En avril 1968, Henry Marais, un professeur de la Sorbonne, évoque cette théorie selon laquelle Corneille aurait écrit les pièces de Molière : L' Affaire Corneille - Molière. Intrigués par ce mystère non encore élucidé, trois étudiants, Alaïa, Arthur et Avrell, décident de mener l’enquête. Tous les éléments trouvent un contre-argument, on tente de les décourager, de les dissuader... jusqu’au moment où une question se pose … Et si quelqu’un ne voulait pas que l’on sache ? Marc Tourneboeuf, auteur et comédien, nous raconte comment il a donné vie à cette enquête littéraire haletante et pleine de rebondissements.
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00:00Marc Tourneveuf, bonjour et merci d'être parmi nous.
00:07Bonjour.
00:08Vous êtes l'auteur et comédien de l'affaire Corneille-Molière qui se joue à la Comédie-Bastille.
00:13Alors, comment vous est née cette idée d'écrire sur l'affaire Corneille-Molière ?
00:18Pendant le confinement, j'étais en Normandie, j'avais la chance d'avoir du temps comme
00:23beaucoup de gens et pour moi ça a été une période bénie où j'ai pu ressortir des
00:28livres de Corneille que je n'avais vraiment jamais lus, Sina notamment, des trucs qui
00:33me paraissaient bien poussiéreux, bien barbants et du coup je me suis mis à faire des petites
00:38recherches dessus.
00:39Je suis tombé sur une émission de Franck Ferrand, je ne sais plus comment il s'appelle,
00:42une émission historique de Franck Ferrand qui parlait de cette affaire, l'affaire
00:46Corneille-Molière.
00:47Pour moi, c'était tout de suite un truc un peu complotiste, je suis allé mettre le
00:50nez dedans.
00:51Son émission était très à charge pour lui, Molière n'avait pas écrit ses pièces.
00:54Après ça, j'ai eu un doute tout de suite.
00:58Je suis allé lire le site des Moliéristes qui est toujours tenu par les professeurs
01:05de la Sorbonne et qui a apporté tous les contre-arguments à ce que Franck Ferrand
01:10avait pu dire et je me suis mis à creuser encore plus.
01:12Je suis allé lire les sites des Corneilliens et plus je creusais, moins je trouvais de
01:18réponses.
01:19J'ai vu que dernièrement, il y avait des intelligences artificielles qui avaient voulu
01:24répondre à la question.
01:25Au début des années 2000, une recherche sur la récurrence des lettres, des rimes
01:31selon les auteurs.
01:32Alors on a comparé Corneille et Molière et sur un corpus d'énormément de textes
01:38étudiés, eux ont un pourcentage de ressemblance qui est sans équivoque aucune.
01:43Mais après ça, on dit oui, mais en fait, on n'a pas comparé assez d'auteurs parce
01:47que si on avait comparé d'autres auteurs de l'époque, on aurait la même construction
01:51puisque les rimes et les thèmes enjoignent forcément un certain vocabulaire.
01:57Donc il y a toujours un doute qui plane et je me suis dit comment le traiter, comment
02:02savoir.
02:03Moi, ça me fascine évidemment et j'ai décidé de porter ça sur la scène.
02:07Pour autant, je n'avais pas envie de faire une scène trop académique qui arrivait avec
02:11que les arguments parce que ça, Franck Ferrand le fait très bien, Stéphane Baird aussi
02:15a fait une émission dessus.
02:17Je n'avais pas envie que ce soit une pièce exposée, on fait une conférence, ça peut
02:24très bien marcher.
02:25Moi, je suis plutôt un auteur de théâtre, j'aime voir des acteurs qui vivent, qui ressentent
02:31des émotions et je me suis penché plutôt sur l'histoire de ceux qui mènent l'enquête,
02:38qui ont l'exaltation de venir chercher, comprendre, patiner un peu parce que c'est un peu ce
02:43que je recherchais, ce que je ressentais devant mon écran.
02:46J'ai placé l'action en 1968 pour deux raisons.
