« Je n’ai pas de vision naïve des quartiers » : Mohamed Bouhafsi retrace 70 ans d’histoire des banlieues françaises sur France 2
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00:00Et votre invité média Céline Baye d'Harcourt est tous les soirs autour de la table de l'émission
00:04« C'est à vous » sur France 5. Il fait aussi des documentaires comme celui qui sera
00:07diffusé demain soir sur France 2. Son titre ? « La banlieue c'est le paradis ».
00:12Bonjour Mohamed Bouafsi. Bonjour Céline, bonjour Salia.
00:14Ce sont 70 ans d'histoire des banlieues françaises et par conséquent de l'immigration que vous racontez.
00:20Il y a aussi votre histoire dans ce film, celle d'un gamin venu d'Algérie qui s'installe
00:24avec sa famille à Saint-Denis dans la cité des Francs-Moisins. Avant de regarder le film,
00:28je pensais voir une version assez angélisée des quartiers à cause du titre « La banlieue
00:33c'est le paradis ». En fait pas du tout. Vous décrivez l'espoir suscité par la création
00:37des cités dans les années 60 et puis la désillusion qui a commencé à apparaître
00:41dans les années 80. Il y a un mélange d'archives et de témoignages de gens qui ont vécu ou
00:44qui vivent encore dans une cité. « La banlieue ça aurait dû être le paradis » ou « C'était
00:49le paradis ». C'était pas plutôt ça le titre ?
00:51« C'était le paradis ». C'est un titre provocateur. C'est un titre parce que j'aime
00:55les documentaires qui font réfléchir. J'aime les documentaires qui nous permettent d'avoir
00:59une vision des choses différentes à la fin du documentaire. Je me dis même que si quelqu'un
01:05maintient ses a priori ou ses clichés après le documentaire, au moins il aura pu apprendre,
01:09connaître ce qui s'est passé dans ces quartiers-là. Peut-être que c'était le paradis il y a
01:14quelques années. En tout cas personne n'est jamais revenu du paradis. On est tous d'accord
01:17là-dessus. C'est une représentativité. Moi ce que je veux dire c'est que ce n'est
01:19pas l'enfer. C'est pas l'enfer. C'est pas Tijuana. C'est pas les actes violents
01:24qu'on nous décrit à longueur de journée. Mais qui existent. Qui existent bien évidemment.
01:27Et d'ailleurs j'en parle dans le documentaire. Je rassure tous ceux qui se disent « mais
01:31attendez, c'est quoi ce titre ? ». On parle d'Eric, on parle des émeutes, on parle
01:34des violences. On peut s'imaginer que vous avez une vision naïve des banlieues. Je crois
01:38que vous l'avez vu le documentaire. Oui, on l'a vu. Il n'y a pas de vision naïve.
01:41Je ne voulais pas qu'on me fasse ce reproche-là. « Ah vous élidez ce sujet-là. Ah vous mettez
01:44sous le tapis ce sujet-là ». Non, non, vous inquiétez pas. Ceux qui ont des a priori
01:48ou des clichés vous allez retrouver peut-être dans ce documentaire ce qui vous agace sur
01:52l'histoire des banlieues. Mais je voulais dire, c'est pas l'image qu'on en a au quotidien.
01:56Au quotidien, c'est 99% de gens qui travaillent, qui font tourner l'économie aussi, qui participent
02:02à la vie de la société, qui font République et qui sont heureux et fiers d'être français
02:05pour la plupart et qui veulent juste ne pas avoir la même image tous les jours qu'on
02:10donne de ces banlieues. Et c'est la même chose qu'on peut retrouver dans les territoires
02:12ruraux. D'ailleurs, Akhenaton le dit très bien dans le documentaire. On a les mêmes
02:16forces et les mêmes faiblesses entre les territoires ruraux et les banlieues. Et je
02:20le dis aussi à la fin du documentaire, c'est pas plus difficile de s'appeler Mohamed ou
02:25Mamadou et de vivre à Saint-Denis ou à Montfermé que de s'appeler Axel et de vivre au fin fond
02:28du Cantal et de la Creuse. On parle aussi de ces liens-là entre la banlieue et les
02:32territoires ruraux. On ne voulait pas cacher des choses.
