L'écrivaine Camille Laurens est l'invitée du 7h50 de ce lundi 30 décembre. Son nouveau roman, Ta promesse, paraît ce 2 janvier aux éditions Gallimard.
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00:00Notre invitée est autrice, membre de l'Académie Goncourt, son nouveau roman « Ta promesse » sort dans
00:073 jours, jeudi, le 2 janvier, chez Gallimard. Camille Laurence, bonjour !
00:12C'est une double promesse en réalité, celle que se font deux amoureux, lui veut qu'elle promette de ne jamais écrire sur lui,
00:19elle, en contrepartie, lui fait promettre de ne jamais la trahir, aucun des deux ne tiendra sa promesse.
00:26Je ne divulgage pas grand-chose, on sait tout de suite que cela finira mal, puisque la narratrice est accusée d'avoir tenté de tuer son amant.
00:34Tous deux sont dans la cinquantaine, ils ont déjà vécu des histoires d'amour qui se sont mal terminées,
00:40pourquoi s'obstinent-ils à continuer à faire des promesses et à en demander ?
00:46Parce que tout le monde a envie d'aimer et d'être aimé, en l'occurrence, ce ne sont pas vraiment des promesses d'amour d'ailleurs, ni l'un ni l'autre.
00:58Je crois que c'est une volonté de s'assurer de l'amour de l'autre, alors qu'en réalité on ne connaît jamais l'autre,
01:09et c'est un petit peu le propos de mon roman, de montrer comment on peut s'illusionner, au fond, sur l'autre,
01:19et sur la relation, et sur ses propres sentiments, et surtout sur les sentiments de l'autre.
01:26Justement, votre narratrice est autrice, comme vous, quand l'autre lui fait promettre de ne jamais écrire sur lui, elle devrait s'enfuir en courant ?
01:36C'est toujours difficile, après coup, évidemment, on peut se dire que c'était un mauvais signal, c'était un drapeau rouge, comme on dit maintenant.
01:44Mais elle, elle l'interprète positivement, elle se dit qu'il ne veut pas être dans un de mes livres parce qu'il veut être dans ma vie, c'est d'ailleurs ce qu'il lui dit.
01:55Il lui dit, je sais que tu écris sur tes histoires d'amour, et bien moi je veux rester ton histoire d'amour et ne pas me retrouver dans un livre, comme une espèce d'inventaire ou de testament.
02:12Et puis elle se dit, on n'écrit pas sur le bonheur, donc nous sommes heureux, il n'y a rien à dire.
02:16Voilà, elle, elle se dit, qu'est-ce que je raconterais de cette histoire qui est merveilleuse, qui est une idylle, c'est là, c'est là qu'est le malentendu.
02:27Autre signe qui aurait pu l'alerter, il l'appelle Maclère, et l'une de ses amies, Claire, lui dit, tu te rends compte, c'est un pronom possessif, possessif, ça doit nous alerter, ça ?
02:41Oui, oui, son amie Carole est très féministe et elle fait attention à tous les signes de possessivité, alors celui-ci est sans doute un peu excessif.
02:50Peut-être que ce qui la choque aussi, c'est que ça arrive très rapidement, c'est-à-dire que les mots d'amour, les expressions très sentimentales arrivent tout de suite.
03:02Et on se dit, c'est bizarre, cette façon tout de suite de vouloir mettre l'autre sous cloche, d'une certaine façon.
03:11Parce que la question centrale de ce livre, c'est celle de l'emprise, celle que Gilles, donc l'amant, exerce sur Claire, la narratrice.
03:19Cette question de l'emprise qui n'a jamais été aussi actuelle, qui traverse la société, pourquoi vous a-t-elle inspirée ?
03:26Parce que justement, je crois que c'est une nouvelle forme de domination.
03:31Disons que l'emprise a toujours existé, mais je pense que c'est, dans les relations amoureuses, une nouvelle forme de domination, notamment masculine,
03:39même si l'emprise peut être exercée par des femmes, c'est plus volontiers masculin.
03:46Et c'est une forme insidieuse, finalement, de domination.
03:50C'est peut-être la forme qui reste aux hommes, à certains hommes,
03:57puisqu'ils ne peuvent plus vraiment l'exprimer comme avant, de façon ouverte et assumée.
04:08Donc c'est invisible, c'est dans la vie intime, c'est dans la vie privée, c'est dans des détails.
