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00:00Au début du siècle, le rêve de tout professeur de province est de venir finir sa carrière
00:16à Paris, au lycée Condorcet.
00:18Le premier lycée de France, dit-on, la guerre de 1914 ne va pas modifier la réputation
00:26du lycée, mais en changer l'attrait.
00:29A Paris, après-guerre, il est difficile de se loger, c'est la crise, beaucoup de vieux
00:35professeurs méritants ne veulent pas affronter la sécurité du logement, ils hésitent à
00:39bousculer leurs vieilles habitudes en acceptant une nomination à Paris.
00:44Il faut être jeune pour accepter un tel changement de vie, jeune comme Marcel Pagnol.
00:50Pagnol a 27 ans, il est professeur d'anglais à Marseille, heureux de taquiner la poésie
01:02sur les thèmes de l'antiquité.
01:04Brusquement, sa vie va changer, on va lui proposer le poste qu'il n'espérait qu'à
01:10la fin de sa carrière, être professeur au lycée Condorcet à Paris.
01:16C'est une prodigieuse destinée qui s'annonce, quand il reviendra dans un lycée de Marseille,
01:22ce sera en héros pour inaugurer le lycée Marcel Pagnol.
01:27Il était émerveillé qu'un lycée porte son nom, Jacqueline Pagnol, mais ce qui le
01:32désolait, disait-il, c'est que son nom serait sur les bulletins de retenue.
01:36Je crois que ce qui me touche le plus, c'est sa destinée, Pierre Tchernia, la destinée
01:41de Pagnol, vous savez qu'il était le fils d'un instituteur marseillais.
01:46Donc, il commence comme fils d'un instituteur dans une école et il a fini comme auteur
01:51de dictée.
01:52Alors, je trouve qu'il n'y a pas de plus belle victoire de l'école laïque obligatoire
01:58que cet aller-retour qui part de la communale jusqu'à l'Académie française, c'est-à-dire
02:04le symbole le plus haut de la langue, pour revenir à l'école communale.
02:08Et je me faisais cette réflexion en retrouvant dans le merveilleux journal de Jules Renard
02:15une phrase de Jules Renard qui est la suivante, « Ah, faire des choses que les petits-enfants
02:20copieraient sur leur cahier, c'est ça, être classique ! »
02:24Marcel arrive à Paris dans une ville affolée.
02:38Des voitures de pompiers prennent d'assaut le centre de Paris.
02:42Tout n'est que sirènes, cris, hurlements, flammes et paniques.
02:46Les grands magasins du printemps sont en train de brûler.
02:49La veille, la presse annonçait la défaite de Georges Carpentier au championnat du monde
02:54de boxe.
02:55Paris est doublement triste.
02:58Pour un peu, Pagnol regretterait son soleil du midi.
03:02« Il avait horreur du soleil ! »
03:04Une confidence de Jacqueline, sa femme.
03:07« Il avait le soleil, comme Giono d'ailleurs.
03:11Giono était jamais bronzé, il était pâle, comme beaucoup de méridionaux.
03:17Il n'allait jamais au soleil, il recherchait toujours l'ombre.
03:20Il avait une terreurie là-dessus.
03:22Pourquoi les maisons n'ont-elles pas de fenêtres, ou elles sont si petites en Provence ? C'est
03:28parce que les méridionaux ont horreur du soleil.
03:30Il était très beau en plus, il avait des yeux magnifiques, magnifiques, des beaux cheveux.
03:37Yves Robert.
03:38Moi, c'est un des souvenirs d'une très très très belle personne que j'ai rencontrée.
03:46Saviez-vous qu'on l'avait contacté pour jouer le rôle de Napoléon ? Gance l'avait
03:50rencontré dans le métro, lorsqu'il était professeur, il était professeur, et il avait
03:55vu ce jeune homme qui ressemblait au Napoléon au pont d'Arcole, exactement, avec la mèche,
04:01le visage émacié.
04:03C'est exactement le portrait de Napoléon, le jeune Bonaparte.
04:06Et il lui avait demandé s'il voulait jouer le rôle de Napoléon, en ne le connaissant
04:11pas du tout.
04:12Alors Marcel avait beaucoup rigolé, il lui avait dit « pas du tout, je suis professeur,
04:15il n'a pas été de toute question que je fasse l'acteur ».
04:18À Paris, Marcel retrouve un de ses amis de Marseille, Paul Nivoy.
04:22Avec Paul, il se met à écrire une pièce de théâtre, pour s'amuser, pour voir.
04:27La pièce s'appelle « Tonton ».
04:30Pagnol la trouve vulgaire, il refuse de la signer.
04:34Nivoy insiste et déclare l'œuvre à la Société des auteurs, à la place du nom
04:39de Pagnol, il signe Castro.
04:42« Tonton » est joué une vingtaine de fois, ce petit succès rapporte à Marcel 700 francs
04:49de droit d'auteur, de quoi s'offrir 150 repas dans un bon restaurant.
05:00Pagnol et Nivoy récidive, ils se mettent à écrire une autre pièce, plus ambitieuse.
05:13Cette fois, Marcel la signe de son nom, pour la postérité, ce sera sa première vraie
05:19pièce.
05:20La première pièce qu'a écrite Pagnol, c'était « Les marchands de gloire ».
05:23Le producteur Alain Poiré.
05:25Les marchands de gloire ont eu une générale, mais triomphale, une presse fabuleuse.
05:32On a crié au génie, on a écrit cette chanson.
05:35Et tout le monde a dit la pièce va marcher de façon formidable.
05:37Le premier jour où la pièce sort, Pagnol va au théâtre, c'était Jusqu'au trébord
05:46que le directeur du théâtre à ce moment-là, et puis alors comment ça marche, il l'emmène
05:51dans la salle, il ouvre une loge, il voit un petit groupe de spectateurs entassés,
05:56serrés les uns contre les autres, au milieu de la salle, et trébord lui fait ils sont
06:0047.
06:01Et Pagnol, pour se remonter de morale, lui dit oui, mais ils rient comme 500.
