Pour la première fois, en 2024, l’énergie solaire supplante le charbon en Europe. Ce sont les résultats d’un rapport du think tank Ember, publié le 23 janvier 2025. Michel Gioria, délégué général de France Renouvelable, nous explique comment cette dynamique a pu être mise à l’œuvre.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Générique
00:06L'invité de Smart Impact, c'est Michel Giuria, bonjour.
00:09Bonjour.
00:09Bienvenue, vous êtes délégué général de France Renouvelable.
00:13On va commenter ensemble cette information qu'on va voir tout de suite.
00:18L'énergie solaire qui dépasse le charbon pour la première fois dans la production d'électricité de l'Union Européenne en 2024,
00:24c'est 11 % pour le solaire et 10 % pour le charbon. C'est la conséquence d'une politique de long terme, ça ?
00:36C'est le début des résultats du Green Deal. Le Green Deal qui a été travaillé en 2019 et mis en place à partir de 2019,
00:42là, en fait, il donne ses fruits. Et il donne ses fruits sur plusieurs segments des renouvelables puisqu'effectivement,
00:47le solaire a produit en 2024 306 TWh au niveau européen, donc 11 % de la production d'électricité.
00:54Devant le charbon qui est à 269 TWh et on observe la même tendance avec l'éolien puisque du côté de l'éolien, on est à 477 TWh.
01:02Et l'ensemble des renouvelables font quasiment 47 % de la production d'électricité européenne.
01:11Donc, est-ce qu'il y a un phénomène de vase communiquant ? C'est-à-dire que quand le solaire ou l'éolien progresse,
01:16ça veut dire que le charbon baisse mais aussi les énergies fossiles, mais en général ?
01:20Pas exactement. Quand on regarde la structure de la production européenne d'électricité, on voit bien que quand l'hydraulique,
01:25quand le solaire et quand l'éolien se développent, la consommation de gaz et la consommation de charbon diminuent fortement.
01:33Pour vous donner un chiffre qui est assez marquant, entre 2019 et 2024, la réduction de la consommation de gaz et de charbon
01:41associée à la production d'électricité a fait économiser à l'Union européenne 59 milliards d'euros d'importation. C'est considérable.
01:49Donc, on voit bien qu'effectivement, il y a ce phénomène de vase communiquant. Donc, si on veut réduire la consommation d'énergie fossile,
01:55il faut accélérer le développement, notamment du solaire.
01:57Oui. C'est aussi et peut-être surtout une question de souveraineté.
02:01Alors, c'est évidemment une question de souveraineté puisque le gaz et le charbon sont en partie importés.
02:06Ce qui est assez intéressant de voir, c'est que quand on regarde le charbon, il n'y a plus que deux pays qui représentent deux tiers
02:12de la consommation de charbon pour la production d'électricité. Donc, c'est l'Allemagne d'un côté et la Pologne de l'autre.
02:18Donc, on voit bien que si on arrive à faire un travail avec ces pays-là, on va vraiment réussir.
02:23Et de l'autre côté, dans l'ensemble des pays, la production solaire augmente. Et c'est marquant en Espagne, aux Pays-Bas, en Grèce et en Hongrie.
02:31Et côté français, on avait un vrai retard par exemple sur l'éolien offshore, l'éolien maritime.
02:37Tout à fait.
02:37On est en train de le rattraper. On en est où ? On était très très loin dans le classement des pays européens.
02:41Tout à fait. On a démarré en même temps que tout le monde au début des années 2010. Et on met en place les premiers parcs en ce moment.
02:48Donc, on est en train de rattraper ce retard. Et ce qui est assez marquant...
02:50Il y avait un gros retard par rapport aux Anglais, aux Néerlandais par exemple.
02:53Anglais, Allemands, Néerlandais. Vraiment, ça, c'était très fort. Les Anglais restent toujours devant. Ils sont très très forts sur l'éolien en mer.
03:00C'est les leaders mondiaux à ce jour avec plus de 12 gigawatts installés. La France en a tout juste 2.
03:06Mais en octobre dernier, on a abouti sur une grande planification. Et du coup, on devrait être en capacité de rattraper ce retard à l'horizon 2030.
03:14– Est-ce qu'on parle de chiffres et de comparatifs au niveau européen ?
03:17Il y a ce règlement dont on parle quasiment tous les jours dans notre émission, la CSRD, la Directive européenne sur le bilan extra-financier,
03:24qui finalement oblige les entreprises à afficher leur bilan extra-financier, à se comparer avec d'autres.
