Annette Wieviorka, historienne, spécialiste de la Shoah et de l'histoire des juifs du XXe siècle, Haïm Korsia, grand rabbin de France, et Ophir Levy, historien du cinéma, maître de conférences à Paris 8, spécialiste des représentations de la Shoah au cinéma, sont les invités du Grand Entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-27-janvier-2025-8080050
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00:00Et table ronde ce matin sur le 80e anniversaire de la découverte d'Auschwitz-Birkenau alors
00:06que les cérémonies officielles commémoreront cet après-midi l'événement, on en parle
00:11ce matin, Léa, avec trois invités.
00:14Annette Vivioreca, historienne, vous êtes l'une des plus grandes spécialistes de la
00:17Shoah et de l'histoire des Juifs du XXe siècle, vous publiez « Itinérance », une traversée
00:21de l'histoire tragique du XXe siècle chez Albin Michel.
00:24Bonjour et merci d'être là.
00:26Bonjour à Aïm Korsia, grand rabbin de France, coauteur de « Fragments de mémoire, voyage
00:30à Auschwitz-Birkenau chez Flammarion ». Et puis Ophir Léviète aussi avec nous, vous
00:35êtes historien du cinéma, maître de conférence à Paris VIII et spécialiste des représentations
00:39de la Shoah au cinéma.
00:41Bonjour à vous également.
00:42Et soyez une fois encore les bienvenus au micro d'Inter cette journée du 27 janvier
00:471945 où les soldats de l'armée rouge ont ouvert les portes du camp de concentration
00:53et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau en Pologne, découvrant l'horreur absolue,
00:59l'innommable, l'impensable, cette journée, Annette Wieworka, vous l'avez racontée,
01:04mais il faut la raconter encore et encore, 80 ans après, alors que les derniers déportés
01:10ont presque tous disparu.
01:12Que découvrent ces jours-là les soldats de l'armée rouge en pénétrant dans cet
01:17immense camp de 55 kilomètres carrés ? Que voient-ils ?
01:22Ce qu'ils voient, c'est ceux qui sont restés au camp, une infime minorité, à
01:27peu près 7000 déportés qui ne sont pas partis lors de l'évacuation, lors de ce
01:34qu'on appelle les marges de la mort.
01:36Et parmi eux, des gens qui vont être importants, Primo Levi ou Otto Frank.
01:41Et puis, ils découvrent des tas d'objets qui sont en fait les témoins de la destruction
01:48des juifs d'Europe, des chaussures, des cheveux, des prothèses, des talettes, des
01:55salles de prière.
01:56Et ils ne comprennent pas exactement ce qu'ils voient et on a toujours du mal à comprendre.
02:04Parce qu'il faut quand même rappeler ce qu'est Auschwitz-Birkenau.
02:09Au départ, juin 1940, un camp de concentration pour polonais, pour hommes polonais, comme
02:17d'autres camps de concentration, Brunwald, Mauthausen ou Ravensbrück pour les femmes.
02:21A partir de mars 1942 commence la déportation des juifs et à partir de juillet 1942, la
02:30destruction, l'assassinat systématique des juifs.
02:34Donc quand ils arrivent, ils trouvent 7000 déportés mais il y a les cendres du million
02:43de juifs qui sont venus à Auschwitz de toute l'Europe.
02:47Et c'est ça qui reste inimaginable.
02:50Pourquoi a-t-on été chercher Simone Jacob-Weil à Nice, Etil Soum ou Anne Frank à Amsterdam,
02:58Imker Teich en Hongrie, Primo Levi à Turin ? Donc c'est ça la destruction des juifs
03:05d'Europe.
03:06C'est l'idée que l'on va faire de l'Europe une Europe Judenfrei, Judenrein, libre de
03:12juifs et que l'on va assassiner, éradiquer les juifs de l'Europe.
03:18Vous dites d'ailleurs, Anna de Wiewerka, que ce lieu est statistiquement le plus grand
03:22cimetière d'Europe, 90% des victimes étaient juives, 1 million de personnes, je répète
03:29le chiffre que vous venez de donner, 1 million de personnes vont mourir à Auschwitz dans
03:33cette période-là, dont 900 000, moi c'est ce chiffre-là qui m'a le plus étonnée,
03:38900 000 à leur arrivée.
