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Dans une bourgade rurale, quelque part dans la France qu’on dit "périphérique", le quotidien déjà difficile des habitants va être bouleversé par des événements d’une rare violence, mais dont la condamnation morale, pour certains d’entre eux, sera relative. Entre les fermetures d’usines et d’Ehpad, les supermarchés et les hangars agricoles rouillés, les travailleurs précaires et les marginaux, les C15 et les fusils de chasse, les hameaux fantômes et les parcs d’éoliennes, l’état des lieux d’un territoire qui n’en finit plus de subir les dégâts collatéraux de l’économie globalisée et des marottes idéologiques contemporaines. Eric Desmons, agrégé de droit public et professeur à l'Université Paris 13, présente son roman "Jaune" édité chez Perspectives Libres.

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Transcription
00:00♫ Générique de fin ♫
00:06– Bonjour à tous, nous sommes avec Éric Desmond. Bonjour monsieur.
00:09– Bonjour monsieur.
00:11– Éric Desmond, agrégé de droit public, professeur à l'université Paris 13.
00:15Vous enseignez le droit constitutionnel et la théorie de l'État.
00:19Vous publiez ce roman, un polar social édité chez Perspectives Libres.
00:25« Jaunes comme les gilets jaunes », un roman sur le déclassement de cette France périphérique
00:32décrite par Christophe Guilluy, où les Français n'arrivent plus à joindre les deux bouts
00:37et dont on ne sort plus.
00:39Ce déclassement par la désindustrialisation, la mort des services publics,
00:46la destruction de la paysannerie, selon vous, est-ce le fait du hasard ?
00:51– Alors non, ce n'est pas le fait du hasard, c'est tout simplement le produit d'un système global,
00:57un système économique d'abord, qui est un système de prédation
01:02qu'on pourrait qualifier de système néo-capitaliste si on veut,
01:07mais c'est un système dans lequel les gros mangent les plus petits.
01:10On le voit, je donne l'exemple d'un agriculteur
01:14qui évidemment connaît un sort assez funeste dans l'ouvrage,
01:18mais tout simplement, les petites exploitations agricoles
01:22font l'objet d'un système de prédation beaucoup plus vaste
01:27au profit d'entreprises qui pratiquent l'agriculture industrialisée,
01:31et ça a pour conséquence, évidemment, le fait de rejeter,
01:39à la fois dans le désespoir et puis dans les difficultés financières incroyables,
01:44– Jusqu'à la mort.
01:45– Les exploitants agricoles, les petits exploitants agricoles,
01:47jusqu'à la mort, on sait qu'il y a un taux de suicide absolument phénoménal
01:51chez les agriculteurs, notamment chez les éleveurs,
01:55et donc tout ça participe effectivement du même système
01:57que celui des industrialisations,
02:02notamment dans la France dite périphérique, pour reprendre la formule de Guillouis,
02:07où le maigre tissu de petites entreprises tente à disparaître.
02:14– Véronique et Patrick, ce sont les héros de votre roman,
02:19ils se sont rencontrés sur un rond-point lors de l'épisode des Gilets jaunes,
02:24ces français voient les partis politiques, les syndicats comme des parasites,
02:28dites-vous, jouant pour leurs propres intérêts.
02:31Comment s'est opérée cette fracture entre les citoyens,
02:36les français et les corps intermédiaires ?
02:38– Alors là encore, je pense qu'il y a des années de désillusion.
02:44Vous me rappelez que je parle de parasitisme,
02:47alors le mot est peut-être un peu fort,
02:48mais je crois que je le mets dans la bouche de Patrick et Véronique,
02:54enfin de Véronique en l'occurrence,
02:56mais tout simplement parce que le mouvement des Gilets jaunes
02:58a été un mouvement très spontané,
03:03qui a pris de court les acteurs politiques traditionnels
03:07et singulièrement les syndicats, mais également les partis politiques,
03:10puisqu'on a vu au tout début de l'insurrection des Gilets jaunes,
03:16les partis politiques être complètement absents, dépassés, absents,
03:22les syndicats également, et d'ailleurs on avait un mouvement
03:26qui se voulait spontané et d'ailleurs qui n'était guère structuré,
03:31on avait quelques têtes d'affiches,
03:35mais enfin il n'y avait pas de structure ou d'organisation,
03:39et les partis politiques ou les syndicats
03:42ont très difficilement réussi à entrer dans le mouvement
03:46et à s'en servir, tout simplement parce que je crois qu'il y a une défiance,
03:50qui est une défiance généralisée vis-à-vis de la politique en général,
03:54mais qui affecte bien évidemment tant les partis politiques
03:58que les organisations professionnelles, bien entendu.
