• il y a 22 heures

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00:00Et nous sommes toujours en compagnie de nos débatteurs de la deuxième heure, Nathan Devers, écrivain et philosophe,
00:07Vincent Roy, journaliste et écrivain. Vous avez suivi la locution du Pape, la bénédiction au biais d'Orbie aujourd'hui.
00:15Oui.
00:16Alors, qu'est-ce que vous en avez pensé ?
00:19Ce qui est vraiment frappant, c'est qu'il y a un décalage incroyable entre le message de Noël
00:26et la réalité de la manière dont a pu être fêtée Noël à travers le monde.
00:31Le message de Noël, le message christique, contrairement à ce qu'on dit,
00:35ce n'est pas une sorte de pacifisme mou consistant à dire on fait la paix, on n'apporte jamais de conflits, etc.
00:40Vous savez ce que dit le Christ dans les Évangiles ? Il dit moi je n'apporte pas la paix, j'apporte la division.
00:44Et c'est un verset. Il y a d'autres versets où il dit heureux les artisans de la paix.
00:49Mais précisément, dans la vision des Évangiles, la paix, c'est un concept qui n'est pas consensuel.
00:55C'est un concept plus clivant. Pour faire la paix, il faut commencer par s'opposer à ceux qui veulent la guerre.
01:00Et qu'est-ce qui s'est passé cette nuit ? Nuit de Noël.
01:03Les Ukrainiens ont décidé depuis deux ans de faire en sorte qu'ils fêtent Noël le 25 décembre comme nous,
01:09et pas le 7 janvier comme les Russes.
01:11Cette nuit, les Russes ont décidé de les punir, de leur gâcher leur Noël
01:16en leur imposant un bombardement massif des dizaines et des dizaines de missiles sur les sites énergétiques, à Kharkiv.
01:23Il s'est passé en Syrie, à Hama, un sapin qui a été brûlé par des islamistes.
01:28Il s'est passé à Bethléem, Noël célébré dans une sorte de ville fantôme,
01:34sans festivités, sans sapins, sans guirlandes, sans pèlerins, sans fidèles, sans rien.
01:39C'est d'une tristesse terrible, et dans chacun de ces trois théâtres que je viens de citer,
01:45malheureusement, le message de Noël n'est pas entendu, n'est pas appliqué.
01:49Et dans ce cas-là, je crois que la position du Pape, qui est parfois un peu consensuelle,
01:54quand il dit il faut faire la paix, Russie-Ukraine comme s'il les renvoyait dos à dos,
01:58quand il renvoie dos à dos parfois certains camps dans certains conflits,
02:01peut-être qu'il n'est pas dans cette logique-là du verset que je vous ai cité,
02:05que pour faire la paix, il faut commencer par prendre conscience des divisions qui existent déjà dans les sociétés.
02:10Vincent Roy ?
02:11Alors j'ai une autre vision, parce qu'il y a quelques années,
02:14le même Pape jésuite disait dans les mêmes circonstances et en italien
02:20sempre possibile la pace.
02:22Et il y a quelque chose de formidable là-dedans,
02:29elle est toujours possible la paix,
02:31évidemment c'est comment faire en sorte que toujours on puisse la rendre possible.
02:40Et là, c'est un combat.
02:42La paix à ce niveau-là, et c'était le message du Pape, c'est un combat.
02:48Il faut combattre pour la paix.
02:50Alors ça paraît totalement illusoire de dire ça,
02:53et ça paraît contradictoire en effet dans les termes,
02:56mais je crois qu'il y a un combat à mener,
02:58qu'elle est toujours possible à condition de combattre.
03:04C'est-à-dire à condition de ne rien lâcher,
03:06et peut-être, comme vous le disiez, de diviser.
03:09C'est-à-dire qu'il faut vraiment s'opposer les uns aux autres
03:14pour que la paix devienne précisément possible.
03:17Et c'est peut-être le message qui est tenu ce matin,
03:19puisqu'il fait référence beaucoup à Gaza par exemple,
03:22en disant que c'était très net dans ce qu'il a dit Urbi et Torbi,
03:28il a beaucoup insisté sur Gaza,
03:31et en même temps il a beaucoup aussi insisté sur les otages.
03:35Donc on voit que ce n'est pas facile non plus,
03:38mais je crois que les deux insistances-là faisaient sens,
03:43et qu'elle est toujours possible à condition qu'on accepte
03:47précisément ce combat qui peut la rendre possible.
