Ce jeudi matin, le ministre des Armées Sébastien Lecornu était l'invité du Grand Entretien, au lendemain de l'allocution du président de la République sur la guerre en Ukraine et la menace que fait peser Vladimir Poutine sur l'Europe. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-06-mars-2025-4875647
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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons donc ce matin le ministre des Armées, question-réaction
00:05au 01-45-24-7000 et sur l'application France Inter.
00:10Sébastien Lecornu, bonjour.
00:11Bonjour, merci pour votre invitation.
00:13Bienvenue à ce micro, bienvenue.
00:15On va revenir dans une seconde sur l'allocution d'Emmanuel Macron hier soir à la télévision.
00:22Mais d'abord, vous attendiez-vous à ce que cette présidence Trump provoque un basculement
00:29aussi rapide, aussi violent de l'ordre du monde, un ébranlement de la sécurité de
00:35l'Europe ? Ou est-ce qu'il y a eu, dans votre ministère, chez vous aussi, une forme
00:41de choc ?
00:42Le choc, il vient du fait que tout cela n'est pas très prévisible et n'apparaît pas
00:46comme étant toujours, toujours je dis bien, rationnel.
00:49Après, si on est honnête, après il n'y a pas de pires sourds que ceux qui ne veulent
00:52pas entendre.
00:53Mais enfin, ça fait déjà de nombreuses fois, d'ailleurs si je peux me permettre
00:55y compris votre serviteur à ce micro, que l'on dit que le monde se durcit, que les
01:00Etats-Unis d'Amérique ont toujours connu des phases d'isolationnisme plus ou moins
01:03importantes de George Washington à nos jours.
01:06J'ai souvent cité cette phrase de De Gaulle à Perfit en disant « Jamais les Américains
01:10ne prendront de risque vitaux pour autre chose que pour eux-mêmes ».
01:14Perfit disant au général De Gaulle, mais enfin voyons, monsieur le président, mon
01:16général, vous n'y pensez pas, ils ont quand même fait le débarquement de Normandie.
01:19De Gaulle l'envoyant promener Perfit en disant « Ils n'y ont été contraints, c'était
01:23très tard dans la guerre et ce n'était pas pour autant un risque vital, c'est une
01:26brutalité forte ». Mais enfin, ça vient quand même redocumenter le fait que la question
01:31de la sécurité de l'Europe, elle passe évidemment par les Européens.
01:33Et puis, pour répondre à votre question, nous n'avons peut-être pas suffisamment
01:38voulu entendre la campagne américaine, y compris avec les démocrates, lorsqu'ils
01:43expliquent que la priorité avant tout, c'est la Chine, c'est le Pacifique Nord, ce pivot-là
01:47il est engagé.
01:49Mais bien sûr, cette nuit, le secrétaire d'État à la Défense américain, mon homologue,
01:53a dit que, je cite, les États-Unis « se tenaient prêts à une confrontation avec la
01:58Chine ».
01:59Et la Chine, d'ailleurs, a répondu hier en disant « Nous aussi on est prêts à la
02:02guerre, ils veulent la guerre, on est prêts ».
02:03Et pardon, mais on aurait presque pu ouvrir là-dessus, parce que, décentrons-nous aussi
02:06de ce qui nous arrive, et Dieu sait que ce qui nous arrive est grave, mais on voit bien
02:08que là, on a quelque chose qui était prévisible, parce qu'annoncé, et même les démocrates
02:13en d'autres mots disaient ces choses-là, mais je crois que le désintérêt pour l'Europe
02:18et le pivot vers le Pacifique, malheureusement, je crois qu'il est ancien.
02:22Moi, ce qui m'inquiète, de là où je suis, et ça fait bientôt trois ans, c'est au
02:26fond qu'à la fin, tout ça se solde par un agenda de faiblesse occidentale, y compris
02:31du côté américain.
02:32Parce qu'en fait, ce n'est pas comme s'il n'y avait pas eu un premier mandat Trump,
02:36le JCPOA qui était le document qui permettait de négocier avec l'Iran sur la prolifération
02:40nucléaire, il a été déchiré par le président Trump, l'Iran est désormais à quelques
02:44semaines du seuil de l'enrichissement.
02:46On se rappelle du sommet de Singapour avec le dirigeant nord-coréen pour essayer de
02:51le convaincre de se désarmer.
02:53La Corée du Nord, aujourd'hui, est une puissance nucléaire.
