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Climatoscepticisme ou écoanxiété, comment expliquer ces mécanismes psychologiques qui apparaissent face au dérèglement climatique ? Quels sont leurs impacts réels sur l’action climatique ? Le livre « La psychologie clinique face à la crise écologique », coécrit par quatre psychologues, nous l’explique.

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Transcription
00:00Générique
00:06L'invité de Smart Impact, c'est Philippe Drefsky, bonjour.
00:09Bonjour.
00:09Bienvenue, vous êtes psychologue-clinicien, co-auteur de ce livre
00:14« La psychologie clinique face à la crise écologique »,
00:17livre publié aux éditions In Press.
00:20Pourquoi vous l'avez écrit, à qui il s'adresse, ce livre ?
00:23Bonjour, merci de me recevoir.
00:25C'est un livre collectif avec 11 co-auteurs.
00:31C'est un livre qui s'adresse à la fois aux professionnels de la santé mentale
00:35et à tous ceux qui s'intéressent à la question de la psychologie
00:39et de la crise écologique.
00:41C'est un peu le public à quel il s'adresse avec des professionnels
00:47de la santé mentale, des psychologues, des psychiatres.
00:50On va évidemment beaucoup parler d'éco-anxiété-expression.
00:53Peut-être un peu fourre-tout, de quoi on parle, de quoi s'agit-il ?
00:56C'est une bonne question parce que c'est un terme qui, en fait, à la base,
01:01n'est pas un terme scientifique, qui ne vient pas du champ de la santé mentale,
01:05mais qui est un terme inventé par une journaliste dans les années 90
01:10et qui pose effectivement des difficultés sur le plan presque sémiologique
01:13parce qu'il définit finalement quelque chose de très divers.
01:18Aussi bien un citadin qui voit ses informations défiler sur son smartphone
01:22sur la crise écologique qu'un agriculteur qui subit les sécheresses
01:26ou des catastrophes dans d'autres pays.
01:29Donc, en fait, il pose une vraie difficulté.
01:31Nous, dans le livre, on parle plutôt de la question de l'angoisse
01:36qui nous paraît sur le plan scientifique beaucoup plus solide.
01:39C'est donc de définir les différents niveaux d'angoisse
01:42qui sont suscités justement par la question de la crise écologique.
01:46C'est quoi ces niveaux d'angoisse ?
01:48Ça peut aller jusqu'à une espèce de paralysie face à ces enjeux ?
01:52Oui, c'est-à-dire qu'il peut vraiment se mobiliser des choses,
01:56des angoisses d'effondrement très fortes chez certaines personnes,
02:00comme des angoisses qui sont plus élaborées,
02:04par exemple des angoisses de perte, c'est-à-dire effectivement
02:07de quoi demain sera fait, qu'est-ce qu'on va perdre dans la société future ?
02:11Est-ce qu'il va y avoir des régressions sur le plan social ?
02:13Enfin, ce genre de choses.
02:15Et donc, ça définit des modes de fonctionnement très divers.
02:20Je vais quand même reprendre l'expression d'éco-anxiété
02:23qui est la plus communément admise pour voir que dans le monde,
02:27il y a 30% des humains qui déclarent ressentir de l'angoisse,
02:31je reprends votre mot, quand ils pensent au changement climatique.
02:34C'est intéressant de voir les variétés, 47% en Asie, 19% en Europe.
02:42Comment on explique finalement qu'on soit un peu moins angoissé ?
02:45En Europe, il y a moins de catastrophes climatiques,
02:48elles sont moins violentes qu'en Asie.
02:50Comment vous l'expliquez, ça ?
02:52Il me semble qu'il y a une réalité qui est, quand on parle de la crise écologique,
02:57la question de l'expérience sensible liée à la crise écologique.
03:01C'est-à-dire que ce n'est pas effectivement la même chose d'avoir des informations.
03:04Finalement, beaucoup d'Européens sont assez peu impactés
03:07par la question de la crise écologique,
03:09alors qu'il me semble que dans des pays asiatiques,
03:12il y a vraiment des pays dont des migrants climatiques commencent vraiment à exister.