06:05Et trébord lui répond, ils rient même comme 1000, mais ils ont payé comme 19 parce qu'il
06:08y a 28 places gratuites.
06:09Il a eu deux échecs, il a eu Judas et puis après Fabien.
06:15Jacqueline Pagnol.
06:16C'est dommage parce que Judas est une très belle pièce, que j'aime énormément.
06:20Il a eu des concours de circonstances, d'abord le héros qui était pèlgrin judaïe tombait
06:25malade après quelques représentations, après quoi, il y a eu une doublure qui a eu une
06:32crise d'appendicite foudroyante, et après on a pris une troisième doublure évidemment
06:38mais la pièce s'est écroulée, ça n'a pas du tout marché.
06:50Il avait épousé Simone dans la vieille mairie sur le Vieux-Port, là où Panis épousera
07:03Fanny.
07:04C'était en 1916, Marcel avait 22 ans, ensemble ils étaient montés à Paris et leur bonheur
07:12s'était assombri.
07:13Simone Collin, c'était une jeune femme qui était, qui la suivit à Paris quand il est
07:19venu à Paris et qui était entrée, qui était employée dans l'administration de Condorcet
07:26où lui était maître adjoint, professeur adjoint.
07:30Raymond Castan !
07:31C'était une Marseillaise et qui a très mal supporté Paris et tout de même la passion
07:41de son mari pour le théâtre, pour Paris et qu'il n'a pas suivi.
07:48Il avait épousé une petite Marseillaise et au moment où il est devenu un grand Parisien,
07:53cette petite Marseillaise, ça s'est rompu assez rapidement et puis il est reparti pour
07:59Marseille.
08:00Depuis que Pagnol s'intéresse au théâtre, il s'intéresse aussi aux comédiennes, en
08:14particulier à celles qu'il a rencontrées dans les coulisses du théâtre de l'Atelier.
08:19Elle travaille chez Dulin, c'est la fille de grands bourgeois d'Algérie.
08:23En souvenir du pays, elle a pris pour pseudonyme le nom de sa ville natale, Oran.
08:30Elle s'appelle Orane, Orane de Mazis.
08:35Il faut savoir que quand Pagnol arrive à Paris, à Condorcet, c'est vraiment, il est rien
08:40du tout.
08:41Raymond Castan !
08:42Il est le petit chose et elle, elle est déjà comédienne, elle est déjà dans la troupe
08:48de Dulin.
08:49C'est une fille de famille, c'est une fille qui arrive de parents ruinés, mais d'une
08:54enfance très riche.
08:55Son père était polytechnicien, je veux dire que le déséquilibre social était à l'envers.
09:04Pagnol était très fier d'être l'amant d'une comédienne.
09:08À 32 ans, Marcel Pagnol décide de se consacrer pleinement au théâtre.
09:14Les droits des marchands de gloire ont été achetés par les Américains et sa seconde
09:19pièce, Jazz, est à l'affiche du Théâtre des Arts.
09:22Il gagne suffisamment d'argent pour se retrouver avec un capital qui représente cinq ans d'enseignement
09:29au lycée Condorcet.
09:31Son père peut être fier de sa réussite.
09:34Il m'a parlé de son père, il avait fait venir son père à Paris, il s'était détaché
09:37lui de l'université, son père était comme chacun ses instituteurs, et donc il y avait
09:42le traitement d'un instituteur, ce qui n'est pas un truc énorme, mais enfin qui est une
09:45garantie.
09:46Jean-Pierre Darras.
09:47Et lui, à l'époque, il avait deux ou trois pièces qui se jouaient à la fois à Paris,
09:50mais pleines, il y avait les marchands de gloire et il y en avait deux autres, au moins deux
09:56pièces bourrées, je ne sais pas si vous voyez ce que ça fait, à raison de 12% de droits
10:02d'auteur.
10:03Et alors son père, tout à fait ravi, voyant le succès de son fils, il était monté là-bas
10:08d'Aubagne avec son grand chapeau un peu à la Mistral et sa cravate lavalière qui était
10:13presque l'uniforme des instituteurs du Midi de l'époque, et alors le premier soir il était
10:19fier de voir son fils qui avait un triomphe pareil, le lendemain il y voit encore un triomphe
10:26et en sortant, il le prend par le bras affectueusement, en sortant du théâtre, il lui dit tout ça
10:30c'est très joli mon petit, mais de quoi vis-tu ? Il était très fier d'être le fils d'un instituteur.
10:37Bernard de Fallois, éditeur des œuvres de Marcel Pagnol.
10:41Il avait pour l'école, pour la classe, pour l'enseignement de la littérature, une grande
10:50fidélité, il avait été lui-même professeur étant jeune pendant quelques années et c'était
10:55un monde qui était le sien, et il était ravi d'ailleurs, il lui est arrivé plusieurs fois
11:00d'écrire à la place du fils ou de la fille d'un de ses amis, une narration ou une dissertation
11:08pour la remettre et voir la note qu'il aurait. Je sais d'ailleurs par l'un d'eux qu'il avait en général de très bonnes notes.
11:25Marcel a déménagé, il habite seul un petit appartement, plaqué au rez-de-chaussée d'un
11:44immense immeuble appartenant à la ville de Paris. Il a installé sa table de travail devant la fenêtre.
11:51Tout en écrivant, il aiguise ses talents d'observateur de la vie quotidienne. Et il avait des expressions,
11:57par exemple il m'a dit, vous savez, c'est vrai j'ai un beau brin de plumes, Jean-Pierre Darras, mais j'ai
12:05beaucoup observé, j'ai beaucoup regardé, j'ai beaucoup pris de notes, il y a des tas de choses que
12:10j'ai pas inventé, que j'ai fait que retranscrire. Bon moi aussi, j'étais élevé comme ça avec des
12:15gens qui sont des panurlesques, je veux dire, on avait un boulanger à Entraigues-sur-Sorgue
12:20dans le Vaucluse qui avait une formule charmante, il disait, le travail c'est pas que j'ai rien à la
12:25contre, mais c'est le temps qu'on me perd. Par sa fenêtre, Marcel observe les allées et venues des
12:31habitants du quartier. Il est intrigué par le comportement nerveux d'un jeune homme au regard
12:37noir, solitaire, pensif, marchant d'un pas rapide, ignorant les autres, comme préoccupé par une tâche,
12:47une oeuvre, découvrira plus tard Marcel Pagnol. Ce jeune homme habite au-dessus de chez Marcel,
12:54comme lui, il est écrivain, il s'appelle André Malraux. Il était curieux des autres, Pagnol.
