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00:00L'histoire que nous allons vous présenter est aujourd'hui devenue un document.
00:04Il s'agit du portrait de Michel Serrault, vu par lui-même,
00:08et par l'un des plus grands auteurs du cinéma français, Michel Audiard.
00:12Ils venaient alors de travailler ensemble sur un film qui a eu beaucoup de succès,
00:16Garde à vue, dont la mise en scène était signée Claude Miller.
00:20L'autre jour, il y a un journaliste qui est venu me voir,
00:22et je lui dis, comment voulez-vous qu'on bavarde ?
00:26Voulez-vous que je... c'est l'interview tasse de thé,
00:30je vais vous offrir le thé, ou un scotch, je ne sais pas,
00:34ou un porto, suivant vos goûts,
00:37ou alors, je vais essayer de vous dire ce que je pense vraiment.
00:41Alors vous me dites ce que vous voulez, n'est-ce pas ?
00:43Je peux faire marcher, je suis comédien, je peux faire marcher le registre,
00:46ou le persifleur, ou le monsieur qui dit à peu près la vérité,
00:50à peu près, parce qu'on ne peut pas aller...
00:52je veux dire, on ne peut pas blesser les gens.
00:54Vous comprenez, c'est ça, il faut savoir ce qu'on veut.
00:57Mais je trouve aussi, n'est-ce pas, qu'on a tort de ne pas dire ce qu'on pense.
01:01La vérité, je ne prétends pas avoir la vérité,
01:03mais quand on me pose des questions sur mon métier ou sur la vie,
01:07c'est une trahison vis-à-vis de moi-même si je ne dis pas ce que je pense.
01:10Ce jour-là, Michel Serrault voulait dire ce qu'il pensait,
01:14Michel Audiard, lui, tenait à dire ce qu'il croyait.
01:17Je crois que Serrault n'est absolument qu'au début de sa carrière.
01:21Michel Audiard.
01:22Michel Audiard absolument au début.
01:24On va être surpris.
01:25Moi, je crois qu'il y a deux acteurs comme ça qui n'ont pas fini de surprendre,
01:28c'est lui et Depardieu.
01:29Ce sont des acteurs qui ont une telle puissance,
01:33une telle dynamique en eux,
01:35que pour moi, ils débutent.
01:36Serrault débute.
01:37Moi, voilà ce que je pense très sincèrement.
01:39On va assister à une carrière cinématographique époustouflante de Serrault.
01:42Peut-être au détriment de sa carrière théâtrale,
01:45parce qu'il va prendre de plus en plus gros au cinéma.
01:47C'est ça, je le pense.
01:48Oui, vous savez, les gens disent sur moi des choses.
01:50Moi, je suis très surpris.
01:51L'autre jour, Audiard a dit de moi, avec moi d'ailleurs, j'étais à côté de lui.
01:54Il m'a dit, mais ce qui est formidable avec Serrault, c'est qu'il est un fou.
01:57Mais il a dit, non, non, c'est pas.
01:59Mais je vous dis, c'est un vrai fou.
02:00Moi, je crois qu'il est complètement fou dans sa tête, Serrault.
02:02Je le pense très sincèrement.
02:04Je veux dire, bon.
02:07Je dirais, je serais totalement fou, n'est-ce pas ?
02:09J'accepterais ça si je n'étais pas quand même conscient.
02:15Si j'étais inconscient.
02:18Mais je pense que je...
02:22Non, je réfléchis.
02:23Enfin, je sais très bien ce que je fais quand même.
02:25Mais on est fabriqué de telle façon qu'on peut laisser les vannes ouvertes.
02:30Vous voyez ?
02:31On a, chacun, nous-mêmes,
02:35on a des possibilités de délirer.
02:39Mais de délirer consciemment.
02:41Il y a des gens qui ferment la porte au délire.
02:43On a tous, en nous,
02:47on se ferme ou on s'ouvre.
02:50Et on laisse partir, n'est-ce pas, comme une fleur,
02:52on laisse partir le parfum des choses, n'est-ce pas ?
02:55Ou alors, on est complètement bloqué
02:57et puis on ne veut pas se laisser aller ou se donner.
03:00Mais, vous savez, il faut...
03:03Pour jouer la comédie, il faut beaucoup de pudeur.
03:05Et puis, à la fois,
03:08il faut dépasser la pudeur,
03:10mais il faut quand même se laisser aller.
03:15Les gens ont peur, n'est-ce pas ?
03:17On veut toujours se défendre.
03:18On ne veut jamais jouer le jeu à fond.
03:21On veut toujours passer pour ce qu'on n'est pas.
03:24On veut toujours rester intouchable, si vous voulez, mystérieux.
03:31Mais ça, ce n'est pas bien, je crois.
03:33Michel Serrault, anti-star, alors ?
03:36Alors, je vous dis, il y a la grande réserve des stars,
03:40la grande réserve des gens du monde,
03:44la grande réserve des gens polis,
03:46qui trouvent tout bien,
03:48qui ont des astuces pour répondre.
03:51Moi, je vous dis, franchement, ça me fatigue.
04:06Il est jamais péremptoire, Serrault.
04:26Michel Audiard.
04:27Je ne pense pas qu'il décrétera un tel est un rien-yard ou un tel est comme ça,
04:31parce qu'il dit, on nous a traités de rien-yard pendant des années,
04:35quand on faisait du cabaret, petit à petit,
04:37on commençait à dire les rien-yard,
04:39on s'attardait un peu trop dans un truc.
04:41Donc, il sait qu'un jugement,
04:43il peut être révisé du jour au lendemain,
04:46sur une réussite instantanée.
04:48Vous comprenez, des gars qu'on voit prendre des rien-yard comme ça,
04:50tout d'un coup, patatrac, ils vous tombent sur un rôle,
04:53ils rencontrent enfin leur rôle, et on dit,
04:55nom de Dieu, ce qu'il est bon.
04:56C'est arrivé, je ne veux pas citer de noms pour faire de peine à personne,
04:59mais des acteurs qu'on croyait très mauvais,
05:01tout d'un coup, rencontraient le personnage de leur vie.
05:03Non, ils ont fait des performances.
05:05Donc, Serot, je ne crois pas, ne prendra pas de jugement actif sur des types.
05:09Non, pas par bonté, je ne le crois pas bon.
05:11Serot, je crois même qu'il est volontiers agressif.
05:13Parce que les gens jugent, ils jugent quoi ?
05:15Qu'est-ce qu'ils savent ? Ils ne savent rien du tout.
05:17Ils ont entendu, ils ont des principes.
05:19Quel principe ? Quelle morale ?
05:21Expliquez-moi ce que vous pensez,
05:23dites-moi pourquoi vous osez dire ça.
05:25Pour juger les gens, méfions-nous et faisons très attention.
05:29Je crois qu'il faut avoir une ouverture tout à fait extraordinaire sur les choses
05:33et sur les personnes.
