires qui sont faits par nos agences sanitaires,
24:19Santé publique France, l'Institut national du cancer.
24:21Elles sont pensées avec cette connaissance-là.
24:24Elles ne sont pas naïves de tout ce que nous disons.
24:27Il faut considérer que les microbes peuvent tuer.
24:30Je rappelle quand même qu'on a sauvé des milliards de vies
24:33depuis qu'on se lave les mains,
24:35quand les obstétriciens se lavent les mains
24:37simplement pour faire accoucher les femmes.
24:39Alors moi, je veux bien qu'il faille éventuellement
24:42mettre les nouveaux-nés dans le pétrin.
24:44Je ne suis pas absolument sûre aujourd'hui
24:47que je le ferais pour un de mes nourrissons.
24:49Mais en tous les cas, on a quand même besoin d'hygiène
24:53parce qu'on peut être toxique, en tous les cas être contaminant
24:58pour quelqu'un de fragile, etc.
25:00Et l'un n'empêche pas l'autre.
25:01On a besoin aussi d'un équilibre des écosystèmes.
25:04C'est ce que Bernard Jomier appelle le concept One Health.
25:07Un tout petit peu d'histoire, l'histoire de la santé mondiale.
25:10Elle commence à la fin du 19e siècle, début du 20e,
25:16par des traités internationaux qui visent à gérer les épidémies
25:21pour éviter que les épidémies ne passent les frontières.
25:23Donc pendant un siècle, l'obsession des pays,
25:27quand ils discutaient de santé, c'était d'éviter
25:29qu'une épidémie de choléra passe d'un pays à l'autre,
25:31ou de variole, etc.
25:33Progressivement, avec l'épidémie du VIH, SIDA,
25:37on a pensé la santé mondiale comme comment donner accès
25:40aux médicaments aux pays qui n'ont pas accès aux médicaments.
25:43Et aujourd'hui, le troisième concept de la santé mondiale,
25:46c'est le concept One Health, c'est-à-dire que maintenant,
25:48on ne peut plus penser la santé humaine
25:51sans penser la santé de la planète et des animaux.
25:54Et c'est cet équilibre-là qu'il faut préserver.
25:57Le problème, c'est comment mettre en place des politiques publiques
26:01qui s'intéressent à ces trois milieux.
26:03L'agriculture, l'alimentation, l'animal et l'homme,
26:07alors que nos gouvernements sont faits en silos,
26:10alors qu'un ministre de la Santé parle très peu
26:13au ministre de l'Environnement, etc.
26:15Comment construire des politiques publiques complexes
26:18pour maintenir ces équilibres fondamentaux
26:21qui permettent de garantir la santé humaine, en réalité ?
26:24Dans ce film apparaît le cofondateur d'une société spécialisée
26:27dans le microbiote intestinal.
26:28Au-delà de ce qu'il a développé pour les patients atteints de cancer
26:31et qui semble effectivement une technique d'avenir,
26:34il pose un enjeu intéressant, il me semble,
26:36c'est celui de la réglementation.
26:38Écoutons-le.
26:41On a un produit, je dirais, produit par le corps humain
26:44et qui est un produit biologique.
26:46On se différencie vraiment très fort des molécules chimiques,
26:49ça c'est le premier élément.
26:51Ensuite, il n'y a pas de résistance de la part des patients
26:53et ça c'est important de le signaler.
26:55Mais il y a vraiment une adoption des produits microbiote,
26:59principalement de tout ce qui tourne autour du transfert
27:01de microbiote fécale, dans beaucoup de pathologies.
27:03Les freins qui restent à lever maintenant,
27:05c'est de convaincre les réglementaires d'aller jusqu'au bout,
27:07c'est-à-dire l'autorisation commerciale,
27:09puisque c'est une science assez nouvelle.
27:11Ça devrait se débloquer.
27:14Marie-Monique Robin, vous partagez son optimisme.
27:16Le dernier verrou à faire sauter, c'est le verrou réglementaire,
27:19le verrou politique ?
27:20Moi, je voudrais quand même insister sur la prévention.
27:22Et je m'adresse à des responsables,
27:25parce que ce qui ressort de toute mon enquête,
27:27ça fait quatre ans que je travaille sur cette question,
27:28une centaine de scientifiques, c'est la fabrique des pandémies,
27:30c'est aussi Ville et Microbes, c'est deux films, deux livres,
27:32c'est beaucoup de travail.
27:33Ce qui ressort de ça, c'est quand même des conseils à donner
27:35aux jeunes couples qui ont des projets d'enfants.
27:38C'est quand même de se dire qu'il y a beaucoup de pathologies
27:40d'origine inflammatoire qui sont vraiment liées
27:42à une dysbiose intestinale.
27:44Et pour ça, il y a des consignes à donner.
27:46Donc éviter les antibiotiques, par exemple, pendant la grossesse.