03:39Oui.
03:40A leur arrivée, c'est-à-dire qu'ils descendent du train et ils vont vers les camps de la
03:44mort immédiatement, ceux qui ne peuvent pas travailler.
03:46Ce qui est très compliqué quand on veut penser à Auschwitz, c'est qu'Auschwitz
03:491 reste un camp de concentration, mais que parallèlement, il y a ce que l'historien
03:56américain Raoul Hilberg appelle un centre de mise à mort, c'est-à-dire en fait un
04:00terminal ferroviaire.
04:02Tal Brutman a bien montré comment l'historien Tal Brutman, à qui il faut rendre hommage
04:09aussi, parce qu'on n'est pas très nombreux à avoir travaillé sur Auschwitz, montre
04:15bien comment le terminal, la voie ferrée avait été prévue dès la fin 1941 pour
04:21permettre d'arriver directement aux chambres à gaz.
04:25Donc on a dans le même temps un camp de concentration et un terminal ferroviaire qui amène directement
04:33au moment de la déportation des Giffons-Grois au printemps 1944, directement aux chambres
04:38à gaz.
04:39Et ça, c'est quelque chose de stupéfiant des femmes, des hommes, des vieillards, des
04:43enfants.
04:44À M-Corsair.
04:45Juifs, il faut le redire.
04:46Oui, juifs, il faut le redire.
04:47Ce tri que tous les rescapés racontent, ce tri au moment de la descente du train, qui
04:54est sans doute un des moments les plus terribles, et ils ne savent pas s'il faut aller à
04:58droite ou à gauche, et ils ne savent pas ce que ça veut dire d'aller à droite ou
05:01à gauche.
05:02Est-ce que ça, ça fait partie des images que vous avez quand vous repensez à Auschwitz-Birkenau
05:06ou quand vous y êtes allés ?
05:08Non, parce que mes amis survivants, ou les rescapés plus exactement, ou les revenants
05:15comme aurait dit Semprin qui disait, ne croyez pas que nous sommes des survivants, on était
05:21dans la mort et on est des revenants.
05:23Mais mes amis, je pense à Elie Buzyn, m'a raconté comment un déporté qui est là
05:28sur les quais leur dit, dit que tu es à 18 ans, dit que tu es plus grand, et ils font
05:33confiance à cette voix, et le hasard parfois les fait choisir la bonne file, un accident
05:40au sens de quelque chose qui n'est pas prévisible, qui n'est pas organisé, les fait choisir
05:44la bonne file.
05:45Par exemple, j'ai écouté chez vous Ginette Kolenka, qui redit comment elle a voulu faciliter
05:50les choses pour son père et son frère, elle leur dit, prenez les camions, et toute sa
05:54vie elle va se reprocher de les avoir d'une certaine manière envoyés dans la mauvaise
05:58file, ce qui les condamne immédiatement.
06:01Elle va leur dire, prenez les camions, parce qu'il y avait 4 km de marche, et elle s'est
06:05dit, ils vont être fatigués.
06:06Elle n'avait aucune raison de dire que c'était pensé pour amener, comme on le voit aujourd'hui,
06:10les rails vont jusque ce qui était les chambres à gaz et les crématoires, jusque là, mais
06:15au moment où Ginette arrive, c'est la lune de rampes qui est un peu plus loin, et ils
06:20doivent encore marcher.
06:21Donc c'est vrai que, vous voyez, ce moment, et je vais vous dire à quel point c'est terrible,
06:26un jour, je m'occupais des aéroports, et un jour, il y a un responsable de l'aéroport
06:33qui dit aux gens, ceux qui veulent prendre l'avion, ils vont par là, ceux qui veulent
06:38par là, et je lui dis, tu ne peux pas faire ce geste ici, parce que ce geste a quelque
06:43chose de terrible, c'est la vie, la mort, ce geste, c'est une façon de redonner tout
06:50pouvoir à quelqu'un sur la vie des autres, et c'est ce qu'est, c'est nier la possibilité
06:55pour quelqu'un d'assumer sa possibilité de construire sa liberté.
07:01Il n'y a plus de liberté, c'est d'autres qui choisissent la vie ou la mort, tout pour
07:04vous.