04:01– Vous évoquez aussi ces experts de plateau qui,
04:05comme le Président Macron, accusent les Français
04:08de ne pas savoir traverser la route pour trouver un boulot,
04:13cette arrogance de classe, on en est où avec ça, vous en pensez quoi ?
04:18– Alors là j'évoque évidemment les médias,
04:21ce qu'on appellerait en bon français les médias mainstream,
04:23ou les chaînes d'infos en continu,
04:26il suffit de voir comment elles fonctionnent lors des crises,
04:30on pourrait regarder la manière dont ça fonctionnait
04:33à propos de la crise sanitaire, la crise du Covid.
04:36– La manière dont ils conditionnent les gens.
04:38– Voilà, c'est-à-dire la manière dont ils conditionnent les gens,
04:40il s'est passé la même chose avec l'insurrection des Gilets jaunes,
04:44et on pourrait dire encore la même chose aujourd'hui avec l'Ukraine,
04:47mais au moment de l'affaire des Gilets jaunes,
04:49puisque cet ouvrage se situe dans la suite de l'insurrection des Gilets jaunes,
04:57les médias étaient évidemment très défavorables à ce mouvement,
05:04et étaient d'une manière générale assez méprisants et stigmatisants,
05:10c'est-à-dire qu'au premier moment du mouvement,
05:13on a eu tout de suite des accusations d'antisémitisme, du mépris de classe.
05:21– Le bas peuple.
05:22– Voilà, donc ce bloc populaire a fait l'objet de la part des médias,
05:28je le répète, singulièrement des chaînes en continu,
05:31enfin des grands médias, médias publics également,
05:33a été décrit comme étant un mouvement de gueux,
05:39pour dire les choses un peu rapidement, qui était erratique,
05:44qui n'était pas, pour reprendre la formule,
05:46qui était celle du Président Macron dans le cercle de la raison, n'est-ce pas ?
05:50Qui était en dehors du cercle de la raison,
05:52alors quand on est en dehors du cercle de la raison,
05:53c'est qu'au mieux on est déraisonnable et au pire on est fou, et donc dangereux.
05:59En fait, il s'agissait de l'apparition, de la réapparition
06:03de ce qu'on appelait, Naguère, les classes dangereuses.
06:06Les Gilets jaunes ont été et sont les classes dangereuses pour le bloc élitaire,
06:12je reprends à dessein les catégories popularisées par Christophe Guillouis,
06:17ces classes populaires sont considérées comme dangereuses par l'élite
06:26qui est très bien incarnée dans notre monde,
06:28surmédiatisée par les médias mainstream.
06:32– Alors il y a aussi les écolos qui en prennent pour leur grade,
06:36dans votre roman, Éric Desmond, Véronique n'hésite pas à les traiter de connards
06:41parce qu'ils ont interdit l'installation de chaudières au fioul.
06:45Comment les verts sont-ils aujourd'hui perçus hors des grandes agglomérations
06:51dont ils ont pris le contrôle pour certains endroits, Grenoble, Bordeaux, etc. ?
06:56– Alors, c'est difficile à dire.
06:59– Sandrine Rousseau aussi a perçu un accueil litigé.
07:02– Oui, oui, mais c'est difficile à dire parce qu'il n'y a pas du tout
07:06d'absence de conscience écologique dans les zones rurales.
07:10– Mais ils sont en première ligne.
07:12– Oui, oui, ce sont des zones agricoles pour qui donc la question écologique
07:18est une vraie question.
07:20Simplement, il suffit de regarder les résultats des élections.
07:26Les écologistes font toujours des scores extrêmement bas.
07:32Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que,
07:35je crois que j'emploie à un moment la formule connue d'écologie punitive,
07:39tout simplement parce que l'écologie des écologistes,
07:44elle conduit à des aberrations.
07:45Souvenons-nous que le départ du mouvement des Gilets jaunes
07:49était une taxe sur le diesel.
07:54Alors, à la campagne, c'est très utilisé.
07:57Une apologie de la voiture électrique et une critique de la pollution
08:02des véhicules anciens, on voit réapparaître ça en ce moment.
08:05Or, à la campagne, avoir un véhicule, c'est absolument vital.
08:11Ça fait partie du budget.