05:35Alors ça, ça m'amuse beaucoup.
05:37C'est la condition humaine.
05:39C'est que nous ne sommes pas faits d'un seul bloc.
05:43Alors, je voudrais jouer encore des personnages
05:47beaucoup plus engagés,
05:49beaucoup plus ambiguës,
05:51beaucoup plus mystérieux,
05:53si vous voulez, mystérieux dans le sens humain.
05:55Parce que la personne humaine,
05:57les hommes sont mystérieux, n'est-ce pas ?
05:59Mais ils ont, je pense qu'ils ont tous,
06:01ils ont tous leur chance.
06:03Et personne ne doit juger, surtout ici, Barges.
06:05Alors ça, ça me...
06:07Je passerai ma vie de comédien,
06:09si je peux, à défendre ce genre de principe.
06:11Parce que je suis contre les...
06:15contre les idées toutes faites
06:17et je veux comprendre les gens.
06:19Voilà, si vous voulez.
06:21Et quand je joue la comédie, chaque fois que je peux,
06:23dans la cage aux folles, ça m'amusait beaucoup
06:25de faire croire et de rendre sympathique ce personnage.
06:27Dans la cage aux folles, Michel Serrault
06:29a joué le rôle de la travestie
06:31pendant plus de mille représentations.
06:39J'aime bien jouer des personnages
06:41en les sauvant toujours.
06:43Je jouerai n'importe quelle crapule
06:45parce que je pense que nous sommes tous sauvés.
06:47N'est-ce pas que finalement...
06:49Donc, dans chaque individu,
06:51je suis persuadé qu'il y a quelque chose de formidable.
06:53Je suis pour l'espérance
06:55à tous les niveaux, n'est-ce pas ?
06:57Et je pense que
06:59quand on a perdu l'espérance,
07:01il n'y a plus de vie.
07:03Alors, je suis bien entendu
07:05contre la peine de mort.
07:07Il arrive parfois à avoir un oeil d'assassin.
07:09C'est extraordinaire, Serrault.
07:11Michel Audiard.
07:13Et puis, il peut, dans la minute d'après,
07:15tout d'un coup, faire une bouffonnerie, une drôlerie.
07:17C'est là qu'il est passionnant.
07:19C'est ces changements d'octave qu'il a tout d'un coup.
07:21C'est vraiment d'imprimé.
07:23On ne sait pas qui sommes nous, n'est-ce pas ?
07:25Il n'y a que Dieu qui sait exactement
07:27qui nous sommes.
07:29Michel Serrault n'a pas fait ses études dans un collège religieux.
07:31Mais au cours de son enfance,
07:33il a souvent rêvé d'entrer au séminaire.
07:35Quand Serrault
07:37dit qu'il voulait être séminariste,
07:39je ne le crois pas tout à fait.
07:41Michel Audiard.
07:43Je ne sais pas s'il n'a pas inventé le séminariste
07:45simplement pour dérouter l'ennemi.
07:47Je ne suis pas tout à fait con.
07:49C'est possible. J'ai bien voulu être évêque.
07:51Je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas voulu être séminariste.
07:53Vous savez, en France,
07:55l'année de la Première Communion,
07:57quand on est élevé dans des familles classiques comme ça,
07:59on est en général
08:01un petit peu enfant de cœur.
08:03Je connais très peu de monde à Paris de ma génération.
08:05Je me rappelle qu'on pourrait été au moins trois mois
08:07enfant de cœur.
08:09À ce moment-là, la souveraineté nous a surpris.
08:11On se dit qu'en France, on est un très bel évêque.
08:13Je ne pensais pas au curé de campagne.
08:15Je pensais à l'évêque.
08:17Alors qu'il a eu envie d'être séminariste,
08:19il aurait d'ailleurs eu une tronche
08:21de séminariste intéressante,
08:23mais ce n'est pas une vocation
08:25qui a dû le poursuivre très longtemps, je crois.
08:27Non, je ne sais même pas s'il est croyant,
08:29c'est vrai, à la limite. Je ne suis pas tout à fait sûr.
08:31En tout cas, il ne m'en a jamais parlé.
08:33Il m'a parlé de son séminaire,
08:35il ne m'a pas parlé de sa foire,
08:37ce qui aurait quand même été peut-être plus intéressant.
08:39Vous savez, moi, je suis chrétien.
08:41Alors, disons que
08:43tout ce que je peux vous dire,
08:45c'est toujours de ce principe.
08:47Par exemple, si je récite le credo
08:49catholique,
08:51j'adhère totalement à ce que je dis.
08:53Pour moi, ça ne fait pas
08:55de doute.
08:57Oui, c'est
08:59ce que je crois.
09:01Ma vie est axée
09:03là-dessus, mais pas d'une manière
09:05comment dirais-je...
09:09Je pense avoir en même temps de l'humour,
09:11si vous voulez.
09:15...
09:17...
09:19...
09:21...
09:23Il est très secret,
09:25c'est Roi, finalement. Très, très secret.
09:27Je sais qu'il y a Dieu et qu'il y a le Christ.
09:29Ça, je sais, par le Christ.
09:31Bon, ça, c'est mes lignes,
09:33c'est mes grandes lignes de force,
09:35si vous voulez. À partir de là,
09:37j'essaie
09:39de vivre ma vie
09:41avec ça, parce que j'y crois profondément
09:43et ça me semble, en plus, tout à fait
09:45logiquement, raisonnablement
09:47très valable, n'est-ce pas?
09:49Vous savez qu'on a plusieurs fois.
09:51On a une foi qui vous vient de Dieu,
09:53une espèce de grâce, je pense,
09:55j'y crois. Et puis, parallèlement,
09:57vous avez la réflexion sur les choses.
09:59Eh bien, ce n'est pas incompatible, vous savez.
10:01Je pense qu'il y a
10:03des gens très, très intelligents
10:05qui croient en Dieu. Je veux dire qu'on
10:07veut toujours séparer, n'est-ce pas, la foi
10:09un peu du charbonnier avec une certaine
10:11réflexion sur la foi. Alors ça, moi, je ne suis
10:13pas du tout d'accord. Je pense que c'est
10:15deux chemins différents, n'est-ce pas,
10:17mais pour aboutir au même résultat.
10:19Alors, bon, moi, c'est comme ça
10:21que je crois. Et alors, tout ce que je
10:23fais,
10:25si vous voulez, ça s'oriente là-dessus
10:27et c'est basé là-dessus.
10:41...
11:07Michel Serrault fait du cinéma
11:09en 1954. Pendant longtemps,
11:11il n'a joué que des seconds rôles dans des
11:13comédies légères. Aujourd'hui,
11:15les metteurs en scène et les producteurs lui confient
11:17des personnages graves, de premier plan.
11:19Maintenant,
11:21il faudrait revoir tout ce que j'ai
11:23fait pour tirer des conclusions.