02:34Ce que je disais, c'est que vous racontez aussi votre propre histoire, Mohamed, avec
02:37votre maman, qui vit toujours là-bas. Et vous citez une phrase de votre grand-père
02:43que je vais vous laisser citer d'ailleurs.
02:45On pensait en France que les rues étaient pavées d'or. Elles n'étaient pas pavées
02:48du tout et on comptait sur nous pour les paver.
02:50Ça, c'est pas vraiment une phrase prononcée par votre grand-père, on est d'accord.
02:54C'était un crédo. Vous la retrouvez aussi à Ellis Island, dans le musée des immigrés.
02:59C'est un immigré italien qui en parle. Nathan Glazer, le sociologue, en parlait très bien
03:04il y a 30 ans dans les interviews. Bert Lancaster disait « Mes parents, quand ils ont immigré
03:09aux Etats-Unis d'Irlande, ils pensaient que les rues étaient pavées d'or ». On la
03:12retrouve aussi chez les immigrés yiddish, on la retrouve chez les humoristes. Felag
03:16et Malik Bentalla. C'est une phrase qui est devenue un crédo. Je l'ai bien expliqué
03:22vendredi, je le redis. C'est un crédo, c'est quelque chose qu'on partageait.
03:25Et mon grand-père, quand il m'a parlé de ça, ça m'a beaucoup touché parce que
03:28je me suis dit que ces gens-là, qui avaient une demi-heure seulement pour partir, il ne
03:31faut pas oublier que l'Algérie était une colonie française, il y avait des grands
03:34camions-liesse qui venaient, et on leur disait « vous avez une demi-heure pour avoir un
03:37meilleur monde ». Et ils y ont cru. Et ils l'ont eu aussi. Ils ont eu la chance d'avoir
03:42des enfants qui ont été scolarisés. Ils ont eu la chance d'avoir un appartement
03:45Dans les années 70, ils ont eu des appartements qui étaient avec de l'eau potable, avec
03:49du chauffage, etc. Mais pour autant, les problèmes se sont installés aussi. On a ghettoisé,
03:55on a mis fin à la mixité, et c'est comme ça qu'on a entraîné du repli sur soi
03:59et du communautarisme. Dans ce documentaire, on fait d'air. On montre les belles images,
04:04mais aussi les images qui nous font du mal.
04:05Que feriez-vous pour les banlieues si vous étiez ministre de la Ville ?
04:08Tout d'abord, je ne suis pas ministre de la Ville, mais en tout cas, il y a une chose
04:11qui est sûre, c'est qu'on a toujours pris la thématique des banlieues sous le
04:15prisme de la sécurité. On a même installé des commissariats en plein milieu des places
04:19de certaines villes. On a même installé des commissariats dans des bâtiments où
04:22des gens vivaient. Et donc, en gros, les gens vivaient et les gens allaient au travail
04:26et croisaient des gens qui n'aient porté plainte. On a toujours travaillé sur ce prisme-là,
04:29notamment sur les 20 dernières années, 25 dernières années. Alors qu'en fait, on
04:32se rend compte aujourd'hui, c'est la plupart des économistes, des sociologues qui l'expliquent,
04:35qu'il faut passer par l'éducation. Il faut prendre les problèmes dans leur ensemble.
04:39Ça manque de services publics, manque d'éducation, manque de… Par exemple, je vais vous citer
04:43un exemple, le Bibliobus. Moi, dans mon quartier, dans ma cité, il y avait le Bibliobus qui
04:46passait deux fois par semaine, qui nous donnait des livres et qui nous prêtait des livres.
04:48Moi, l'école m'a sauvé. C'est l'école française qui m'a sauvé, l'école de
04:51la République. Et en fait, ce Bibliobus, il passe beaucoup moins. Donc, quand on n'investit
04:55pas sur ces petites classes, sur ces crèches, sur ces maternelles, on était 40 dans notre
04:58classe, eh bien, ça crée des problèmes. Mais on a des gens qui peuvent vous dire « On
05:00a déboursé des milliards dans des plans banlieues qui n'ont peut-être servi à rien ». Dans
05:04votre doc, il y a un personnage intéressant, il y a Jean-Louis Bourleau, effectivement,
05:08qui connaît bien la question, et qui dit « Effectivement, on n'est pas allé assez
05:11loin, mais on a mis des milliards qui n'ont servi à rien ».