02:56L'Afghanistan et la décision de retirer les troupes qui est à cheval sur les présidents
03:00Biden et Trump, qui a été au fond un signal envoyé à la plupart des compétiteurs moscou-téhéran
03:05que, au fond, les États-Unis étaient dans ce moment où ils n'étaient plus prêts
03:09à faire beaucoup d'efforts pour la sécurité des autres.
03:11Votre crainte, c'est qu'on perde notre temps dans les prochains mois, les prochaines
03:14années de la présidence Trump, et qu'il déchire beaucoup de choses, et que ça renforce
03:20ceux qui ne sont pas forcément nos alliés, les empires autour ?
03:24Ce que dit le président de la République hier est vraiment millimétré, ça a été
03:27rappelé par Pierre Haski, c'est de dire que tout cela est imprévisible, mais ça veut
03:30donc dire qu'il faut prévoir les scénarios les pires.
03:32Le président Trump, il cite souvent Reagan quand il dit « la paix par la force », quand
03:38on parle de l'Ukraine, la paix on y souscrit pleinement, la force aussi, sauf que c'est
03:43dans le rapport de force qui est en cours, on ne voit pas très très bien en quoi il
03:48est particulièrement difficile avec Vladimir Poutine.
03:50Or, pour des capitales qui ne comprennent que le rapport de force, système KGB, guerre
03:55froide encore, dans la manière dont une partie du système russe fonctionne, il est clair
04:00qu'il y a quelque chose de préoccupant, et c'est pour ça que nous, et c'est le
04:03moment d'un réveil difficile pour la plupart des capitales européennes, c'est le moment
04:06aussi de nous prendre davantage en main.
04:08Alors ça aussi, je crois qu'on ne l'a pas découvert la semaine dernière, le risque
04:11pour nous français, c'est d'apparaître comme étant un peu chauvin, et un peu, on
04:14vous l'avait bien dit, donc je ne vous ai pas dit qu'on l'avait bien dit à ce micro,
04:17mais quand même, c'est-à-dire que le discours de la Sorbonne, le fait qu'il faut se réarmer,
04:20l'autonomie stratégique, y compris au lendemain du Covid, le néogolisme un peu quand même
04:24qui a toujours transpiré sous la Ve République gauche-droite confondue, on partage quand
04:28même tout ça.
04:29C'est sûr que là, pour beaucoup de capitales européennes, si vous voulez, il faut faire
04:32l'apprentissage que nous on a fait en plusieurs décennies, en seulement quelques semaines.
04:35Yves-François Lecornu, hier, il a parlé, Emmanuel Macron, d'une nouvelle ère, la
04:38menace russe est à nos portes, elle nous touche avec une agressivité qui ne semble
04:41pas connaître de frontières face à ce monde de danger, rester spectateur serait une folie.
04:45Il monte le ton, le Président de la République prend un ton dramatique, il l'était dramatique
04:49le ton hier, mais j'ai envie de vous dire, il disait déjà un peu ça, le 24 février
04:54il y a trois ans, au moment de l'invasion de l'Ukraine, on l'entendait dire, Emmanuel
04:57Macron, c'est une nouvelle ère, le retour de la guerre sur le sol européen, on est
05:02au pied du mur, il faut nous réveiller, on doit entrer en économie de guerre, certains
05:06ont dit que c'était des mots et qu'on n'est pas vraiment entrés en économie de guerre,
05:10ou que ça a pris beaucoup de temps, qu'est-ce qui est nouveau depuis dix jours ? Et qu'est-ce
05:14que vous dites à ces français qu'on entend partout, depuis dix jours, depuis l'altercation
05:19véritablement dans le bureau Oval, est-ce qu'on va vers la guerre ? Est-ce qu'on va
05:22vers la troisième guerre mondiale ? Cette phrase un peu tarte à la crème, mais est-ce
05:25qu'on y est ?
05:26Oui, trop tarte à la crème, parce qu'en fait on ne peut pas passer d'une forme d'insouciance
05:29à la dividende de la paix, à une forme de fébrilité, oh là là, c'est la troisième
05:33guerre mondiale.
05:34En fait, c'est ce qui...
05:35On y est un peu, là.
05:36Oui, mais enfin, il faut rester calme.
05:37Être français aussi, je crois, dans ce moment, c'est de rester calme et confiant.
05:41Je crois que sur la menace russe, de fait, on n'a jamais varié.
05:44C'est sûr qu'on a un système politique, et parfois médiatique, qui n'a pas envie
05:47de le voir.