03:33Donc, c'est très intéressant. Je pense que c'est un outil de transformation majeur.
03:37Sauf qu'en ce moment, il y a une pression assez forte au niveau européen, notamment de l'Allemagne pour ne pas la nommer,
03:42pour l'interrompre, le suspendre. Comment vous réagissez à ça ?
03:47– En fait, c'est le constat qu'on a eu pendant les élections européennes.
03:50Vous avez vu que pendant les élections européennes, au mois de juin, il y a eu une espèce de green deal bashing.
03:55Donc, l'ensemble des progrès qui ont été faits sur, par exemple, le développement du véhicule électrique,
04:00les normes de rénovation des bâtiments, le développement des renouvelables, la comptabilité extra-financière, etc.
04:06Tout ça a été attaqué en bloc. Et je pense qu'il faut faire la différence entre les difficultés que connaît aujourd'hui
04:12l'économie européenne, qui sont réelles et qui sont en partie liées à des prix élevés d'électricité et d'énergie.
04:18– Et l'Allemagne est en récession pour la deuxième édition.
04:20– Donc là, il faut vraiment regarder, poser le diagnostic.
04:22Et notamment, on voit bien que là où il y a des renouvelables, les prix baissent.
04:26Le constat est net là-dessus. Donc, il faut qu'on avance là-dessus.
04:30Et de l'autre côté, il faut quand même voir que derrière toutes ces mesures-là,
04:34en fait, il y a des mesures de soutien aux industriels européens.
04:37Si on est capable, typiquement sur la mobilité électrique,
04:39si on est capable de mettre en place, au niveau européen, un leasing véhicule électrique qui dit,
04:44pour toutes les personnes en dessous d'un certain niveau de revenu,
04:46vous avez un véhicule électrique pour 100 euros par mois pendant 3 ans,
04:50vous envoyez un signal à la fois aux personnes en situation de précarité de mobilité,
04:54qui voient bien la difficulté à investir dans un véhicule électrique,
04:57et là, vous leur offrez une réponse sociale, c'est extrêmement important.
05:00Et de l'autre côté, vous envoyez un signal clair aux industriels en leur disant,
05:04il y a un marché européen du petit véhicule électrique, investissez dedans.
05:09En fait, si on veut sortir de cette espèce de green deal bashing, j'allais presque dire,
05:14il faut traiter les deux sujets qui sont d'un côté compétitivité de l'industrie
05:19et de l'autre côté accompagnement social à la transition énergétique.
05:22Et il y a peut-être un troisième levier à activer, c'est de regarder quand même ces règlements de près,
05:27parce que dans les critiques des agriculteurs ou dans les critiques de certains chefs d'entreprise sur la CSRD,
05:34c'est pas faux que la paperasse, elle est bien là.
05:38Je dis ça d'une façon un peu simpliste, mais c'est une réalité.
05:41Tout à fait. L'enfer est pavé de bonnes intentions, je crois qu'on dit.
05:46Donc ça, c'est un point qui est important.
05:48Et pour le coup, je pense que là, il faut être très pragmatique.
05:50Il faut, plutôt que de secouer le cocotier en disant, il faut tout arrêter,
05:54sortons 3, 4, 5 propositions de simplification.
05:57Je sais que c'est un peu un mot valise, mais pour avancer.
06:00Et quand on fait ça, en fait, on se rend compte que ça marche.
06:03On arrive à le faire.
06:05Ça, c'est vraiment important.
06:07Avec l'Europe qui est face à ce choix très important sur ses ambitions environnementales,
06:13au moment où les Etats-Unis, avec Donald Trump, sont en train d'appuyer très fortement sur le frein.
06:19Vous y voyez quoi ? Vous y voyez une opportunité pour l'Europe ?
06:23Première partie de question, puis j'en ai une autre juste derrière.
06:27Je vous laisse la première pour commencer.
06:29Pour nous, c'est évidemment une opportunité, pour deux raisons.
06:31La première, c'est qu'on voit bien qu'il faut que l'Europe prenne son destin énergétique en main et globalement son destin stratégique en main.
06:37On a les outils pour le faire.
06:39On a les cerveaux pour le faire.
06:41On a les fonds financiers pour le faire.
06:43Donc, allons-y. Il faut y aller.
06:45Maintenant, il faut qu'il y ait une vraie volonté politique réelle pour le faire.
06:47Ça, c'est la première chose.