11:25Et moi-même, je ne sais pas.
11:27Mais je pense
11:29que la vie,
11:31la vie,
11:33la vie est dérisoire.
11:35Mais en même temps que je dis que la vie est dérisoire,
11:37elle est magnifique. Elle est dérisoire
11:39parce que
11:43ça n'est qu'un passage.
11:45Les gens qui pensent
11:47vivre leur vie ou faire
11:49des
11:51chefs-d'oeuvre ou laisser des
11:53traces,
11:55je pense que tout ça est dérisoire, n'est-ce pas ?
11:57Quand j'entends des gens autour de moi,
11:59des gens de mon âge,
12:01qui me disent « Ah, moi, maintenant,
12:03il faut qu'on profite de la vie,
12:05on est à tel âge, ça me paraît dérisoire.
12:07Comment voulez-vous compenser la perte
12:09de la vie avec quelqu'un qui se
12:11dit à 50 ans, il me reste quelques
12:13années à vivre, je vais, il faut que
12:15j'en profite, n'est-ce pas, dans tous les domaines ?
12:17Ça me paraît dérisoire.
12:19Alors bon, ça, c'est une
12:21chose que je pense. On ne peut pas
12:23compenser la vie.
12:25C'est quelqu'un qui vit profondément.
12:27Guy Marchand. Mais on sent
12:29qu'il a son drame
12:31et qu'il le met
12:33tellement en dérision qu'il
12:35nous fera toujours rire ou sourire.
12:37Et c'est toujours profond
12:39le sourire qu'on a vis-à-vis de lui.
12:41Vous voyez ce que je veux dire ? C'est-à-dire que
12:43on n'a jamais un sourire
12:45superficiel, de quelque chose de
12:47cocasse. On peut rire
12:49à gorge déployée sur ce qu'il fait, même s'il fait
12:51une clownerie tellement énorme.
12:53Quelque chose est sous-jacent.
12:57Pas de tragique, si vous voulez, mais enfin de
12:59réellement humain, profondément humain.
13:01Vous savez, dans ma vie, il m'est arrivé des choses
13:03très graves et que je pense
13:05qu'on ne peut pas vivre isolé.
13:07On est solidaires les uns des autres. On est comme
13:09une sorte de pyramide.
13:11Vous comprenez ? Moi, je compte beaucoup sur les autres
13:13comme je pense que certaines
13:15personnes peuvent compter sur moi.
13:17Je ne crois pas qu'on ait des...
13:19Vous savez, les gens ont toujours tendance à se
13:21croire unique. On est unique
13:23vis-à-vis de Dieu, si vous voulez. Mais on n'est
13:25pas unique dans le monde.
13:27N'est-ce pas ? Les gens ont tous des malheurs.
13:29Ils sont tous unis. Ils ont tous le plus
13:31grand malheur du monde. Ils ont tous
13:33le... Moi, je suis désespéré.
13:35Regardez autour de moi. Regardez
13:37justement autour de vous et vous verrez
13:39que le désespoir existe
13:41chez beaucoup de gens. C'est pas chez les autres.
13:43Alors, c'est une grande prétention
13:45de croire que moi, je suis fatigué.
13:47Moi, je suis malade. Moi, j'ai des
13:49malheurs. Mais je dis non, mais
13:51secouez-vous un petit peu et vous verrez.
13:53Regardez autour de vous. C'est la Terre,
13:55ça, n'est-ce pas ? C'est les hommes.
13:57Alors, il n'y a qu'à ouvrir sa télévision.
13:59Il n'y a qu'à écouter la radio. Il n'y a qu'à lire
14:01les journaux. Et puis, je veux dire
14:03que les gens se mettront un petit peu en sourdine
14:05parce que
14:07dans l'ensemble, quoi, ils ont...
14:09Surtout ici, chez nous, en France, on a
14:11la vie belle.
14:12Il revient à ma mémoire
14:14des souvenirs familiers
14:17Je revois ma blouse noire
14:19lorsque j'étais écolier
14:22Sur le chemin de l'école
14:24je chantais à pleine voix
14:27des romances sans parole
14:30vieilles chansons
14:33d'autrefois
14:37Douce France
14:40Cher pays de mon enfance
14:44Bercée de tendre insouciance
14:48Je t'ai gardée dans mon cœur
14:52Je t'ai gardée
14:54dans
14:56mon cœur
15:05Ben, vous savez, moi, je veux pas...
15:07Je suis pas révolutionnaire. Je veux pas transformer le monde.
15:09Michel Serrault
15:10Mais je pense, comme beaucoup d'autres,
15:12je pense qu'on est un petit noyau
15:14de rayonnement.
15:16Mais il faut pas... Je peux pas changer le monde.
15:18Je peux pas intervenir
15:20dans des conflits,
15:22dans des problèmes à la fin
15:24dans le monde entier. Enfin, je veux dire,
15:26on est très loin de ces problèmes-là.
15:28Mais autour de nous, je crois que
15:30les gens sont capables de changer le monde.
15:32Mais il faut pas changer le monde.
15:34Il faut changer le monde à ses limites, si vous voulez.
15:36Mes limites, c'est ma famille.
15:38Mes limites, c'est mes amis.
15:40C'est les gens que je rencontre dans la rue.
15:42C'est les gens qui viennent me voir.
15:44Mes limites, c'est mon métier.
15:46Et je veux dire que si tout le monde
15:48se limite à son petit entourage,
15:50ces cercles vont se toucher
15:52J'y crois profondément
15:54et je suis pas le seul.
16:13Écoutez, moi, je suis pas un porte-drapeau
16:15et je n'ai aucun message particulier
16:17à transmettre.
16:19C'est quand je joue la comédie
16:21que je veux transmettre des choses.
16:23Bien sûr que moi, j'ai des idées personnelles
16:25sur un tas de problèmes.
16:27Mais ça, c'est pas mon rayon.
16:29Si vous voulez,
16:31ou ça m'enrichit, ou ça me détraque,
16:33ou ça me fait mal jouer la comédie,
16:35les gens décident de ça.
16:37Mais ça, c'est ma nourriture personnelle.
16:39Mais je crois qu'on peut pas tout faire.
16:41Et mon travail, c'est d'essayer
16:43de choisir de belles histoires,
16:45de m'entourer de gens que j'aime
16:47pour pouvoir faire un bon film.
16:49C'est pas parce que je veux grand même,
16:51mais c'est parce que je crois que la complicité
16:53dans l'amitié au cinéma
16:55ou au théâtre est indispensable.
16:57En tout cas, pour moi,
16:59je trouve que ça permet
17:01de faire des choses
17:03plus profondes, plus abouties.
17:15Il m'a dit une chose qui m'a beaucoup surpris.
17:17Il m'a dit, tu sais, je vais m'être en danger.