05:48Bon, moi je suis ministre des armées, vous n'avez pas un agent de la DGSE, vous n'avez
05:51pas un officier d'état-major actuellement en France qui considère que la Russie n'est
05:55pas une menace.
05:56Donc après, je ne sais pas en quelle langue il faut le dire, peut-être un certain russe,
05:59mais la réalité, c'est que oui, un pays qui s'est habitué à sa survie politique
06:03par de l'agressivité extérieure et dont désormais l'économie repose en grande partie
06:08justement sur un effort de guerre, et qui désormais est engagé dans des coopérations
06:13des plus dangereuses avec Téhéran d'une part et la Corée du Nord d'autre part, sans
06:17oublier les transferts de technologies éventuels, sans oublier les programmes d'armement que
06:21même la guerre froide avait permis de réguler, typiquement l'envoi d'armes nucléaires dans
06:25l'espace, il n'y a pas grand-chose à attendre de positif de ce côté-là.
06:29Ça, c'est le premier point.
06:30Après, la sidération depuis dix jours, elle vient du changement du comportement américain.
06:34Et pour cause, on a connu quoi ? On a connu l'Europe puissante, l'Europe s'entre-déchirant,
06:39guerre mondiale, ensuite l'Europe en reconstruction avec la protection économique et militaire
06:43américaine, ensuite l'Europe face à la guerre froide et à l'Union soviétique,
06:48ensuite, dissolution du pacte de Varsovie, on revient à une ambiance régionale et tout
06:52d'un coup, on a de nouveau la menace russe, mais il n'y a plus la réassurance américaine.
06:55C'est donc une nouvelle étape stratégique clé dans laquelle on ne peut plus dépendre
07:01du locataire de la Maison Blanche.
07:02Nous Français, une fois de plus, on l'avait déjà soldé, mais pour les autres capitales,
07:05ce n'est pas le cas.
07:06Edouard Philippe a ce micro, vous l'avez entendu il y a deux jours, a dit que la suspension
07:10de l'aide américaine à l'Ukraine est une trahison.
07:12De fait, elle a un effet opérationnel, moral avant tout d'ailleurs, pas sous-estimer ça,
07:19et elle va avoir un effet opérationnel, heureusement pas dans l'immédiat, il y a de l'inertie,
07:25mais elle va avoir un effet opérationnel important, notamment sur la suspension des
07:29coopérations en matière de renseignements.
07:30C'est toujours la même chose, je ne veux pas être commentateur de ce que font les
07:34Américains, je suis ministre français.
07:35Ce n'est pas immédiat vous dites ?
07:37Entre le moment où vous suspendez les aides militaires, munitions, armes, et ce qui se
07:42passe sur la ligne de front, vous voyez bien que vous avez une inertie logistique.
07:45Rappelez-vous d'ailleurs que le congrès américain avait pris du temps à débloquer
07:48un paquet d'aides il y a quelques mois de cela, et donc on a pu observer qu'il y avait
07:51quand même un tout petit peu d'endurance du côté ukrainien.
07:54Enfin, il ne faut pas se raconter d'histoire.
07:55Si c'est un outil de négociation et de pression sur l'Ukraine, franchement c'est très dur
07:59pour les Ukrainiens, et moralement tout à fait détestable.
08:02Après, peut-être que le président Trump aussi veut en faire un élément de discussion
08:07avec les Russes en disant « je vais remettre l'aide à l'Ukraine si je n'obtiens pas ça ».
08:11C'est le moment où il faut impérativement aussi que la discussion entre les Russes et
08:18les Américains débute vraiment.
08:20Parce qu'on a le sentiment d'avoir beaucoup de préconcessions qui sont données pour
08:24entrer en mêlée de discussion, maintenant il est temps que les vrais paramètres de
08:28négociation aient lieu entre Moscou et Washington.
08:30Mais donc là vous nous dites que les trains ou les camions entiers remplis de munitions
08:35américaines pour l'Ukraine continuent à arriver ?
08:39Tout ce qui est part de Pologne est suspendu.
08:41Après ce que je vous dis c'est que les Ukrainiens ont appris malheureusement à faire cette
08:44guerre depuis trois ans et ça veut faire des stocks.
08:47Et puis évidemment le président de la République m'a demandé d'accélérer les différents
08:51paquets d'aides français, parce que nous Européens on ne peut pas être dans le déclaratoire,
08:54il faut aussi qu'on soit dans les actes et permettre de venir ici ou là par segments
08:58compenser l'aide américaine qui n'arriverait plus.
09:00Et qu'en est-il Sébastien Lecornu du Renseignement Américain ?