03:51Nathan Devers, vous parliez des contrariétés,
03:54le mot est faible de la chrétienté à travers le monde,
03:59pourtant il y a une nouvelle ferveur que moi je ressens,
04:03notamment en Europe, on a vu ce pape en Corse,
04:05avec énormément d'ailleurs de multiplication de baptêmes d'adultes à venir,
04:10on a vu cette réouverture de Notre-Dame
04:13qui a créé vraiment énormément d'enthousiasme,
04:16et pas qu'en France, c'est un motif d'espérance ça, pour vous ?
04:21Oui, pour ma part je n'étant pas croyant,
04:26je ne m'y reconnais pas dans ce mouvement,
04:31mais je crois qu'on peut le décrire,
04:33il y a un concept d'un philosophe qui s'appelle Jean-Luc Marion,
04:35qui a forgé le concept de ce qu'il appelle l'anathéisme,
04:38avec un jeu de mots, parce que c'est à la fois le contraire de l'athéisme,
04:42et en même temps en grec, ana, ça veut dire le retour.
04:44Et il est vrai que l'Europe, et particulièrement la France,
04:47après avoir connu une sorte de grande vague d'athéisme massif, global,
04:52où disons que la doctrine un peu officielle, latente,
04:56qui forgé les imaginaires collectifs, ça a été l'existentialisme,
04:59ça a été Sartre, ça a été Camus,
05:01c'est-à-dire cette idée, d'ailleurs c'est ce qu'on apprend au lycée,
05:05les cours de français, les textes de Camus sont dans le programme,
05:08ce sont des classiques, ils forgent les imaginaires dès l'adolescence,
05:11que l'existence est absurde, qu'elle n'a pas de sens, que Dieu n'existe pas, etc.
05:14Et il est vrai qu'on voit aujourd'hui une partie de la population européenne,
05:18une partie, revenir vers un message religieux.
05:21Alors deux possibilités, ou bien c'est une sorte de retour en arrière,
05:25par une sorte de frustration d'un athéisme qui est vécu comme du nihilisme,
05:31ou bien c'est une redécouverte de la religion,
05:34et pas seulement de quelque chose de nostalgique, de passéiste,
05:38c'est d'estimer qu'il y a peut-être, notamment dans le message du Christ,
05:41j'y reviens, une parole dont les échos sont profondément modernes.
05:46Et en effet, le pape François aura essayé de montrer, depuis qu'il est devenu pape,
05:51que la parole du Christ, elle trouve ses résonances dans le monde,
05:57pas seulement dans les églises, pas seulement dans les universités de théologie,
06:00mais précisément à Lesbos avec les migrants, en Europe, en Amérique du Sud,
06:05en Afrique, dans les théâtres de guerre, sur les questions bioéthiques,
06:09sur la question de l'écologie, et que donc en cela, les paroles religieuses,
06:13du retour des religieux auxquels on assiste dans les trois religions,
06:17peuvent avoir cette dimension moderne particulièrement intéressante.
06:21C'est le retour du religieux, y compris chez les chrétiens, Vincent Roy.
06:24Écoutez, on en reviendra de Camus, on en reviendra de l'existentialisme,
06:29évidemment on enseigne Camus comme étant un must,
06:31enfin voilà, un écrivain pour classe terminale qui devient un must,
06:35c'est quand même formidable.
06:36Quant à l'athéisme, il y a très peu d'athées considérables,
06:39j'en connais un, le Marquis de Sade peut-être,
06:43on peut s'interroger sur la question, mais il y a très peu,
06:46il faut arrêter avec l'athéisme, il y a très peu d'athées,
06:48au sens où nous l'entendons, je vous dis, j'en connais un,
06:53considérable et à mon avis fondamental.
06:56Pour le reste, ça reste quand même du discours.
06:59Je crois qu'on a là un retour, non pas la tradition, regardez par exemple,
07:04il y a 50 ans, 100 ans, on baptisait tous les enfants à la naissance,
07:09non pas par religiosité, mais bien davantage par tradition.
07:14Les parents avaient été baptisés à la naissance,
07:16les enfants étaient baptisés à la naissance.
07:18Là, on assiste à un retour du baptême qui n'est pas celui des enfants,
07:22qui est celui de jeunes adultes.
07:24Donc un baptême d'adhésion.
07:25Et oui, là on n'est pas dans le culturel,
07:27on est vraiment dans un retour à la tradition.
07:31On a besoin de racines.
07:32C'est important quand l'homme écoutait couper de ses racines,
07:35quand on veut le couper de ses racines, ça s'appelle le fascisme,
07:38ça ne s'appelle pas autre chose.
07:39Mussolini l'a parfaitement démontré.
07:41C'est le premier axe du fascisme, c'est couper l'homme précisément de ses racines.
07:45Là, on est sur une volonté, un retour aux racines,
07:50pour ceux qui vont se faire baptiser en tous les cas en France,
07:53à la tradition culturelle française.