17:19C'est-à-dire que
17:21Serot n'aime pas un rôle trop carré,
17:23trop définitif
17:25quand il arrive sur le plateau
17:27avec un metteur en scène qui lui donne
17:29une place bien précise,
17:31avec trois mots à dire et pas quatre.
17:33Il n'aime pas tellement.
17:35Il aime prendre des risques dans son interprétation.
17:37C'est-à-dire, il aime foncer dans une scène
17:39à moteur et là, il sait pas.
17:41Au fond, je pense très sincèrement
17:43qu'il sait pas exactement ce qu'il va faire.
17:45Il perd dans le brouillard, Serot.
17:47Il saute dans le vide, ça, c'est sûr.
17:49Et je crois que c'est ça,
17:51ce que j'appelle le génie de Serot,
17:53c'est ça, c'est un acteur
17:55qui travaille sans filet.
17:57Et on a de la chance, nous, parce que quand on rate un effet,
17:59on s'écrase pas, n'est-ce pas ?
18:01C'est pas le trapéziste
18:03qui fait un saut périlleux puis qui s'écrase.
18:05Nous, on a cette chance-là.
18:07Mais moralement, on peut s'écraser.
18:09Quand on prend des grands risques,
18:11plus c'est périlleux, plus ça peut être bien,
18:13plus il y a de risques,
18:15plus t'es au bord de la chute.
18:17Mais ça, c'est quand même...
18:19C'est ça qu'il faut essayer de faire.
18:21Mais parce que,
18:23si vous voulez,
18:25il y a une manière mondaine,
18:27entendue,
18:29propre,
18:31conventionnelle,
18:33habituelle...
18:35Comment on pourrait dire ?
18:37De jouer la comédie, n'est-ce pas ?
18:39Il y a des recettes.
18:41Si vous voulez, on sait qu'on a une réserve
18:43d'intonation,
18:45de... Là, c'est la peur.
18:47Enfin, je schématise, mais quand même.
18:49Ça, la peur,
18:51c'est la surprise. Là, c'est le fou rire.
18:53Là, c'est la... Vous comprenez ?
18:55C'est...
18:57Il faut aller au-delà de ça, n'est-ce pas ?
18:59Il faut aller...
19:03Ça, ce sont des...
19:05Vous savez, c'est un peu comme un recueil de Bonne Manière
19:07où on dit, voilà, comment il faut se tenir
19:09dans le... Ça se fait plus maintenant,
19:11mais on en riait beaucoup dans le temps.
19:13Enfin, je veux dire, les gens ont fait des parodies là-dessus,
19:15les Bonnes Manières. Mais je trouve qu'il y a,
19:17pour jouer la comédie, il y a aussi des Bonnes Manières
19:19et des recettes.
19:21Alors qu'il passe... Vous savez, c'est un peu comme
19:23la cuisine...
19:25Oui, une chaîne de grands restaurants,
19:27c'est ni bon
19:29ni mauvais, c'est...
19:31Oh, bon, on a mangé, n'est-ce pas ?
19:33Je veux dire...
19:35Et les acteurs,
19:37on peut faire ça aussi, n'est-ce pas ?
19:39On peut jouer la comédie sans risque.
19:41Mais...
19:43C'est pas... A mon avis, c'est pas très intéressant.
19:45À son contact,
19:47ça n'est pas des tics qu'on peut attraper.
19:49Guy Marchand, qui est le partenaire de Michel Serrault
19:51dans le film Garde à vue.
19:53Parce qu'en comédie, attraper des tics, ça fait toujours des mauvais acteurs.
19:55Les ficelles, tout ça,
19:57savoir... Tiens, il fait ça, je vais faire comme ça.
19:59Tiens, il fait ci. C'est pas ça.
20:01Ça fonctionne par osmos.
20:03C'est-à-dire qu'on y est pour rien.
20:05Et c'est très lent.
20:07Tout d'un coup, petit à petit,
20:09on est influencé
20:11par les grands acteurs
20:13qu'on côtoie.
20:15Mais il me semble pas que c'est leur truc
20:17qu'on leur prend.
20:19Petit à petit, c'est leur façon d'aborder,
20:21pas des personnages,
20:23d'aborder la vie. Parce que qu'est-ce que c'est que la comédie ?
20:25On aborde la vie, tout court.
20:27Rien de systématique et rien de prévu,
20:29je dirais. Jouons la situation de base
20:31et laissons
20:33venir les choses.
20:35Laissons venir
20:37l'interprète en face.
20:39Laissons venir les choses.
20:41Parce que je pense que de tout,
20:43on peut faire quelque chose.
20:45De tout.
20:47De tout.
20:49Je dirais, d'une histoire, on peut tout faire, n'est-ce pas ?
20:51Ou c'est de n'importe quelle histoire, on peut tout faire.
20:53Dans le jeu, on peut tout faire.
20:55N'est-ce pas ?
20:57On me dit... On m'enlève le...
20:59Je prévois un truc avec un...
21:01Un jeu de scène, par exemple, dans une pièce
21:03ou au cinéma,
21:05avec un objet, puis on le supprime
21:07parce que ça gêne. Mais
21:09qu'on le supprime, c'est peut-être très bien.
21:11Voilà ce que je pense.
21:13C'est que le fait de le supprimer va m'obliger
21:15à jouer autrement
21:17ou avec un autre objet.
21:19Comme on ne sait pas et qu'on n'a pas
21:21de recette,
21:23usons de ce qu'on nous propose. C'est comme dans la vie.
21:31Musique et silence
21:33Musique et silence
21:35Musique et silence
21:37Musique et silence
21:39Musique et silence
21:41Musique et silence
21:43Musique et silence
21:45Musique et silence
21:47Musique et silence
21:49Michel Serrault est devenu maintenant un acteur
21:51important pour le cinéma.
21:53Il pourrait devenir une super-star irréprochable
21:55sur le plan marketing
21:57et soucieux de battre un empire commercial
21:59qui s'appellerait Michel Serrault.
22:01Je crois que c'est un acteur qui n'est aucunement conditionné par l'argent dans ses choix.
22:06Michel Audiard.
22:07Là je crois qu'il fait un film, c'est le premier film du metteur en scène, c'est un débutant.
22:12Serrault fera ça, puis peut-être que demain j'apprendrai qu'il fait le prochain Fellini, ça ne me surprendra pas plus.
22:17Mais encore tout à l'heure je vous disais que moi je compte sur les autres, n'est-ce pas ?
22:20Ma vie tout court et ma vie professionnelle, c'est les autres, n'est-ce pas ?
22:26On vous disait qu'on n'est pas unique, qu'on n'est pas tout seul au monde.
22:29Ce n'est pas vrai, on est au monde.
22:31Moi quand je joue la comédie, je m'appuie sur mon partenaire.
22:35Moi j'ai joué la comédie avec des gens dans ma vie qui ne me regardaient pas, par exemple.
22:41Mais c'est très grave ça.