09:04Il est suspendu.
09:05Et ça veut dire quoi ?
09:07Ça veut dire que le confront des agences américaines sur l'observation satellitaire,
09:13sur tout ce qui peut être fait, je ne rentre pas dans les ailles, vous comprendrez bien
09:15pourquoi, mais effectivement il est suspendu depuis hier après-midi.
09:18Mais aujourd'hui le renseignement européen peut-il se substituer à celui des Américains
09:21quand on est en guerre comme ça ?
09:22Alors c'est une excellente question, je pense que pour nos amis britanniques qui sont quand
09:26même dans une communauté du renseignement avec les Etats-Unis c'est plus compliqué.
09:29Nous notre renseignement est souverain, ça a été plus long de remonter en puissance
09:33ces dernières années.
09:34Mais l'avantage c'est que nous l'avons fait effectivement avec des capacités qui
09:37nous sont propres.
09:38Donc oui on a des moyens de renseignement, nous nous faisons bénéficier les Ukrainiens.
09:42Alors, excusez-moi pour les quelques chiffres que je vais citer, Emmanuel Macron a annoncé
09:47vouloir consacrer autour de 3-3,5% du PIB au budget des armées, contre 2,1% actuellement.
09:55Les crédits alloués aux armées sont votés dans une loi de programmation militaire.
10:00L'actuel couvre la période 2024-2030 et dispose de 413 milliards d'euros.
10:07Si la France dépensait 3,5% de son PIB, elle allourait 70 milliards d'euros par an à
10:16la défense.
10:17Cet effort, vous dites qu'il est indispensable ?
10:23Oui, alors il faut se méfier des chiffres parce que sinon là aussi on peut passer d'une
10:27tocade à l'autre.
10:28Moi je préfère qu'on parle en budget annuel parce que pour nos concitoyens contribuables
10:33c'est important d'avoir de la lisibilité.
10:34En 2017 on était à un peu plus de 30 milliards d'euros, au moment où je vous parle on est
10:38à 50,5 milliards d'euros, notre plan en 2030 c'était de l'emmener autour de 68 milliards
10:43d'euros par an.
10:44Il faut accélérer là ?
10:46Oui, il faut accélérer de toutes les évidences, il ne faut pas accélérer en partant dans
10:49tous les sens.
10:50Ce n'est pas de la fébrilité ou de la mode, c'est moi qui vous le dis, j'ai plutôt
10:53intérêt à récupérer le plus de crédits possibles pour les armées, c'est ce que
10:56je fais depuis trois ans, mais il faut essayer de faire quelque chose qui soit très efficace
10:59sur le terrain militaire.
11:00Mes premières estimations des travaux que le Président de la République m'a demandé,
11:05là on est à 50,5 milliards d'euros par an, on pourrait estimer que notre armée
11:09pourrait atteindre un point de forme convenable en fonction des différentes missions qu'on
11:14attend d'elle autour de 90 milliards d'euros par an, mais ne vous enfermez pas dans ce
11:18chiffre parce qu'il est très complexe et d'ailleurs quand on compare les pourcentages
11:21de PIB entre pays, j'en ai pas tous le même PIB, nous notre dissuasion nucléaire est
11:25dans notre agrégat, souvent les pays rajoutent les pensions, donc nous la France si on devait
11:30rajouter des pensions on rajouterait 10 milliards d'euros, il faut savoir que quand on parle
11:32des 2% de dépenses à l'OTAN, on y rajoute les pensions.
11:35Ce qu'il faut c'est faire quelque chose de cohérent, ce que je peux vous dire autrement,
11:38c'est que notre marine nationale, il lui manque de toutes les évidences au moins trois
11:42frégates, on en a 15, si les américains devaient en plus se désengager ça nous obligerait
11:45à tenir des mers qu'aujourd'hui eux tiennent en termes de liberté de circulation, que
11:50notre aviation de chasse française globalement manque d'une vingtaine de rafales pour tenir
11:55différentes missions opérationnelles en même temps ou sur une période très longue, c'est
11:59l'endurance, que notre armée de terre a besoin de frappes dans la profondeur, on voit bien
12:03que la ligne de front de plus en plus est longue, étendue et qu'il faut être capable
12:06de frapper en premier rapport, de guerre électronique, l'Ukraine nous a appris aussi beaucoup de
12:10choses, c'est l'environnement le plus brouillé au monde, vous savez que les fameux drones
12:14chahides iraniens que la Russie envoie sur l'Ukraine, au moment où je vous parle pratiquement
12:184 drones sur 5 envoyés par la Russie sont tombes, parce que brouillés par l'Ukraine,
12:24c'est à dire que l'Ukraine a de l'endurance parce qu'elle a aussi développé des capacités
12:27propres, bon ça si vous voulez il est urgent d'accélérer, on ne peut pas décrocher,
12:31et un domaine, un mot, parce que c'est très important, sur lequel il faut que les européens
12:35se secouent, se réveillent, et là vraiment il y a urgence, c'est évidemment le spatial,
12:40toutes les grandes nations du monde sont en train de militariser l'espace là où les
12:44européens nous sommes en train de trop tard.