05:13– Allez voir, j'attendais cette question, donc allez voir cette très bonne enquête
05:16de La Croix, et allez voir, on ne peut pas dire que l'Institut Montaigne, ça soit
05:19un institut qui soit proche des banlieues, et ce n'est pas un institut forcément de
05:21gauche. On en investit quasiment les mêmes sommes pour les banlieues que pour les territoires
05:25ruraux. Par exemple, on a ce grand chiffre de 100 milliards depuis 1977, depuis 20 ans,
05:29c'est 3 milliards investis par l'État français, parce que c'est 20 milliards récupérés
05:32par les loyers HLM. On en investit quasiment les mêmes sommes, et on retrouve les mêmes
05:35problématiques. Je ne vous dis pas que c'est plus facile de vivre dans les zones urbaines
05:39que dans les territoires ruraux. Regardez le documentaire, on montre les mêmes difficultés.
05:43Mais aujourd'hui, ces investissements ont parfois été ratés, c'est tout.
05:46– Alors je voudrais qu'on change de sujet quand même, Mohamed, parce que vous avez
05:49beaucoup d'actualités, et notamment celle d'être l'un des trois directeurs généraux
05:53de Troisième Oeil, qui est la filiale du groupe Media One, qui produit notamment « C'est
05:57à vous ». Cette double casquette de chroniqueurs et patrons n'est pas problématique, vous
06:02n'avez jamais pensé à quitter « C'est à vous » ?
06:03– Alors attention, je suis content que vous me posiez la question, je ne suis pas patron
06:07de « C'est à vous » et « C'est l'hebdo ». Je suis très content, il y avait un petit…
06:10– Mais Troisième Oeil, c'est la boîte qui produit quand même « C'est à vous »
06:12– C'est Troisième Oeil, et la boîte qui produit « C'est à vous » et « C'est l'hebdo »,
06:14il y a eu un communiqué qui a été publié il y a quelques semaines pour expliquer nos
06:17fonctions. Moi je suis en charge des documentaires, du flux et de la création. C'est-à-dire
06:22que je suis en charge de discuter avec les partenaires, avec les chaînes linéaires,
06:25avec les plateformes, discuter de nouveaux programmes, de programmes de flux, discuter
06:28avec les talents. Moi je ne suis pas en charge de « C'est à vous » et « C'est l'hebdo ».
06:31– Vous n'êtes pas le patron d'Anne-Élisabeth Lemoyne ?
06:33– Je ne suis pas du tout le patron d'Anne-Élisabeth Lemoyne, je le redis, je suis chroniqueur.
06:37En fait, Anne-Élisabeth Lemoyne est notre patronne.
06:38– Sinon oui, la casquette aurait été compliquée quoi !
06:40– Mais c'est impossible, c'est pas possible même en termes d'éthique. Et Anne-Élisabeth
06:43est ma patronne, et c'est une très très bonne patronne, je le redis, et je suis chroniqueur
06:46autour de la table, ensuite je suis en charge de trouver des nouveaux contenus, de discuter
06:50avec les chaînes en linéaire pour essayer de vendre des programmes de flux. Vous aurez
06:53remarqué qu'il y a quelques semaines, le programme autour de Dorothée, « Merci Dorothée »,
06:57a fait 47,9 de PDA, c'est un très beau succès pour les équipes de 3e oeil, c'est de trouver
07:01des nouvelles idées, de vendre des nouvelles idées, de permettre aussi d'avoir une identité
07:06pour 3e oeil. Mais je ne suis pas, et je le redis, c'est pour ça que je peux venir en
07:08plateau vendredi soir et présenter ce documentaire, je ne suis pas le patron de « C'est à vous »
07:13et « C'est l'hebdo ».
07:14C'est un petit clin formé qui assure qu'il y a un gros malaise en interne avec la nomination
07:17de ces trois directeurs, dont vous, et que ce trio bat déjà de l'aile, que l'ambiance
07:21est délétère, qu'en est-il ?
07:23En tout cas, une chose est sûre, c'est que ce n'est pas l'ambiance que je connais.