08:14C'est un gros budget d'ailleurs.
08:15Et puis après, il y a tout le reste.
08:17Je parle à un moment de la question des éoliennes.
08:21Le tout électrique a donné lieu à un énorme marché
08:26qui est le marché de l'éolien,
08:28car tout sauf un marché qui a le souci de l'écologie,
08:33il faut dire les choses.
08:34– Qui n'est même pas entre la main des Français,
08:36des éoliennes chinoises, des installateurs allemands.
08:39– Fabriqués en Chine, promoteurs allemands.
08:41Je pourrais en parler beaucoup.
08:42Je suis vice-président d'une association de préservation de l'environnement.
08:50– Avec des belles galettes en béton armée à la base de chacune.
08:52– On s'occupe de dossiers sur l'éolien.
08:55Donc, ce n'est pas vrai.
08:56L'éolien n'est pas quelque chose de non-polluant,
09:01c'est même très polluant.
09:02Ça dévaste les paysages.
09:04Et les gens qui vivent dans ces zones rurales,
09:07finalement, n'en ont un peu assez d'être,
09:09en quelque sorte, les dindrons de la farce.
09:12C'est chez eux qu'on va implanter des champs d'éoliennes.
09:15– Ce n'est pas dans le 16ème.
09:16– Voilà, qui pourrissent le paysage,
09:18qui emportent des nuisances et qui n'ont pour bénéfice
09:22que celui des propriétaires qui louent leur parcelle de terre
09:26et puis des collectivités territoriales
09:28qui tirent grands bénéfices de ces installations.
09:30Donc, la perception de l'écologie,
09:32si vous me dites perception de l'écologie
09:34telle qu'elle est représentée par le parti ou par les partis écologiques,
09:38c'est une perception qui n'est pas bonne.
09:41Mais dire qu'il y aurait une absence de conscience écologique n'est pas vrai.
09:47Voilà, il y a une conscience claire des enjeux écologiques
09:52mais certainement pas de ceux qui sont la priorité,
09:58notamment des partis politiques qui représentent le courant écologique.
10:02– On a assisté ces derniers temps avec Ursula von der Leyen
10:05à la signature de ce traité du Mercosur.
10:09On voit la colère aujourd'hui des agriculteurs qui se lamentent
10:12de voir des Français bouffer des hamburgers et du poulet brésilien.
10:17Est-ce que vous pensez qu'en leur âme et conscience,
10:21les Français sont prêts à renoncer à leur agriculture 100% française ?
10:26Parce que c'est ce vers quoi on va.
10:28– Je pense que si on demandait, là je me fais devin
10:33et donc ce n'est jamais très bon de se présenter comme tel,
10:36si on demandait aux Français, tout le monde vous dirait non.
10:38On veut conserver une agriculture française,
10:42on veut manger sain, on veut manger bio,
10:44on veut privilégier les circuits courts, etc.
10:46Alors cela dit, dans les zones rurales,
10:48il y a des petites entreprises de circuits courts
10:50avec des petits producteurs qui…
10:52Mais le problème c'est que c'est cher
10:55et qu'il y a effectivement toute une catégorie de la population
11:01frappée par le chômage notamment ou le sous-emploi
11:06qui n'a pas accès à ça.
11:07Alors oui, les gens seraient attachés à une production
11:12qui soit française, qui soit locale,
11:15mais j'ai bien peur que beaucoup d'entre eux
11:19n'aient pas accès à cette production.
11:22Là encore, c'est un peu une injonction
11:28des écologistes des métropoles.
11:30– Il y en a même une américanisation au niveau des repas.
11:35Pour les Français, on ne veut pas forcément
11:37que les gens restent trop longtemps à table.
11:39J'entendais une fois quelqu'un dire,
11:41voilà en fait, c'est ce moment où les Français se parlent entre eux,
11:45où ils échangent leurs idées, où ils peuvent…
11:47Et en fait, on ne veut surtout pas qu'ils échangent leurs idées,
11:50les Français, on ne veut surtout pas qu'ils se parlent
11:51et qu'ils aient des moments entre eux.
11:53– Oui, alors ça participe là encore peut-être d'une volonté effectivement
11:59de faire taire le débat, d'isoler,
12:05d'éventuelles sources de contestation, bien sûr.
12:09– L'immigration illégale, le trafic d'êtres humains,
12:12vous traitez aussi cette thématique dans votre ouvrage,
12:15vous dites, ces activités sont pourvoyeuses d'emplois.