12:46Les dégâts des rafales, ça veut dire des commandes publiques, ça veut dire de l'argent,
12:50Sébastien Lecornu, en plus de ce qui est mis, hier Emmanuel Macron a dit on va renforcer
12:55les armées, ça veut dire des investissements supplémentaires, mais sans hausse d'impôts,
12:59où est-ce que vous prenez l'argent ? Un commentaire politique quand même aussi
13:02là-dessus, c'est la raison même d'être de l'État la Défense Nationale, donc on
13:06peut estimer que les gens payent déjà des impôts pour son armée, c'est pas en option.
13:11D'accord mais l'éducation nationale c'est aussi la raison d'être de l'État,
13:14c'est le régal, l'hôpital, la sécurité.
13:17Non, parfois l'État se donne des missions qui ne sont pas les siennes.
13:20Je le dis, ça fait 8 ans que je suis ministre, donc on pourra dire que j'étais évidemment
13:24collègue de cela, je l'assume, mais enfin, quand on a fait un plan vélo à plusieurs
13:28milliards d'euros pour aider les collectivités locales, alors que ce sont les missions des
13:33mairies que de s'occuper des pistes cyclables, on peut dire que l'État s'est décentré
13:37de son rôle principal.
13:39Il n'y a pas de schéma si vous voulez dans lequel les mairies vont acheter des missiles
13:41ou des sous-marins nucléaires.
13:42Donc ce que je veux dire par là, c'est qu'on revient aussi à quelque chose de fondamental.
13:46Donc vous dites que tout ce qui est autour, pour vous le plan vélo ça ne sert à rien,
13:49en gros, il faut le mettre dans les frégates ?
13:51Si je peux me permettre de l'insulmer, si on veut avoir un débat hyper éclairé dans
13:54les temps qui viennent, je ne veux pas faire la transition écologique versus la défense.
13:58Mais à un moment il faut faire des équilibres, il faut faire des choix.
14:01Il y a dans les compétences historiques natives du régalien de l'État, il y a la défense
14:06nationale, comme d'ailleurs il y a la police et la justice.
14:08Et donc par définition, au moment où on doit faire des choix, il faut donc être capable
14:12de recentrer l'État sur ses missions et c'est pourquoi nous levons l'impôt par ailleurs.
14:16Et c'est pour ça que ne pas augmenter les argents me semble être absolument clé, y
14:20compris pour notre attractivité économique.
14:22Où on va prendre l'argent pour trouver les dizaines de milliards de plus à mettre dans
14:25l'armement ?
14:26Il y a forcément de l'argent public, on ne va pas s'y dérober.
14:28Il y a évidemment des mutualisations européennes, c'est l'objet du Conseil européen.
14:31Je pense qu'il y a des pistes intéressantes de mobilisation, de l'épargne des Français,
14:35mobilisation volontaire.
14:36Des programmes d'armement, c'est de l'industrie, en plus c'est de l'industrie française,
14:39on n'achète pas à l'étranger.
14:40C'est de la création de richesses sur le territoire national.
14:42Appeler les Français à mettre de l'argent pour l'armement.
14:44Ce sont des équipements de défense qui parfois vont avoir des durées de 10, 15, 20, un porte-avions
14:48c'est 40 années.
14:49Ça veut donc dire que vous pouvez amortir.
14:50Donc là aussi c'est une réflexion avec Éric Lombard, Emmanuel Macron nous a demandé
14:54de l'introduire.
14:55C'est de se dire, pour les Françaises et les Français qui veulent placer de l'argent
14:58de manière patriotique, voire rémunérer cet argent, c'est patriotique donc on imagine
15:03que les taux de rémunération seront peut-être modestes, je n'en sais rien, je ne suis pas
15:05ministre de l'économie et des finances.
15:06Mais dire que cet argent-là va permettre de réarmer le pays, je trouve que c'est intéressant
15:10comme idée.