03:17Donc, il y a cette dimension qui, je pense, est beaucoup plus sensible.
03:20Et donc, en tant qu'être humain, on croit d'une certaine façon ce qu'on voit.
03:26Oui, effectivement.
03:28Les conséquences de cette angoisse ou de cet écho en anxiété,
03:33je parlais de paralysie,
03:37en quoi, pour l'environnement, le fait de ne plus ou d'avoir moins peur de l'avenir,
03:41c'est souhaitable ? Vous voyez le sens de ma question ?
03:43Qu'est-ce que ça peut déclencher, finalement,
03:46de réduire ce niveau d'angoisse ou d'écho en anxiété ?
03:48C'est une question très importante parce qu'on pourrait se dire
03:53l'un des mécanismes de défense,
03:56une espèce d'adaptation par rapport à cette situation,
03:58serait de dénier ou de ne pas être anxieux ou ne pas être angoissé par cette situation.
04:04Ce qui rejoint peut-être la question du cléromato-syndicisme aussi.
04:07Oui, on va en parler ensemble, bien sûr.
04:10Mais ça, on va dire que c'est une espèce de mécanisme de protection.
04:14Mais d'une certaine façon, il y a quelque chose qui est paradoxal,
04:16c'est que plus on se protège de ça, plus on dénie la réalité de ce qui se passe.
04:20Donc, il y a une espèce de paradoxe-là qui n'est pas non plus complètement satisfaisant.
04:24Et d'ailleurs, c'est une des critiques qu'on peut émettre à certains moments
04:29à l'endroit de certaines approches de la psychologie,
04:31c'est-à-dire qu'il y a vraiment des stratégies de coping, d'adaptation.
04:34Ça, c'est beaucoup étudié, notamment dans le monde anglo-saxon,
04:37mais c'est aussi des stratégies d'évitement de la réalité de ce qui se passe
04:41et de la réalité systémique de ce qui se passe.
04:44Mais il y a un phénomène psychologique,
04:47alors je ne sais pas si c'est psychologique ou sociologique,
04:50qui moi me frappe, c'est que malgré la répétition des catastrophes climatiques,
04:57notamment en Europe, il n'y a pas forcément une prise de conscience
05:02ou une volonté de se mettre en action immédiatement déclenchée.
05:06Comment vous l'expliquez, ça ?
05:08Ça peut même provoquer un regain de complotisme ou de climato-scepticisme, une catastrophe.
05:13– Alors, ce qui est marquant, vous soulignez quelque chose de très juste,
05:18c'est qu'il y a une dernière étude de l'IPSO qui est parue en 2022
05:22qui montre en fait que le taux de climato-sceptique dans la société
05:25n'a pas bougé depuis les 20 dernières années, ça reste complètement constant.
05:29Donc en fait, les informations sur le sujet n'ont aucun impact scientifique
05:33et l'information n'a pas d'impact.
05:35Alors, il y a de multiples raisons pour lesquelles je pense que ça existe.
05:39Je pense qu'il y a trois éléments qui me paraissent importants.
05:41Je vous en parlais de la question sensible, c'est-à-dire,
05:44est-ce qu'on vit l'expérience au quotidien ?
05:46C'est-à-dire, quand je prends ma voiture, je ne vois pas les arbres mourir autour de moi.
05:49Donc ça, c'est Marc Olligory qui dans l'ouvrage parle…
05:54Désolé, Alexandre Sinanian qui parle d'écart prometté,
05:57c'est-à-dire l'écart entre les technologies et puis l'impact que ça a sur l'environnement.
06:01Donc ça, il y a une dimension comme ça.
06:03Et puis, on est aussi une espèce qui naît de façon très immature au monde.
06:10Et donc, on a construit une espèce d'enveloppe technique
06:12auquel on a, je pense aussi, beaucoup de difficultés à renoncer d'une certaine façon.
06:17Et donc ça, ce sont des éléments qui, je pense, ont des impacts sur notre capacité
06:21à pouvoir concevoir ce qui est en train de se passer pour nous, d'une certaine façon.