12:19Qui profite de la manne alors ?
12:21– Alors, bon, j'évoque ça de toute façon…
12:23– C'est une thématique parmi d'autres.
12:25– Voilà, anecdotique, puisqu'il y a dans l'ouvrage un avocat
12:30qui effectivement s'occupe de dossiers pour des mineurs isolés.
12:36Effectivement, dans les campagnes, depuis une date assez récente,
12:39il y a eu dans des cantons, dans des petites villes,
12:44il y a eu l'implantation de mineurs isolés
12:48sur injonction de la préfecture et donc du gouvernement, j'imagine.
12:53Alors, qu'en dire, est-ce que c'est un système, là encore, économique ?
13:00Oui, je pense, la preuve, c'est-à-dire que…
13:02– Des associations reçoivent des subsides de l'État
13:05pour aider des clandestins qui ont violé la frontière.
13:08– C'est-à-dire que c'est à la fois une activité économique
13:11qui a un volet licite et un volet illicite,
13:14c'est-à-dire le volet illicite, c'est le trafic d'êtres humains,
13:19des gens qui font passer des migrants sur la Méditerranée.
13:25Et puis, sur place, ça profite effectivement à des associations,
13:32mais aussi, comme c'est le cas dans mon livre, dans mon roman,
13:36aux avocats qui vont effectivement avoir, au titre de l'aide juridictionnelle,
13:43pourquoi pas, ou travaillant pour des associations,
13:46vont se faire des compléments de revenus en traitant de ces questions.
13:51Et donc, voilà, c'était pour montrer qu'il y avait un système global,
13:55qui est un système marchand, et c'est tout à fait intéressant
13:58parce que cette question de l'immigration,
14:01de la gestion des flux migratoires est rentrée dans le monde de l'économie.
14:06Voilà, on pourrait dire la même chose, évidemment,
14:09de la drogue et des trafics de drogue.
14:11Tout ça fait partie d'un système économique,
14:15que pour ma part, je qualifie de néolibéral.
14:18– Cette pression économique permanente
14:22contre laquelle les Français doivent lutter par leur travail,
14:27c'est un système de prédation, vous nous disiez aujourd'hui.
14:30Jusqu'où peut-il continuer ?
14:33Est-ce qu'il peut y avoir une rupture, un jour,
14:35comme avaient tenté de le faire les Gilets jaunes ?
14:39– Alors, en fait, c'est la question qui traverse tout le roman.
14:46Jusqu'où peut-on aller ? On peut aller très loin, en vérité.
14:50– On peut creuser, oui.
14:52– On pourrait dire que là-dessus,
14:53Étienne de Laboétie a tout dit dans la servitude volontaire.
14:56C'est-à-dire que tant que les gens consentent,
14:58et d'ailleurs, tout repose sur le fait que les gens consentent à leur sort.
15:04– Oui, c'est parce que vous consentez que ça va continuer.
15:06– Alors, bien entendu, c'est-à-dire, et on peut voir que,
15:11on peut dire que le mouvement des Gilets jaunes
15:13est une tentative de rupture, de refus de consentir à un système,
15:19à ce système qui est un système d'appauvrissement généralisé.
15:23Après, sur cette insurrection des Gilets jaunes,
15:28il faudrait lire là-dessus les sociologues
15:31qui sont un peu penchés sur la question.
15:34Moi, je qualifie ça de jacquerie moderne.
15:36C'est-à-dire qu'on n'est pas du tout dans une perspective révolutionnaire.
15:40Les Gilets jaunes n'ont pas réussi à renverser la table,
15:42de la même manière que les agriculteurs non plus.
15:44On l'a bien vu.
15:45Ces agriculteurs manifestants avec leurs tracteurs
15:47se sont fait arrêter aux portes de Paris.
15:50Et puis, je peux imaginer qu'ils ont eu quelques coups de fil
15:53de leur assureur, leur disant, écoutez,
15:55si vous utilisez le tracteur pour faire autre chose
15:58que faire de la culture, ce sera à vos dépens.
16:02Et donc, le mouvement des Gilets jaunes,
16:04par le simple fait qu'il ne soit pas structuré,
16:07qu'il ne soit pas pris en main par des partis politiques,
16:11par des syndicats, des coordinations, que sais-je,
16:14est presque fatalement voué à l'échec.
16:19C'est-à-dire qu'il n'y a pas de…
16:20pour celui que ça effraierait,
16:23il n'y a pas d'avenir révolutionnaire chez les Gilets jaunes.