02:50Déjà en 68, il y a la remise en question de pas mal de choses qui sont ancrées depuis
02:55des années.
02:56Cornel Molière, on peut dire que ça l'est également et surtout en 1968 paraît une œuvre
03:02qui s'appelle, il me semble, 100 ans de recherche sur Molière et c'est un ouvrage dans lequel
03:08figuraient à peu près toutes les réponses que les héros doivent trouver pour avancer
03:15dans l'enquête.
03:16Je n'avais pas envie que toutes les réponses soient à un seul endroit, j'avais besoin
03:21qu'ils aillent chercher pour donner plus de sens et plus de panache à leur aventure
03:28pour qu'ils aillent creuser eux-mêmes.
03:29Et de là, je me suis inspiré des personnages qui se sont vraiment intéressés à cette
03:33affaire.
03:34Le poète Pierre-Louis au début du XXe siècle.
03:361919.
03:38Le poète Maudit qui a été complètement écrasé par l'histoire et notamment pour
03:43ses trouvailles sur cette affaire.
03:46Et puis d'autres, d'autres moins connus, Anatole Loquin, etc. dont on ne cite même
03:51plus les noms parce qu'en fait il y a tellement de détails sur cette affaire que si on commence
03:55à rentrer dans les détails, vraiment, on ne s'en sort plus.
03:58L'enquête cite évidemment les grosses parties de cette affaire, on ne peut pas aller chercher
04:07les noms de l'histoire, notamment au XVIIe siècle, il y a tellement de noms qui gravitent
04:11autour de Corneille, Molière, Racine, des gens qui n'ont pas été du tout retenus
04:16mais qui pourtant avaient un rôle à jouer.
04:18Donc dans un premier temps, ce qui m'a passionné, c'est tous ces gens qui gravitaient autour.
04:24Soudain, on se rend compte qu'il n'y a pas trois poètes classiques et puis quelques
04:30poètes entre les deux qui ont eu un doute et aujourd'hui encore le doute qui plane.
04:35Il y a eu tout un doute qui s'est creusé, qui a dépendu de plein de gens qui sont venus
04:43mettre leur nez dans cette affaire et derrière, avec tous ces éléments, il a fallu faire
04:50une pièce, faire une matière littéraire.
04:51Donc on voit ces personnages qui mènent l'enquête à travers le Paris de 68 et qui viennent chercher
05:00les miettes que l'histoire assemère.
05:02Oui, vous arrivez très bien à mêler enquête, comédie et érudition.
05:06Et comment avez-vous équilibré tous ces éléments dans la pièce ?
05:09Déjà, j'ai eu la chance d'avoir de formidables relecteurs et ça, c'est une très bonne phrase
05:14de Boileau dans l'art poétique, c'est « Cherchez qu'on vous conseille et non pas qu'on vous loue ».
05:18Gretel Delattre, l'une des comédiennes, Julien Alluguet ont été tous deux de très bons
05:25relecteurs en me disant « ça c'est bien mais tu ne te rends pas compte qu'en fait,
05:29cette scène-là, elle est beaucoup trop grande, il y a beaucoup trop d'informations ».
05:32Effectivement, au début, c'était vaste, les scènes d'information prenaient beaucoup plus d'espace.
05:37La pièce est aujourd'hui composée de trois parties et fait environ 65 pages.
05:41Au début, elle faisait deux parties, elle en faisait 95 et donc on n'avait pas encore la résolution.
05:47Et il y avait, je ne sais pas, j'imagine 30 pages qui n'étaient que de l'académique,
05:54où on allait parler de poètes qui avaient dit ça, qui avaient dit ça, ça se contredisait,
05:58des voyages de Molière, de Corneille. Et finalement, on se rend compte que pour avoir l'idée du doute,
06:04pour montrer au public qu'on ne sait pas, il suffit de quelques briques, tout simplement,
06:11il ne suffit pas d'avoir toute la toile sous nos yeux mais juste de leur dire que le doute existe.