13:01Yves Robert. Curieux, et puis c'était un conteur familial, il avait un besoin de charmer, tout le
13:09temps, comme les conteurs. Alors, suffisait de le laisser parler. La facilité de langage, elle
13:18était incroyable. Jean-Pierre Darras. Elle était incroyable, parce qu'il parlait, pas du tout comme
13:24un livre, j'allais dire comme un livre, mais il parlait avec un style parlé, mais presque écrit.
13:30C'est-à-dire que les formes étaient comme on osait encore le faire à cette époque-là,
13:36faut pas oublier que Pagnol était professeur d'origine, que son père était instituteur,
13:40tout le monde le sait maintenant, qu'il était né en 95, c'est-à-dire deux ans avant Pierre
13:46Frenet, que cette génération-là avait fait des humanités formidables, et que quand il parlait
13:51de le français, il parlait le français avec une espèce de teinte de latin, il y avait un
13:58classicisme fantastique. Beaucoup de gens m'ont raconté Bernard de Fallois, qu'il leur était
14:03arrivé ce qui m'était arrivé à moi, c'est-à-dire que venant lui parler d'une question précise,
14:07ils étaient retrouvés au bout de deux heures en train de causer avec lui dans son salon. Causer
14:12avec lui voulait dire surtout l'écouter, car c'était un conteur étonnant, extraordinaire,
14:17qui prenait un tel plaisir à raconter, qui vous donnait tellement le sentiment qu'il était heureux
14:22de vous raconter des histoires, des anecdotes, des souvenirs, ou de commenter telle ou telle chose,
14:26qu'on avait un sentiment d'immédiat de familiarité avec lui. Quand j'ai rencontré Marcel Pagnol,
14:31ce qui m'a frappé surtout, Pierre Tchernia, c'est que moi je venais voir un homme qui donc évoquait
14:40tous mes souvenirs, mais qui était un académicien en même temps, puisque je l'ai connu après 46 et
14:45qu'il est entré à l'académie en 1946. Or je suis tombé sur un homme qui me connaissait parce qu'il
14:51m'avait vu à la télévision, quand je faisais le journal télévisé à l'époque, qui s'est mis à me
14:55tutoyer immédiatement. Assieds-toi mon fils, bande, la vie est belle. Et hop, j'étais son vieux
15:03copain, car il était comme ça avec, peut-être pas avec tout le monde, mais en tout cas il était
15:08avec moi. Je l'ai vu se tenir de cette façon avec beaucoup d'autres. Donc il n'y avait brusquement
15:12aucune autre distance que celle qu'intérieurement vous mettiez, la distance du respect, mais
15:18apparemment on était des hommes sur un même bateau. Il adorait apprendre des choses aux gens.
15:25Jacqueline Pagnol. Moi j'adorais écouter, le questionner, il savait tout. J'avais l'impression
15:32d'être à côté d'un dictionnaire. Dictionnaire marrant, mais d'un dictionnaire, je pouvais tout
15:42lui demander. Et son fils tous les soirs s'endormait en lui disant, hé papa et comment est-ce qu'on
15:48fait ci et pourquoi ça ? Et Marcel avait réponse à tout et Frédéric s'endormait dans un rêve technique.
15:56Frédéric Pagnol, le fils de Marcel et de Jacqueline Pagnol.
16:18Et ce qui a d'ailleurs été fait avec succès puisqu'il en a trouvé tant et si bien qu'on a pu faire qu'il a fait
16:25construire un barrage et qu'il y a un petit étang qui va faire 10 mètres sur 20, mais ça a pris des années, mais c'était passionnant.
16:42Il avait même fait avec des morceaux de diverses bagnoles. Raymond Castan. Il avait fait un prototype d'une voiture qu'il appelait la Topazette.
16:53Et si je me souviens, c'était 3 places, 3 chevaux, 3 litres de sang, 3 000 francs et 3 roues. Il avait pris les commandes de Rému, il en avait commandé une au Charpent.
17:10Il n'en avait jamais livré.
17:22On a dit parfois que le personnage de Topaz avait été inspiré par le père de Marcel Pagnol.
17:28Marcel l'a inventé d'après les conversations qu'il avait entendues dans sa jeunesse dans la cour de l'école communale entre son père et ses amis, les autres instituteurs.
17:39On parlait souvent d'affaires, des affaires que faisaient les autres marchands de biens, commerçants, financiers.
17:47Un monde trouble et fascinant que le père Pagnol trouvait souvent immoral.
17:52En 1918, à Marseille, comme dans toute la France, arrivent les corps expéditionnaires américains.
18:00En bas de la maison où habitent les Pagnols, il y a un marchand de légumes qui vient trouver le père Pagnol, qui était instituteur, mais qui avait appris l'anglais, qui parlait l'anglais, comme son fils sera professeur par la suite.
18:16Et il dit à M. Pagnol, excusez-moi je prends mal l'accent, mais c'est un colore un peu tout ça.
18:21M. Pagnol, vous pourriez me rendre un service, voyez-vous, il y a toutes les troupes américaines qui sont là.
18:26Si je pouvais arriver à voir le marché des fruits et légumes, pour moi ce serait une affaire formidable.
18:31Est-ce que vous pourriez me faire une lettre, vous qui causez l'anglais ?
18:34Et le père Pagnol lui dit, bien sûr, mon cher Joseph, si je peux vous rendre service.
18:39Et il fait une lettre adressée au général commandant les troupes américaines de Marseille, qui reçoit cette lettre.
18:46C'est certainement la seule lettre qu'il reçoit en anglais, on lui propose de traiter les fruits et légumes, et le fruitier a le marché des fruits et légumes.
