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00:00Le regard du peintre poursuit avec gourmandise son itinéraire.
00:12Le modèle, la palette, la toile, la palette, la toile, le modèle.
00:18Nous sommes en 1900, l'artiste porte une grande veste boutonnée jusqu'au menton.
00:24Une grande barbe blanche baigne son visage de sagesse.
00:28Les yeux sont ronds, mobiles, rapides à sentir les couleurs.
00:32De l'autre côté de la toile, le modèle est un enfant.
00:36Il coût une robe pour son chameau en plus.
00:39Ses cheveux très longs pendent sur ses épaules.
00:42Un ruban les maintient sur le côté du visage.
00:45N'importe qui le prendrait pour une fille, mais c'est un garçon.
00:49Ses cheveux blonds font le bonheur de son père.
00:52De l'or, de l'or, se répète le peintre à lui-même en cherchant du bout de son pinceau
00:58la couleur de la chevelure du petit.
01:01De l'or, ça amuse l'enfant d'entendre ça.
01:04Oui, oui, de l'or, répète Auguste Renoir en souriant à son fils Jean Renoir qui pose devant lui.
01:12En 1900, Jean Renoir a six ans.
01:15Il est né le 15 septembre 1894 au château des Brouillards, en haut de la colline de Montmartre.
01:22La maison est entourée d'un côté par un prêt où des vaches ruminent consciencieusement
01:27en regardant Paris en bas de la butte.
01:30De l'autre côté, ça ressemble à des terrains vaguement plantés de buissons de rosettes
01:34et de vaches qui s'éloignent de l'eau.
01:37De l'autre côté, ça ressemble à des terrains vaguement plantés de buissons de roses sauvages
01:42autrefois entretenus, aujourd'hui retournant à l'état d'aubépines.
01:46Parmi les fleurs, des gens construisent des baraques en bois.
01:50Dans l'une d'elles vit une femme qui vend du poisson à la famille Renoir.
02:08Jean se souvient de l'intérieur de sa maison avec des fauteuils en velours et en bois doré.
02:13Il se rappelle aussi ses filles, de grandes dames qui viennent voir leur mère en calèche
02:18avec des domestiques en chapeau haute forme.
02:21Des femmes du monde qui laissent traîner dans la mémoire de Jean
02:24des parfums sensuels, des robes vives et des chairs d'angelots.
02:28Sa grande qualité à mon avis, majeure, le metteur en scène Bertrand Blier
02:33c'est que c'était un immense metteur en scène de femmes.
02:36C'est-à-dire qu'il savait écrire et mettre en scène des personnages féminins
02:43et les femmes étaient toujours merveilleuses dans ses films.
02:46Il aimait les femmes, mais il aimait toutes sortes de types différents
02:49la petite boulotte paysanne ou servante et le type de la grande dame.
02:55Il aimait les deux, il aimait l'intellectuel et l'intellectuel.
03:01L'intellectuel et celle qui était tout instinct.
03:06On ne pouvait pas faire de catégorie et dire il aime ceci, il n'aime pas cela.
03:11Parce que je l'ai vu aimer des raisonneuses et je l'ai vu aimer des instinctives.
03:32Les femmes tiennent une grande place dans la vie des Renoirs.
03:35Elles posent dans l'atelier d'Auguste, nues avec les cheveux défaits.
03:40Auguste Renoir déteste les coiffures de l'époque.
03:42Il lutte contre les chevelures qui s'enroulent savamment autour de la tête des femmes.
03:47Il n'aime pas les corsets d'angelots.
03:49Il n'aime pas les cheveux d'angelots.
03:51Il n'aime pas les cheveux d'angelots.
03:53Il n'aime pas les cheveux d'angelots.
03:55Il n'aime pas les cheveux d'angelots.
03:57Les cheveux d'angelots s'enroulent savamment autour de la tête des femmes.
03:59Il n'aime pas les corsets dangereux, dit-il pour les femmes enceintes.
04:03Auguste Renoir défend la nature.
04:05Il apprend à Jean à laisser vivre les choses, et les êtres.
04:10Jean Renoir ne croyait, n'appréciait que ce qui était né dans la terre.
04:15Ce qui était créé par la nature.
04:18Lécy Caron.
04:19Et d'ailleurs c'est la philosophie qu'il a héritée de son père qui disait
04:22qui disait, peignez ce que vous voyez, on n'a rien inventé de mieux.
04:27Il n'aimait pas les pires défauts de la bourgeoisie,
04:32comme il les a montrés dans Boudu.
04:34Il aimait, au contraire, la liberté.
04:37Il a toujours été pour l'éducation des enfants aussi libre que possible.
04:41Et les contraintes de la petite bourgeoisie le rendaient fous.
04:45Quelques contraintes que ce soit le rendaient fous, ça c'est vrai.
04:49Il habitait à Montmartre.
04:51C'est un chabriquet.
04:52C'est une espèce de petite maison toute tranquille,
04:54enfin un petit immeuble à trois ou quatre étages, et son appartement.
04:57Et ça, jamais je n'oublierai.
04:59Pour moi, c'est vraiment une impression profonde et qui est encore très vivace.
05:03Quand je suis rentré dans cet appartement,
05:05il m'a semblé rentré dans un tableau de son père, de Renoir.
05:09Mais vraiment, j'étais sûr, je me disais,
05:11je suis en train d'être dans un tableau de Renoir,
05:14je suis un tableau de Renoir.
05:15Parce que tout était exactement comme on imaginait l'atmosphère et l'univers du grand Renoir, du peintre.
05:23Il y avait une salle à manger avec une table ronde,
05:26une horloge qui sonnait, un chat,
05:29et puis il m'a offert le thé avec des confitures et des tartines,
05:33des tartines de pain de campagne.
05:35Et on avait l'impression d'être 40 ans ou 50 ans avant,
05:38chez Renoir, le peintre.
05:41Ça sentait la cire, la pomme et le thé.
05:44Et c'était une impression, j'ai eu une impression de chaleur humaine
05:48comme jamais je n'ai ressenti chez qui que ce soit.
06:02Jean Renoir a 6 ans.
06:04Il a découvert les plaisirs du spectacle.
06:06Gabriel l'emmène régulièrement voir Guignol.
06:09Jean préfère le théâtre des Marionnettes des Tuileries à celui des Champs-Élysées.