07:05Est-ce que vous vous souvenez chacun de votre première visite à Auschwitz, au Fier Levi,
07:11je crois que vous y êtes allé plusieurs fois, quels souvenirs en gardez-vous ?
07:15C'était au début des années 2000, dans le cadre d'un voyage avec différentes associations
07:20de jeunesse, et le souvenir, vraiment le premier souvenir qui me revient, c'est celui d'une
07:25impression de très étrange, presque d'inquiétante étrangeté d'être dans un lieu que je découvre
07:30et que pourtant je connais, parce que je l'ai découvert par le cinéma, et ça crée une
07:34forme de distance étonnante, puisque c'est un lieu qui a été énormément filmé, y
07:39compris reconstitué, et de s'y trouver tout d'un coup, vous avez le sentiment d'être
07:43dans un lieu familier, mais avec cet écart-là, donc vous y entrez avec des images déjà
07:51qui vous habitent, et ensuite la deuxième chose qui m'a beaucoup frappé la première
07:54fois, c'est Birkenau, cette espèce d'étendue très vaste, dans laquelle il ne reste plus
08:02grand-chose, et où il faut faire ce travail-là de réconstitution imaginaire pour situer
08:11les installations, ce qui s'y passait, et donc qui demande, qui exige on pourrait dire
08:15de la part du visiteur, un travail intellectuel, là où dans les parties musées on vous donne
08:21tout un aspect visuel qui vous donne des informations.
08:25C'est vrai que Birkenau, le vide de Birkenau m'a toujours sidéré, au sens qu'il faut
08:33essayer d'imaginer ce qu'il y avait, ça grouillait littéralement, personne ne marchait,
08:39tout le monde courait, il y avait de la boue, et on voit ce vide immense, qui est au fond
08:44une sorte de vide de l'âme, et il y a quelque chose de l'ordre de l'effort à faire, et
08:50on n'est pas simplement un spectateur, en fait on vient, oui, sur un cimetière, et
08:58il y a une forme de spiritualité aussi qu'on retrouve là.
09:02Anne-Edwige Birkenau.
09:03Moi j'aurais à répondre à votre question, moi j'y suis allé pour la première fois
09:05en 1988, je raconte ça d'ailleurs dans Itinérance, à l'époque j'étais prof d'histoire au
09:12lycée Voltaire, et ça a été le premier voyage, la Pologne était encore une démocratie
09:18populaire, le communisme n'avait pas encore collapsé, enfin disparu, et on est donc parti
09:24le matin à Charter, on est arrivé le matin et on a fait la visite.
09:30A cette époque-là, 1988, Birkenau était, comme disait le polar 2, l'auteur de Polar,
09:38Thierry Jonquin, un dépotoir de la mémoire, il n'y avait rien, et je me rappelle cette
09:42vision fugitive des chicots de cheminées des baraques, que j'ai pris pour les cheminées
09:48des crématoires, et chaque fois que je vais à Birkenau, fugitivement, il faut que j'éloigne
09:54cette idée que ce qu'il reste c'est les briques des cheminées des baraques, et que
09:59ce ne sont pas des crématoires.
10:01Donc il n'y avait rien à Birkenau, à Birkenau les paysans polonais faisaient les foins, les
10:07gosses jouaient au football, donc ça permet de mesurer ce qui s'est passé entre 1988,
10:14où les voyages, notamment de scolaire, sont inexistants, et aujourd'hui, avec pour moi
10:25un grand moment qui a été la commémoration de 2005, et alors je rejoins aussi le grand
10:35rabbin, il y a à Birkenau, moi j'y suis retourné, j'y ai passé des semaines, quand
10:44j'ai écrit mon livre 60 ans après, quand je suis allé avec un réalisateur, Emile Weiss,
10:50donc je suis resté très très longtemps, et quand on parcourt Birkenau, il y a effectivement
10:55quelque chose, et ce quelque chose, ça vient aussi que dès qu'il pleut, la terre rend
11:01des cendres ou rend encore des ossements.