18:53Et les américains vont rester là un an, un an et demi, deux ans, et le fruitier va devenir un grossiste en légumes, va gagner des sommes formidables.
19:02Et quand les américains sont partis, un jour il est monté chez le père Pagnol avec une petite valise dans laquelle il y avait un paquet plein de billets de banque.
19:10Et il dit, monsieur Pagnol, vous avez fait ma fortune, alors je viens vous donner votre commission.
19:15Et le père Pagnol, fou de rage, lui a ouvert la porte et l'a jeté dans l'escalier en lui disant, monsieur, je vous ai rendu service et vous voulez me donner de l'argent.
19:26Contrairement à son père, Marcel Pagnol ne négligea pas les affaires, il passera pour un redoutable businessman.
19:33C'était ce qu'on peut appeler un remarquable homme d'affaires, sans le côté pénible de certains hommes d'affaires.
19:40Bernard de Fallois.
19:41Dont on se dit que leur but est uniquement de gagner le plus d'argent possible.
19:48Il avait, vers l'âge de 30 ans, à partir du théâtre et puis ensuite à partir du cinéma, compris très vite qu'il fallait des choses simples, mais qui soient sûres.
19:59Il voulait des contrats qui le garantissent.
20:01Ils étaient généralement très limités dans le temps.
20:03Il était assuré d'avance de ce que ça pouvait produire.
20:06Il était très heureux que cela lui fasse très bien gagner sa vie.
20:09Mais il avait l'esprit de l'homme qui pense qu'on gagne sa vie avec son travail.
20:14Lorsqu'il était en face d'homme d'affaires, il ne voulait pas se faire rouler.
20:18Donc il était beaucoup plus malin qu'eux encore.
20:20Mais ce n'était pas tellement l'argent pour l'argent, mais c'était pour le jeu.
20:24Et curieusement, ce n'était pas un joueur.
20:27Dans la vie, il ne jouait jamais.
20:30On est rentré dans les casinos plus d'une fois.
20:33Il me dit, Jacob, ne joue jamais, tu gâches ta chance.
20:37Il me disait, tu gâches tes chances dans la vie.
20:44Le premier film de Topaz
21:00Avec Topaz, Pagnol met en scène un personnage honnête
21:03entraîné, malgré lui, dans de sombres affaires financières.
21:07Mais pour écrire cette pièce, son héritage est touché.
21:11Pour écrire cette pièce, son imagination se rebelle trop souvent.
21:15Il laisse tomber le manuscrit.
21:17Il se met à écrire une autre pièce sur un thème suggéré par Pierre Blanchard.
21:22« Tu devrais écrire, lui dit-il, une pièce marseillaise qui se passerait sur le vieux port. »
21:28L'idée de Marius était née.
21:32Tout en reprenant Topaz, Marcel écrit Marius pour se délasser.
21:37Comme plus tard, il fera des mathématiques pour se délasser de la littérature.
21:42« Il s'est mis à l'arithmétique pure relativement tard, dans les années 60, 70. »
21:54Frédéric Pagnol.
21:56« Il était attaché à essayer de démontrer une proposition de Fermat qui n'a toujours pas été démontrée. »
22:08« C'était une passion pour lui qui lui permettait, si j'ose dire, de décompresser un peu quand il en... »
22:21« C'est quelqu'un qui écrivait beaucoup, pratiquement toute la journée. »
22:28« Et je crois que quand il en avait assez de ses activités littéraires, pour se délasser, disons, il faisait de l'arithmétique. »
22:40« Jusqu'à ses derniers jours, il travaillait sur le théorème de Fermat. »
22:45Jacqueline Pagnol.
22:46« Ce qui est un théorème fameux et célèbre qui n'a jamais été résolu. »
22:52« Et Marcel pensait l'avoir résolu. »
22:56« Alors, il travaillait toujours là-dessus. »
22:59« Jusqu'à son dernier jour, il a griffoné des chiffres et des théories sur ce théorème de Fermat qui était son mot bidique. »
23:17Pagnol vient d'écrire Marius.
23:19Léon Voltera a aimé la pièce.
23:22Il propose de la monter avec l'acteur que Marcel a choisi, Rémus.
23:27Pagnol vient d'écrire Marius.
23:29Léon Voltera a aimé la pièce.
23:32Il propose de la monter avec l'acteur que Marcel a choisi, Rémus.
23:56Pagnol avait écrit pour papa le rôle de Panis. Paulette Rémus qui a écrit un livre sur son père.
24:15Et c'est papa qui lui a dit non je ne suis pas Panis, je suis César. Il a fallu chercher un
24:22Marius. Donc Pagnol a trouvé Fréné et Fréné s'est devenu un Alsacien avec un Z, un Alsacien
24:31protestant, le fils du patron d'un bistrot de Marseille protestant, on n'a jamais vu ça.
24:37Fréné s'est tellement fait de soucis à ce moment là qu'il est parti passer un mois à Marseille et
24:44il a fait une interprétation merveilleuse de Marius. Papa, qu'est-ce qu'il y a? Je t'aime bien tu sais.
24:58Qu'est-ce que tu dis? Je t'aime bien. Moi aussi pourquoi me dis-tu ça? Je sais pas. Je vois que
25:11tu t'occupes de moi, que tu te fais du souci à cause de moi. Alors, ça me fait penser que je t'aime bien.
25:21Mais bien sûr, imbécile, va. Bonsoir. Bonsoir, mon fils. Et puis tu sais, des fois je dis que tu
25:38m'empoisonnes l'existence. C'est pas vrai. Bonsoir, mon petit. Pour monsieur Brun, c'est Robert
25:48Vatier qui sera choisi. Quant au personnage féminin, celle que Marius va abandonner pour
25:54aller courir le monde, c'est l'ami de Marcel qui va tenir le rôle, Orane de Mazis. Les répétitions
26:01ont commencé. Paulette Rémus parle de l'histoire de la célèbre partie de carte. Quand on est arrivé
26:07à la partie de carte, Pagnol a dit c'est très mauvais, c'est horriblement mauvais, il faut la
26:14couper, c'est affreux, ça passera pas, ça alourdit la pièce. Et on a donc envisagé de supprimer la
26:24fameuse partie de carte. Et là-dessus, Frenet est venu voir papa en lui disant écoutez monsieur Rémus,
26:29moi j'ai une grande scène avec Orane et je trouve qu'elle est trop longue et je me sens mal à l'aise.