27:49Qu'est-ce qu'il faut faire si on doit en prendre ?
27:50Parce que c'est absolument indispensable.
27:52Il y a des recommandations à faire.
27:53Éviter les césariennes de confort, entre guillemets.
27:56Et qu'est-ce qu'on peut faire si on doit en faire ?
27:58Il y a aussi des consignes à donner.
28:00Revégétaliser les cours de récréation, extrêmement important.
28:02Vous verrez une étude faite en Finlande qui montre que
28:05quand on revégétalise les cours de récréation dans la petite enfance,
28:07parce que c'est les mille premiers jours de la vie qui sont importants,
28:10eh bien on renforce le système immunitaire,
28:12on diversifie le microbiote.
28:13Manger bio, vraiment plein d'études le montrent.
28:17Les produits, le glyphosate, le bisphénola,
28:20ont un impact direct sur l'intestin.
28:22Je veux dire, il y a vraiment des recommandations à faire.
28:25Et moi, je regrette fortement que tous les scientifiques
28:27que j'ai interviewés depuis 4 ans,
28:29qui ont fait un travail absolument extraordinaire.
28:32Et vraiment, c'est formidable le travail que vous faites.
28:34Ne passe pas par des campagnes de prévention.
28:37Non, il n'y a pas de répercussions très très concrètes.
28:40Alors, donc la question, est-ce qu'au niveau politique,
28:42au niveau réglementaire, ça bloque ?
28:44Est-ce qu'il y a encore un verrou à faire sortir ?
28:45Alors là, on parle par exemple des transplantations fécales.
28:47Évidemment que pour l'instant, il y a encore beaucoup de travaux à faire
28:49parce que ça reste très expérimental.
28:51Il faut faire attention à ce qu'on transplante, n'est-ce pas,
28:52quand on fait une transplantation fécale.
28:55On sait que, par exemple, pour une infection Clostridium difficile,
28:59qui est vraiment une méchante bactérie,
29:01très résistante aux antibiotiques, dont on peut mourir,
29:03là, on l'a fait et ça marche à 95%, n'est-ce pas ?
29:06Voilà.
29:07Non mais, voilà.
29:07Ce n'est pas l'équipe exacte, c'est le sujet.
29:09Évidemment qu'il faut aussi être sûr de ce qu'on fait,
29:12même si ça ouvre de grandes perspectives, on est bien d'accord.
29:14Le temps politique, le temps réglementaire,
29:15est différent de celui de la science
29:17et encore différent de celui, évidemment, de l'opinion et des médias ?
29:19Alors, je voudrais quand même mettre un tout petit bémol.
29:23C'est-à-dire qu'il faut faire attention
29:25au temps de stabilisation de la connaissance.
29:28Il y a beaucoup d'études qui vont sortir,
29:30qui vont montrer l'effet bénéfique de telles transplantations
29:33microbiennes dans le tube digestif, etc.
29:36Simplement, la science, elle met du temps à se construire
29:39et pour être certain d'un résultat,
29:41il faut qu'il y ait eu, quelque part,
29:43une forme de dialogue entre scientifiques
29:44qui vont publier des études, parfois discordantes.
29:47Et donc, effectivement, on peut être surpris
29:49par une étude très positive qui va dire
29:51qu'il faut faire quelque chose en prévention.
29:54Et pour autant, la connaissance n'est pas encore stabilisée.
29:57Or, quand vous faites de la réglementation
29:59ou que vous êtes un politique,
30:01vous devez quand même être certain
30:03que ce que vous proposez au grand public
30:05a été fondamentalement reconnu
30:06par l'ensemble de la communauté scientifique.
30:08Et ça, c'est le temps.
30:10Oui, ça prend du temps.
30:11Il a fallu du temps pour considérer que la Terre était ronde.
30:14Fut un temps où il y avait un dialogue entre scientifiques
30:16qui n'étaient pas tous d'accord,
30:18mais à un moment, il y a un consensus scientifique.
30:21Il prend du temps et je peux comprendre
30:23que ça étonne certains qui voudraient aller plus vite,
30:26mais c'est comme ça qu'on commet des erreurs
30:28si l'on va trop vite vers un traitement
30:31qui n'est pas encore globalement connu.
30:33C'est intéressant, cette question de la temporalité.
30:35Je voudrais rebondir en disant qu'au-delà même
30:37de se mettre d'accord scientifiquement,
30:38ce qui est absolument essentiel pour du réglementaire,
30:41il faut penser à tout ce qu'en tant que scientifique,
30:43on va chercher à démontrer un bénéfice,
30:45mais on ne va pas forcément, dans la même étude,
30:47chercher ce que ça pourrait causer comme problème.
30:50Et ce temps long, il est essentiel pour s'assurer
30:53que les potentiels, c'est des traitements de type très nouveau,
30:57sont sûrs.