11:04À l'emplacement où il y avait le dépôt, ce qu'on appelait le Canada, les 30 baraques,
11:09où on mettait les effets des juifs qui arrivaient, on les triait, les fourchettes des bouts de
11:15gamelles continuent à revenir, ça veut dire que ce lieu qui a été le lieu de la mort,
11:23le lieu de l'assassinat, le lieu où des cendres ont été répandues, et bien la terre
11:29garde encore, en quelque sorte, les traces de l'ampleur de cet assassinat.
11:37Je voudrais juste rajouter que parmi les assassinés en famille, c'est-à-dire il y a le génocide
11:44quand on tue en famille, il y a les 20 000 ciganes qu'il ne faut pas oublier.
11:49Aime Corsa, ça fait 20 ans que vous vous y rendez régulièrement avec des élèves
11:53à Auschwitz-Birkenau, c'est vrai qu'il y a ce débat chez les profs d'histoire,
11:57est-ce qu'il faut y aller ou pas, emmener les élèves ou pas, combien les préparer
12:01avant, quel est votre avis sur la question et quelles ont été les réactions des élèves
12:06ou certaines qui vous ont le plus marqué ?
12:08Je me suis appuyé sur les réflexions de Nath Vivorca qui à un moment était un peu
12:12excédée par ses voyages qui ne rimaient à rien, elle avait raison.
12:15Ça c'est vrai, vous l'avez écrit, pendant le temps vous vous êtes demandé si ce n'était
12:19pas incongru d'y aller, vous vous disiez c'est la dernière fois que j'irais, et
12:22finalement vous y allez.
12:23Non mais il faut y aller, et je vais vous dire pourquoi, parce qu'il faut tenir compte
12:25de ce qu'elle disait, mais il faut préparer les voyages.
12:28Ça ne rimait rien d'amener les petits comme s'ils allaient à la fête foraine ou truc
12:32ou machin, on les amène à Auschwitz, voilà, comme ça ils ont biffé, pas comme ça que
12:37ça se passe.
12:38Il faut qu'il y ait une véritable préparation, il faut passer par exemple par le mémorial
12:41de la Shoah, il faut que les professeurs dans les classes anticipent et construisent une
12:46pensée pour pas qu'ils arrivent sur quelque chose qui va forcément les pousser à avoir
12:51des stratégies d'évitement qui consistent à ricaner, pas parce qu'ils se moquent,
12:56parce que c'est insupportable ce qu'ils voient.
12:58Il faut qu'ils soient préparés en amont, et mieux, je dirais même dans ma vision militaire,
13:04débriefer après dans ce qu'on appelle dans l'armée un rétex, un retour d'expérience,
13:08ce que je faisais systématiquement en allant ensuite avec le déporté qui m'accompagnait,
13:13en général c'était Libusin ou maintenant Lastersenau, aller dans les classes qui ont
13:18vécu cela pour retrouver ces moments et pour construire une pensée après cela.
13:24Et je trouve, parce que maintenant j'ai un peu le recul, que c'est un moment assez extraordinaire
13:30pour eux parce qu'ils rentrent dans les livres d'histoire.
13:33Comme ils le disent, on a vu ça dans le livre d'histoire, et bloquement on est rentré
13:39dans les livres d'histoire.
13:40Et je trouve que c'est un effet extraordinaire, mais je vais vous rassurer, on a le Struthof
13:45en France, on a aussi des lieux essentiels pour la visite, on a le camp d'Émile, on
13:50a le camp de Noé, Récébédou, on a tant et tant de lieux, on a le Cercile à Orléans,
13:55c'est plus facile de se dire on va avoir l'horreur à l'étranger, on a aussi des
13:59lieux d'horreur en France chez nous.
14:01Un sondage Opinion Noé pour la Tribune dimanche, la semaine dernière, interrogeait des jeunes
14:07âgés de 16 à 24 ans sur leur connaissance des grands événements historiques.
14:126 sur 10 disent connaître la Shoah, savoir de quoi il s'agit, mais près de 20% d'entre
14:18eux disent n'avoir jamais entendu parler de cet événement historique.
14:2385% d'entre eux disent savoir ce qu'étaient les chambres à gaz, mais seulement 40% savent
14:29ce qu'est la rafle du Veldiv.
14:32Comme historien, Annette Vievorka et Ophir Lévy, comment recevez-vous ces chiffres ?
14:38Plutôt comme prof, comme ancien prof que comme historienne, je trouve que c'est pas
14:43mal.