16:26Tout simplement parce que pour qu'il y ait une révolution,
16:29il faut qu'il y ait une avant-garde.
16:30Lénine a, là-dessus, tout dit.
16:32C'est-à-dire qu'il n'y a pas de révolution
16:33sans une aristocratie révolutionnaire
16:36qui organise tout cela et qui fixe des buts et des méthodes.
16:42Là, on n'est pas du tout dans ce contexte.
16:44On est dans un contexte, oui, qui peut rappeler celui des jacqueries d'antan.
16:52Et donc, le soufflet retombe et reste ensuite…
16:56– Parce que les Français n'ont pas cet esprit révolutionnaire,
16:58contrairement à ce qu'on pourrait croire.
17:00– Alors, je pense qu'effectivement, cette fibre…
17:05– La domestication.
17:06Une fois qu'on a domestiqué les gens,
17:08est-ce qu'ils peuvent revenir à leur état de conscience primitif ?
17:12– Je pense que la fibre révolutionnaire, effectivement, est sérieusement endommagée.
17:17Alors là, on peut multiplier les explications.
17:22Mais simplement, la porte de sortie
17:28ou l'expression de ce ras-le-bol, il est plutôt électoral.
17:32On sait que dans les zones rurales, par exemple,
17:34le Rassemblement national, qui incarne le parti,
17:38j'allais dire le principal parti d'opposition, de contestation,
17:41fait dans ces zones ses plus hauts scores.
17:44Donc, on se reporte, mais on se reporte sans grande conviction.
17:49– Il y a fait aussi, d'ailleurs, des scores pas mal dans les Outre-mer.
17:51On l'a vu à l'élection présidentielle.
17:53– Oui, bien sûr, parce que les problèmes sont les mêmes.
17:54– Le fameux parti raciste, il a été premier dans les urnes
18:00avec des populations noires.
18:02– Bien sûr, parce que les problèmes qui se posent aux Antilles, notamment,
18:07sont des problèmes de sous-équipement,
18:09de corruption parfois de la classe politique locale
18:13et de dysfonctionnement des services publics.
18:15C'est-à-dire qu'il y a des parallèles.
18:17C'est-à-dire les déserts qu'on dit médicaux,
18:22mais qui ne sont pas simplement médicaux dans les zones rurales.
18:25On les a en Outre-mer de la même manière.
18:28Et je pense que c'est d'abord contre ça que le mouvement des Gilets jaunes s'est dressé.
18:36Et au bout du compte, je crois pouvoir parler,
18:42parce que moi, avec les gens, moi j'habite dans…
18:45Je n'habite pas à Paris, je n'habite plus à Paris.
18:47J'habite dans une zone rurale, dans un petit village de 300 habitants,
18:52en marge d'un village de 300 habitants.
18:54En fait, ce qui nourrit le plus d'hostilité, c'est l'Union européenne.
19:00C'est-à-dire qu'on a voulu dire que le vote RN était un vote raciste, identitaire, etc.
19:06Mais quand on parle avec les électeurs, ce n'est pas la question.
19:10– C'est le mondialisme ou le localisme.
19:12– Voilà, c'est ça.
19:13Et en ligne de mire, c'est véritablement l'Union européenne.
19:16Pourquoi ? Parce qu'on ne comprend pas comment elle fonctionne.
19:20On a l'impression d'un pouvoir qui est très éloigné,
19:22d'un pouvoir bureaucratique et d'un pouvoir qui impose des décisions
19:27sur lesquelles, pardon, les électeurs n'ont aucune prise.
19:31– Alors cette Véronique, elle déplore les milliards que la France envoie en Ukraine.
19:39Elle regrette de ne pas avoir, dites-vous, buté deux, trois connards.
19:43Pour l'exemple, lors de la manifestation des Gilets jaunes,
19:46vous ne voyez pas, vous, justement, de Français qui seraient capables
19:50de buter deux, trois connards, pour l'exemple ?
19:52– Mais non, c'est pour ça que je lui fais dire cela.
19:56C'est-à-dire que, voilà, c'est une forme de nostalgie révolutionnaire, pour le coup.
20:00Nous sommes le 21 janvier.
20:02– C'est romantique.
20:03– Voilà, c'est romantique.
20:04C'est-à-dire, et c'est pour ça que dans le roman,
20:08sur cette question de l'action violente,
20:13je la fais reposer sur des personnes qui n'ont en fait pas de conscience politique.