26:35Papa lui dit ben écoutez je vais en parler à Marcel et il a pensé qu'il pourrait peut-être couper
26:44un petit peu de cette scène et rétablir la partie de carte. Si bien que sans rien dire à Pagnol qui
26:50voulait rien entendre, il a convoqué les comédiens dimanche matin, il a fait répéter la partie de
26:58carte et l'après-midi quand Pagnol est arrivé, ils ont filé la pièce d'un bout à l'autre et le
27:04Pagnol est resté absolument sidéré devant sa partie de carte à laquelle il ne croyait pas du tout.
27:35Mais ne te gêne plus, ne te gêne plus, montre-lui ton jeu pendant que tu y es.
27:39Mais monsieur Panisse, je n'ai pas donné de renseignements, je dis rien.
27:42En tout cas, nous jouons à la muette, il est défendu de parler.
27:44Et si c'était une partie de championnat, tu serais déjà disqualifié.
27:47Écoute Panisse, moi j'en ai fait plus de dix de parties de championnat et j'ai jamais vu une figure comme la tienne.
27:53Oui, toi tu es perdu. Les injures de ton agonie ne peuvent pas toucher ton vainqueur.
28:00Regarde comme il est beau, on dirait la statue de Victor Gellu.
28:04Évidemment, je suis porté à croire que Panisse coupe à cœur.
28:08Je t'en répète que quand on joue, on ne doit pas parler, même pour dire bonjour à un ami.
28:12Je ne dis bonjour à personne, je réfléchis.
28:14Et bien réfléchis en silence.
28:15Mais il a raison, tu n'as pas besoin de parler pour savoir si Panisse coupe à cœur, voyons.
28:21Et puis je te prie de ne pas lui faire de signe, tu ne dois regarder qu'une seule chose, ton jeu et toi aussi.
28:26Alors, si vous continuez à faire des grimaces, je pousse les cartes en l'air et je rentre chez moi.
28:30Ne vous fâchez pas, Panisse, ils sont cuits.
28:32Moi, je connais très bien le jeu de la manille et je n'hésiterai pas une seconde si j'avais la certitude que Panisse coupe à cœur.
28:42Et il continue à faire des grimaces.
28:44Tenez, M. Brun, surveillez Scartefig, moi je surveille César.
28:48Comment? Tu me fais ça à moi? Un camarade d'enfance à toi? Je te remercie.
28:55Je t'ai fait de la peine.
28:57Non, tu me fais plaisir, tu me surveilles comme si j'étais un scélérat, un bandit de grand chemin, tu me fais plaisir.
29:02Merci.
29:04Tu me fends le cœur.
29:05Allons, César.
29:07Il n'y a pas d'allons, César, tu me fends le cœur.
29:11J'ai le cœur fendu par toi.
29:15Tu me fends le cœur.
29:18Et alors, Scartefig, qu'est-ce que nous faisons alors?
29:20Alors, nous ne jouons plus, quoi.
29:22A moi, il me fends le cœur, à toi, il te fait rire, à toi, il te fait rire.
29:25Ah, très bien.
29:28Compris. T'es que heureux.
29:33Est-ce que tu me prends pour un imbécile?
29:35Tu as dit, il nous fends le cœur pour lui faire comprendre que je coupe à cœur.
29:38Et alors, il joue cœur par bleu.
29:40Tiens, tiens, les voilà tes cartes, hypocrite, tricheur.
29:42Je ne joue pas avec un grec.
29:44Je ne suis pas plus fan d'un que tu, ça.
29:45Il ne faut pas m'y prendre par un autre.
29:47Si un maître est Panisse et s'il n'y a pas profit par bagarre de table, tu me fends le cœur.
29:51Ah, il n'a pas l'air content, là.
29:53Cette fois, je crois qu'il est fâché pour de bon.
29:55Il a tort, M. Brun.
29:56Il a eu tort de se fâcher, mais vous avez eu tort de tricher.
29:58Écoutez, M. Brun, je ne peux pas tricher entre amis, mais ce n'est pas la peine de jouer aux cartes, alors.
30:14Marcel Pagnol est terriblement anxieux au soir de la promenade.
30:18Marcel Pagnol est terriblement anxieux au soir de la première de Marius.
30:22Il arpente nerveusement les coulisses,
30:25hasardant quelquefois un œil vers la scène où le grand Rémus
30:29est en train d'immortaliser un patron de bistrot nommé César.
30:34Mais l'anxiété de Pagnol fait bientôt place à une joie profonde,
30:38quand il entend l'immense ovation qui monte du public à la fin de la représentation.
30:43Moi, j'ai un très, très joli souvenir de Marcel,
30:47le soir de la première de Marius.
30:49Paulette Rémus parle de cette soirée de première mémorable.
30:52La pièce avait fait un triomphe.
30:54Il est rentré dans la loge de papa et c'était une loge très modeste.
30:59Et avec le crayon à maquillage de papa, il a écrit sur le mur de la loge
31:04« M. Rémus est un génie », signé Marcel Pagnol.
31:09Papa a découpé ce petit bout de papier
31:12et je l'ai vu toute sa vie sous un cadre
31:17sur le bureau de mon père.
31:19Avec Rémus, Marcel Pagnol va nouer une amitié parfois orageuse,
31:23comme avec Fernandelle.
31:24Compte tenu de ce que disait Pagnol de ces deux garçons,
31:28qui étaient des stars...
31:29Jean-Pierre Darras.
31:31Mais qui, sur le plan du conscient intellectuel,
31:34inquiétait quelquefois Pagnol,
31:37puisqu'il les a carrément traités de cons à plusieurs reprises.