07:25Je n'ai pas envie de dialoguer avec la polémique, je préfère parler aujourd'hui avec vous
07:29de mon documentaire, mais je vais vous répondre puisque vous me posez la question plutôt
07:31que d'y éviter.
07:32Peut-être pour mettre fin aux rumeurs ?
07:33Jeudi soir, on était tous en soirée. C'est une rédac qui est exceptionnelle, c'est une
07:37rédac à troisième oeil, « C'est à vous » qui est exceptionnelle.
07:39C'est très dure une quotidienne, on en parlait hors-antenne avec vous, Céline et
07:42Salia.
07:43C'est une quotidienne qui est en direct tous les soirs, je le rappelle, pour qu'on ne l'oublie
07:46pas, on est en direct de 19h à 21h.
07:48C'est une quotidienne où il y a beaucoup d'ambition, de détermination, c'est les
07:50mêmes équipes depuis 5-6 ans, les mêmes équipes qui se lèvent le matin, du matin
07:54au soir pour travailler et pour donner le premier talk show de France de 19h à 20h15.
08:00On est les premiers.
08:01Donc c'est parfois très compliqué, c'est parfois très difficile de toujours avoir
08:04la même ambition.
08:05Mais des documentalistes, aux fichistes, aux journalistes, aux JRI, j'estime qu'on a la
08:08meilleure rédaction de France, parce que c'est des gens qui sont motivés et qui se
08:12battent chaque jour pour ça.
08:13Il n'y a pas de malaise.
08:14Après, je n'ai pas envie de dialoguer aussi avec les rumeurs, c'est infondé pour moi,
08:17mais ce n'est pas grave, c'est la vie, c'est la rançon du succès.
08:20Et cette rédaction, elle est jeune, elle est ambitieuse et chaque jour, il y a plus
08:24d'un million cinq cent mille personnes qui regardent cette émission.
08:26Et quand je vois les sourires autour de la table et en dehors de la table, je suis très
08:28fier, depuis quatre ans, de collaborer avec eux en tant que chroniqueur.
08:32Je vais parler d'un autre chroniqueur, il en reste très peu de temps, Mohamed Bouazizi,
08:36c'est l'humoriste Merwan Benlazar, qui est venu sur le plateau de CETAVOU, accusé d'avoir
08:41tenu des propos islamistes dans le passé et il avait un look que certains ont décrit
08:45comme salafiste.
08:46Rachid Haddati a dit qu'il ne viendrait plus sur l'émission.
08:48C'est la ministre de la Culture qui fait les programmes de France Télé ?
08:51Il l'a très bien dit, Merwan Benlazar, le week-end suivant, dans un sketch qui a été
08:55publié et qui a eu un gros carton.
08:56Il l'a très bien dit.
08:57Il l'a dit, je n'étais pas censé revenir.
08:59Je ne vais pas remettre une pièce dans la machine et je crois qu'il ne nous reste pas
09:02beaucoup de temps, mais je vais vous répondre de manière très rapide.
09:04Merwan Benlazar était le remplaçant de Pierre-Antoine Damcourt qui remplaçait lui-même Bertrand
09:08Chameroy.
09:09Merwan Benlazar est venu, il l'a expliqué dans son sketch, c'était un one-shot, il
09:12n'a pas du tout été évincé.
09:14Est-ce qu'il y a eu un dérapage dans ce sketch ? Non.
09:16Est-ce que la gestion de l'antenne a été maîtrisée par Elisabeth Lemoyne ? Elle a
09:19été très bien maîtrisée.
09:20Sur le fond, pourquoi personne n'a pris la défense de Merwan Benlazar après ?
09:24Parce que dès le mercredi, il y a eu une communication de la part du groupe, mais je
09:26vais vous dire une seule phrase, rien ne justifie 7000 messages d'insultes et de haine.
09:32Rien ne justifie cela.
09:33Et l'antenne a été tenue et Merwan Benlazar n'a pas du tout été évincé et c'est important
09:39de le rappeler.
09:40Merci beaucoup Mohamed Bouhafsi.
09:42Le documentaire « La banlieue c'est le paradis » sera diffusé donc demain soir à 21h10
09:47sur France 2.
09:48Merci beaucoup Mohamed.
09:49Merci Céline.