30:58Et en fait, il faut savoir que quand le réglementaire arrive,
31:01c'est que normalement, il y a eu vraiment un travail
31:03qui a été fait pour pas simplement s'assurer
31:05qu'il y ait des bénéfices, mais aussi s'assurer
31:07qu'en fait, il n'y ait pas d'effet nuisible.
31:09Ou en tout cas, qu'on en ait conscience s'il y en a
31:12et qu'il soit documenté.
31:13Et donc tout ça, ça demande de la recherche,
31:16ça demande de la science et ça demande du temps.
31:19Et donc pour moi, en fait, surtout sur des thérapies
31:23type fécale, c'est très important de faire de la recherche,
31:27de faire de la science, d'avoir des essais, donc d'avancer.
31:31Mais en effet, j'aurais tendance à être optimiste
31:34dans le sens où ce qui est génial, c'est qu'on a les processus.
31:37On sait comment construire de la science
31:40et des produits dans lesquels on a confiance.
31:43Et la notion de confiance, elle est essentielle.
31:45Et pour moi, c'est ça qu'on construit avec du temps
31:48et avec des processus.
31:49Donc oui, je suis très optimiste parce qu'on sait faire,
31:52on sait construire des choses dans lesquelles on a confiance.
31:54C'est juste, il faut faire, il faut faire le travail
31:56et il faut le faire sérieusement parce que sinon, en fait,
31:58on ne serait pas digne de cette confiance que les gens vont avoir
32:00quand quelque chose va être accepté réglementairement
32:03et par la communauté scientifique.
32:03Pas de précipitation, pas d'empressement, Bernard Jomier, évidemment.
32:06Non, ce n'est pas la loi d'imposer son tempo à la science.
32:09C'est l'inverse, en fait.
32:11Le législateur, il ne doit pas intervenir de façon prématurée.
32:15Il doit intervenir quand le scientifique lui dit
32:18là, on a quelque chose et on est bloqué par la réglementation commune.
32:22Et on est bloqué pour des bonnes raisons aussi.
32:24C'est-à-dire que le microbiote intestinal,
32:27le transplanter à quelqu'un d'autre, c'est du matériel humain
32:30qu'on transplante à une autre personne.
32:32Et il faut qu'on ait conscience de ça.
32:34Il y a du matériel génétique qui passe d'une personne à une autre.
32:39Et donc, il faut que les scientifiques ne jouent pas dans notre pays.
32:44Ils sont sérieux, prennent le temps de décrypter.
32:48Et ça se fait à l'échelle internationale, d'ailleurs,
32:49maintenant, les conséquences que ça peut avoir.
32:53Parce que vous voyez bien que, déjà, les interventions,
32:57c'est-à-dire à forte argumentation scientifique, ont des effets secondaires.
33:03Vous vous dites, il faut s'assurer qu'il n'y ait pas des effets secondaires.
33:05Il y a toujours des effets secondaires.
33:07C'est une balance, les avantages, les inconvénients.
33:10Mais la décision politique, elle doit peser ce qui est acceptable pour la société.
33:15Voilà les avantages, voilà les inconvénients.
33:17Et parfois, la société, elle dit, mais ces inconvénients, nous, on n'en veut pas.
33:21Et donc, il faut prendre une décision qui satisfasse tout le monde.
33:25Donc, la loi n'a certainement pas à imposer le rythme à la science.
33:29Ça, c'est une erreur fondamentale.
33:31Et dans notre époque, on veut toujours aller très vite,
33:34où une étude sort sans qu'il y ait de culture scientifique.
33:38Vous savez, ce n'est pas parce qu'une étude dit qu'un médicament marche qu'il marche.
33:41C'est beaucoup plus compliqué que ça.
33:42Vous pouvez en avoir une autre qui dit ça ne marche pas.
33:44Et donc, il faut tout un ensemble d'études, c'est le raisonnement scientifique,
33:48et bien prendre ce temps-là dans une société où tout doit aller toujours plus vite,
33:54toujours vers le résultat, toujours vers l'objectif.
33:57Et un manque de recul, un manque de culture de la prévention,
33:59moi, je suis d'accord aussi, parce que parfois,
34:02il faut plutôt aller chercher dans nos modes de vie, nos comportements.
34:05C'est une question beaucoup plus vaste.
34:07Eh bien, voilà, cette pression-là, elle est déraisonnable
34:10et elle produirait à ce que la loi fige des décisions qui ne sont pas de bonnes décisions.
34:16Donc, un appel à la confiance et un appel à la patience
34:20qu'on peut lancer à nos téléspectateurs ce soir ?
34:21Voilà.
34:22Absolument.
34:22Merci.
34:23Merci à tous les quatre d'avoir participé à cet échange.
34:25Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
34:28Émissions et documentaires à retrouver en replay sur notre plateforme publicsena.fr.
34:32À très bientôt sur Public Sénat.
34:33Merci.

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