06:13Aux Tuileries, les décors sont grisâtres,
06:16les personnages habillés simplement.
06:18Il n'y a pas le luxe des étoffes brillantes des Marionnettes des Champs-Élysées.
06:21Jean déteste ça.
06:23Il trouve que ça fait efféminer.
06:25Et Jean Renoir, à 6 ans, veut avoir l'air viril.
06:28Il est complexé par ses longs cheveux blonds que son père adore peindre.
06:40Auguste Renoir doit se résoudre à faire couper les cheveux de son fils.
06:44Il veut l'envoyer au collège.
06:46Pierre, le frère aîné de Jean, est déjà pensionnaire.
06:49Chaque semaine, il revient passer le dimanche à la maison dans son bel uniforme.
06:53Au moins, quand je serai comme lui, on ne me prendra plus pour une fille, se dit Jean.
06:57Il y avait une élégance dans Renoir, extraordinaire.
07:00Jean carmait.
07:01Il avait toujours le même costume, mais ça avait de la gueule.
07:04Un feutre innommable.
07:06Une casquette.
07:09Un très bon feutre, de très bonne qualité.
07:11Mais il avait des années d'existence.
07:13Quelquefois, il me parlait chiffon.
07:15Il me disait, la jolie robe que vous portez.
07:18On en discutait pendant une heure.
07:20Il appréciait la belle robe.
07:22Il connaissait les grands couturiers.
07:24Il avait été un des premiers à apprécier Poiré.
07:28Il ne méprisait pas du tout l'habillement des femmes.
07:33Lui qui était habillé comme un ouvrier.
07:38Jean Renoir à l'âge de choisir un métier.
08:07Il veut devenir officier de cavalerie.
08:10Au fond, il était le fils d'un grand peintre enrichi.
08:13Leslie Caron.
08:14Je ne veux pas dire un bourgeoisier, mais élevé avec des moyens.
08:18Très bonne éducation.
08:20Un intellectuel quand même.
08:22Mais il n'a jamais abandonné quoi que ce soit de la richesse de sa culture.
08:26Il était à la fois le paysan, fils de sa mère, qui était née plus ou moins à Essoy.
08:34Et qui parlait le patois d'Essoy.
08:38Et puis, il était l'homme qui a été dans le monde et qui était officier de cavalerie.
08:45Et dont les amis étaient des aristocrates de meilleure famille.
08:49Il était aussi à l'aise dans les milieux peintres.
08:54Il a toujours gardé le côté bohème dans son habillement et dans sa manière de vivre.
09:00Il mangeait à la cuisine du saucisson et le verre de vin rouge.
09:05Mais il était tout aussi à l'aise dans un grand salon.
09:08C'était plusieurs personnages.
09:31Fier de porter l'uniforme, heureux de servir l'armée française,
09:35Jean Renoir est un bon officier de cavalerie.
09:38Le jeune Renoir ne se voit pas exercer un autre métier avant la guerre.
09:42Après la guerre de 1914, c'est différent.
09:44Il n'a plus qu'un désir, celui de quitter l'armée.
09:47Alors ça, par contre, la guerre pour lui c'était effrayant.
09:50Jacques Joanneau.
09:51Vous savez que c'était un des premiers aviateurs, Jean.
09:55Et il pilotait pas, mais il faisait de l'observation.
09:59C'est-à-dire qu'il allait prendre des photos, et il en a fait beaucoup même.
10:03D'ailleurs, il se passionnait beaucoup par la photo.
10:06Et il allait sur les ingres qu'on voit en rétrospective à la télé.
10:12Et il se penchait sur les lignes allemandes à 15 mètres, par exemple,
10:15au-dessus des toits, puis il allait les photographier.
10:18D'ailleurs, je crois qu'il a été abattu, je suis pas sûr,
10:20mais il me semble qu'il me l'a dit une fois, parce qu'il se cassait la figure et tout.
10:24Oui, oui, ça a été un pionnier de l'aviation.
10:27Mais alors ça, ça le faisait beaucoup rigoler.
10:30Ah oui, oui, il m'en parlait avec émotion.
10:33Mais ils ont fait ça très sérieusement.
10:35Ça a rendu des gros services à l'état-major en 1914-1918.
10:40C'était le premier service de renseignement d'espionnage par vue aérienne.
10:51Après la guerre, Jean Renoir se cherche un métier.
10:54Son père lui a fait construire, avant de mourir, un four à céramique.
10:57Jean devient donc céramiste avec son jeune frère.
11:00Pas très longtemps, car très vite, Jean Renoir se dit,
11:03dans ce métier, il faut être industriel ou un artiste.
11:06Or, je ne suis pas un artiste.
11:08Je n'ai pas le génie de mon père,
11:10et je n'ai pas envie de devenir un marchand de poterie.
11:13A la fin de la guerre, il s'est rendu compte qu'il n'y avait pas d'argent.
11:16Je n'ai pas le génie de mon père,
11:18et je n'ai pas envie de devenir un marchand de poterie.
11:21Alors Jean Renoir s'intéresse à autre chose, à Charleau.
11:24Charleau, c'est ce petit homme ridicule
11:26qui a éclaté comme une bombe pendant la guerre.
11:29Les permissionnaires ne parlaient que de ça en revenant dans les tranchées.
11:33Avec Pierre Renoir, son frère aîné, Jean est allé le voir au cinéma.
11:37Et Charleau est devenu son idole.
11:39Depuis ce moment-là, Jean s'intéresse vraiment au cinéma.
11:42Il s'intéresse maintenant à faire son métier,
11:44mais comme technicien, pas comme créateur.
11:46Il ne s'en sent pas capable.
12:13Jean Renoir est fasciné par le cinéma américain.
12:16Avec son frère, Pierre Renoir, qui est acteur, il en parle souvent.
12:20Et tous les deux, ils s'extasient sur la beauté des actrices américaines d'Hollywood.
12:24Je me souviens, je ne peux pas dire son nom bien sûr,
12:26mais il y avait une comédienne que je trouvais assez charmante d'avant-guerre
12:30et qu'il avait engagée dans un de ses films.
12:32Un souvenir de Sacha Bricquet sur Jean Renoir.
12:34Je ne l'avais pas trouvé une actrice fabuleuse.