14:44C'est-à-dire qu'il faudrait les comparer avec des chiffres d'autres événements historiques.
14:51Et je dois dire que si on compare 88 que j'évoquais aujourd'hui, l'enseignement s'est développé
15:01de façon considérable.
15:03Les professeurs sont extrêmement bien formés, notamment par les formations qui se déroulent
15:09au mémorial de la Shoah ou organisées ailleurs qu'à Paris par le mémorial de la Shoah.
15:15Donc je trouve que c'est finalement pas si mal.
15:17Et je trouve que quand il dit « on n'a pas entendu parler », c'est qu'ils ne se
15:24souviennent pas.
15:25Il suffit de regarder sa propre mémoire, le nombre de fois où on dit « je te l'ai
15:29dit », on dit « j'ai pas entendu ».
15:31Donc je trouve que finalement c'est pas si mal.
15:36On a vu chez vous, samedi soir, on a vu chez vous, chez Léa Salamé, comment un jeune
15:45ne connaissait pas manifestement les détails et comment, en entendant un témoin, il en
15:53était bouleversé.
15:54Un jeune de 24 ans en larmes littéralement après avoir entendu Gillette Colinca et Starseno
16:00raconter ce qu'elles ont vécu à Auschwitz-Birkenau et c'est vrai que c'était très bouleversant
16:05et émouvant de voir.
16:06Mais je me suis dit « ça, il n'oubliera jamais ».
16:09C'est-à-dire que ce moment et ce dont elle parlait, il ne l'oubliera jamais lui.
16:13Et si on est capable de transmettre quelque chose aux jeunes, vous disiez les témoins
16:19disparaissent.
16:20Oui, mais il y en a encore.
16:21Donc tant qu'il y a des témoins, c'est formidable et c'est à nous maintenant d'être
16:25le réceptacle de ces témoignages comme vous le faites aujourd'hui.
16:29Oui, je pense qu'il y a deux choses qu'il ne faut pas confondre.
16:31C'est-à-dire à la fois le fait que les programmes indiquent un nombre d'heures assez
16:36limité par rapport à l'enseignement de la Shoah, notamment au lycée, et l'investissement
16:39extraordinaire des enseignants qui vont organiser, alors ça peut être en effet des voyages
16:45d'études à Auschwitz, qui vont s'associer avec d'autres enseignants de différentes
16:48disciplines pour créer des événements en commun, qui vont amener les élèves dans
16:54des projections.
16:55Il faut prendre ça en compte parce que c'est aussi grâce à eux que cet enseignement de
17:00l'histoire tient.
17:01J'ai vu par exemple des profs à Châlons-en-Champagne, une prof en particulier, qui a amené toute
17:06sa classe sur deux ans à la recherche d'une famille juive qui a été déportée de Châlons-en-Champagne
17:13et qui a fait toute une recherche sur ce qu'ils étaient avant, parce qu'il ne faut jamais
17:16oublier la vie d'avant.
17:17Et au fond, ils les font revivre.
17:19Et il faut rendre hommage à l'action de ces profs qui rendent présente cette histoire
17:24qui a voulu être effacée.
17:25On va passer au standard inter, on nous attend Sylvie, bonjour Sylvie, bienvenue.
17:29Bonjour, je vais essayer d'être brève, je voulais vous dire que je suis très émue
17:35de vous entendre et surtout de témoigner mon admiration sans limite à Madame Vivorca pour
17:42le travail qu'elle a accompli et qu'elle accomplit.
17:46Elle vous écoute.
17:47J'ai 64 ans et je suis une arrière petite fille de déportée.
17:53Je ne vais pas donner de détails, en tout cas, j'ai connu mes grands-parents, j'ai
17:59eu cette chance, évidemment j'ai eu mes parents, mais on ne parlait pas tellement,
18:05mes grands-parents ne m'ont rien dit sur toute cette histoire ou très peu.
18:11Et en fait, j'ai une question qui me hante et vous venez de l'évoquer.
18:19C'est d'abord, qu'est-ce que pensez-vous de cette expression, le devoir de mémoire
18:25et est-ce que, bon, les survivants dont vous parlez, Génède Colinca, Esther Sénot sont
18:33formidables, mais ils ne sont pas éternels et moi-même je ne suis pas éternelle.