20:18– Le meurtre ou le suicide, est-ce que c'est, au fond,
20:22la seule alternative qu'auront les couches de la population les plus précaires ?
20:30Ou alors, c'est comme vous le dites, les urnes ?
20:32– Alors, il y a les urnes, je pense que…
20:36– Véronique s'en prend aux syndicalistes qui leur disent
20:39« Mais non, vous n'allez quand même pas voter pour ce connard du Front National ? »
20:42Et puis elle lui répond « Mais non, mais nous, on a des problèmes.
20:46Toi, t'as pas nos problèmes.
20:48Toi, t'es dans une autre, t'es dans ta caste. »
20:51– Oui, alors, il y a effectivement cet espoir,
20:55mais qui est un espoir que je décris comme étant un espoir modéré
21:00dans la classe politique, quelle qu'elle soit.
21:06Ça, c'est une chose.
21:06Sur l'autre aspect de votre question, qui me semble tout à fait intéressant,
21:10c'est qu'effectivement, le désespoir ou la mort,
21:14c'est un sentiment qu'on ressent beaucoup.
21:16En tout cas, une sorte de fatalisme, on baisse un peu les bras…
21:22– Les gens n'ont plus goût à rien, ils bossent et ils baissent la tête.
21:26– On accepte sa condition en se disant « On est les perdants dans l'histoire. »
21:32Et la seule chose qui est un trait d'optimisme dans ce monde assez sombre,
21:41j'en fais mention également dans le roman,
21:44c'est que dans ces campagnes, dans ces zones reculées,
21:48dans cette France périphérique,
21:49naissent des réseaux de solidarité extrêmement forts,
21:53des réseaux de voisinage, on pense tout de suite
21:56à la « common decency » de Ruel, la décence commune,
22:00l'idée que quand on est confronté aux mêmes difficultés,
22:04très naturellement, on est porté à céder.
22:07Et ça, j'en suis le témoin, j'en ai été le témoin.
22:12Les gens se disent « Voilà, tout ce qui se passe au-dessus,
22:15tout ce qu'on nous raconte à la télévision… »
22:18– On va s'en désintéresser, on va roguer les communautés,
22:21on va faire sécession.
22:22– Exactement, c'est-à-dire qu'il y a une sécession locale par quartier.
22:28– On va vivre sans eux.
22:29– Absolument, c'est-à-dire que le système est parvenu finalement à ses fins,
22:35c'est-à-dire à convaincre les gens de ne s'occuper que d'eux-mêmes
22:42et de ne plus regarder au-delà de leurs problèmes matériels immédiats.
22:49Donc c'est une forme de dépolitisation en vérité,
22:53dont on peut dire qu'elle est…
22:54je ne sais pas si elle est voulue, calculée, mais en tout cas c'est un fait.
22:58– Alors il y a, excusez-moi pour terminer notre entretien,
23:03un vieux châtelain dans la commune de Patrick et Véronique,
23:07cet anard de droite désargenté qui va peut-être offrir un autre éclairage
23:13que celui qu'on vient d'aborder ensemble,
23:16celui de dire au final que l'ennemi des Français est satanique.
23:21Alors qu'est-ce qu'il entend par là ?
23:23Alors bon, d'abord ce personnage apparaît et vous avez remarqué
23:28que j'ai voulu montrer que cette population de ces zones rurales périphériques
23:36était sociologiquement parfois très hétérogène.
23:40Mais comme tout le monde est confronté au même problème,
23:42eh bien il y a une sorte de bonne entente.
23:45Alors ce personnage dit que le système est satanique
23:50parce qu'il est catholique, il est très nourri d'auteurs
23:58comme Bernanos ou Léon Blois, etc.
24:01– Que des infréquentables.
24:03– Voilà, donc il dit que c'est satanique tout simplement
24:06parce qu'il voit dans le triomphe du monde capitaliste
24:12le triomphe de la matière sur l'esprit tout simplement.
24:16Et ce serait au fond la définition qu'un théologien m'accorderait,
24:24je ne suis pas théologien, sur la définition du satanisme,
24:27le triomphe de la matière sur l'esprit, bien entendu.
24:33– Jaune, un polar social qui sent bon la terre,
24:37qui sent aussi la clope et le diesel.
24:39– Il sent.
24:40– Et qui n'est pas avare en rebondissement,
24:44vous pourrez le retrouver sur la boutique de TVL.
24:48Merci à vous Éric Desmond.
24:49– Je vous remercie.

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