06:16Et comme de toute manière, il n'existe pas de réponse aujourd'hui précise,
06:20l'idée ce n'était pas d'aller pencher d'un côté ou de l'autre, c'était de dire « ce doute existe,
06:26voici les premiers éléments qui sont factuels, ce sont les plus gros, si derrière des gens veulent
06:32aller creuser, on peut leur dire, en sortant de la pièce, qu'il y a plein d'autres, plein d'autres…
06:37Et de la matière.
06:38Il y a de la matière et qu'ils peuvent aller creuser. Comment on a fait pour rendre ça ludique,
06:44théâtral ? Déjà, on a des personnages secondaires qui sont hauts en couleur, on a…
06:49Oui, parce qu'il faut rappeler qu'il y a cinq comédiens et un musicien mais il y a 30 personnages
06:54sur scène. Donc c'est une industrie pour changer de costume en coulisses, etc. C'est minimétré.
07:00Le théâtre qui se passe en coulisses, et pour les comédiens qui le vivent,
07:04je pense aussi intéressant que le public qui voit ce qui se passe sur scène. Moi,
07:09en tant que comédien, j'ai un compère qui s'appelle Jean-Philippe qui sort,
07:13il a douze secondes pour changer et d'époque et de costume. Il sort, il arrache ses scratchs,
07:19il met un autre manteau sur lui, il se courbe, il met une casquette, il rentre de l'autre côté de la
07:23scène. Et ça, c'est assez génial de voir comment, en un instant, là où une caméra dirait « cut »,
07:29ok, séquence suivante, on change de décor, on change de costume. Là, soudain, une lumière
07:36change et le public est transporté 25, 35 ans auparavant. Ça, c'est assez génial. Donc déjà,
07:41effectivement, on a cinq comédiens qui jouent une trentaine de personnages. On a les cinq rôles
07:46principaux qui vont lider l'enquête et à côté de ces cinq rôles principaux, on en a une trentaine
07:51qui sont un peu des météores qui arrivent avec une énorme couleur, avec des caractères très
07:58flamboyants, un peu à la fado. On peut retrouver un peu ce côté porte-qui-claque avec une comédienne
08:04de la comédie française dans les années 60, un peu diva. On a qui ? On a Robert Hirsch qui fait
08:08une apparition. Qui d'autre ? Ouais, des bourgeois du XXe. On a Corneille Molière qui apparaissent
08:16de manière évanescente. Est-ce qu'ils sont là ? Est-ce qu'ils ne sont pas là ? En tout cas,
08:19on a plein de couleurs qui jalonnent la pièce et qui viennent donner de la saveur à cette enquête.
08:27Oui, puis l'utilisation du musicien aussi, qui rythme merveilleusement la pièce.
08:33Oui, on est tombé sur un génie de la musique. Et comment, pourquoi ce musicien ?
08:38Et bien, pourquoi ? Moi, j'avais déjà vu ça dans certaines pièces. On me l'avait conseillé au début,
08:44il n'était pas forcément prévu quand j'ai écrit la pièce. Et on a commencé les répètes en voyant
08:50avec lui. Et en fait, tout de suite, ça habite encore plus les scènes. Parce qu'au-delà d'avoir
08:59créé des musiques qui épousent le rythme, qui épousent l'ambiance, le musicien connaît la
09:06manière de jouer sans les énergies des comédiens et va venir pouvoir mettre une note
09:12soulignée d'une phrase musicale, un aspect qu'il veut mettre en exergue. Et soudain, pareil que
09:21les rôles un peu flamboyants, ça donne de la couleur, ça donne du peps ou bien ça aide à
09:27avoir plus de couleurs. Et la pièce fait écho au débat actuel sur la vérité,
09:39les véracités historiques. C'était important pour vous de porter ce sujet en pièce parce que ça n'a
09:46jamais été fait ? Oui, de toute manière. Est-ce que c'était important de le mettre dans cette pièce-là ?