07:56Et peut-être une sorte de fierté chrétienne qui revient, Nathan Devers.
08:01C'est vrai qu'on entendait peu les chrétiens jusqu'à présent,
08:04alors peut-être que c'est un hasard du calendrier,
08:07effectivement, à la faveur de la réouverture de Notre-Dame,
08:09mais il y a moins de discrétion, si j'ose dire,
08:13de la part de cette communauté chrétienne.
08:16Oui, mais alors, est-ce que c'est vraiment un retour aux racines ?
08:18Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec vous,
08:21ou à la tradition.
08:22Si c'est le cas, je ne vous cache pas,
08:24si c'était vraiment ça, ce phénomène ne m'intéresserait pas du tout.
08:27Parce qu'il me semble que, dans ce cas-là,
08:30ce serait uniquement une sorte de poussée identitaire,
08:32de dire, je suis né d'origine chrétienne, dans une famille chrétienne,
08:36c'est ainsi, c'est contingent, mais je m'y accroche.
08:38Moi, j'y vois plutôt autre chose, qui est à mon avis l'inverse,
08:41c'est une attirance envers la transcendance.
08:43Alors, en l'occurrence, une transcendance qui a des racines,
08:45mais je crois que, notamment dans la jeunesse,
08:47qui décide de revenir vers le religieux,
08:50quelle que soit la religion concernée,
08:52et en l'occurrence le christianisme,
08:54qui décide d'aller se faire baptiser à 20 ans, à 30 ans, etc.,
08:58je crois que c'est moins par nostalgie envers des racines perdues,
09:02que par attirance vis-à-vis d'une grandeur, d'un infini, d'un absolu,
09:08en l'occurrence celui de Dieu.
09:10Malraux, à la fin de sa vie, était obsédé par quelque chose,
09:13il disait là, l'Europe, l'Occident, et en particulier la France,
09:16est en train d'arriver dans une situation
09:18où, pour la première fois dans toute l'histoire de l'humanité,
09:20nous allons créer une société qui n'aura plus aucune valeur suprême.
09:23Parce qu'on s'est éloigné du religieux,
09:25on s'est éloigné, Malraux le sentait, qu'à la fin du XXème siècle,
09:29on allait s'éloigner des grandes idéologies qui régissaient l'existence,
09:32et qu'on allait se retrouver comme ça, perdus, sans valeur.
09:35Et peut-être qu'il y a des gens, en effet, qui, face à cette situation,
09:38ont envie de retrouver des valeurs, de retrouver des valeurs transcendantes.
09:41Elles se sont un petit peu perdues en Occident, Vincent Roy.
09:43Non mais c'est un bonheur, parce qu'on vient de passer dans quelques minutes...
09:46Oui, on est parti dans de la philo là, j'avoue, mais je...
09:48On est passé en quelques minutes de Camus à Malraux.
09:51Alors évidemment, je bois du petit lait !
09:54C'est un bonheur !
09:55En passant par Sade, qui a fait la médiation, grâce à vous.
09:57En passant par Sade, qui a été le médiateur.
09:59Non, je...
10:01J'entends parler là, de transcendance.
10:04Certes, il y a une volonté de transcendance.
10:07Quand je parle de tradition...
10:11Je parle de tradition, finalement.
10:12Oui, je peux parler de transcendance, mais je parle aussi de tradition esthétique.
10:17La France, de Marseille à Strasbourg, est une plantation d'églises.
10:22Et je pense que, pour part d'ailleurs, Dieu est esthétique,
10:27pour continuer dans la philo,
10:31mais qu'en même temps, dans ce désir de transcendance,
10:34il y a besoin de retrouver une esthétique.
10:37Esthétique au sens le plus large.
10:39Oui, et puis des repères, tout simplement.
10:41Donc la tradition...
10:43Oui, on voit bien qu'effectivement, il y a une perte de spirituel.
10:46Et qu'est-ce que la spiritualité ?
10:49Ça peut aussi être le ciment d'une société.
10:53Comme la piété populaire dont a parlé le pape en Corse,
10:59est le ciment de quelque chose.
11:01Et le ciment d'une religion, etc.
11:03On le voit sur les rives de la Méditerranée,
11:07de Palerme à Naples,
11:09de Séville à Marseille.
11:15Donc, il y a là quelque chose de très important,
11:21de se retrouver dans des valeurs communes.
11:23La foi, c'est autre chose.
11:25Mais de se retrouver dans des valeurs communes,
11:27et des valeurs qui nous sont transmises.
11:30Et qui nous sont transmises d'abord parce que l'on le voit.

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