15:11Puisqu'on parle de milliards et d'argent, Sébastien Lecornu, vous le savez, et dans
15:15votre camp, que ce soit Édouard Philippe ou Gabriel Attal, ils sont favorables mais
15:18le gouvernement bloque, Emmanuel Macron bloque, les 200 milliards d'euros d'avoirs russes
15:23qui sont dans les banques européennes, beaucoup disent il faut les prendre, on a besoin d'argent,
15:28il faut les prendre maintenant, on ne peut plus, c'est eux qui vont t'agresser, il faut
15:31aller chercher.
15:33Beaucoup d'européens y sont favorables, la droite européenne y est favorable aujourd'hui
15:39au Parlement européen.
15:40Emmanuel Macron bloque pourquoi ?
15:42Ce n'est pas Emmanuel Macron qui bloque à titre personnel.
15:45Le gouvernement français bloque, Éric Lombard, le ministre de l'économie bloque, pourquoi ?
15:48Le Bercy bloque et c'est suivi par les affaires étrangères, pour une raison simple, c'est
15:53qu'il apparaît à leurs yeux que la déstabilisation de la zone euro et de notre banque centrale
15:57pourrait être importante.
15:59Je sais qu'ils sont en train de le documenter et de le regarder.
16:01Je pense que parmi les personnages politiques que vous avez cités et même dans les autres
16:05capitales européennes, personne n'a intérêt aussi à faire des choses qui fragiliseraient
16:09notre système en ce moment, qui ne vous a pas échappé et largement aussi agressé
16:13par ailleurs avec des politiques commerciales, tarifaires, douanières.
16:17Donc vous n'y êtes pas favorable ?
16:18Si, le principe m'est favorable, enfin pardon, c'est tellement séduisant comme idée qu'on
16:22ne peut être que favorable, il n'y a pas grand risque d'être favorable à ça.
16:24En revanche, comme d'habitude, si c'est pour expliquer après que derrière notre
16:28système économique est complètement déstabilisé, tout d'un coup, plus personne n'y sera favorable
16:31non plus.
16:32Et les mêmes d'ailleurs qui poussaient cette idée nous diront « ah ben on ne savait
16:34pas » ou « bah non, évidemment, on ne veut pas jouer avec l'économie des Français ».
16:37Donc une fois plus, je pense qu'il faut laisser ça à Éric Lombard qui est en train de le
16:40regarder.
16:41Moi j'étais là quand Emmanuel Macron lui a demandé de regarder cette affaire.
16:43Mais personne ne prendra un risque avec notre système de banque centrale, je pense que
16:48tout le monde peut l'entendre.
16:49Sébastien Lecornu, Emmanuel Macron a dit hier « la patrie a besoin de vous et de
16:53votre engagement ». Question de Marc sur l'application Radio France, prévoyez-vous
17:00un retour du service militaire afin d'avoir des troupes au sol ? Question que je prolonge
17:06avec cette nouvelle qui nous vient d'Allemagne qui relance le débat sur le service militaire
17:12obligatoire.
17:13Le service militaire tel qu'on a connu auparavant dans le passé n'aurait aucun intérêt
17:19militaire.
17:20C'est un intérêt social, c'est certain, il n'y a pas de doute même là-dessus.
17:24Aujourd'hui, il n'aurait aucun intérêt militaire.
17:26Pourquoi aussi l'Allemagne et Boris Pistorius, mon homologue, met ce débat sur la table
17:31? C'est qu'ils ne sont pas une puissance nucléaire et que donc un des moyens de faire
17:34une espèce de dissuasion conventionnelle, c'est de mobiliser des millions de jeunes
17:37gens pour se dire « s'il y avait une agression, on serait capable de la traiter ». Nous,
17:42on a un modèle d'armée et d'emploi professionnel avec une dissuasion nucléaire.
17:46En revanche, pour répondre à la question de l'auditeur, est-ce qu'on a besoin d'accélérer
17:53sur le durcissement de nos réserves ? La réponse est oui, on a besoin d'une réserve
17:58professionnelle.
17:59Parce que vous le voyez bien, il y a seulement deux mois, vous m'auriez posé des questions
18:01sur le concours des forces armées à Mayotte pendant la crise terrible qu'on a connue
18:06pendant les Jeux Olympiques, le concours des forces armées à la sécurisation des
18:09JO.
18:10On a une multiplication des sollicitations des forces armées françaises sur le territoire
18:14international, comme à l'étranger, comme à l'extérieur, qui est très très importante.