12:36Et alors donc, cette actrice qu'il avait employée
12:39dans un des rôles principaux d'un de ses films d'avant-guerre,
12:42je ne la trouvais pas terrible d'un jour.
12:44Je lui avais dit, mais pourquoi vous avez engagé Mademoiselle Untel ?
12:46Et alors, il m'avait dit, elle a un beau cul.
12:50Alors, j'avais dit, ah bon ? Mais encore ?
12:53Dites-moi, comme actrice, un beau cul ?
12:57Et puis, je n'avais jamais pu en tirer autre chose.
13:10Jean Renoir se souvient du dernier cadeau que sa mère avait fait à son père.
13:14Auguste Renoir cherchait un modèle.
13:16Il rêvait d'une grande fille blonde pour peindre ses baigneuses.
13:20Alors, Mme Renoir était partie à Nice
13:22voir les modèles qui posaient pour l'Académie de peinture.
13:25Et elle avait ramené Dédé, une fille éclatante de beauté.
13:29Dédé était devenu l'ami de la famille,
13:31et elle avait apporté à Dédé un cadeau.
13:34Elle avait ramené Dédé, une fille éclatante de beauté.
13:37Dédé était devenu l'ami de la famille, et surtout, l'ami de Jean.
13:41Elle était folle de cinéma.
13:43Jean lui trouvait une taille de star, sérieusement.
13:46Il pensait que la beauté de Dédé valait celle de Mary Pickford,
13:50Mae Murray ou Gloria Swanson.
13:52La preuve, dans la rue, les passants lui demandaient des autographes,
13:55certains de l'avoir déjà vue dans un film américain.
13:58Alors, Jean Renoir a pensé, quand il a arrêté de faire de la céramique,
14:02qu'il pourrait devenir l'impressario de Dédé.
14:05Mieux, il serait son producteur.
14:07Il montrerait des films pour elle.
14:09Voilà comment, en 1920,
14:11Dédé devient Catherine Hessling, pour le cinéma,
14:15et Madame Jean Renoir, dans l'intimité.
14:18Le couple s'installe à Paris.
14:21À Paris, il habitait dans une très jolie maison,
14:24à rue Frochot, qui est à côté de Pigalle.
14:27Jacques Joanneau.
14:28Il adorait la butte Montmartre.
14:30Montmartre, Jean, oui, il adorait Montmartre.
14:33Et puis, il avait tous ses copains, les Utrilos, tout ça.
14:36Et il les connaissait, en plus.
14:38Jean Renoir possède aussi une maison en Bordeaux,
14:40à la forêt de Fontainebleau.
14:42C'est là que sa forêt de Fontainebleau
14:44s'est créée.
14:46Jean Renoir possède aussi une maison en Bordeaux,
14:48à la forêt de Fontainebleau.
14:50C'est là que sa femme, Catherine Hessling,
14:52tourne son premier film,
14:54La fille de l'eau, en 1924.
14:56L'acteur, Albert Dieudonné,
14:58est le partenaire de Catherine.
15:00Il se charge aussi de la mise en scène,
15:02pendant que Jean Renoir invente des trucages
15:04et des mouvements insolites de caméra.
15:06Je l'ai connu, justement, alors que, je sais pas,
15:08j'étais enfant.
15:09Claude Renoir, neveu de Jean Renoir.
15:11Quand il a tourné ce premier film,
15:13comme La fille de l'eau, des choses comme ça,
15:15ce film, alors, d'aventure, de rêve,
15:17est basé essentiellement sur la technique.
15:19C'est-à-dire que Jean Renoir, à ce moment-là,
15:21était passionné par la technique
15:23et qu'il a fait des trucages lui-même,
15:25a fait développer ses films lui-même,
15:27dans sa baignoire,
15:29à Marlotte, où il avait sa maison.
15:31C'est-à-dire que c'était le véritable
15:33technicien et
15:35profondément intéressé
15:37par les trucages, par la technique,
15:39tout ça.
15:45Le premier film, avec Catherine Hessling,
15:47terminé, Jean Renoir pense
15:49à le commercialiser.
15:51Il rencontre alors un jeune producteur
15:53qui revient d'Hollywood, Pierre Brandberger.
15:55Une relation amicale m'a fait
15:57connaître Jean Renoir.
15:59Et ça a été
16:01un choc, vraiment
16:03un choc amoureux.
16:05Nous avons déjeuné ensemble
16:07et nous sommes restés
16:09ensemble jusqu'à 6 heures du matin
16:11en parlant de cinéma.
16:13J'apportais à Renoir
16:15une vision du cinéma américain,
16:17vue de l'intérieur.
16:19Vision technique,
16:21utilisation des lampes
16:23à vapeur de mercure.
16:25Vision technique aussi,
16:27intromission des moteurs électriques
16:29dans les appareils de prise de vue.
16:31Les débuts de Jean Renoir au cinéma sont difficiles.
16:45Son premier film ne sort pas dans les salles.
16:47Jean se reconvertit.
16:49Il achète une boutique d'objets d'art.
16:51L'espoir de voir sa femme Catherine Hessling
16:53devenir une grande star s'évanouit.
16:55Le couple Renoir reprend confiance
16:57le jour où un cinéma
16:59programme un extrait de leur premier film.
17:01Le public applaudit.
17:03Jean décide de continuer.
17:05Il vend plusieurs tableaux de son père
17:07pour financer ses films.
17:09Puis arrive le cinéma parlant.
17:29Jean Renoir veut faire un film qui lui tient à coeur,
17:35La Chienne.
17:37Avant de lui laisser entreprendre son oeuvre,
17:39les producteurs veulent le mettre à l'épreuve.
17:41Il doit tourner un film tiré d'une comédie de fée d'eau,
17:43On purge bébé.
17:45C'est pour voir si vous êtes un metteur en scène économique,
17:47disent les producteurs à Renoir.
17:49Il a fait des choses qui l'ont amusé.
17:51Jean Carmet.
17:53Je pense qu'On purge bébé, ça le faisait terriblement rigoler.
17:55Quand il parlait de Michel Simon,
17:57d'ailleurs, il rigolait terriblement.
17:59Jean Renoir a réussi son examen de passage.
18:01Il peut tourner La Chienne,
18:03où il retrouve Michel Simon
18:05dans l'un des rôles principaux.
18:07Pour le personnage féminin,
18:09Jean Renoir pense à sa femme, Catherine Essling.