04:15Et ça finit par être complètement toxique, effectivement.
04:18Et cela dépasse, selon vous, le cadre du couple ? Je le disais, ça traverse la société.
04:23C'est une question de société, pas seulement une question intime ?
04:27Oui, je pense qu'il y a un développement du narcissisme et du manque d'empathie.
04:37Il y a de moins en moins d'empathie.
04:38D'ailleurs, on commence à penser à donner, comme dans certains pays scandinaves, des cours d'empathie.
04:44C'est assez terrible de se dire ça, qu'on est obligé maintenant, dès l'enfance,
04:49d'apprendre aux enfants l'existence des autres.
04:52Il y a un moment dans le roman, un passage d'anticipation,
04:55en 2050 ou 2100, des scientifiques publient des articles dans des revues spécialisées
05:03pour déterminer quand est intervenue la disparition de l'empathie.
05:07Oui, c'est ça, je me suis amusée à me projeter un peu dans une dystopie
05:13qui n'est peut-être pas si lointaine que cela,
05:16où, en effet, il n'y aura plus de, beaucoup moins en tout cas,
05:21ou presque plus d'altérité, de soucis de l'autre.
05:24Et donc, évidemment, ça complique beaucoup l'amour.
05:27Parce que l'amour, c'est précisément s'intéresser à l'autre.
05:32L'emprise, c'est aussi l'inversion de la culpabilité.
05:35Dire que les femmes sont folles, un ami de votre héros dit cela.
05:39Sauf votre respect, les femmes tournent vite folles.
05:42C'est notre faute, soit, mais c'est leur folie.
05:45Oui, oui, ça c'est assez caractéristique.
05:47C'est-à-dire, c'est de porter la faute chez l'autre.
05:51Et donc, dans la relation d'emprise, quand c'est un homme qui exerce son emprise sur une femme,
05:58il va lui attribuer toutes les défaillances qui sont en lui-même, d'ailleurs.
06:05Toutes les fautes, c'est toujours sa faute.
06:09Ça existait déjà au temps des liaisons dangereuses.
06:12Il y a toute une lettre de Valmont où il termine chaque phrase en disant « ce n'est pas ma faute ».
06:19C'est une réflexion sur la vérité aussi, vous le dites d'entrée dans le prologue.
06:24« La vérité existe, n'en déplaise au héros, de la nuance au champion de l'ambivalence ».
06:30Vous déplorez aujourd'hui qu'on cherche trop à excuser, à nuancer ?
06:37Non, mais la nuance ne doit pas...
06:40Moi, je suis tout à fait favorable à la nuance, au contraire.
06:43Mais on ne peut pas toujours dire « oui, c'est ambigu ».
06:48À un moment, et c'est pour cela que j'ai écrit le livre un peu comme un thriller,
06:53il y a des preuves de la vérité, il y a des preuves de ce qui s'est passé,
06:58des preuves de la tromperie, il y a des preuves de la trahison.
07:02Et là, il n'y a plus de nuances qui tiennent.
07:06On n'est pas dans des fake news, c'est la vérité.
07:11C'est un roman.
07:13Pourtant, vous êtes systématiquement rangée dans la catégorie des auteurs et autrices d'autofiction.
07:18Pour le coup, ce n'en est pas une.
07:21Mais je vous pose la question, justement parce que vous déplorez,
07:25c'était sur France Culture en 2020,
07:27que l'on accole trop facilement ce terme d'autofiction aux auteurs femmes,
07:32comme pour souligner qu'elles ne sauraient rien faire d'autre que de dévoiler leurs petits secrets.
07:38Oui, oui, je le pense.
07:41C'est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles je n'aime plus trop ce mot.
07:49Sinon, ce genre.
07:51Parce qu'en fait, ce genre, je l'ai toujours trouvé très intéressant.
07:55Mais maintenant, je dirais plutôt que j'écris des autrui-fictions.
08:01Comme nous tous.
08:02Parce que je pense que chacun, dans nos relations aux autres, nous écrivons des autrui-fictions.
08:07On va garder ce terme, l'autrui-fiction.
08:11Et ce nouveau roman, « Ta promesse », qui sort le 2 janvier chez Gallimard.
08:17Camille Laurence, merci beaucoup d'être venue nous en parler sur France Inter ce matin.