31:40Il l'aura même écrit.
31:42Vous connaissez l'anecdote, un show qui avait traité Fernandelle de con.
31:45Et puis Fernandelle s'était fâchée, mais horriblement,
31:49en lui demandant des excuses publiques.
31:51Et il lui avait renvoyé un mot en lui disant
31:53« Je te fais toutes les excuses que tu veux,
31:55mais je maintiens que tu es un con », signé Pagnol.
31:58Avec Marius, Marcel Pagnol devient un auteur très célèbre.
32:03Un grand auteur populaire, c'est Marcel Pagnol,
32:07parce qu'il dit des choses qui sont universelles,
32:10parce qu'il dit des choses qui sont touchantes
32:12et que tout le monde comprend.
32:14Je vous prends un exemple.
32:17Dans « La fille du puisatier »,
32:19il y a une séquence où,
32:21je ne vais pas raconter toute l'histoire,
32:23mais Rému, qui est un puisatier,
32:25qui travaille au fond du puits,
32:27avec ses mains, toute la journée,
32:29à sa fille qui vient de se faire engrosser.
32:32Et ce malheur est arrivé par le fils d'un quincailler.
32:37Et alors, il y a une scène qui est l'affrontement
32:40entre un marchand d'outils
32:43et celui qui les utilise.
32:46Et finalement, Rému s'en va très digne et dit
32:49« J'aurais dû me méfier d'un homme
32:51qui vend des outils et qui ne s'en sert jamais ».
32:54Voyez-vous, cette phrase,
32:56elle est belle,
32:57mais vous pourriez la trouver à peu de choses près
33:00dans un texte de Virgile
33:02ou chez Rabelais ou chez Molière,
33:04parce que ce sont des sentiments forts et éternels.
33:13Marius devient un film.
33:15Pagnol s'intéresse au cinéma,
33:17il participe au tournage.
33:19Justement, là, il est homme d'affaires,
33:21car voilà qui s'arrange pour conserver les droits du film.
33:24Pierre Tchernia.
33:25C'est-à-dire qu'il va devenir
33:27un producteur de cinéma,
33:29un distributeur de cinéma,
33:31un exploitant de cinéma,
33:33et le seul Français qui,
33:35à l'exemple de Chaplin,
33:37ait eu ses propres studios.
33:39Pagnol, c'est-à-dire Pierre Tchernia,
33:41ses propres studios.
33:42Pagnol a amené en France
33:44ce cinéma parlant.
33:45Yves Robert.
33:46Les cinéastes français ne voulaient pas
33:48faire de cinéma parlant,
33:49partant de René Clerc à l'herbier, etc.
33:51Ils prétendaient que l'image était maîtresse
33:53et que si on mettait la parole
33:55et des bruits,
33:56le cinéma, qui n'était qu'image,
33:58disparaissait.
33:59Marcel avait enfin traversé
34:01la mer, car il n'avait jamais pris
34:03de bateau ni d'avion,
34:04il n'a jamais été,
34:05pour aller voir un film parlant à Londres.
34:07Et il est revenu et il a
34:10fondé une maison de production
34:14avec la Paramount, je crois.
34:16Et il a été le premier producteur
34:18à provoquer le parlant.
34:20Avec le cinéma, l'oeuvre de Marcel Pagnol
34:22va connaître une audience
34:24que seul le théâtre ne lui aurait
34:26jamais permis.
34:27Il est devenu producteur, auteur,
34:29metteur en scène,
34:31puis distributeur
34:33de ses films, puis
34:35il a fait construire des studios,
34:37les studios Marcel Pagnol,
34:39puis il a fait construire des laboratoires
34:41qui développaient la pellicule,
34:43puis il a acheté des salles.
34:45Alors comment faire mieux ?
34:47Et Rossellini,
34:49couronnant tout ça, lui dit
34:51en fait, c'est toi
34:53qui as inventé le néo-réalisme,
34:55c'est pas nous, c'est le premier qui est donné d'or,
34:57Pagnol.
34:58Il faisait construire des maisons,
35:00il a fait construire un village en ruines.
35:02C'est fantastique !
35:04C'est fantastique !
35:06Peut-être n'était-il pas un technicien
35:08hors pair,
35:10sans doute pas.
35:11On sentait que ça l'avait un petit peu chatouillé,
35:13un peu vexé ça, le fait que les gens disent
35:15Pagnol n'est pas un cinéaste, Pagnol il sait pas ce que c'est
35:17qu'un travelling, qu'un zoom,
35:19qu'un panoramique.
35:20Jean-Pierre Darras.
35:22Et alors il me disait, mais moi, pour moi le cinéma,
35:25c'est ma mère à l'Opéra de Marseille.
35:27C'est-à-dire que quand ma mère veut faire un panoramique,
35:29et bien avec ses jumelles,
35:31elle fait un panoramique pour suivre la sortie
35:33du jeune premier,
35:35ou du ténor.
35:36Quand ma mère veut faire un zoom,
35:38alors il prenait la molette de la jumelle,
35:40et là elle faisait un zoom pour voir la diva,
35:44et la paire de jumelles c'était la caméra de Pagnol.
35:46C'est quand même intéressant.
36:06Rémy et Fernandelle reprochaient souvent à Pagnol
36:22de ne pas jouer son rôle de metteur en scène.
36:25Ils voulaient un vrai metteur en scène,
36:27un metteur en scène qui reste les regardées jouer
36:29au moment des prises de vue.
36:31Il faisait la mise en place, bien entendu.
36:34Et puis, lorsque c'était mis en place,
36:37il ne restait pas,
36:39il allait dans le camion de son,
36:41et il écoutait le texte
36:43avec l'intonation des comédiens.
36:46Et si c'était bon pour le son,
36:48c'était bon pour l'image.
36:50Il était resté profondément attaché au texte.
36:54Bernard de Fallois,
36:56il considérait que c'est tout ce qu'il y avait
36:58de plus important dans son travail.
37:01Il considérait que le plus important,
37:04c'était le texte.
37:06Ce n'était pas un homme d'image.