22:43Il y avait une espèce de vitre de 15 cm entre lui et moi, ou entre elle et moi.
22:49Je veux dire que je m'appuie sur les choses.
22:52Quand je découvre un décor au cinéma ou au théâtre, je le regarde.
22:55Je me dis mais c'est formidable et ça vous donne un parfum pour la scène.
22:59S'il y a des accessoires, vous comprenez, je m'appuie sur tout parce que rien n'est inutile.
23:04Ou alors on ne croit à rien et on se fout de tout, n'est-ce pas ?
23:07Et puis on disparaît.
23:09Alors quand je vois les gens qui font dans leur vie un tri en disant
23:12moi je construis ma carrière comme ça, je veux un grand rôle, je vais jouer avec un képi,
23:17après ça je vais faire ceci, après ça je vais...
23:19Vous comprenez, c'est des gens qui calculent, qui calculent quoi, rien du tout.
23:23Je dis profitons de la vie, de l'imprévu de la vie pour s'enrichir.
23:28C'est ça la vie.
23:30Sinon c'est quoi, n'est-ce pas ? On va vivre tout seul, on va...
23:33Je ne comprends pas ça.
23:35Moi c'est une manière d'être qui m'exaspère.
23:38C'est vrai, je ne comprends pas ça.
23:40Et en plus, ça fait des gens malheureux.
23:49Depuis longtemps, on n'avait pas vu un tel succès au théâtre.
23:52Et rarement une pièce de théâtre n'était devenue au cinéma un aussi grand succès.
23:56On essaie, hein ?
23:58Il faut que tu apprennes comment un homme doit tenir une biscotte dans la main.
24:01La biscotte doit se tenir virilement, comme ça, regarde.
24:03Et le beurre, il faut l'étaler avec la même puissance, en surveillant son ptézoïde.
24:07Allez.
24:08Virile, hein ?
24:10N'aie pas peur d'appuyer, oui, c'est ça, c'est bien.
24:13J'ai cassé ma biscotte.
24:15Mais non, mais tu le fais exprès. Tu m'en veux, hein ?
24:18Ça va, ça va, ça va, encore.
24:20Prends une autre biscotte.
24:21Je n'y arriverai jamais, jamais, jamais.
24:23Tiens-la bien, cette biscotte, bien fermement dans ta menotte.
24:26Avec mesure et décision, une main de fer dans un grand beurre.
24:29D'accord, oui.
24:30Essaie encore. Prends une autre biscotte.
24:32Oui, tu as raison, tu as raison, parce que finalement, ça n'est pas très grave,
24:35parce que quand même, j'ai encore d'autres biscottes.
24:38Le succès de La Cagéophole a été déterminant pour le vedettaria de Serrault.
24:43Michel Audiard.
24:44Il a propulsé le triomphe du film,
24:46non seulement en France, mais en Italie, qui a été énorme.
24:49Aux États-Unis, chose alors agressante,
24:51parce que moi, je n'aurais pas barillé un bouton de culotte
24:54que ce film a reçu en Amérique, on ne sait pas pourquoi.
24:56Or, c'est un triomphe en Amérique.
24:58Comment faire comprendre que nous avons joué avec Poiret ?
25:01On a joué la cage des années ensemble.
25:04Michel Serrault.
25:05On n'est jamais rentrés, un soir, je le dis, je le répète,
25:08mais c'est parce que c'est pour bien montrer
25:10qu'on est systématiquement, vous savez, professionnellement,
25:13Jean a beaucoup de points communs avec moi,
25:17parce que nous nous sommes fabriqués un peu ensemble.
25:20Je veux dire qu'on s'est enseigné des choses mutuellement.
25:27Il s'est passé des choses en scène, forcément, au théâtre,
25:30où on connaissait bien la pièce, où on se connaissait très bien.
25:33Il s'est passé des choses imprévues,
25:36mais qui n'ont jamais été voulues, n'est-ce pas ?
25:39Et surtout, jamais on est rentré en scène en disant,
25:42ce soir, on va faire ça, on va faire rire, comme hier.
25:46Jamais, jamais, jamais.
25:48On n'est jamais rentré tranquille en scène
25:51en se disant, ils ont ri pendant un an déjà,
25:54ce soir, on est en roue libre.
25:57Jamais, n'est-ce pas ?
25:58Parce que je connais, Jean aussi,
26:01nous connaissons la fragilité des choses dans ce métier.
26:07La fragilité d'un effet comique,
26:09la fragilité des choses qui ne sont que le fruit d'une disponibilité.
26:14Vous comprenez ?
26:16Qui ne sont jamais le fruit d'un calcul.
26:20Et c'est ça qui est important, mais c'est ça qui est épuisant.
26:24Parce que vous allez faire un saut périlleux,
26:26mais on ne sait jamais comment on va se recevoir.
26:29Et c'est ça qui est magnifique.
26:31Mais je pense que c'est le métier, ça, n'est-ce pas ?
26:35C'est là que le métier devient parce que non.
26:49Ce métier de comédien, Michel Serrault
26:51l'a appris au cours d'art dramatique de la rue Blanche à Paris,
26:54comme son ami Jean Poiré.
26:56Il ne fréquentait pas les mêmes cours
26:58car il n'était pas de la même promotion.
27:00Michel Serrault est un peu plus jeune,
27:02deux ans de moins que Jean Poiré.
27:04Puis il a fallu débuter, et comme ils s'entendaient bien,
27:07ils avaient décidé de créer un duo, Poiré et Serrault,
27:11pour courir le cachet dans les petits cabarets parisiens.
27:14Maître, je n'ai pas besoin de vous demander...
27:19Je n'ai pas besoin de vous demander si vous êtes ému
27:21à la veille d'un jour comme celui que vous allez passer.
27:24Je vais vous dire, mon cher ami, on est toujours un peu ému,
27:27toujours un peu ému, et surtout quand on conduit,
27:29quand on conduit pour la première fois, c'est certain.
27:32Mais ce n'est pas la première fois que vous conduisez.
27:35Si, c'est la première fois que je conduis, oui.
27:37Comment ça?
27:38J'ai eu mon permis avant-hier.
27:40Votre permis?
27:41Mon permis de conduire.
27:43De conduire?
27:44De conduire les orchestres.
27:46Il faut un permis de conduire pour les orchestres.
27:48Depuis six mois, on exige le permis.
27:50Je ne savais pas du tout.
27:52Il y a eu trop d'accidents, trop de notes écrasées,
27:55et maintenant on exige le permis.
27:57Il est certain que les gens dépassent la mesure bien souvent.
28:00Oui, oui.
28:01Et ils la dépassent sans prévenir généralement.
28:04Maintenant, il faut un permis.
28:05Il faut un permis.
28:06Et vous avez le vôtre depuis avant-hier.
28:07C'est ça, exactement.
28:08Vous l'avez eu in extremis, vraiment.
28:10Oui, je précise.