18:38Moi, ce qui me hante, ce que je crains, et mes craintes n'ont fait qu'augmenter depuis
18:44ce qui se passe depuis un an, c'est que tout ça, quand on n'aura plus de témoignages
18:50en haut, eh bien ça va s'effacer dans les mémoires.
18:54Voilà, j'en ai peur, je le crains, c'est ce qui me chagrine le plus.
19:01Merci infiniment pour votre intervention et je transmets vos craintes et votre question
19:06à Nadia Bordia.
19:07Merci Sylvie, je partage vos craintes parce qu'effectivement il reste aujourd'hui
19:13une petite poignée de témoins à la commémoration qui va se tenir tout à l'heure sur le camp
19:19de Schwyz s'il n'y aura aucun survivant juif de France qui feront le voyage et surtout
19:28ce qu'on appelle la mémoire vive, c'est-à-dire la mémoire intrafamiliale, elle va disparaître
19:37parce que même si vos grands-parents ne vous racontaient pas grand-chose, vos grands-parents
19:40étaient là.
19:41Aujourd'hui, les lycéens ou les collégiens que les enseignants ont dans leur classe ont
19:48des grands-parents nés après la seconde guerre mondiale et on ne peut rien faire de
19:53ce passage du temps.
19:54Et puis je voudrais reprendre l'expression de Pierraschki tout à l'heure, eh bien
19:59on est rentré peut-être dans le nouveau monde et on peut se demander ce que ce nouveau
20:04monde va faire à la mémoire de Schwyz.
20:08Dernière petite chose, aucun historien n'adhère à cette expression « devoir de mémoire »,
20:15aucun philosophe, Pierre Riecker notamment, et nous préférons le travail de mémoire
20:22et je pense que l'histoire devient vraiment l'ossature de la façon de se rappeler.
20:33Quand on essaie de penser cette crainte que formulait Sylvie tout à l'heure, il y a
20:37l'idée qu'avec la disparition des derniers survivants, ce sont des personnes avec qui
20:42on a vécu dans le même monde et que finalement si ces personnes ne sont plus là, c'est
20:46comme si l'événement n'était plus de notre monde, ne nous était plus contemporain
20:49et qu'il fallait passer à une autre étape de sa transmission et c'est là qu'en
20:54effet le travail des historiens, le travail aussi des cinéastes, des écrivains…
20:58Oui parce que vous c'est votre travail, la représentation de la Shoah au cinéma et
21:00c'est vrai que de la liste de Schindler à la zone d'intérêt en passant par le
21:03fils de Saul, aujourd'hui le cinéma reste un vecteur puissant de transmission de la
21:09mémoire.
21:10Il est tellement puissant d'ailleurs que par moment il a pu donner à l'événement
21:13son nom, si on pense à la manière dont on se représente le terme « holocauste » ou
21:17le terme « Shoah », ce sont des termes qui ont été popularisés, non pas créés,
21:20mais popularisés grâce par exemple à la série « Holocaust » aux Etats-Unis ou
21:23le film « Shoah » en France et qui ont inscrit ces termes dans le débat public.
21:28Je trouve que je suis plus confiant d'abord parce que justement ce nouveau monde qui
21:34est technologique nous permet d'avoir les témoignages enregistrés.
21:37Spielberg, encore une fois le cinéma, a gardé en mémoire visuelle les témoignages énormes,
21:44donc il y a toujours à disposition les témoignages de ce qui reste et puis finalement quand on
21:49est français, on était avec Roland Aronsovant, on était dans toutes ces pages d'histoire,
21:53la transmission se construit aussi par le fait de raconter.
21:56Je crois en la Bible qui dit « Interroge ton père, il te dira, tes anciens ils te
22:00raconteront ».
22:01Merci à tous les trois, Annette Vievorca, historienne, votre livre « Itinérance, une
22:07traversée de l'histoire tragique du XXe siècle » chez Albain Michel, à Yves Corsia,
22:13grand rabbin de France, co-auteur de « Fragments de mémoire, voyage à Auschwitz, Birkenau
22:18chez Flammarion » et merci, Ophir Lévy, historien du cinéma d'avoir été ce matin
22:24au micro de France Inter.