18:11Mais les studios lui imposent
18:13Jeannie Marez,
18:15une actrice sous contrat.
18:17Renoir est prêt à renoncer au film.
18:19C'est ce qu'il dit à sa femme.
18:21Catherine refuse, espérant qu'il va insister.
18:23Mais Jean n'insiste pas.
18:25Il ne lui propose pas une nouvelle fois
18:27un tel sacrifice.
18:29Il tourne La Chienne,
18:31avec Jeannie Marez.
18:33Catherine Essling ne lui pardonnera pas son infidélité.
18:35Ils se sépareront.
18:37Pour La Chienne, il avait voulu que le macro soit
18:39Georges Flamand,
18:41qui était un garçon qui connaissait
18:43Pierre Bronmerger, le producteur de Jean Renoir à cette époque.
18:45Il a tout fait
18:47pour qu'il y ait une aventure amoureuse
18:49entre Jeannie Marez
18:51et Flamand.
18:53Donc il a dit
18:55je peux tourner le film,
18:57elle est amoureuse de lui,
18:59il est amoureux d'elle,
19:01tout est parfait,
19:03elle sera bien.
19:05On tourne le film,
19:07Jeannie Marez reste avec Flamand,
19:09part,
19:11et lors d'un
19:13randonnée en voiture,
19:15elle est tuée,
19:17et Flamand était au volant.
19:19Michel Simon,
19:21qui était très amoureux
19:23de Jeannie Marez,
19:25arrive dans le bureau de Renoir à Biancourt,
19:27après cet événement,
19:29il dit Jean Renoir,
19:31tu es coupable de la mort
19:33de Jeannie Marez,
19:35je vais te tuer.
19:37Et Renoir lui répond,
19:39je ne regrette rien, j'ai fait un film.
19:41C'est tout Renoir.
19:43Il était prêt
19:45à tuer 40 personnes pour une scène,
19:47c'était pas,
19:49il était pas coupable,
19:51mais le problème n'est pas là.
19:53Renoir, c'était le cinéma.
19:55Ne cherchez pas à voir
19:57la vocation politique de Renoir,
19:59ou les idées générales,
20:01c'est un peintre qui fait un tableau,
20:03c'est un tableau de pellicules
20:05et en pellicules.
20:07C'est l'homme de cinéma par excellence,
20:09homme cinéma complet.
20:201936,
20:22le Front Populaire.
20:24Jean Renoir vient de réaliser un film,
20:26Le Crime de Monsieur Lange,
20:28qui le classe parmi les cinéastes de gauche.
20:30Bonjour,
20:32Jean Renoir vient me voir,
20:34à 8h chez moi,
20:36j'étais chez mes parents.
20:38Le producteur Pierre Bronmerger.
20:40Je m'habitais encore chez mes parents,
20:42il me dit, il m'arrive une chose,
20:44on me demande de faire le film du Parti Communiste.
20:47Qu'est-ce que tu en penses ?
20:49Tu crois que ça va me faire du tort ou du bien ?
20:51Il me dit, Jean,
20:53quand L'Herbier, quand Gans,
20:55présentent un film,
20:57ils ont toujours 20 000 spectateurs.
20:59Tu n'as pas de spectateurs.
21:01Tu as fait des films qui ont marché,
21:03mais on n'a pas fait de publicité sur toi,
21:05tu n'as pas de fous.
21:07Le Parti Communiste représente
21:09des spectateurs pour toi,
21:11tu serais très bête de t'en priver.
21:13Il y est allé,
21:15il y est allé en technicien
21:17qui ne prenait pas d'engagement.
21:19Que s'est-il passé entre Torres et lui ?
21:21Torres était un homme certainement
21:23très sympathique,
21:25je l'ai connu un peu,
21:27un homme très chaleureux, humain,
21:29qui a même été extraordinaire pour Renoir,
21:31puisque c'est à cause de lui
21:33que l'on a fait La Marseillaise.
21:35C'est le Parti Communiste qui a financé La Marseillaise,
21:37qui est un film que Renoir avait envie de faire.
21:39Torres a plus apporté à Renoir
21:41que Renoir à Torres.
21:45La Marseillaise
22:11L'exaltation du Front Populaire
22:13porte Jean Renoir.
22:15Avec La Marseillaise, il veut raconter
22:17la marche des volontaires marseillais sur Paris
22:19pendant la Révolution.
22:21C'est la vie des Français qui intéresse Renoir,
22:23leurs passions, leurs espoirs,
22:25avec leurs qualités et leurs défauts.
22:27La caméra passe du roi à l'homme du peuple.
22:29Elle s'arrête sur le drame de Marie-Antoinette.
22:31Elle filme la misère d'une femme de la rue.
22:33L'espace de quelques images,
22:35on sent déferler une vague de générosité.
22:37Elle engloutit
22:39toutes les rancœurs, les haines, les peines,
22:41les drames.
22:43Tout le monde se sent porté à aimer.
22:45On se dit qu'il suffirait d'un rien
22:47pour que le miracle se produise.
22:49Peu de temps après,
22:51Jean Renoir tourne La Grande Illusion.
22:53Chacun son point de vue.
22:55Mais enfin, vous ne pouvez donc rien faire
22:57comme tout le monde.
22:59Il y a 18 mois qu'on est ensemble
23:01et on se dit encore vous.
23:03Je dis vous à ma mère
23:05et vous à ma femme.
23:07Non.
23:09Alors ?
23:11Cigarette ?
23:13Non merci,
23:15le tabac anglais me fait mal à la gorge.
23:17Ah décidément,
23:19les gants, le tabac,
23:21tout nous sépare.
23:23Jean Gabin et Pierre Freynet
23:25dans un extrait de La Grande Illusion
23:27de Jean Renoir.
23:29Ce qu'il a exprimé surtout dans La Grande Illusion,
23:31Pierre Bonneberger,
23:33c'est que les frontières n'existent pas.
23:35Il y a des frontières de classe et d'amour.
23:37La Grande Illusion montre
23:39que l'officier français s'entend
23:41tout de suite avec le brou allemand
23:43et que le soldat français
23:45s'entend avec le soldat allemand
23:47bien qu'il soit son ennemi.
23:49Renoir prétendait toujours
23:51qu'un plombier
23:53allemand et un plombier français
23:55s'entendaient mieux
23:57qu'un crémier français
23:59avec un plombier français.
