Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 15 janvier 2025 : le journaliste et écrivain Jean-Christophe Grangé. Il vient de sortir les deux volumes de sa série "Sans Soleil" aux éditions Albin Michel.
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00:00Bonjour Jean-Christophe Granger, vous êtes l'un des auteurs de thrillers français des plus lus,
00:05depuis plus de 30 ans et la sortie de votre vingtaine de romans vous occupez, c'est vrai,
00:08une place particulière, c'est souvent inscrit mais c'est la réalité dans l'univers sombre des
00:13histoires sordides, des fois machiavéliques, parfois ordinaires. C'est ça qui fait froid
00:18dans le dos, c'est par le journalisme et des reportages que votre furieuse envie d'écrire
00:21s'est développée, sérieuse envie aussi de raconter avec cette plume qui ne cesse de nous embarquer,
00:26des petites histoires qui nous racontent, la plupart de vos romans parmi lesquels le fameux
00:30Les Rivières-Pourponts était adapté au cinéma et depuis la sortie en 2021 du livre Les Promises
00:35et Rouge Karma, en 2023, vous vous êtes laissé vous-même embarquer dans des histoires qui
00:41interrogent sur la fascination du mal. Aujourd'hui vous publiez non pas un mais deux nouveaux romans,
00:46Sans Soleil, Disco Inferno est le premier volume, Sans Soleil, Le Roi des Ombres est le deuxième
00:51volume de Tom, donc pour un seul tueur autant dire que le suspense est à son comble. Ce qui
00:56devait ressembler à une fête, on va essayer de pitcher, enfin je vais essayer de le faire Jean-Christophe,
01:01ce qui devait ressembler à une fête pendant laquelle on danse se transforme en une traque
01:04effrénée, haletante, parfois insoutenable, menée de main de maître par un assassin qui aime à
01:10dépecer ses victimes. Plus vous avancez et plus vous semblez avoir envie de nous confronter à
01:15nous-mêmes finalement, parce que cette fascination du mal, cette relation avec le mal, elle nous
01:21concerne. Est-ce que c'est ça que vous vouliez faire ? En tout cas, j'essaye toujours de raconter
01:27une sorte de remontée vers les origines du mal ou vers la source. Dans mon esprit, une enquête
01:33policière, c'est toujours un chasseur dans une forêt et j'aime cette idée de, vous voyez, quand on suit
01:38un fleuve, de remonter à la source. Et là, dans le premier Tom, on est à Paris, dans le deuxième Tom,
01:43on va vraiment voyager en Afrique, à Haïti. Et là, on a vraiment le sentiment que les enquêteurs,
01:48oui, remontent un fil et que ce fil va nous emmener aux origines du mal qui sont souvent liées, bon,
01:55on ne va pas tout déballer, mais qui sont souvent liées à des traumas et à des histoires qui se
02:00sont déroulées avant les crimes. C'est pour ça que je dis toujours qu'un remont policier, c'est
02:04quand même une histoire à l'envers. Le crime est la fin de l'histoire et on va peu à peu remonter,
02:10remonter, remonter jusqu'au mobile et jusqu'à l'assassin et ces traumas qui l'ont rendu fou.
02:16Moi, j'ai tendance à dire toujours que les livres, ce n'est pas la réponse, c'est la question. On aime
02:21bien reposer toujours la même question sans spécialement obtenir de réponse, mais vous êtes
02:26habité par une question, par une chose que vous ne supportez pas. Il y a parfois un malentendu sur
02:33mes livres. Les gens pensent que je suis complaisant avec la violence ou que j'aime ça. C'est tout à
02:37fait le contraire. Vous écrivez toujours sur ce que vous ne supportez pas, sur ce qui vous pose un
02:40problème. Donc moi, c'est de la violence. Depuis toujours, je me souviens des premières images que
02:44j'ai vues des guerres, du Biafra ou de Nuit et Brouillard. Ce n'est pas passé. Je n'ai pas pu
02:51dégérer ça. Et si vous voulez, tout naturellement, quand vous écrivez, ce qui ressort, c'est les
02:55choses que vous ne supportez pas et que vous avez envie de questionner. C'est comme quand vous
03:00grattez un peu une plaie, vous voyez. Alors, il faut que ça saigne. Ce qui ressort, c'est que
03:05finalement, tous ces personnages qui sont vos héros, il y en a notamment trois dans ce double
03:10volume. Enfin, je vais rester à trois, parce que c'est les trois principaux. Ils s'occupent quand
03:15même des personnes qui sont en marge, des personnes qui sont différentes. Et on sent que ça, c'est un
03:21vrai sujet pour vous, Jean-Christophe Granger, de traiter de la différence, de l'importance de la
03:25différence.