18:19Et face à l'activité importante que l'on demande à l'armée française, il est certain
18:23que nous n'avons pas assez de réservistes encore aujourd'hui, même si ça augmente
18:25et de plus.
18:26Alors justement, il y a une pluie de questions aujourd'hui pour vous Sébastien Lecornu.
18:32Jean-Philippe, bonjour, jusqu'à quel âge peut-on se mettre à disposition de la réserve
18:37opérationnelle ?
18:38Il y en a plein là, on reçoit des tsunamis de gens qui ont envie d'être réserviste.
18:42C'est une bonne nouvelle.
18:43Il est secouriste.
18:44Et ça met la pression sur les armées pour bien les accueillir, bien les orienter et
18:48bien les utiliser.
18:49Ce qui est un de mes combats.
18:50On a rehaussé les limites d'âge, y compris sur les agilités médicales sur lesquelles
18:54on les a largement, pardonnez-moi, assouplis dans jusqu'à 70 ans de mémoire.
18:59Je ne veux pas vous dire de bêtises.
19:00On peut s'engager.
19:01Armée de l'air, armée de terre, Marine Nationale, mais aussi Gendarmerie Nationale,
19:05qui est une force armée sur laquelle on a besoin de beaucoup de moyens.
19:07On a besoin de gens qui ont des expertises différenciées, sur toute forme de grade,
19:11avec beaucoup de souplesse, pour parfois quelques jours par an, pour d'autres, plusieurs
19:15mois.
19:16Mais il est clair que l'augmentation des réserves est un combat clé.
19:19Il faut y aller, vous dites ? Je l'ai fait moi-même, jeune, dans le passé,
19:23pour la gendarmerie, et des années extraordinaires.
19:25Encore une question d'auditeurs, puisque les Européens, ils s'appellent Pierre, veulent
19:30un parapluie nucléaire français, ne pourrait-il pas y avoir une rupture de tous les contrats
19:36d'armement avec les Américains ?
19:39Ça, il faut demander à mes homologues européens, mais c'est une bonne question.
19:42Il en a parlé Emmanuel Macron hier.
19:44Juste sur les contrats, je précise, c'est jusqu'à quel point les capitales européennes
19:48vont continuer de se dire, bon allez, on va acheter des armes américaines et puis ça
19:51va passer.
19:52Ou au contraire, ceux qui se disent, mais je ne peux plus faire confiance à un système
19:56qui est aussi imprévisible, y compris d'ailleurs pour l'utilisation de ces armes, puisque
20:00le jour où la Maison Blanche dit, les avions américains ne décolleront plus, l'armée
20:04polonaise, l'armée allemande, que sais-je, serait privée de leur aviation de chasse.
20:08La dissuasion nucléaire, je pense qu'il faut être précis, le président de la République
20:10l'a été hier au soir, elle reste française, il n'y a pas de partage.
20:13En revanche, maintenant, on est en train de revivre des moments de guerre froide, c'est
20:16assez intéressant.
20:17À Ottawa, en 1974, pardon, c'est une minute historique, il a été dit que la dissuasion
20:23nucléaire française contribuait à la dissuasion globale de l'Alliance de l'Atlantique.
20:28Je n'étais pas né.
20:29J'aime mieux vous dire en fait que ces sujets ont déjà été traités.
20:31En revanche, ce qui est intéressant, c'est de voir que toutes ces capitales européennes,
20:34au fil des années, post-guerre froide, années 90, années 2000, se sont complètement
20:38désintéressées de ce que nous pouvions leur rapporter sur ce terrain, et pour cause,
20:41le parapluie américain versus l'achat d'armes américaines, de toute façon, nettoyer toute
20:46forme d'intérêt.
20:47Comment vous jugez les réactions de Marine Le Pen, Jordan Bardella, qui disent « hors
20:51de question », qui disent « vous êtes en train de devenir batte en guerre », c'est
20:55aussi ce qu'on entend à la France Insoumise.
20:57On en a débattu avec la présidente Le Pen dans l'hémicycle lors du débat lundi dernier.
21:02Si le président de la République avait vraiment dit « je vais partager la dissuasion nucléaire
21:06française », le débat aurait été légitime, et d'ailleurs, moi-même, je n'aurais pas
21:10été d'accord avec cela.
21:11Mais il n'a pas dit ça.
21:12Et donc, en matière de dissuasion, y compris si on est patriote, il faut choisir ses mots
21:16avec précaution, il n'a jamais dit qu'il y aurait un partage, ni des armes, ni de la
21:20prise de décision.