06:49Et la deuxième chose qui est vraiment nette,
06:51c'est que l'administration Biden avait fait un effort très, très important pour attirer les industriels mondiaux
06:57et notamment les industriels européens sur son territoire.
06:59Si on ralentit, si les États-Unis ralentissent, en fait, il faut que du coup le marché européen soit dynamique
07:07pour que les industriels européens puissent se servir de ce marché pour devenir des leaders.
07:11Avec la deuxième partie de la question, le prix de l'électricité ou les prix de l'énergie en général,
07:15ce qui rend le marché américain attractif, au-delà effectivement de l'Infection Reduction Act
07:21dont vous parliez, cet aspirateur à projets lancé par Joe Biden, c'est le prix de l'électricité.
07:27Et là, les États-Unis restent beaucoup plus compétitifs.
07:29Alors, la bonne nouvelle, c'est qu'en fait, on est en train de rattraper ce différentiel de compétitivité
07:33qui a explosé en 2022 avec la crise énergétique.
07:37Il reste un État où c'est différent, le Texas, qui reste structurellement un État où l'énergie est vraiment très peu chère.
07:45Mais sur le reste du continent nord-américain, les prix convergent, énergétiques convergent,
07:51entre les prix européens et les prix américains.
07:55En fait, on se rend compte que ce qui manque aujourd'hui, typiquement, pour vous donner un exemple,
07:59on échange beaucoup les acteurs des data centers.
08:01Ce qui manque aujourd'hui, c'est la rapidité de décision.
08:05On a en France beaucoup, beaucoup d'acteurs des data centers qui veulent s'installer sur le territoire national
08:09parce qu'on a un prix de l'électricité pas cher.
08:11Et on a une énergie décarbonée.
08:13Décarbonée. Et on leur dit, écoutez, pour être accordé, c'est 2029, 2030, etc.
08:19Non, il faut trouver les moyens d'aller beaucoup plus vite sur ces sujets-là.
08:23Et si on arrive à faire ça, on redeviendra très, très, très attractif.
08:27On a une énergie décarbonée aussi ou surtout grâce au nucléaire.
08:31Que dit le délégué général de France Renouvelable sur ce mix énergétique ? Il faut le conserver ?
08:35Ah bien sûr qu'il faut le conserver. Il faut absolument le conserver.
08:37On a la chance en France de maîtriser l'ensemble des technologies décarbonées.
08:41Il faut absolument le conserver. Et en fait, le vrai défi aujourd'hui…
08:44Mais est-ce qu'on peut se payer les deux ?
08:46C'est-à-dire, est-ce qu'on peut se payer des plans d'investissement massifs pour des petites centrales nucléaires,
08:50nouvelles générations, et puis continuer de développer l'éolien ou le solaire ?
08:54On pourra se payer les deux à une condition, que la consommation d'électricité augmente.
08:59Et donc quand la consommation d'électricité augmente, on fait reculer les énergies fossiles dans la mobilité,
09:05dans les bâtiments, dans l'industrie. Et la priorité actuelle, ça doit être ça.
09:09Il faut que la France, dans le cadre de la PPE, mette en place un plan d'action d'électrification des usages
09:15pour aller chercher les carburants fossiles dans la mobilité, les chaudières à gaz et les chaudières au fioul dans le bâtiment,
09:22et le fossile dans les procédés industriels.
09:25Si on arrive à faire ça, on continuera à être une puissance électrique, puisque la France est une puissance électrique.
09:30Notre production d'électricité est l'équivalent de la production d'électricité du Royaume-Uni et de l'Espagne cumulée.
09:37Donc la France est une vraie puissance électrique. Il faut le rester. Et pour ça, il faut qu'on électrifie à fond.
09:42Est-ce qu'on a perdu six mois depuis la dissolution pour prendre ces décisions-là ?
09:46Ou est-ce que finalement ça avance sans gouvernement stable ?
09:49Alors, ça avance. La bonne nouvelle, c'est qu'en 2024, on a réussi à avancer sans gouvernement stable.
09:54Ça, c'est un vrai enseignement, notamment puisque les services de l'État continuent à pousser ces sujets.
10:00Et ça, c'est extrêmement important. Mais c'est vrai que ce qui manque un petit peu, c'est un cap, un récit.
10:06Et ça, c'est vrai que la stabilité, elle nous donne ça.
10:08Merci beaucoup et à très bientôt sur le plateau de Be Smart For Change.
10:12On passe à notre débat. Comment lutter contre l'isolement ? Ce que peuvent faire les entreprises ?