09:51Probablement, puisque ce sont des étudiants, des héros qui cherchent la vérité. Ce qui est intéressant,
09:58c'est qu'on est à une époque où la GPT, où les médias, les réseaux sociaux n'existent pas. Et que
10:06déjà, on se rend compte qu'en fait il y a une fausseté noire qui règne dans bon nombre de documents,
10:12dans des documents d'archives. C'est passionnant, déjà rien que dans les recherches, de voir comme le
10:18mensonge est présent depuis longtemps et de voir lors de l'écriture que ce débat n'est pas nouveau,
10:23en vérité. La première biographie de Molière, qui est sortie par Grimarest, quand on la lit, on pourrait
10:31vraiment croire que Molière ne savait pas écrire. Grimarest, un auteur de la fin du XVIIe siècle,
10:35écrit que Molière, on ne l'a jamais vu une plume à la main, qu'il n'avait aucun livre dans sa librairie,
10:41qu'il était complètement incompétent. Et surtout, il avait un métier, il était tapissier du roi,
10:47il était vraiment entrepreneur. Bien sûr, mais ce qui est intéressant, c'est que Grimarest n'a pas
10:52du tout connu Molière, en fait, en vérité. Donc pourquoi cette biographie, alors que cet homme n'a
10:56pas connu Molière, pourquoi aller le décrédibiliser, écrire sur un sujet qu'il ne maîtrise pas,
11:01pour finalement léguer aux générations qui arrivent des vérités qui sont fausses, mais qui
11:07sont les seules qu'on avait à l'époque ? Ce sont les seuls mots, quasiment, qu'on a sur Molière,
11:12à part le registre de Lagrange et deux, trois autres archives. Il n'y a pas grand chose.
11:15Et quelles sont les réactions du public et des gens du théâtre ? Parce que la langue de Molière,
11:21la comédie française, tout le monde est très attaché à Molière et à croire qu'il a tout écrit.
11:27Oui, c'est intéressant, ça soulève encore des passions. Aujourd'hui, on avait vu il n'y a pas
11:30longtemps sur un plateau télé, entre d'ailleurs Franck Ferrand et Francis Hustert.
11:34Ah oui, moi je m'en souviens.
11:36Oui, ça avait un peu chauffé. De voir que ça peut encore déchaîner des passions à ce point-là,
11:40c'est rigolo. Ce n'est pas ce qui se passe à la comédie Bastille, parce qu'on ne penche ni d'un
11:44côté ni de l'autre. Au contraire, on vient apporter une réponse qui est une question supplémentaire,
11:49je dirais. Et la réaction des gens, elle est intrigante. Ils viennent souvent poser des
11:56questions. Certains n'ont jamais entendu parler de cette affaire. Ils demandent si c'est vrai,
12:00quelle est la part de vérité. Ils viennent demander dans cette part de vérité comment on
12:07en a entendu parler, sur quels documents ça repose. Si ceux qu'on évoque dans la pièce,
12:12on peut les consulter. Le registre de Lagrange, par exemple, est-ce que c'est vrai qu'il figure
12:16ça dans tel ordre, etc. Donc les gens sont plutôt accueillants à la réflexion, à la mise en cause
12:25de ça. Et c'est vrai que moi, j'étais une moliériste acharnée. Et en sortant du théâtre,
12:31j'ai eu plein de doutes. Et j'ai des doutes maintenant. Donc c'est réussi parce qu'en
12:36effet, il y a un équilibre. Et chacun, finalement, ressort avec son opinion, ses doutes, surtout.
12:42L'équilibre tient à l'opposition des forces qui ont été amenées pendant ces décennies
12:49d'années de recherche. Aujourd'hui, ce serait un petit peu compliqué d'arriver de manière
12:53péremptoire et de dire non, c'est lui qui a écrit. Vraiment, on ne le sait pas. Et ça m'étonnerait
12:57qu'on puisse le savoir un jour. Il peut y avoir des convictions. Le doute est là.
13:00Le doute est là, oui. Le doute est toujours là. Merci, merci beaucoup, Marc Turneboeuf.
13:05Et on va accueillir maintenant Christophe Ségura, directeur et producteur de la Comédie Bastille.
13:10A tout de suite.