21:21En revanche, est-ce que les intérêts vitaux français sont enfermés dans les frontières
21:25françaises depuis le général De Gaulle ? On sait que non.
21:27Or, au moment où toutes les capitales européennes, et non des moindres, Berlin dit « mais c'est
21:32la France », qu'est-ce que la France peut apporter comme contribution à la sécurité
21:36collective ? Ben pardon, on ne va quand même pas s'excuser d'être une puissance militaire
21:40et nucléaire.
21:41Donc il y a quelque chose aussi d'un peu curieux, à voir aussi certains avoir peur
21:45au fond que nous soyons une véritable puissance.
21:46Le refrain du déclin et autres était peut-être plus confortable pour tout un chacun.
21:52En tout cas, là-dessus, il est évident qu'après les Etats-Unis, l'armée la plus crédible
21:58dans l'OTAN, en tout cas dans l'espace européen, c'est la France, ça je peux vous le confirmer.
22:02Le stock, l'arsenal nucléaire français est-il suffisant ?
22:06Oui, parce qu'il répond à la doctrine de la stricte suffisance, et ça évidemment
22:11c'est documenté très précisément, et là aussi nous remettons beaucoup de moyens
22:14parce que l'enjeu de la dissuasion, par définition, c'est qu'elle soit crédible sur le long
22:18terme.
22:19Donc les systèmes d'armes d'aujourd'hui ont plutôt été décidés il y a 15 ans,
22:22ils sont d'actualité, et là on est en train de prendre des décisions pour les systèmes
22:25d'armes, les têtes, les missiles, les vecteurs, avions et sous-marins, pour dans 10, 15 et
22:3020 ans.
22:31Réponse courte, réponse courte sur deux autres sujets, il y a deux lignes au gouvernement
22:36et à l'Elysée sur la rupture des accords de 68 avec l'Algérie, vu ce qu'il se passe
22:41avec les tensions avec l'Algérie, Emmanuel Macron ne veut pas rompre, il veut renégocier
22:44mais ne veut pas rompre, François Bayrou, Bruno Retailleau, Edouard Philippe veulent
22:49rompre les accords avec 68, vous êtes sur quelle ligne ?
22:51En fait, il n'y a qu'une seule ligne sur le fait qu'on veut que l'Algérie bouge,
22:54après il y a des discussions sur la manière dont il faut...
22:56Faut-il rompre les accords avec 68 ? Que dit le ministre des armées ?
22:59Moi, je pense qu'à ce stade, on peut essayer encore d'autres outils diplomatiques de discussion,
23:05voire même de pression, avant de s'attaquer à cet accord, après moi je vais être très
23:09clair avec vous, comme je suis ministre des armées, nous avons aussi des intérêts
23:13de sécurité, y compris en matière de lutte antiterroriste avec l'Algérie et je veux
23:17que les canaux sécuritaires avec Alger restent ouverts parce qu'il en va directement de
23:22nos intérêts à nous français.
23:23La mission de l'armée israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza n'est pas
23:25terminée, a déclaré hier le chef d'état-major israélien.
23:28La trêve entre Israël et le Hamas peut-elle vaciller ?
23:31Elle est fragile, y compris sur la question du désarmement des différents groupes terroristes,
23:35elle est aussi fragile pour d'autres raisons avec le Liban.
23:37Merci Sébastien Lecornu, je rappelle le titre de votre livre, Vers la guerre ? Point d'interrogation.
23:44Pour enlever le point d'interrogation peut-être ?
23:49J'avais mis le point d'interrogation, on était au mois d'octobre quand je vous l'ai présenté,
23:52donc il n'y a pas une ligne qui a malheureusement mal vieilli, j'aurais préféré qu'il en
23:56soit autrement.
23:57C'est sur mes notes que j'ai pris depuis que je suis ministre des armées, que j'ai
24:00mis dans le livre pour que les gens puissent comprendre un tout petit peu ce à quoi nous
24:03on se prépare réellement.
24:04Vous enlevez le point d'interrogation là ?
24:05Non, parce que je pense qu'on n'est plus en paix, c'est certain, mais qu'en fonction
24:11de ce que nous allons faire, si nous sommes forts, nous saurons dissuader celles et ceux
24:15qui veulent s'en prendre à nos intérêts.
24:17La France face au réarmement du monde, ça c'était pour le sous-titre, et c'est aux
24:20Éditions Plomb, merci Sébastien Lecornu d'avoir été au micro d'Inter.