28:11Quand je parle de mon permis de conduire,
28:12mon permis de conduire avait eu gros orchestres, n'est-ce pas?
28:14Oui.
28:15Les orchestres symphoniques.
28:16Oui, permis poids lourd, en quelque sorte.
28:18C'est ça, c'est ça.
28:19Oui, parce que jusqu'à présent, je n'avais conduit que des équatoires à cordes.
28:22Oui, oui.
28:23Alors, je n'avais besoin que de mon permis simple, voyez-vous.
28:25Et vous l'avez passé sur quoi, ce permis poids lourd?
28:27Sur pas de loup, j'ai passé ça.
28:28Sur pas de loup?
28:29Sur pas de loup, pas de loup.
28:30Un engin, un engin terrible, terrible.
28:32C'est ce que je voulais vous dire.
28:33Parce que ça fait quand même 80 musiciens fiscaux.
28:35Alors, vous savez, quand vous avez ça sur les bras, il faut les traîner.
28:39Il faut les traîner, oui.
28:40C'est nerveux malgré ça?
28:41L'ensemble est nerveux.
28:43L'ensemble, oui.
28:44Il y a de bonnes…
28:45Oui, surtout, surtout les violons.
28:47Les violons.
28:48Les violons ont des reprises fulgurantes.
28:49Ah ben, ça, c'est important, ça.
28:50Oui, oui, oui.
28:51Et puis alors, évidemment, il faut bien changer de vitesse à chaque mouvement.
28:53Sinon, vous esquinter votre orchestre.
28:55Ça, c'est normal.
28:56Je vais vous dire, il y a un manque de prudence qui est à la base de 80% des accidents.
29:00Ça, on ne peut pas l'éviter.
29:01Il faut faire très attention.
29:02Oh, je…
29:03Croyez-moi, quand vous avez une corde de violon qui pète dans un scherzo, vous savez, croyez-moi,
29:06ça fait du rafu.
29:08Oui, ça fait du rafu.
29:09Qu'est-ce qu'il y a, alors, à l'examen?
29:10Il y a…
29:11Vous avez d'abord…
29:12Deux épreuves.
29:13La conduite.
29:14La conduite.
29:15Et puis alors, les questions à l'oral.
29:16Il y a une épreuve orale?
29:17À l'oral, les questions, oui.
29:19Trois questions, il m'a posé trois questions.
29:20Dites-moi, pour voir, donner un aperçu de ce qu'on…
29:22Pas facile, d'ailleurs.
29:23Pas facile.
29:24Je me souviens.
29:25Dites donc.
29:26D'abord…
29:27Ça, il y en aurait partout.
29:28Oui, je sais bien.
29:29Quand doit-on s'arrêter?
29:31Est-ce que vous savez ça?
29:32Je ne sais pas.
29:33Non, je n'ai jamais…
29:34Vous ne savez pas, vous ne voyez pas.
29:35Eh bien, on doit s'arrêter dans un concerto pour laisser passer le soliste.
29:43C'est un homme de texte.
29:44Il est né du cabaret.
29:45Bon, au cabaret, quand on arrive sur la scène, il faut le savoir, son texte.
29:50Ensuite, il a abordé le théâtre.
29:52Il faut à nouveau…
29:53Donc, c'est un homme professionnellement de rigueur par la force des choses.
29:57Toute la première partie de sa carrière, c'est un homme de texte qui a récité des textes,
30:02qui a joué des textes.
30:03Donc, c'est absolument un acteur de texte, mais dans lequel il apporte une démesure
30:09qui, lui, est propre.
30:10Ça m'arrive de dire à ma femme, en rentrant, ce soir, on a fait avec Jean…
30:16Il y a eu un moment tout à fait incroyable.
30:19Et ça s'est passé, et sur un mot, c'est parti comme ça.
30:22Et il y a eu un moment tout à fait délirant, où il s'est passé quelque chose d'incroyable.
30:26Les gens ont applaudi.
30:28Il faut laisser fleurir les choses, faire confiance à l'imprévu, être disponible.
30:34Voilà ce que répète souvent Michel Serrault, en parlant de son métier.
30:37J'ai rencontré des gens, et je dirais presque des spécialistes du spectacle,
30:43qui me disaient, moi, je ne vais plus.
30:46Moi, je n'y vais plus.
30:48Je n'y vais plus.
30:49Je n'y vais plus.
30:50Je n'y vais plus.
30:51Je n'y vais plus.
30:52Je n'y vais plus.
30:53C'est le spectacle, n'est-ce pas, qui me disait, moi, je ne vais plus.
30:57Moi, nous n'allons plus au théâtre, parce que le théâtre, c'est factice, le théâtre.
31:04Il faut payer sa place.
31:06On est mal assis.
31:08Il faut louer quand ça marche bien.
31:10On entend les trois coups.
31:12Et puis, le rideau voit un rideau rouge.
31:14Et puis, il se lève.
31:15Et puis, on voit des gens avec un vieux salon qu'on a déjà vu 36 fois,
31:20ou une forêt, ou je ne sais quoi.
31:22Et il me dit, mais il me dit, alors le théâtre, vous comprenez.
31:25Mais je lui dis, mais ce que vous me dites là, effectivement, c'est le théâtre.
31:29Et je dis, bravo.
31:31Bon, et puis maintenant, je veux dire, ça commence.
31:34Et voilà.
31:36C'est-à-dire que tout ce factice va se transformer en...
31:40Vous allez oublier, si c'est réussi, bien sûr, vous allez oublier qu'on a frappé les trois coups,
31:46qu'on a levé le rideau, que c'est des acteurs qui ont appris un texte,
31:49qu'il y a eu un metteur en scène, qu'il y a eu un décorateur.
31:52Et puis, peut-être que pendant dix minutes, vous allez rêver.
31:55Vous allez oublier que vous vous êtes dérangé.
31:57Vous ne savez plus où vous êtes.
31:59Alors, je dis, ben voilà le théâtre.
32:01N'est-ce pas ?
32:03Et au cinéma, c'est pareil, n'est-ce pas ?
32:05Alors, voilà mon métier.
32:06Moi, c'est ça, mon métier.
32:09Dans un film, c'est un atout prodigieux d'avoir ses héros.
32:13Michel Audiard.
32:14Je pense que c'est...
32:16C'est beaucoup plus qu'un bon acteur, ou même qu'un grand acteur.
32:20C'est une...
32:21C'est un espèce de génie permanent de l'invention, de la folie.
32:26Il a des éclats, il a des changements de vitesse ahurissants.
32:30Et tout ça, c'est...
32:32C'est un...
32:34Il a des éclats, il a des changements de vitesse ahurissants.
32:38Et tout d'un coup, il décolle et la folie s'installe.
32:40La réalité, n'est-ce pas, des choses, moi, ne m'intéressent pas.
32:43Parce que la réalité, c'est une apparence, n'est-ce pas ?