37:08Et ce qui fait que ces films sont restés,
37:10je crois, et n'ont pas vieilli,
37:12c'est qu'ils n'ont rien d'esthétique
37:14au sens un peu limité, sinon péjoratif,
37:16tout au moins limité du mot.
37:18Je crois que, malgré tout,
37:20c'est le côté humain qui compte,
37:22et le côté humain, c'est dans les phrases,
37:24quelquefois dans les silences,
37:26mais les silences, il les entendait aussi
37:28quand il venait s'asseoir.
37:30C'est cela qui, pour lui, signifiait
37:32que la scène était bonne
37:34ou qu'il fallait la retourner.
37:36Les livres de Pagnol sont éblouissants pour ça,
37:38parce que c'est le mot juste
37:40à sa bonne place,
37:42mais le mot non seulement le plus juste,
37:44mais le plus chaleureux.
37:46Et je me souviens,
37:48vous savez à quel point
37:50on est dans l'emphase de nos jours,
37:52tout est super, tout est génial,
37:54et à un moment,
37:56on était en train de tourner,
37:58et le preneur de son
38:00avait posé son micro, je ne sais où,
38:02enfin, il ne le retrouve pas.
38:04Au moment précis, on doit tourner,
38:06et je lui dis, qu'est-ce qui se passe ?
38:08Il me dit, c'est dramatique, je ne retrouve pas mon micro.
38:10Et Pagnol lui dit,
38:12non, monsieur, ce n'est pas dramatique,
38:14c'est embarrassant.
38:16La chose qui était quand même bien
38:18et à la fois un peu inquiétante,
38:20c'est qu'il nous laissait dire le texte,
38:22il disait à l'opérateur
38:24que ça tourne jusqu'à ce qu'il s'arrête
38:26parce qu'il ne se souvienne plus du texte.
38:28Alors c'était à la fois bien
38:30et un petit peu inquiétant,
38:32parce qu'on ne savait pas très bien
38:34où on allait.
38:36Alors je comprends un tout petit peu Rémy.
38:48Pagnol, le magnifique,
38:50celui qui paraît toujours gai,
38:52celui qui fait rire avec ses histoires
38:54marseillaises, est en réalité
38:56un angoissé.
38:58Jean-Jacques Gauthier
39:00avait fait de lui un très joli portrait.
39:02Jacqueline Pagnol.
39:04Il avait commencé, portrait d'un optimiste
39:06angoissé.
39:08Et c'est tout à fait ça.
39:10C'était un optimiste merveilleux,
39:12mais avec l'angoisse au fond.
39:14Si j'arrivais avec une demi-heure
39:16de retard,
39:18elle est morte, elle s'est fait écraser.
39:20Son fils avait la fièvre,
39:22il a une méningite tuberculeuse,
39:24il a...
39:26C'était comme ça.
39:28Il envisageait le pire
39:30pour ne pas être déçu.
39:32Si j'ose dire.
39:34Peut-être par le fait qu'il avait perdu sa mère
39:36très jeune,
39:38et qu'il était peut-être poursuivé par cette image du malheur
39:40et de la fragilité
39:42du bonheur présent.
39:44Il avait 15 ans lorsque sa mère
39:46est morte.
39:48On l'aurait sauvée maintenant avec des antibiotiques.
39:50Elle est morte d'une pneumonie double,
39:52quelque chose comme ça.
39:54Et ça l'avait terriblement marquée.
39:56C'est de là
39:58que venaient ses angoisses.
40:00La vie de Marcel se déroule entre le midi
40:02et Paris, entre les
40:04amis et le travail.
40:06Il était très matinal, il se réveillait très tôt,
40:08vers 6 heures.
40:10Il préparait son
40:12petit déjeuner, il m'apportait un plateau,
40:14très gentiment.
40:16Et puis,
40:18il se mettait à son bureau, il écrivait
40:20jusqu'à 11 heures.
40:22Sans faire sa toilette, d'ailleurs.
40:24Il faisait sa toilette après,
40:26parce qu'il ne pouvait pas écrire s'il n'était pas...
40:28Il fallait qu'il soit comme ça,
40:30au sortir du lit, à l'état brut.
40:32Après quoi, il faisait
40:34sa toilette, puis il avait généralement
40:36des rendez-vous.
40:38Et on venait le voir,
40:40et puis...
40:42On déjeunait,
40:44ou on déjeunait en ville, très souvent.
40:46Et après, c'était une sieste.
40:48Alors là, c'était impératif.
40:50Il faisait la sieste
40:52toute l'année, pas seulement
40:54en été. Toute l'année, c'était
40:56impossible de résister à une sieste.
40:58Après quoi, il se réveillait frais comme
41:00un gardon,
41:02et puis il réécrivait
41:04jusqu'à 6 heures, à peu près.
41:06Et il recevait
41:08des amis. Il n'écrivait jamais
41:10le soir. Ce n'était pas un homme du soir.
41:12Il me disait que tout ce que j'ai écrit le soir
41:14sont des couillonnades.
41:16Et c'est très mauvais.
41:18Tout ce que je fais le soir, c'est très très mauvais.
41:20Il le déchirait le lendemain.
41:22Il écrivait beaucoup, il travaillait beaucoup.
41:24Bernard de Fallois.
41:26Sans s'occuper de questions
41:28matérielles, de savoir
41:30si cela paraîtrait,
41:32quand cela paraîtrait.
41:34Mais
41:36il écrivait,
41:38il réécrivait beaucoup.
41:40Il avait une magnifique écriture et il n'y a pas
41:42de livre de lui ou de pièce de théâtre
41:44de lui dont on ne trouve
41:46plusieurs manuscrits successifs.
41:48La grande limpidité
41:50de son style
41:52n'était pas absolument spontanée.
41:54C'était toujours, comme chez La Fontaine,
41:56c'était toujours au prix
41:58d'une recherche. Il m'avait montré,
42:00d'ailleurs c'était très émouvant,
42:02vous savez qu'il avait une écriture comme
42:04s'il écrivait à la ronde.