03:27Alors, je ne veux pas philosopher, mais vous savez, en vieillissant, vous vous rendez compte qu'en
03:31réalité, les différences, ça me nuise. Et ce qui vous semblait très lointain, finalement, est assez
03:37proche. Et qu'au fond, il n'y a pas à se choquer de grand chose. Il faut plutôt essayer de
03:42comprendre et passer sous la ligne pour se rapprocher de tout ça. Et moi, ça m'intéressait
03:47justement de décrire la communauté homosexuelle de cette époque, que j'ai un peu connue parce que
03:54j'avais 17, 18 ans à cette époque. Et moi-même, comme la jeune fille, j'essayais de rentrer dans
03:59ces boîtes qui étaient spectaculaires, parce qu'avec une musique extraordinaire, c'était l'essor
04:05du disco, etc. Et c'était vraiment, on était au spectacle, je veux dire, à la rue Sainte-Anne, à
04:09l'époque, tout le monde était beau, scintillant, dansant.
04:13C'était vraiment extraordinaire. Donc, moi, je cherche toujours des, comment dirais-je, des
04:18contextes particuliers, des communautés spécifiques dans lesquelles les lecteurs vont voyager.
04:24Est-ce que vous n'êtes pas un peu marginal, finalement, Jean-Christophe Granger ?
04:27Complètement marginal, complètement à côté de la plage.
04:30Depuis toujours, j'ai eu cette chance de réussir dans mon écriture littéraire, mais j'y pense
04:36souvent, et beaucoup d'artistes y pensent.
04:37Si je n'avais pas réussi, je me demande où j'en serais, parce que je ne rentrais vraiment pas bien
04:41dans les cases qu'on m'a proposées au début, en sortant de mes études.
04:45Les cases qu'on me proposait, excusez-moi, ça ne me faisait pas rêver.
04:49Et heureusement, avec volonté, détermination, j'ai réussi à écrire mes livres, mais je suis
04:54totalement marginal. Alors, moi, je me trouve tout à fait normal.
04:57Mais tout le monde me dit, Granger est à moitié fou, quand même.
05:01Pour terminer, ces deux tomes ne sont-ils pas finalement une ode à la vie, à montrer que la
05:06lumière, elle peut justement venir contrecarrer l'obscurité ?
05:12Toujours, mes livres. Alors, souvent, on a dit que ce sont des livres pessimistes, très noirs,
05:15patati patata. Si vous les regardez de près, ce n'est pas vrai.
05:18Toujours, le bien gagne.
05:20C'est toujours le chevalier qui arrive à vaincre le dragon.
05:24C'est ça, l'optimisme de mes livres.
05:26Il y a deux optimistes. Et d'abord, le bien gagne toujours, souvent dans des conditions très
05:30noires, mais il gagne. Et l'autre optimisme un peu paradoxal, c'est qu'on découvre toujours que
05:35l'assassin, le méchant, a eu des raisons personnelles de devenir méchant, c'est-à-dire des
05:40traumatismes qui l'ont brisé et qui l'ont changé.
05:43Et derrière cette idée, il y a cette idée optimiste que si on ne vous brise pas, si on vous
05:49élève avec amour, moi, je suis, on ne dirait pas dans mes livres, mais un grand passionné de
05:53l'amour, eh bien, il n'y a pas de raison qu'il y ait de problèmes.
05:56Il n'y a pas de raison qu'il y ait de tueurs en série.
05:58La seule chose que partagent tous les tueurs en série, c'est une enfance désastreuse.
06:02C'est la seule chose qu'on peut dire.
06:03Tous les enfants mal aimés ne sont pas devenus des tueurs, mais tous les tueurs sont des
06:07enfants mal aimés. Moi, j'ai cette idée qui est assez banale et qui, je crois, est
06:13universelle, c'est que c'est au moment de l'enfance où vous devez être nourri avec amour et
06:17équilibre et ça vous empêche de glisser dans le trou noir du mal.
06:21C'est un peu ma philosophie.