Yasmine Belkaid, directrice générale de l'Institut Pasteur, était l'invitée du 8h30 franceinfo le 22 janvier 2025.
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00:00Yasmin Belkaïd, le monde s'est littéralement arrêté quelques jours, quelques mois selon les pays pendant l'épidémie de Covid.
00:06Est-ce qu'une telle épidémie pourrait de nouveau s'abattre sur le monde avec les mêmes conséquences qu'on a connues avec le Covid ?
00:12Si on regarde l'évolution des virus, des pathogènes au travers des 20-30 dernières années, il y a une accélération.
00:18Et si on regarde en fait le nombre d'outbreak qui se sont produits au cours du temps, il y a une accélération.
00:24Outbreak.
00:25Outbreak, d'émergence, de pandémie, etc.
00:27Et en fait, c'est vraiment causé par le fait que nos environnements sont en train de changer.
00:32Vous parlez de chaos écologique, c'est ce qui entraîne la multiplication des maladies infectieuses, expliquez-nous.
00:37Alors il y a les changements climatiques qui vont changer bien entendu.
00:40Par exemple, comment les insectes vecteurs qui transmettent ces pathogènes peuvent en fait évoluer et changer d'environnement.
00:46L'exemple des moustiques.
00:47Les moustiques.
00:48Les tiques aussi sont en train de transmettre de façon accélérée des virus.
00:51Il y a la déforestation.
00:53Ces déforestations vont déplacer des populations d'animaux.
00:56Ces animaux qui portent des pathogènes et qui peuvent les transmettre maintenant à l'homme.
01:00C'est vraiment un chaos écologique qui fait qu'en fait on est en train de déplacer les réservoirs, les vecteurs,
01:06et on est en train d'imposer des évolutions de pathogènes au niveau de leur localisation mais aussi de leur pathogénésis.
01:12Vous dites on est en train, ça veut dire que c'est en train de se produire.
01:15Vous avez déjà des conséquences maintenant ou c'est pendant 10, 20 ans ?
01:18Ah mais c'est maintenant.
01:19Si vous vous rappelez bien, cette année il y a eu beaucoup plus de moustiques à Paris qu'il n'y en avait.
01:23On a eu des cas de dingue en France.
01:25La réalité c'est que c'est maintenant.
01:27On est en train de voir une évolution très rapide d'émergence de pathogènes mais aussi de vecteurs dans des écosystèmes qui n'y étaient pas exposés.
01:35On voit des maladies aujourd'hui en France qu'on ne voyait pas sous ces latitudes il y a encore quelques années.
01:40Bien sûr.
01:41Et dans ces cas-là il faut s'en prémunir, il faut que vous puissiez travailler dessus pour pouvoir lutter contre les nouvelles maladies infectieuses.
01:48Il faut des moyens.
01:49Moins 630 millions d'euros sur le prochain budget de la recherche et de l'enseignement supérieur pour le moment.
01:54C'est ce qui est prévu.
01:55Pour qu'on se rende bien compte, c'est un énorme trou à venir ou alors ça ne va pas se faire ressentir ?
02:01C'est à se demander si on apprend les leçons de l'histoire et même d'une histoire très récente.
02:0610 ans avant l'épidémie de Covid, le gouvernement français avait investi moins de 28% en recherche biomédicale.
02:1410 ans avant Covid.
02:17Et on est en train de reproduire une chose similaire.
02:20C'est-à-dire que si on diminue les investissements alors que l'on sait que les maladies infectieuses ou d'autres maladies,
02:25que ce soit les maladies métaboliques, neurodégénératives, sont en accélération,
02:28on se rend extrêmement vulnérable.
02:31Et on se rend aussi dépendant d'autres environnements pour trouver les solutions de demain.
02:36L'enveloppe qui est accordée par l'État à l'Institut Pasteur, elle représente quelle part de votre financement ?
02:42Qu'on comprenne encore les ordres de grandeur.
02:44L'Institut Pasteur est un institut indépendant et privé qui a été fondé de cette façon.
02:48Et c'est un partenariat bien entendu avec le gouvernement.
02:51Donc les subsidies que l'on reçoit du gouvernement, les subventions, sont de 17%.
02:58Mais si on prend aussi tout ce qui va être les grandes, par exemple les programmes de recherche qui sont comme l'ANR,
03:04là ça représente 30% de Pasteur.
03:07Donc ça veut dire que quand on baisse de 630 millions d'euros le prochain budget,
03:11là encore ça a un impact direct sur les travaux de vos chercheurs.
03:16Mais sur les travaux de tous nos chercheurs.
03:18L'Institut Pasteur est dans un écosystème français.
03:20Nous sommes là en partenariat avec l'INSERM, le CNRS, l'APHP.
03:24Nous, tout ce qui se passe au niveau des investissements du gouvernement,
03:27impacte la totalité de l'écosystème français et nous aussi bien entendu.
03:30On n'a pas encore le budget mais très concrètement,
03:32vous êtes déjà en train de réfléchir à des coupes dans certains de vos programmes ?
03:37Couper la recherche, c'est quelque chose qui est irréversible.
03:41Et je vais vous dire pourquoi.
03:43Parce que la recherche, en fait, c'est un investissement sur le long terme.
03:45Pour qu'un scientifique devienne un scientifique, c'est un étudiant,
03:49qui va ensuite faire une thèse, qui va ensuite devenir ce qu'on appelle un postdoctoral fellow,
03:52qui part à l'étranger, qui revient, un laboratoire.
03:55C'est 20 ans d'investissement pour développer quelqu'un qui va être au niveau.
03:59Si on interrompt la recherche dans ce processus,
04:02en fait, on crée des points où les gens vont partir,
04:04sortent de la recherche et on ne peut pas réparer.
04:06Ils ne reviennent plus jamais en France.
04:08Vous êtes en train de nous dire qu'en fait, le gouvernement n'a rien compris
04:11parce qu'il y a eu l'épidémie de Covid et là, on baisse à nouveau les crédits alloués à la recherche.
04:16Qu'on comprenne bien sur l'échelle mondiale,
04:19la France, elle se place où dans les crédits alloués à la recherche ?
04:23Est-ce qu'on est des mauvais élèves ou alors on fait des efforts mais c'est passé ?
04:27La France, des pays à haut niveau économique,
04:30est peut-être le pays qui investit le moins en recherche.
04:33Donc, le PNB est de 2,2% au niveau de la recherche en France
04:39contre, je crois, presque 4% en Allemagne.
04:42Donc, on investit 2,2% de la richesse créée chaque année dans la recherche.
04:46Oui, et en fait, 0,3% en recherche fondamentale contre 0,9 en Allemagne.
04:52C'est-à-dire la recherche à très long terme qui n'est pas tout de suite appliquée dans des médicaments ou autre.
04:57Sachant que la recherche fondamentale est là où toutes les découvertes
05:02qui ont transformé le monde, qui ont transformé la médecine, se font.
05:05Par exemple, les gens qui sont maintenant traités de la thérapie,
05:10l'immunothérapie en cancer, vient directement de la recherche fondamentale.
05:14Les changements avec CRISPR qui vont changer la médecine.
05:18C'est les ciseaux à ADN.
05:19Ciseaux à ADN, ça vient aussi de la recherche fondamentale.
05:21Toutes les découvertes qui sont devenues des médicaments aujourd'hui
05:25ou des traitements sont venus de la recherche fondamentale.