42:06Et c'était des plumes
42:08très épaisses et qu'il mettait
42:10dans des porte-plumes qu'il fabriquait lui-même
42:12avec des roseaux qu'il allait chercher
42:14dans des roseraies.
42:16Et alors il se bricolait
42:18des trucs très très curieux.
42:32En 1945,
42:34l'Espagnol épouse une très jeune comédienne,
42:36Jacqueline Bouvier,
42:38qu'il surnomme Jacqueline de La Toussaint.
42:40Parce qu'il m'avait rencontrée à La Toussaint.
42:42Il m'avait fait un petit poème
42:44et il voulait se tourner
42:46un film d'après
42:48un
42:50conte qu'il avait écrit qui s'appelait
42:52Les amours de l'agneau. L'agneau c'est le nom
42:54d'un de ses petits copains de lycée.
42:56Et ça se passait entre adolescents, entre 15-16 ans.
43:00Et il avait demandé
43:02si des jeunes gens,
43:04des jeunes filles, venaient le voir.
43:06Alors j'étais allée le voir à ce moment-là.
43:10Et on avait eu tout de suite
43:12un contact épatant.
43:14J'écrivais des petits poèmes.
43:16Alors je lui avais montré ce que j'écrivais.
43:18Ça l'avait intéressée.
43:20Et puis je ne l'ai plus revue.
43:22Le film ne s'est pas fait. Je ne l'ai plus revue.
43:24Et lorsqu'il est rentré
43:26à Paris en
43:281944,
43:30il m'a tout de suite appelée.
43:32Curieusement, il m'a tout de suite appelée.
43:34Il n'avait pas oublié cette petite jeune
43:36fille.
43:38Et puis on s'est retrouvés.
43:40On ne s'est plus quittés.
43:42D'un certain côté, il était
43:44très mûr,
43:46très dur même.
43:48C'était un redoutable homme d'affaires.
43:50Mais il y avait un petit côté chez lui
43:52qui était resté
43:54enfantin. Comme quelqu'un qui
43:56s'amusait tout le temps, qui découvrait tout le temps,
43:58qui avait une force
44:00d'enthousiasme extraordinaire
44:02et qui allait toujours de l'avant.
44:04Et pour lui, rien n'était...
44:06C'est ça qui m'a fascinée chez lui.
44:08C'est que pour lui, rien n'était impossible.
44:10Alors je trouvais ça formidable.
44:12Formidable.
44:14Tout était facile,
44:16tout était gai, tout était ensoleillé,
44:18tout était...
44:20Il était extraordinairement positif,
44:22enthousiasme,
44:24donc jeune.
44:26En 1946,
44:28deux autres événements importants marquent la vie de Marcel.
44:30Sa femme
44:32lui donne un fils, Frédéric,
44:34et il entre à l'Académie française.
44:36Seule ombre au tableau,
44:38son ami Rému
44:40est en clinique.
44:42Marcel va le trouver pour lui annoncer qu'il va entrer
44:44à l'Académie. Il est arrivé dans la chambre
44:46et il lui a dit, tu sais Jules,
44:48je vais rentrer à l'Académie française.
44:50Paulette, à côté de Charles Moulin, se rappelle
44:52l'événement. Moi je me souviens, j'ai vu
44:54devenir blanc comme un linge.
44:56Il a eu des larmes qui coulaient.
44:58Et comme il ne voulait pas que ça se voie,
45:00il lui dit,
45:02alors c'est vrai, tu vas avoir
45:04le chapeau d'encaisseur.
45:06Et le sabre.
45:08Et Marcel lui a dit,
45:10oui mais tu sais Jules, tu rentres avec moi
45:12parce que c'est grâce à toi que je suis à l'Académie française.
45:14Il lui a dit, va,
45:16mon pauvre Marcel, dommage que je l'acquille
45:18en plomb. Il avait la jambe cassée.
45:20Rému ne verra pas
45:22Marcel entrer à l'Académie.
45:24Il va mourir.
45:26Pagnol tournera encore quelques films
45:28mais son effort se portera davantage
45:30sur la littérature
45:32avec la publication de ses souvenirs d'enfance
45:34qui ont un succès considérable.
45:36A tel point que
45:38la télévision française viendra
45:40en tourner le récit de quelques morceaux choisis.
45:42On a donc
45:44tourné, je ne sais pas, pendant un mois ou un mois et demi
45:46presque quotidiennement
45:48avec lui. Pierre Tchernia.
45:50A Paris
45:52et puis dans ce qu'il appelait le domaine, c'est-à-dire
45:54près d'Aubagne, une très belle vieille maison.
45:56Et puis dans une
45:58villa à Saint-Tropez aussi.
46:00Et les premiers jours
46:02où nous sommes arrivés, je parle nous
46:04l'équipe de techniciens, preneurs de son,
46:06directeurs de la photo
46:08et
46:10je l'ai entendu qui disait
46:12ah, ils viennent faire ma nécrologie.
46:14C'était terrible à entendre ça.
46:16Et en fait,
46:18je le savais malade et d'ailleurs
46:20il est mort très peu de temps après cette série d'entretiens.
46:22Marcel Pagnol est mort
46:24à Paris le 18 avril
46:261974.
46:28Le lendemain matin,
46:30j'étais m'incliner devant
46:32le corps de Marcel Pagnol
46:34et puis
46:36embrasser sa famille puisque je les
46:38connaissais bien.
46:40Et il y avait son frère qui était là
46:42et il avait tous les journaux
46:44qui étaient parus, tous les quotidiens autour de lui
46:46et il m'a dit la presse est magnifique
46:48comme si ça avait été une répétition
46:50générale.
46:56Vous venez d'écouter Destins Extraordinaires
46:58un podcast
47:00issu des archives d'Europe 1
47:02Réalisation
47:04Julien Tharaud
47:06Production Romy Azoulay
47:08Patrimoine sonore
47:10Sylvain Denis, Laetitia Casanova
47:12Antoine Reclus
47:14Destins Extraordinaires est disponible
47:16sur le site et l'appli Europe 1.
47:18Écoutez aussi l'épisode suivant
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