06:25– Et alors, il y a évidemment, vous nous le disiez,
06:27le livre est à destination notamment des professionnels de santé
06:32qui sont confrontés à des, alors là, je parle des Français,
06:36des Françaises, des Français qui arrivent en disant,
06:38ben voilà, je suis angoissé, qu'est-ce qu'on peut faire ?
06:41Est-ce qu'il faut que vous changiez certains outils d'analyse pour être plus efficace ?
06:45– Exactement, alors c'est aussi un des objectifs,
06:48c'est-à-dire, pour bien faire face à un problème,
06:51il faut bien se le représenter, d'une certaine façon.
06:53Et comme je vous le disais précédemment,
06:55il nous semble que les modèles qui sont beaucoup utilisés
06:58sont des modèles qui sont basés sur la psychologie du stress,
07:00c'est-à-dire, il y a un stress extérieur, la crise écologique,
07:03et on y répond avec des schémas comportementaux.
07:08Et en fait, ça, ça nous apparaît comme une sorte d'écueil.
07:13Et donc, l'un des objectifs là, c'est de créer des modèles
07:16qui viennent à la fois, qui s'appuient sur la psychologie,
07:19sur la psychanalyse, mais aussi sur une approche un peu transdisciplinaire,
07:24du côté de la sociologie, de l'anthropologie,
07:26pour essayer de créer des modèles pour mieux se représenter le problème.
07:30Donc, ce qui est déjà un élément central.
07:32Et puis après, il y a toute la question de…
07:34Le travail, nous, notre travail de clinicien,
07:37c'est un travail sur le lien entre les êtres humains.
07:39Et donc, ce qu'on évoque aussi là-dedans,
07:41c'est que c'est une crise systémique qui ne concerne pas que l'environnement,
07:44mais aussi le rapport que les êtres humains ont entre eux.
07:47Et que ça, c'est une dimension absolument centrale aussi.
07:50– Est-ce que le fait de passer à l'action,
07:53ça peut être un moyen de réduire ou de dégager cette angoisse environnementale ?
07:58– Oui, oui, complètement.
07:59C'est même l'une des principales ressources que l'on a
08:02quand on est angoissé de passer à l'action, ça abaisse l'angoisse.
08:05Et en même temps, c'est là où il y a une difficulté,
08:07c'est qu'on est presque malade dans notre société,
08:10peut-être, de passer trop à l'action.
08:11De vouloir absolument toujours régler les problèmes.
08:15Et qu'il y a, je pense, une double dimension,
08:18c'est la question de l'action et puis la question de la réflexion.
08:21Et donc, on revient sur la construction de ces nouveaux modèles de compréhension,
08:25de comment nous, en tant que psychologues, que psychiatres,
08:29on peut penser ces questions-là,
08:31et comment on peut les appréhender d'une façon un peu systémique et globale.
08:34– Le mois prochain, à la mi-mars,
08:37il y a l'Université de la Terre qui se tient à Paris, à l'UNESCO.
08:40Le président qui était notre invité dans une précédente émission disait,
08:43on va parler notamment de reconnexion à la nature.
08:46– Oui, c'est un peu cette question-là,
08:50peut-être, moi, je dirais presque de reconnexion aux vivants
08:53et aux autres d'une certaine façon,
08:54c'est-à-dire à la fois à la nature et puis aux autres êtres humains.
08:58C'est-à-dire qu'on voit que cette crise-là,
09:01elle s'inscrit aussi dans une crise, par exemple, des institutions,
09:05des institutions sociales, du lien dans la société.
09:08Enfin, il y a toute cette dimension qui, à notre sens,
09:11participe exactement de la même logique, finalement.
09:13– Paradoxe d'une société hyper connectée,
09:15mais où les liens entre les humains sont peut-être en train de se fragiliser.
09:19Merci beaucoup, Philippe Dreschky, et je rappelle le titre de ce livre collectif,
09:24donc, la psychologie clinique face à la crise écologique,
09:28publié aux éditions In Presse.
09:30Merci encore, on passe à notre débat,
09:32on va découvrir ensemble l'Observatoire 2025 des épiceries solidaires.

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