32:46Je pense qu'on a d'autres sens.
32:48On a l'huile, la vue, le toucher, tout ce que vous voudrez.
32:52Mais il y a autre chose dans les hommes, n'est-ce pas ?
32:54Il y a une espèce de parfum, et moi, j'appelle ça l'âme, n'est-ce pas ?
32:57Il y a quelque chose qui...
32:59Et ça, on doit toucher l'âme des gens, n'est-ce pas ?
33:01La profondeur des gens.
33:04Alors ça, c'est quand même très intéressant.
33:06C'est pour ça que je dis en boutade aussi.
33:08Parce que je dis n'importe quoi.
33:10Des fois, je dis...
33:12Je dis la vérité.
33:14Pour les acteurs ou au cinéma, n'est-ce pas,
33:16c'est une chose qui ne nous intéresse pas.
33:31Lorsque nous avons rencontré Michel Serrault chez lui, c'était un samedi.
33:58Il avait tourné un film toute la semaine,
34:00mais ce jour-là, il ne travaillait pas.
34:02Il semblait détendu, content de parler.
34:04Ou je dis je ne veux voir personne,
34:06et je vais me retirer dans ma chambre.
34:09Ou vous voulez bavarder avec moi,
34:11et puis au fil de l'inspiration et des questions,
34:14je dirai peut-être n'importe quoi.
34:16Mais je dirai au moins ce que je pense.
34:18Moi, vous comprenez, je ne dis pas j'en ai marre
34:21de faire des choses sur commande et des numéros.
34:25Bien sûr, là, vous enregistrez depuis un moment,
34:28mais vous pouvez le garder pour vous.
34:30Vous n'êtes pas obligé de le diffuser non plus.
34:32Vous allez l'écouter, puis vous n'êtes pas...
34:34Mais encore une fois, c'est d'un bavardage, n'est-ce pas ?
34:38Demain, vous avez un confrère qui va venir,
34:41et puis je vous dirai peut-être le contraire.
34:44Pas tout à fait, mais...
34:46Non, puis vous savez, il y a les nuances quand même.
34:48Moi, je vois, par exemple,
34:50quand je dis des choses aux journalistes,
34:52surtout les gens qui écrivent.
34:54Alors là, on ne peut pas dire je suis...
34:56Alors là, vous allez peut-être couper, enchaîner des mots, etc.,
34:59ou sortir du contexte, comme on dit.
35:01Mais enfin, on peut trafiquer, on peut tout trafiquer.
35:03Par exemple, mais sans trafiquer, n'est-ce pas ?
35:06Comme je ne suis pas très limpide
35:08et toujours très clair dans ce que je raconte
35:10pour faire comprendre ce que je pense,
35:12il y a des gens qui éclaircissent ma pensée,
35:15si vous voulez, pour moi, n'est-ce pas ?
35:17Qui mettent des nuances
35:19ou qui précisent ce que je n'ai jamais précisé.
35:24Quand on vient préciser une espèce de chose laborieuse
35:29que j'essaie de dire moi-même, n'est-ce pas ?
35:31Et que je la vois écrite deux jours après
35:34ou trois jours ou huit jours après, avec des précisions,
35:37je me dis, mais attends, là,
35:39enfin, c'est le risque de ce genre de rencontre.
35:43Mais ce n'est pas toujours ce que je pense.
35:55L'État de l'État
36:14Si on voit Serrault chez lui,
36:16il habite cette maison aneuillée
36:18qui est d'un narcissisme presque élisabethan,
36:21en fait, il a une maison incroyable.
36:24Et Serrault, c'est M. Pantouf, chez lui,
36:26sa femme est une femme délicieuse, charmante,
36:29sa fille, tout ça, c'est un homme de foyer,
36:31c'est un homme de famille.
36:32Serrault, il rentre chez lui,
36:33sitôt le théâtre finit, il est chez lui dix minutes après.
36:35Bon, et puis en même temps,
36:37il est capable de colère absolument extraordinaire.
36:40On a fait un film italien
36:42qui était une belle merde d'ailleurs,
36:44mais enfin, on s'est fait embarquer là-dedans,
36:46on nous a trompé sur la marchandise au départ.
36:48Et le metteur en scène italien venait tous les jours chez Serrault,
36:51on a eu des discussions épouvantables.
36:53Et puis un jour, je me souviens de ça,
36:55je ne savais plus où me foutre,
36:56Serrault a regardé ce monsieur dans les yeux,
36:58il lui a dit, il y a une chose fascinante chez vous,
37:00c'est que vous êtes tous les jours un peu plus cons que la veille.
37:03Voilà de quoi est capable Serrault.
37:05Vous comprenez ?
37:06Alors moi, là, je regarde mes godasses,
37:07et puis je bouge plus.
37:09Il est vraiment terrifiant comme ça,
37:10d'agressivité soudaine avec les gens qui l'exaspèrent.
37:13Au fond, il ne supporte pas les imbéciles.
37:16Il est grossier, il est grossier avec les imbéciles.
37:19C'est ça l'étonnance, cette agressivité qu'il a en lui,
37:22alors qu'il était dans son salon,
37:24on était assis devant du thé et des macarons,
37:28on ne pouvait pas s'attendre tout d'un coup à une sortie de ce genre.
37:31Je ne trouve que des gens autour de moi
37:33qui ne veulent jamais dire ce qu'ils pensent.
37:35Vous allez au spectacle,
37:37vous voyez un truc,
37:38l'autre soir, j'étais à l'Olympia,
37:40et bien, je veux dire,
37:42je me suis retrouvé avec un groupe de gens
37:44qui attendaient à la fin du spectacle le feu vert
37:46pour dire quel est celui qui va donner son avis le premier,
37:49n'est-ce pas ?
37:50Qu'est-ce qui s'est passé ?
37:51Comment vous avez trouvé la soirée ?
37:53Quel est votre avis ?
37:56Et tout le monde se regarde,
37:57bonjour mon cher, ça va ?
37:58Quelle soirée ?
37:59Oh oui, vraiment ?
38:00Bonsoir ?
38:01Ouh, ouh, etc.
38:02Je lui dis, merde !
38:03Je lui dis, enfin,
38:04bon, il n'a jamais honte de rien.
38:05Qui marche ?
38:06Il se grime en femme,
38:07il se met un tutu,
38:08et puis, tout d'un coup,
38:09vous lui sentez toutes les pudeurs.
38:46...
38:58Du théâtre de boulevard,
38:59Michel Serrault est aujourd'hui passé au cinéma d'auteur
39:02et au grand rôle de film important.
39:04Il a parfaitement conscience maintenant
39:06Michel Audiard
39:07de sa valeur artistique
39:09et je pense qu'il ne veut plus la gaspiller,
39:11voilà, c'est ça.
39:12Il essaiera, il se trompera comme tout le monde,
39:13je crois, tout le temps dans ce métier.