24:01Parce qu'ils parlaient
24:03des mêmes instruments
24:05et avaient le même idéal
24:07et les mêmes intérêts.
24:35Jean Gabin,
24:37le visage noir de poussière,
24:39regarde le manomètre
24:41de la machine à vapeur.
24:43La pression est bonne.
24:45Le train roule sans effort.
24:47Il se frotte les mains
24:49dans son chiffon, satisfait de son travail.
24:51A côté de lui, Julien Carette,
24:53une cigarette pendue à ses lèvres,
24:55casse du charbon.
24:57Gabin et Carette
24:59savent conduire une locomotive.
25:01Cela fait des semaines qu'ils apprennent le métier
25:03avec les employés du chemin de fer.
25:05Un journaliste a même écrit que Gabin
25:07pouvait emmener une locomotive
25:09à 150 km heure.
25:11Absurde, en 1938,
25:13aucune machine ne va à cette vitesse
25:15sur aucune ligne.
25:17Or, le souci de Jean Renoir,
25:19c'est d'être réaliste,
25:21voire même naturaliste.
25:23Jean Renoir adapte pour le cinéma
25:25le roman d'Émile Zola,
25:27La bête humaine.
25:338 août 1938,
25:35sur un quai du port du Havre,
25:37Jean Renoir et Jean Gabin
25:39attendent La Simone.
25:41La Simone,
25:43c'est Simone Simon,
25:45une actrice française
25:47devenue une star à Hollywood.
25:49Elle revient spécialement pour Jean Renoir.
25:51Renoir a convaincu les producteurs
25:53qu'il n'y avait qu'elle
25:55pour jouer le personnage de Séverine,
25:57l'héroïne de La bête humaine.
25:59La bête humaine,
26:01c'est un type de femme très différent,
26:03Simone Simon.
26:05Pas une vamp du tout,
26:07c'est une petite femme
26:09caline et aimante
26:11et très féminine.
26:13Il voulait d'ailleurs
26:15un contre-emploi,
26:17il me l'a dit,
26:19pour ce rôle.
26:21Et puis, il ne voulait pas
26:23une femme qui ait l'air
26:25d'une femme fatale,
26:27d'une femme qui fait
26:29des crimes par les hommes.
26:31C'est pour ça qu'il a pris
26:33une femme douce
26:35et caline comme ça.
26:59...
27:05Jean Renoir, contrairement à ses débuts,
27:07s'est pris de passion pour les acteurs.
27:09Il les regarde vivre.
27:11Quand il travaille avec eux, il les met en confiance.
27:13On dirait qu'il ouvre leur personnalité
27:15pour y laisser entrer ses personnages.
27:17Il avait une façon de vous regarder
27:19mais qui était vraiment
27:21extraordinaire, il avait une humanité.
27:23Jacques Joanneau, ami et interprète
27:25de Jean Renoir au théâtre et au cinéma.
27:27Les méchantes langues disaient de lui
27:29que c'était un numéro qu'il faisait
27:31pour obtenir quelque chose. Mais peu importe,
27:33il n'y a que le résultat qui comptait.
27:35On était en confiance avec lui, on était heureux
27:37d'être avec lui, on était bien.
27:39C'est formidable, c'est assez rare.
27:41La première fois que j'ai vu
27:43Jean Renoir, je l'ai regardé
27:45et j'avais envie de le serrer
27:47contre mon cœur, non pas du tout
27:49question ni sexuelle ni rien,
27:51mais il me faisait me rappeler mon gros nounours
27:53car j'avais un énorme nounours
27:55quand j'étais petite.
27:57Mila Parelli, interprète de Jean Renoir
27:59dans l'un de ses plus grands films.
28:01C'était un enfant, un grand enfant.
28:03Il était enthousiaste,
28:05il disait, on va faire ça,
28:07on va faire ça, c'est merveilleux,
28:09tout le temps.
28:11L'enthousiasme même est débordant.
28:13On lui suggérait quelque chose
28:15et il disait, tu crois bébé, on va essayer.
28:17C'était merveilleux.
28:19C'était extraordinaire
28:21de travailler avec lui.
28:25Musique
28:27Musique
28:29Musique
28:31Musique
28:33Musique
28:35Musique
28:37Musique
28:39Bien que la grande illusion
28:41ait rapporté une fortune à son producteur,
28:43Jean Renoir a toujours du mal
28:45à trouver de l'argent pour faire ses films.
28:47On l'accuse de ne pas vouloir respecter
28:49la règle du jeu du petit monde du cinéma.
28:51La règle du jeu
28:53qui lie les individus entre eux dans la société.
28:55Voilà le sujet
28:57qui passionne Jean Renoir
28:59en 1939.
29:01Musique
29:03Musique
29:05Musique
29:07Musique
29:09Musique
29:11Musique
29:13Musique
29:15Musique
29:17Jean Renoir commence
29:19le tournage de la règle du jeu
29:21le 15 février 1939.
29:23Les prises de vues sont terminées début avril.
29:25Il faisait des films assez rapidement.
29:27Beaucoup plus vite
29:29qu'on ne les fait maintenant.
29:31Le metteur en scène Bertrand Blier.
29:33Il écrivait un scénario en un mois et puis on tournait le film tout de suite.
29:35C'était pas des grandes quêtes spirituelles
29:37comme aujourd'hui.
29:39Je crois que c'était quelqu'un qui se prenait pas du tout au sérieux.
29:41Qui aimait bien se marrer.
29:43Qui aimait bien boire des coups.
29:45Qui aimait bien faire des gueuletons.
29:47Et puis
29:49qui faisait le film comme il était lui.
29:51C'est-à-dire bien rond.
29:53Et qui tenait bien sur leurs pattes.
29:55Musique
29:57Musique
29:59Musique
30:01Pour interpréter le rôle de Christine
30:03dans la règle du jeu
30:05Jean Renoir prend Nora Grégoire.
30:07Nora Grégoire
30:09qui joue la femme du marquis de la Chaînay
30:11dans le film est en réalité
30:13la princesse Starenberg.
30:15Elle vient d'Autriche où son mari
30:17avait formé un parti anti-hitlérien
30:19avant d'être chassé par les nazis.
30:21Lorsque Renoir
30:23l'a rencontré il a tout de suite été
30:25séduit par son émouvante sincérité
30:27par sa noblesse
30:29et son beau regard d'oiseau fragile.
30:31Il tombait amoureux d'une femme
30:33et voilà il se
30:35servait, il apprenait.
30:37Leslie Caron qui a aussi été interprète dans l'oeuvre de Jean Renoir.
30:39Il apprenait ce type de femme
30:41et il faisait une oeuvre
30:43avec ce genre de femme
30:45avec ce type de femme.
30:47C'est pour ça que vraiment c'est le metteur en scène
30:49qui a présenté
30:51le plus de variations
30:53dans sa compréhension de la femme.
30:55Il a fait travailler
30:57des femmes mais tout à fait
30:59diverses
31:01et de personnalités tout à fait différentes.
31:03Il a beaucoup aimé les étrangères.
31:05On était pris comme dans la main
31:07d'un sculpteur et il vous malaxait
31:09et vous en étiez contente.
31:11Mila Parelli interprète de Jean Renoir
31:13dans la règle du jeu.
31:15C'est pas quelqu'un qui vous forçait à faire quelque chose.
31:17Il fallait être naturel.
31:19Il m'avait imaginé par exemple
31:21en Femme du Monde
31:23hystérique car pour lui
31:25les Femmes du Monde étaient
31:27un peu hystériques.
31:29Il ne lâchait pas ses personnages.
31:31Mais il était là avec des rênes
31:33et il nous dirigeait bien.
31:35C'était merveilleux.
31:37Ce qu'il avait d'extraordinaire c'est qu'il avait
31:39toujours l'air de s'amuser.
31:41Lui c'était le roi des menteurs.
31:43Marcel Dalio.
31:45C'est un homme qui pendant les prises de vue
31:47arrêtait tout pendant 1h15
31:49et pleurait.
31:51Parce qu'il ne pouvait pas, l'émotion était si grande.
31:53Une fois que tu t'étais gratté le nez
31:55en premier plan, on trouvait que c'était sublime.
31:57Alors on ne le refaisait pas tout de suite.
31:59On se donnait du temps.
32:01On pleurait pendant 1h15.
32:03Et puis enfin on revenait
32:05et on faisait marcher la magie.
32:07Et tu le faisais 18 fois.
32:12Le 7 juillet 1939,
32:14à Paris, dans les cinémas
32:16Aubert Palace et Colisée,
32:18La règle du jeu, film de Jean Renoir,
32:20est présenté au public.
32:22Les premiers spectateurs font la queue,
32:24heureux de penser qu'ils vont se divertir
32:26pendant 2h.
32:28Renoir lui aussi est certain d'avoir fait avant tout
32:30un divertissement.
32:32Ses personnages sont gentils, le ton est léger.
32:34Mais le propos est grave.
32:36Trop grave pour les français de cette époque
32:38qui vivent avec la menace de la guerre.
32:40La règle du jeu montre une société en décomposition.
32:42On n'exalte pas le héros.
32:44Les personnages sont victimes de leur passion.
32:46C'est intolérable.
32:48C'est l'échec.
32:50C'est le plus grand échec de Jean Renoir.
32:52C'est pas très agréable de se percevoir une fois de plus
32:54qu'on est un raté,
32:56qu'on est inutile.
32:58Un parasite.
33:00Si j'avais pas
33:02quelques amis qui me supportent,
33:04je croiserais de faim.
33:06Et pourtant, tu le sais,
33:08quand j'étais jeune,
33:10moi aussi j'ai cru que j'aurais peut-être
33:12mon mot à dire.
33:14Le contact
33:16avec le public, tu vois,
33:18c'est ce truc-là que j'aurais voulu connaître.
33:20Ça doit être bouleversant.
33:22Quand je pense que je suis passé à côté,
33:24ça me fait quelque chose.
33:26Alors j'essaie de
33:28me bourrer le crâne,
33:30de figurer que c'est arrivé.
33:32Vous venez d'entendre Jean Renoir lui-même
33:34dans le rôle d'Octave,
33:36l'un des personnages de la règle du jeu.
33:38Jean Renoir ne se remet pas de l'hostilité
33:40du public contre son film.
33:42Il est déçu, profondément.
33:44Il pense à s'arrêter de faire du cinéma
33:46ou bien à quitter la France.
34:06...
34:161940,
34:18l'Exode.
34:20La France du Nord défile malgré elle
34:22sur les routes qui mènent vers le Sud.
34:24À pied, à bicyclette, en voiture,
34:26chacun progresse en protégeant
34:28son trésor.
34:30Un matelas, des ustensiles de cuisine,
34:32du linge ou rien du tout.
34:34Jean Renoir quitte Paris, lui aussi.
34:36Paul Cézanne et sa famille font partie
34:38du voyage. On a ficelé
34:40les tableaux du maître à l'arrière du véhicule.
34:42Les gens, ça les étonne.
34:44Ils ne comprennent pas qu'on se donne
34:46tant de mal à emporter des paravents.
34:48...
35:00Jean Renoir et ses amis arrivent
35:02dans la Creuse. On les héberge
35:04dans une grange. Ils vivent là
35:06quelques semaines entourés d'étoiles de Cézanne
35:08accrochées aux bottes de paille.
35:10Jean veut rejoindre la propriété
35:12de son père sur la côte d'Azur.
35:14C'est son jeune frère Claude Renoir
35:16qui en a irrité.
35:18Jean Renoir s'y trouve en sécurité jusqu'au jour
35:20où il voit arriver deux Français
35:22attachés au service culturel des nazis.
35:24Ils viennent lui proposer
35:26de remonter à Paris pour tourner des films,
35:28travailler pour la France nouvelle.
35:30Renoir fait traîner
35:32sa réponse et fait accélérer
35:34une demande de visa qu'il a déposée
35:36aux consulats des Etats-Unis.
35:38C'est le moment d'accepter la proposition
35:40de son ami le cinéaste américain Robert Flaherty,
35:42partir pour Hollywood
35:44et y travailler.
35:46...
36:02A Hollywood,
36:04Jean Renoir est lié par contrat
36:06avec la 20th Century Fox.
36:08Dès son arrivée, il est reçu par le grand patron
36:10Daryl Zanuck.
36:12Les premières entrevues sont très cordiales.
36:14Zanuck attend de Renoir
36:16qu'il lui fasse des films français
36:18avec les méthodes d'Hollywood.
36:20Très vite, Jean comprend qu'il va devoir filmer
36:22dans des décors de faux Montmartre,
36:24des scènes avec des sergents de ville en pèlerine
36:26et des petites femmes du guet-pari.
36:28C'est exactement ce qu'il ne veut pas faire.
36:30Alors il explique longuement
36:32au producteur américain
36:34qu'il préférait traiter des sujets américains
36:36avec ses propres méthodes.
36:38C'est-à-dire tourner en décor naturel,
36:40choisir ses acteurs
36:42et choisir son scénario lui-même.
36:44Zanuck ne comprend rien de tel propos
36:46jusqu'au moment où Renoir lui dit
36:48un jour viendra où vos équipes
36:50iront à travers le monde
36:52filmer des décors naturels pour obtenir
36:54l'authenticité.
36:56L'aspect prévisionnel de la remarque
36:58ébranle le patron des studios de la Fox.
37:00Jean Renoir est autorisé à filmer
37:02certaines scènes de son premier film américain
37:04dans le sud des Etats-Unis.
37:13Ce qui est très curieux...
37:15Je n'ai vu qu'un seul de ses films américains.
37:17C'était fascinant
37:19parce que c'était un film complètement américain.
37:21On a l'impression que le scénario
37:23a été écrit par Steinbeck.
37:25Jean Renoir est venu en Amérique avec Didot.
37:27Didot a été la script-girl
37:29de la règle du jeu.
37:31Elle est la principale collaboratrice de Jean.
37:33C'est aussi la femme avec qui
37:35il va passer le reste de sa vie.
37:37Son épouse, Didot Renoir, était peut-être
37:39la contradiction la plus totale
37:41sur toutes les données
37:43établies dans le mythe
37:45Renoir père et fils.
37:47C'est-à-dire Didot est une grande femme
37:49avec une personnalité
37:51très marquée.
37:53Je ne veux pas dire
37:55autoritaire parce que c'est péjoratif.
37:57Mais elle est drôle.
37:59Elle se décide.
38:01Elle dirige.
38:03C'est une dirigeante.
38:05Une femme intelligente et drôle.
38:07Mais ça n'est pas
38:09les laveuses
38:11du père Renoir.
38:13Ce n'est pas non plus la femme capricieuse
38:15qu'était Catherine Hessling.
38:17Quand Jean Renoir épousera Didot,
38:19il ne saura pas que son divorce avec Catherine Hessling
38:21n'aura jamais été officiellement prononcé.
38:23Jean se retrouvera bigam
38:25pendant quelques mois.
38:33En 1946,
38:35sort aux Etats-Unis un nouveau film
38:37sur Jean Renoir,
38:39La femme sur la plage.
38:41Commercialement, c'est un échec.
38:43Ce film marque la fin de son aventure professionnelle
38:45à Hollywood.
38:47Les producteurs proposent de lui racheter son contrat.
38:49Jean Renoir accepte.
38:51Mais il reste aux Etats-Unis.
38:53En Europe, la guerre est finie.
38:55Ça a dû lui faire très mal, cette guerre,
38:57moralement.
38:59Il y a eu quelque chose de brisé en lui.
39:01Je ne l'ai pas retrouvé d'ailleurs.
39:03Quand je l'ai vu, j'ai vu un monsieur très gentil.
39:05Gros nounours, grand enfant.
39:07Et plein d'enthousiasme.
39:11Je n'ai jamais retrouvé un être
39:13comme ça après la guerre.
39:35En 1951, Jean Renoir a 57 ans.
39:37Après 11 ans d'absence,
39:39il revient en France.
39:41Il retrouve Paris
39:43et l'abutement martre de son enfance.
39:45Ils avaient une maison de famille,
39:47rue Fauchot, qui est très jolie.
39:49Jacques Joanneau.
39:51C'est dans une petite impasse,
39:53qui existe encore d'ailleurs,
39:55et je crois que c'est au numéro 7.
39:57Il y avait un hôtel particulier là.
39:59Mais très simple, un hôtel particulier.
40:01Ça aussi, c'était typique de Jean Renoir.
40:03Il ne l'a pas transformé.
40:05Lui qui habitait en Amérique,
40:07à Hollywood, je ne sais pas comment
40:09était sa propriété là-bas, à Beverly Hills.
40:11Mais ce que je sais, c'est que la rue Fauchot,
40:13cette maison, il ne l'avait absolument
40:15pas transformée.
40:17C'est-à-dire que, moi j'ai été chez lui
40:19en 1958,
40:21et bien elle était certainement
40:23comme à sa construction.
40:25C'est-à-dire des grandes pièces,
40:27mais tout ça démodé, vous voyez,
40:29avec des violents bris, des lustres
40:31de 1900,
40:33même encore des poils godins.
40:35Il n'y avait même pas le chauffage central,
40:37je ne crois pas.
40:39Mais ça, c'est typique lui.
40:41Je suis sûr qu'il était
40:43contre la modernisation
40:45à outrance,
40:47ce que font beaucoup
40:49de gens de notre profession,
40:51c'est-à-dire les bay windows,
40:53les sofas,
40:55les machins, les lumières
40:57indirectes et tout. Non, non.
40:59Il était très beau.
41:01Il avait encore chez lui des Renoirs,
41:03beaucoup même, il en avait beaucoup de son père.
41:21Le 12 mars 1955,
41:23au Théâtre de la Renaissance,
41:25à Paris, le public découvre
41:27pour la première fois une pièce de Jean Renoir.
41:29Orvée est une comédie
41:31en trois actes que Renoir a écrite deux ans
41:33auparavant pour Leslie Caron.
41:35Pour moi, il a vu un petit personnage
41:37qu'il connaissait
41:39dans son enfance
41:41et qui était une petite sauvageonne
41:43qui habitait les bois
41:45autour de la maison de son père
41:47et qui
41:49était braconnière, qui volait les lapins
41:51et ramassait les champignons.
41:57Pour préparer sa pièce,
41:59Jean Renoir a aménagé son appartement
42:01en salle de répétition.
42:03C'est là qu'il y a quelques mois,
42:05il a commencé à travailler avec les comédiens.
42:07De jour en jour,
42:09il leur a fait lentement découvrir leur rôle
42:11en les faisant travailler à l'italienne
42:13comme dans ses films.
42:15Quand on fait une première lecture...
42:17Catherine Rouvel parle de la méthode de répétition
42:19de Jean Renoir.
42:21Pour la première fois, quand on lit une chose,
42:23ensemble, quand on découvre une lecture,
42:25il faut la lire comme le botin,
42:27sans rien mettre.
42:29Parce que les gens
42:31qui lisent admirablement
42:33bien la première fois,
42:35tout ça c'est lui,
42:37c'est pour ça que je ne chante pas,
42:39en restent là,
42:41ne font pas de progrès,
42:43ils ont l'impression qu'ils ont tout trouvé.
42:45Alors qu'un personnage,
42:47ça se cherche à l'intérieur de soi.
42:55...
43:09Jean Renoir avoue souvent
43:11qu'il est d'un caractère craintif.
43:13Tout jeune, il a été froussard
43:15au collège, à l'armée,
43:17à la guerre et dans la vie.
43:19Avec les acteurs, par exemple,
43:21il a toujours peur de dire une bêtise
43:23C'est une des raisons pour lesquelles
43:25Jean observe une extrême politesse avec eux,
43:27qu'il multiplie les précautions oratoires.
43:29Il a peur qu'on se moque de lui.
43:31C'était presque un cinéma de famille,
43:33Claude Renoir, sans même parler de Jean Renoir,
43:35une équipe, c'était une grande famille
43:37pendant deux ou trois mois,
43:39c'est plus comme ça maintenant,
43:41je le regrette bien sûr.
43:43...
43:49En 1962,
43:51Jean Renoir tourne son dernier grand film,
43:53Le caporal épinglé.
43:55Une fois encore, le public va bouder son oeuvre.
43:57Il va devoir endurer
43:597 ans de chômage forcé,
44:01avant de tourner son dernier film,
44:03Le petit théâtre de Jean Renoir.
44:05Je crois qu'il a été déçu par la France,
44:07Leslie Caron,
44:09qui après tant de chefs d'oeuvre,
44:11qui était reconnu par la presse
44:13et par tous les étudiants du cinéma,
44:15et par tous les cinéastes commettant des chefs d'oeuvre,
44:17on ne lui faisait toujours pas confiance.
44:19Les derniers projets qu'il avait
44:21et qu'il a essayé de monter,
44:23l'ont découragé.
44:25...
44:27C'était très pénible pour lui
44:29d'être obligé de perdre son temps
44:31à frapper aux portes.
44:33...
44:35Et les gens essayaient toujours
44:37de lui imposer les règles
44:39qui étaient à la mode.
44:41...
44:43La manière de tourner à la mode
44:45et la manière de jouer à la mode.
44:47...
44:49Les idées, les sensations,
44:51les sentiments à la mode.
44:53Alors Jean Renoir part vivre aux Etats-Unis,
44:55à Hollywood.
44:57Là, il ne tourne pas plus de films qu'en France.
44:59Il écrit des livres
45:01et continue d'imaginer des projets pour le cinéma.
45:03...
45:05...
45:07...
45:09...
45:11...
45:13Ces dernières années, il a été malheureux
45:15en fait, il s'était un peu isolé à Hollywood
45:17et puis il aurait été très heureux
45:19de pouvoir vivre en France.
45:21Claude Renoir.
45:23Hollywood pour lui a été d'abord
45:25la patrie de ses idoles.
45:27Et puis,
45:29pendant la guerre
45:31et juste après la guerre,
45:33il y avait des grands amis
45:35et il se trouvait en famille.
45:37Il avait Chaplin, il avait Cheminot,
45:39il avait Clifford Odets,
45:41tous ces gens-là qui peu à peu ont disparu.
45:43Les uns sont morts,
45:45Chaplin
45:47a quitté l'Amérique
45:49et Jean s'est retrouvé
45:51vraiment seul là-bas.
45:53Alors,
45:55c'est à ce moment-là qu'il a fait une tentative
45:57pour revenir en France.
45:59En fait,
46:01on ne lui a pas facilité les choses.
46:03Mais Jean, vous savez,
46:05où qu'il soit,
46:07ne vit pas tellement.
46:09C'est pas parce que s'expatrier,
46:11d'adopter la vie d'un autre pays,
46:13c'est le fait de trouver
46:17d'abord un foyer, il avait un foyer
46:19puisqu'il avait sa femme, il avait son fils,
46:21Alain Renoir,
46:23et puis des amis.
46:25La dernière fois que je l'ai vu à Los Angeles,
46:27il avait beaucoup maigri,
46:29il n'était plus
46:31maître de lui-même parce qu'il était
46:33dans un fauteuil,
46:35les jambes ne bougeaient plus beaucoup,
46:37les mains bougeaient encore un peu,
46:39mais le visage était là,
46:41très amaigri,
46:43et puis il y avait l'œil,
46:45l'œil était encore plus fort parce que
46:47l'œil avait supplé,
46:49le regard avait supplé
46:51à la déficience des autres
46:53éléments du corps, j'en suis sûr,
46:55et l'intelligence n'avait pas cessé de grandir.
46:59Il s'exprimait,
47:01c'était pas gai d'ailleurs,
47:03parce qu'il y avait une telle
47:05volonté de vivre, d'être et de créer encore,
47:07il sentait qu'il ne pourrait plus
47:09faire de cinéma, bien sûr, mais il avait une volonté
47:11de créer,
47:13il se faisait des films dans sa tête,
47:15il se les projetait.
47:37Jean Renoir meurt
47:39le 12 février 1979
47:41à Hollywood.
47:43Il avait 84 ans.
47:45Il laisse en guise de réponse
47:47à tous ceux qui se demandent pourquoi
47:49il a décidé de vivre au loin de chez lui
47:51en Amérique.
47:53Je suis un citoyen
47:55du cinématographe.
48:01Vous venez d'écouter
48:03Destins extraits.
48:05Vous venez d'écouter Destins Extraordinaires,
48:07un podcast
48:09issu des archives d'Europe 1.
48:11Réalisation
48:13Julien Tharaud.
48:15Production Romy Azoulay.
48:17Patrimoine sonore
48:19Sylvain Denis, Laetitia Casanova,
48:21Antoine Reclus.
48:23Destins Extraordinaires est disponible
48:25sur le site et l'appli Europe 1.
48:27Écoutez aussi l'épisode suivant
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