39:15Alors, je pense que maintenant,
39:16Serrault va jouer sa vraie carrière de vedette,
39:20de vedette consciente, responsable,
39:22et puis, il essaiera de ne pas se décevoir, lui,
39:25moi, je crois, surtout.
39:26Il est prêt à prendre des taffes, Serrault,
39:27il s'en fout de se planter dans un truc qu'il passionne.
39:29Je ne sais jamais,
39:31et on ne sait jamais dans la vie,
39:32ce qui est utile, apparemment,
39:34ou inutile.
39:35Je ne le saurais jamais.
39:36Et quelqu'un qui veut essayer de m'expliquer que ça,
39:39c'est pas utile,
39:41et ça, c'est utile,
39:42je dis, non, ça n'existe pas, ça,
39:43ça n'est pas vrai.
39:44Le comédien qui ne se repoudre pas,
39:46qui ne va pas se repoudrer
39:47ou qui ne va pas se foutre un coup de kleenex
39:49avant de tourner,
39:50s'il brille,
39:51il va me dire, ça n'a pas d'importance.
39:53Je ne sais pas, moi, ce qui a de l'importance, n'est-ce pas ?
39:55Je ne sais pas, en rencontrant quelqu'un dans la rue,
39:58si je l'envoie balader,
39:59si ça a de l'importance.
40:00Alors, comme je ne sais pas
40:02ce qui a vraiment d'importance,
40:04je dirais que tout a de l'importance.
40:07Mais dans tous les domaines, n'est-ce pas ?
40:09C'est l'œuf mal cuit,
40:11c'est la purée mal faite,
40:12c'est le comédien qui a oublié du texte,
40:17qui a un trou,
40:18qui ne répète pas,
40:19c'est le plombier qui visse mal ses écrous.
40:23À tous les niveaux, c'est comme ça.
40:25C'est le garagiste qui fait mal son boulot,
40:27c'est le maçon,
40:29le menuisier qui fait une vilaine porte, n'est-ce pas ?
40:32Eh bien, je trouve qu'on a tort de faire ça.
40:36Tout ce qui est fait,
40:37est fait, je dirais, pour l'éternité.
40:39Tout ce qui est fait doit être parfait, n'est-ce pas ?
40:43Je trouve que, alors il faut, comme on ne sait pas,
40:46parce que sinon, alors on laisse tout aller,
40:48et puis alors là, je veux dire,
40:49on fait tout de suite sauter le monde.
40:51Vous voyez, je trouve que le plombier,
40:53le plombier qui ne fait pas bien son boulot,
40:55participe à la fin du monde.
40:58C'est une boutade.
41:00Mais c'est une image, n'est-ce pas,
41:02pour expliquer ce que je veux dire.
41:10Alors Michel Serrault, c'est un gars,
41:13je le connais depuis longtemps,
41:15il sait que je l'aime,
41:17mais fougueusement,
41:19parce qu'il m'étonne,
41:20et qu'il me chavire à chaque fois.
41:23C'est quelqu'un qui est à la fois mystérieux
41:26et clair comme de l'eau de roche.
41:28D'abord, il aime travailler,
41:30il aime tourner, il aime jouer au théâtre,
41:32il aime gagner de l'argent,
41:34il aime faire de la musique,
41:36il aime tourner, il aime jouer au théâtre,
41:38il aime gagner de l'argent,
41:40il aime le pouvoir, il aime le séduire,
41:43il aime les applaudissements, il aime le succès.
41:46Et puis, il a une vraie folie d'artiste.
41:49Je pense que les grands artistes,
41:51ceux qui ont du génie,
41:52je pense que Charlie Chaplin
41:54était aussi un homme difficile à vivre,
41:57et qu'en même temps,
41:59il trouvait des moments de grâce
42:01quand il écrivait ou quand il tournait,
42:02en tous les cas, des films de sa jeunesse.
42:04Michel Serrault a ce pouvoir
42:06de se concentrer,
42:07à la fois de pouvoir faire rire aux éclats
42:09et de vous bouleverser par les larmes,
42:12et en même temps,
42:13il a une vie qui est la vie de famille,
42:15sa vie personnelle,
42:16que peu de gens connaissent.
42:18Alors, il a à la fois ce côté dérisoire
42:21et en même temps ce côté fou et délirant.
42:23En tous les cas, c'est un homme
42:25qui, quand il n'aime pas quelqu'un
42:28ou quand il n'aime pas quelque chose,
42:30il vous le prouve,
42:31et d'une façon parfois violente.
42:33Et en même temps, il est, je le sais,
42:35pour les acteurs,
42:36d'une tendresse extraordinaire.
42:38Il l'a pris sous son bras,
42:40Guy Marchand, par exemple,
42:42et chaque fois qu'il peut le retrouver
42:43dans un film, il le demande.
42:45Là, il a demandé Michel Galabru pour un film
42:47pour partager la vedette avec lui.
42:49Il était heureux de partager la vedette
42:50avec Jeanne Moreau.
42:51Il ne veut pas être seul,
42:52tout seul au-dessus du titre.
42:53Il aime bien partager avec les autres.
42:55Et puis là, c'est là
42:56où il se défonce le plus.
42:57Quand on lui a demandé
42:58de remettre le César à Bernard Blillet,
43:00sachant que Bernard Blillet était très malade,
43:02vous savez, beaucoup d'acteurs
43:03auraient refusé,
43:04parce que ce n'était pas très agréable
43:06d'être face à un homme diminué
43:08et très émouvant,
43:09puisqu'il est mort un mois plus tard,
43:10Bernard Blillet.
43:11Eh bien, pour Bernard Blillet,
43:13qui était son professeur,
43:14il l'a accepté.
43:15Et il a joué le jeu.
43:17Il l'a fait avec beaucoup d'élégance
43:19et de délicatesse.
43:20Et je crois que ça a été
43:21un des grands cadeaux
43:22qu'il a fait à Bernard Blillet.
43:33Je pense à la vie éternelle.
43:35Je pense qu'on n'est pas fait
43:37pour disparaître.
43:39Ou alors ça sera une absurdité
43:42tout à fait inondée
43:44qui est peut-être
43:46le plus compagnie de l'idée
43:48que l'on peut avoir.
43:50Je pense à l'éternité.
43:52Je pense à la vie.
43:54Je pense à la vie de l'homme.
43:58Je pense à la vie éternelle.
44:00Je pense à l'éternité.
44:01l'absurdité est tout à fait extraordinaire alors c'est pas un pari que je fais mais je pense véritablement qu'on est qu'on est unique et
44:12éternelle
44:18Vous venez d'écouter destins extraordinaires un podcast issus des archives d'Europe 1
44:26Réalisation julien tarot production remis à zoulay
44:30patrimoine sonore sylvain denis laetitia casanova antoine reclus
44:36destins extraordinaires est disponible sur le site et l'appli européen
44:40écoutez aussi l'épisode suivant en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute