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Vendredi 25 avril 2025, retrouvez Claire Roger-Petit (Avocate, DAEM), Julie Couturier (Présidente, CNB) et Lionel Andreu (Agrégé de droit privé et sciences criminelles, Professeur à l’Université de Poitiers) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.

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Transcription
00:00Musique
00:00Bonjour, bienvenue, c'est Lex Inside, l'émission qui donne du sens à l'actualité juridique du droit,
00:28du droit et rien que du droit.
00:31Au programme de ce numéro, on va parler de l'interdiction de tout port de signes distinctifs
00:36avec la robe d'avocat pendant l'audience, avec Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux.
00:43On parlera ensuite des infractions en droit de la presse avec Claire Roger Petit, avocate chez DEM.
00:49Et enfin, on parlera des petits arrêts de jurisprudence insolite,
00:53un ouvrage publié chez Dalloz sous la direction de Lionel Andreux, professeur à l'université Poitiers,
01:01qui sera sur notre plateau.
01:03Voilà pour les titres Lex Inside, c'est parti !
01:06Musique
01:07On commence tout de suite ce Lex Inside, on va parler de l'interdiction de port de signes distinctifs
01:21avec la robe d'avocat pendant l'audience, avec mon invité Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux.
01:29Julie Couturier, bonjour.
01:30Bonjour Arnaud.
01:31Par une décision du 7 septembre 2023, le Conseil national des barreaux a modifié le règlement intérieur national de la profession d'avocat
01:40afin d'exclure le port de tous signes distinctifs avec la robe d'avocat pendant l'audience.
01:48Pourquoi le CNB a-t-il pris cette décision ?
01:51Alors, le CNB a pris cette décision à l'issue, on va le dire, d'un processus et dans une chronologie qui mérite peut-être d'être rappelée.
01:59D'abord, pour expliquer et rappeler que le Conseil national des barreaux est l'institution qui, en France, représente les avocats,
02:06et notamment à l'égard des pouvoirs publics, et qui dispose depuis 2004 d'un pouvoir normatif
02:10qui est notamment destiné à unifier les déontologies.
02:13Vous savez qu'on a 164 barreaux en France, autant de règlements intérieurs,
02:17et que donc il est apparu à un moment nécessaire d'unifier ces déontologies.
02:21Et c'est ce à quoi s'emploie le Conseil national des barreaux par sa commission Règles et Usages
02:26qui dessine depuis quelques années maintenant notre règlement intérieur national.
02:31Alors, sur ce sujet particulier, c'est vrai qu'on a assisté à quelques incidents à partir des années 2010-2015
02:38qui ont fait que certains ordres se sont emparés du sujet de façon un peu dispersée.
02:44Ça a été notamment le cas du barreau de Paris qui s'en est emparé dès 2015
02:48en introduisant dans son règlement intérieur une disposition interdisant le port de signes avec la robe
02:58manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, politique ou communautaire.
03:02Je ne sais pas si je le dis dans le bon ordre, mais c'est ça à peu près.
03:05D'autres ordres se sont emparés aussi du sujet.
03:08On a Bordeaux, on a Lyon plus récemment en 2023, les Hauts-de-Seine.
03:13Et puis effectivement le barreau de Lille qui avait pris il y a quelques années une résolution un peu du même acabit.
03:19Et ça a donné lieu à un contentieux qui est monté à la cour d'appel de Douai
03:22et qui est monté encore plus haut, si je puis dire, à la cour de cassation.
03:26On a un premier arrêt qui a été rendu le 2 mars 2022, qui est un arrêt assez important
03:31parce que d'abord il valide la possibilité pour un ordre de réglementer cette question.
03:36Mais entre les lignes, cet arrêt de la cour de cassation invitait quand même le CNB
03:41à prendre ses responsabilités et à unifier cette réglementation.
03:47Oui, parce que du coup on avait des ordres qui prenaient un certain nombre de décisions
03:51et il fallait que le CNB du coup s'empare de cette question.
03:57Et donc vous avez pris cette décision et le syndicat des avocats de France
04:01a contesté cette décision par un recours pour excès de pouvoir.
04:07Et le Conseil d'État finalement a validé votre décision.
04:12Que dit-il ? Quelle est la portée de cette décision ?
04:15Alors en réalité l'enseignement est en réalité double.
04:19Le premier renseignement de cet arrêt c'est que le Conseil d'État a voulu marquer
04:25d'abord l'indépendance de la profession d'avocat et le fait que ce qui devait primer
04:30et c'est l'explication aussi de la robe, c'est d'une certaine façon l'effacement
04:35de l'individualité de l'avocat derrière son client.
04:39L'intérêt du client doit rester la préoccupation principale de l'avocat
04:43et à partir du moment où on lui demande de porter un costume si je puis dire uniforme
04:49c'est parce qu'il porte effectivement la voix de son client.
04:55Le deuxième élément et le deuxième point de motivation de cet arrêt du Conseil d'État
05:00c'est en réalité l'égalité des avocats et là encore à travers l'égalité des avocats
05:06l'égalité des justiciables.
05:08Donc il ne faut pas d'apparence des préférences personnelles,
05:12pouvoir aussi le costume c'est un moyen d'identifier l'avocat
05:18et au travers de l'égalité des avocats c'est aussi l'égalité des citoyens,
05:22c'est ça que rappelle le Conseil d'État.
05:24Oui absolument, il se trouve que l'actualité me conduit à essayer de faire un peu de pédagogie
05:30pour expliquer ce qu'est l'État de droit dont beaucoup de gens parlent
05:34mais peu savent ce que c'est et dans les trois grands piliers de l'État de droit
05:39il y a évidemment l'égalité devant la loi.
05:42Et donc d'une certaine façon je pense que le Conseil d'État avait aussi ça
05:46en filigrane de sa réflexion, c'est cette égalité devant la loi
05:52et cette égalité des citoyens et des justiciables devant la loi
05:55qui doit se traduire par l'égalité des avocats qui sont leurs mandataires et leurs représentants.
06:01Alors certains avocats ont dénoncé cette décision
06:05en disant que c'était une atteinte à leur liberté d'expression ou religieuse.
06:09Comment vous répondez à ces critiques ?
06:11Alors là encore je pense qu'on est sur un modèle d'un socle républicain
06:16qui fait qu'en réalité tout ce qui relève notamment du fait religieux
06:23parce qu'effectivement c'est quand même un peu de ça dont il s'agit
06:25doit rester entre guillemets dans la sphère de l'intime.
06:29Et on passe les uns et les autres si je puis dire notre vie
06:32à essayer d'équilibrer la liberté et en même temps la proportionnalité
06:39des éventuelles restrictions à cette liberté.
06:42Et là le Conseil d'État a considéré que le but était indiscutablement proportionnel
06:47et légitime et proportionné, raison pour laquelle effectivement
06:52cette décision a été rendue dans le respect des attributions du CNB
06:56et ça j'y tiens aussi puisqu'en réalité nous avons tout à fait respecté
07:04la sphère d'intervention qui est la nôtre, c'est-à-dire en réalité
07:06de préciser ce que nous dit la loi.
07:08La loi en réalité c'est l'article 3 de la loi de 1971
07:10qui régit la profession d'avocat et qui nous dit que l'avocat revêt
07:14dans ses fonctions judiciaires le costume de sa profession.
07:18Donc par notre décision à caractère normatif de septembre 2023
07:21nous n'avons fait que préciser les termes de la loi
07:26et tout ça à l'issue d'un processus qui a été tout à fait vertueux
07:29sous l'égide de mon prédécesseur Jérôme Gavaudan
07:32auquel je souhaite rendre hommage parce que c'était un sujet sensible
07:36et il a su s'en emparer et trouver une méthode la plus consensuelle possible.
07:42Aujourd'hui il n'y a plus d'incidents sur cette question
07:44de la robe d'avocat et du port de signes distinctifs ?
07:48Alors il y a un certain nombre de sujets qui peuvent se poser
07:50parce que cette décision ne règle pas tout.
07:52Elle ne règle pas par exemple la question de la prestation
07:56de serment des élèves avocats, elle ne règle pas la question
08:00du port des signes distinctifs par exemple en garde à vue.
08:03Là ce que règle cette décision c'est essentiellement
08:07l'exercice de la profession dans le cadre juridictionnel
08:11mais à ce stade pas au-delà.
08:14Donc peut-être que le CNB sera amené à rendre des avis
08:17sur d'autres sphères, nous verrons cela.
08:20Est-ce qu'il faut aller plus loin dans l'ouverture
08:23ou garder justement ces valeurs qui sont celles des avocats
08:27ou est-ce que vous autorisez quelques modifications dans le futur ?
08:34Encore une fois ça va dépendre des questions qui nous sont posées.
08:38Il faut évidemment rester dans le cadre de nos attributions
08:41et répondre aux questions qui nous sont posées.
08:43Je crois qu'il y a un certain nombre de questions assez concrètes
08:45sur lesquelles les avocats sont susceptibles de nous interroger.
08:48Il faudra bien que nous puissions leur donner, si je puis dire,
08:51à tout le moins des guides de bonne pratique.
08:53Pour finir comme vous avez évoqué tout à l'heure l'état de droit,
08:55comment vous jugez aujourd'hui cette question de l'état de droit ?
09:00Vous êtes inquiète par rapport à tout ce qui se passe,
09:02le contexte international, le contexte politique ?
09:05Oui, je suis très inquiète.
09:06Je suis très inquiète.
09:07Après, je reste évidemment combative et heureusement
09:10à la tête de la profession d'avocat
09:12parce que si nous n'expliquons pas ce qu'est l'état de droit
09:14et si nous ne dénonçons pas les atteintes
09:16qui sont portées en ce moment à l'institution judiciaire,
09:19j'ai envie de vous dire qui le fera.
09:21Mais oui, je pense qu'il faut faire beaucoup de pédagogie,
09:24expliquer que les règles procédurales sont des garanties pour chacun.
09:29Le problème, c'est que les citoyens,
09:32et notamment les citoyens lorsqu'ils sont politiques,
09:34ne s'en rendent compte que lorsqu'ils y sont personnellement confrontés.
09:37Mais je pense que c'est effectivement très important
09:39d'expliquer que l'institution judiciaire est une troisième autorité,
09:45si je puis dire, à côté du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif
09:51et qu'on doit la respecter et lui réserver vraiment toute sa place.
09:57Et en tout cas, on peut toujours critiquer une décision de justice
10:00mais certainement pas s'attaquer au juge à titre personnel.
10:03On va conclure là-dessus.
10:05Merci d'être venue sur notre plateau, Julie Couturier.
10:07Je rappelle que vous êtes présidente du Conseil national des barreaux.
10:10Merci beaucoup, Arnaud.
10:11Tout de suite, l'émission continue.
10:12On va parler des infractions en droit de la presse.
10:25On poursuit ce Lex Inside.
10:27On va parler des infractions en droit de la presse
10:29avec Claire Roger Petit, avocate chez DEM.
10:33Claire Roger Petit, bonjour.
10:34Bonjour Arnaud.
10:35Pour commencer, pouvez-vous nous donner
10:37quelques exemples concrets d'infractions en droit de la presse ?
10:40Alors, déjà, merci beaucoup de m'inviter à nouveau.
10:44Effectivement, les infractions de droit de la presse,
10:46elles sont prévues par la loi de 1881.
10:49Le critère d'application, c'est la publicité des propos.
10:52Et une fois que la loi de 1881 s'applique,
10:54elle prédomine sur les autres régimes.
10:57Comme exemple concret, je vais commencer par une infraction
11:00dont on parle beaucoup dans l'actualité
11:02avec la condamnation d'Éric Zemmour
11:04après une longue procédure, après renvoi sur cassation.
11:09C'est le négationnisme, c'est le fait de nier,
11:15de contester, de minimiser des crimes contre l'humanité.
11:18Et depuis 2017, c'est plus seulement la Shoah,
11:23mais tout crime contre l'humanité reconnu comme tel
11:25par une juridiction française ou internationale.
11:27Vous avez également le délit le plus connu,
11:31je pense, de la population, qui est le délit de diffamation.
11:35C'est le fait d'imputer un fait portant atteinte à l'honneur
11:39ou à la considération à une personne ou un groupe.
11:41On en parle beaucoup aujourd'hui avec les accusations
11:43dans les affaires de Meurs, dans les médias,
11:45sur les réseaux sociaux.
11:47Et il faut que ce fait, par contre, soit précis.
11:49Sinon, on tombe plutôt sur de l'injure,
11:52qui est une expression outrageante, vexatoire, une invective,
11:57qui ne comporte pas, pour le coup, l'imputation d'un fait précis.
12:02Par exemple, traiter et qualifier une femme d'hystérique,
12:06selon le contexte, pourrait être considéré comme injurieux,
12:10même avec un caractère discriminatoire,
12:12ce qui aurait des conséquences,
12:14tant sur les peines applicables que sur le régime de prescription.
12:17D'accord. On vient de voir quelques exemples d'infractions en droit de la presse.
12:22Quelles sont les spécificités du droit pénal de la presse ?
12:25Alors, le droit pénal de la presse, c'est un droit qui est très protecteur.
12:30Protecteur de la liberté d'expression.
12:32Ça ressort vraiment des travaux parlementaires de 1881.
12:35C'est toujours le cas aujourd'hui,
12:36avec une influence très forte de la Cour européenne des droits de l'homme.
12:40Et c'est la raison pour laquelle,
12:42quand on sort une infraction du droit de la presse,
12:44ça fait beaucoup parler.
12:45Ça avait été le cas après les attentats de 2015
12:48sur les provocations et les apologies du terrorisme.
12:51C'est un débat qui a été relancé avec la proposition LFI récemment.
12:55Et donc, ce régime, il est très protecteur
12:57parce qu'il déroge au principe commun classique
13:00de procédure civile ou pénale.
13:02On a tout d'abord un régime de responsabilité en cascade.
13:06On va considérer que l'auteur principal du délit,
13:09c'est le directeur de la publication,
13:11ce qui permet de protéger les auteurs, les journalistes.
13:13On a aussi des règles particulières d'introduction de l'action
13:17et un formalisme et une rigueur très, très strictes, très exigeants,
13:23avec notamment des nullités qui peuvent être prononcées
13:27en cas d'imprécision des propos dans les plaintes ou les citations directes.
13:31Par exemple, moi, j'ai eu un dossier où des propos étaient poursuivis
13:35qui avaient été tenus dans le cadre d'une émission audiovisuelle à la télévision.
13:40Et l'huissier qui avait retranscrit les propos s'était trompé
13:43dans sa retranscription, dans son procédé verbal.
13:46Donc, les propos étaient imprécis.
13:47On a obtenu la nullité.
13:48Et ça a une très lourde conséquence
13:51puisqu'en raison des délits de prescription très courts,
13:53trimestriels ou annuels en cas de caractère discriminatoire,
13:57l'action ne peut pas être à nouveau intentée
14:00puisque l'infraction est prescrite.
14:02Donc, il y a un rôle très actif de l'avocat
14:04avec une technicité très lourde en la matière.
14:09Alors, on va évoquer aussi un autre aspect,
14:11c'est l'adaptation de la loi sur la presse.
14:15Cette loi, elle était conçue en 1881,
14:18à une époque où il n'y avait pas Internet, pas les réseaux sociaux.
14:21Alors, comment la loi a-t-elle été adaptée
14:24pour prendre en compte ces nouvelles technologies
14:28que sont Internet et les réseaux sociaux ?
14:31Alors, effectivement, la loi de 80,
14:33c'est une des lois les plus anciennes
14:35qu'on a encore en vigueur aujourd'hui.
14:37Ça fait presque un siècle et demi qu'elle est en vigueur
14:40et qu'elle s'applique,
14:41alors qu'il y a eu des révolutions techniques de l'information
14:43avec une multiplication des supports de publication, de diffusion.
14:47Et même avant Internet, au XXe siècle,
14:49on avait eu la radio et la télévision
14:51qui étaient également des révolutions.
14:52Donc, ça montre quand même la qualité de cette loi,
14:56j'insiste sur ça.
14:58L'idée, c'est que la loi de 1880 s'applique,
15:01les principes s'appliquent.
15:03Et on a eu, par contre, des interventions du législateur
15:06ou de la jurisprudence en cas de vide juridique
15:09pour venir adapter, réagencer ces principes
15:13aux nouveaux supports de diffusion, de publication.
15:16Donc, on a, par exemple, des lois de 1982
15:19et de 1986 en matière audiovisuelle.
15:22On a, pour le numérique, les lois de 2004, 2009,
15:262016, 2018, 2020.
15:28Donc, on a eu beaucoup.
15:30Mais les principes s'appliquent.
15:31Mais, par exemple, pour une adaptation,
15:34sur cette responsabilité en cascade,
15:37vu qu'il n'y avait pas en soi de directeur de publication
15:39dans l'audiovisuel,
15:40on a considéré, c'est la loi de 1982
15:43qui considère que l'éditeur du service audiovisuel
15:47est responsable à titre principal
15:49comme un directeur de la publication
15:51avec une distinction propre quand même à l'audiovisuel
15:55qui est une différence selon le fait de savoir
15:58si l'émission, elle est diffusée en direct ou non.
16:00Puisque si elle n'est pas diffusée en direct,
16:03l'éditeur, il n'a pas un contrôle
16:05sur les propos qui sont tenus.
16:06Et cette responsabilité en cascade s'applique également au numérique
16:10du fait de la loi de 2004
16:11avec toutefois une distinction entre éditeur et hébergeur, nécessairement.
16:16Alors, sur les réseaux sociaux,
16:18le fléau, c'est les fake news ou les fausses informations.
16:23Alors, comment lutter contre ces fausses nouvelles,
16:26ces fake news ?
16:27Est-ce qu'il faut faire évoluer le droit
16:30pour mieux prendre en compte et sanctionner ces fake news ?
16:34Alors, c'est un débat qui est d'actualité,
16:37qui fait beaucoup parler.
16:40Il y en a certains qui pensent que le droit de la presse actuel est suffisant,
16:44que dès lors que les principes s'appliquent
16:45et qu'ils ont été adaptés correctement,
16:47le droit est complet.
16:49On a quand même effectivement des réformes récentes
16:51qui sont venues renforcer la responsabilité des hébergeurs
16:54et des plateformes.
16:55La loi de 2018 qui crée des obligations de signalement
16:58chez les hébergeurs.
16:59La loi de 2020, qui, même si elle a été retoquée par le Conseil constitutionnel,
17:04renforce encore la responsabilité.
17:07Je pense, vu le climat actuel,
17:09qu'il faut surtout une législation européenne forte et harmonisée.
17:13Et ça a été le cas avec le règlement DSA récemment,
17:19qui vient encore renforcer le rôle des acteurs
17:21et des plateformes et des grosses sociétés du numérique,
17:26qui imposent des obligations de coopération
17:29avec les autorités nationales,
17:31et la création dans les États membres de coordinateurs.
17:34C'est ce qu'on va avoir en France, l'ARCOM,
17:36qui a un rôle aujourd'hui central de régulation,
17:40mais aussi de sanction.
17:42Sur le fait de faire évoluer le droit de la presse,
17:46moi, je ne suis pas forcément favorable au fait
17:48de toucher à la loi de 1880.
17:50Pourquoi ?
17:51Parce qu'on a vraiment, je pense, un droit très qualitatif
17:54et très complet en France,
17:55comparé aux autres pays.
17:57C'est un fait, et ce n'est pas pour rien que cette loi
17:59est aussi ancienne.
18:01Mais par contre, je pense qu'il faut se poser
18:03la question des enjeux actuels,
18:06notamment le fait que le préjudice réputationnel,
18:10il est immédiat.
18:11Et c'est difficile pour les clients de comprendre
18:12la lenteur de certaines procédures
18:15et la difficulté de certaines procédures.
18:17Donc, je pense qu'il faut notamment réinstaurer
18:19des procédures efficaces en matière d'identification,
18:22parce que l'anonymat sur Internet permet aussi les abus.
18:26Est-ce qu'il faut lever l'anonymat ?
18:27Alors, je ne suis pas favorable à lever l'anonymat
18:29de manière, enfin, de principe
18:32et de manière large et systématisée.
18:36En revanche, je pense qu'il faudrait réinstaurer
18:38ce qu'on a appelé la requête en identification,
18:41qui était vraiment une procédure qui facilitait
18:43l'identification sur Internet et qu'on n'a plus aujourd'hui.
18:46Pourquoi ?
18:46Parce qu'il y a eu une réforme
18:48qui a supprimé cette action
18:51et qui a créé ce qu'on appelle
18:53les procédures accélérées au fond,
18:55mais qui sont des procédures qui sont plus longues,
18:57plus coûteuses pour le justifiable.
18:59Donc, je n'y suis pas du tout favorable.
19:02Et c'est un vrai fléau, cet anonymat.
19:05Je pense qu'il faut aussi, de toute façon,
19:07responsabiliser les acteurs, les médias,
19:09créer des systèmes éventuellement
19:11de certification, de vérification,
19:13et responsabiliser la population, les jeunes,
19:16avec une sensibilisation, une vulgarisation des accès,
19:20par exemple, aux outils de fact-checking
19:23du type Le Monde Décodeur,
19:25et même sur YouTube, Hugo Décrypte, par exemple.
19:27On va conclure là-dessus.
19:28Merci Claire-Roger-Petit.
19:30Je rappelle que vous êtes avocate
19:31au sein du cabinet d'EM.
19:32Merci beaucoup.
19:33Tout de suite, l'émission continue.
19:35On va parler du livre
19:36« Les petits arrêts de jurisprudence insolite ».
19:39Alors, on va rentrer tout de suite
19:51dans le vif du sujet.
19:52Qu'est-ce qui a motivé l'écriture
19:54de cet ouvrage sur les petits arrêts
19:56de la jurisprudence insolite ?
19:58Oui, alors pour moi, c'était d'abord
19:59un défi à relever.
20:00Il fallait identifier ces décisions,
20:02les repérer, mettre la main dessus,
20:05aller de grève en grève,
20:06d'archive en archive.
20:07Alors, ce n'est pas une occupation habituelle
20:09pour un professeur de droit privé,
20:10mais j'avais envie de m'essayer
20:11à cet exercice un peu particulier,
20:13de faire ce pas de côté en quelque sorte.
20:16Et puis, il y avait également
20:17ce plaisir qui s'annonçait.
20:19Je savais que j'allais me régaler
20:20à lire chacune des décisions
20:22que j'allais retrouver,
20:23que j'allais identifier.
20:24Et ça, c'était une motivation importante.
20:27Alors, je dois quand même reconnaître
20:27que je n'avais pas forcément
20:30bien mesuré la difficulté de la tâche.
20:32Également, je ne pensais pas
20:34que certaines décisions,
20:35je finirais par ne pas les trouver.
20:36Donc, il y a eu quand même
20:37parfois un petit peu de frustration,
20:39beaucoup d'efforts,
20:40mais le jeu en valait la chandelle.
20:42Et je suis très content
20:42aujourd'hui du résultat.
20:44Alors, quel est l'objectif
20:45de cet ouvrage ?
20:47Oui, alors, cet ouvrage
20:48poursuit deux objectifs.
20:49Il y a d'abord un objectif
20:50qu'on va dire récréatif.
20:52Il s'agit d'égayer le lecteur,
20:54de lui permettre à lui aussi
20:55de lire ses décisions insolites,
20:57de s'amuser,
20:58de lire également les commentaires
20:59qui assortissent
21:00chacune de ses décisions.
21:01Il y a 40 décisions,
21:0240 auteurs.
21:03D'ailleurs, j'en profite
21:04pour les remercier ici.
21:06Et puis, il y a un deuxième objectif
21:07qui est un objectif scientifique.
21:09Il s'agit de permettre
21:10à tout lecteur
21:11d'avoir accès à ces décisions.
21:13Certaines étaient inconnues,
21:14d'autres étaient connues,
21:15mais on ne savait pas forcément
21:16où les retrouver.
21:17Eh bien, désormais,
21:18elles sont là.
21:18L'objectif de les recenser,
21:21de les identifier,
21:21de les commenter.
21:22Voilà, les recenser, les identifier
21:23et les donner à disposition.
21:25Alors, on va essayer
21:25d'avoir un petit focus
21:27sur un arrêt.
21:28Est-ce qu'il y en a un
21:29qui a votre préférence
21:30dans les 40 décisions ?
21:32Oui, alors, c'est une question difficile
21:33parce que je les aime
21:34toutes, ces décisions.
21:36Et si je dois choisir une,
21:38celle que je préfère,
21:39c'est une des plus connues
21:40des juristes.
21:41C'est une décision rendue
21:43par la Cour d'appel de Rion
21:44en 1995
21:45qui concerne une poule,
21:46une personne qui se plaignait
21:47du bruit des poules
21:48de l'un de ses voisins.
21:50Et le président de la Cour d'appel
21:52de Rion,
21:53qui est le président Al Jugueta,
21:54qui a beaucoup alimenté ce livre,
21:56il rend une décision
21:57assez drôle
21:58et finement rédigée
21:59qui commence comme cela.
22:01Attendu que la poule
22:02est un animal anodin
22:03et stupide
22:04au point que nul
22:05n'est encore parvenu
22:06à le dresser,
22:06pas même un cirque chinois,
22:08que son voisinage
22:09comporte beaucoup de silence,
22:10quelques tendres gloussements
22:12et des caquettements
22:13qui vont du joyeux,
22:14c'est la ponte d'un oeuf,
22:15aux sereins dégustations
22:16d'un verre de terre,
22:17en passant par l'affolée,
22:18la vue du renard.
22:20Et alors,
22:20il termine en disant
22:21qu'il ne jugera pas
22:22que le bateau
22:22importune le marin,
22:24la farine le boulanger,
22:25le violon le chef d'orchestre
22:26et la poule
22:28un habitant
22:28d'un si petit village.
22:30Donc voilà,
22:30c'est une décision
22:30qui est assez connue,
22:31qui est assez drôle.
22:32Alors,
22:33je triche un peu
22:33si je devais en ajouter
22:34une deuxième,
22:34peut-être moins connue.
22:36C'est une décision
22:37rouennaise
22:38des années 70
22:39qui concerne
22:40une demande de restitution
22:41d'un teckel
22:41formée dans le cadre
22:43d'une instance en divorce.
22:44Et le juge rejette
22:45la demande de restitution
22:47du teckel
22:47en disant
22:47qu'en fait,
22:48le teckel,
22:49il est parfaitement capable
22:50de décider
22:50où il veut vivre.
22:52qu'on comprenne
22:53qui pourra,
22:54mais voilà,
22:54elle est aussi amusante.
22:55C'est pas mal,
22:56effectivement.
22:58Ces décisions insolites,
22:59on l'a vu,
23:00elles sont drôles,
23:01mais parfois,
23:02elles peuvent poser
23:03des problèmes,
23:04des questions
23:04structurantes du droit.
23:06Expliquez-nous.
23:07Oui,
23:07alors,
23:08prenons l'exemple
23:08d'une décision lyonnaise
23:10des années 90
23:11dans laquelle un débiteur
23:12avait envoyé
23:13à l'un de ses créanciers
23:14un chèque
23:14établi sur du papier toilette.
23:16Alors,
23:16le juge dit,
23:17bon,
23:18pourquoi pas,
23:19mais ça va dépendre
23:19de la qualité
23:20du papier toilette utilisé,
23:21celui-ci n'était pas
23:22suffisamment robuste,
23:23bon,
23:23il rend sa décision.
23:24Mais en fait,
23:25derrière cette décision,
23:26on voit ce problème
23:27tout à fait classique
23:28du droit
23:29qui est celui
23:30des rapports
23:31qu'entretiennent
23:31la lettre de la loi
23:33et son esprit.
23:34Parce que
23:35la lettre de la loi,
23:36les textes,
23:37aujourd'hui,
23:37le code monétaire
23:38et financier,
23:39nous disent que le chèque,
23:40c'est un écrit
23:41qui comporte des mentions.
23:43Il ne dit pas
23:44que le chèque
23:44ne peut pas être établi
23:45sur du papier toilette
23:47et il ne distingue pas
23:48selon les supports utilisés.
23:50Alors que
23:51l'esprit de la loi
23:52n'est certainement pas
23:53de permettre
23:53à un débiteur
23:54d'envoyer des chèques
23:56sur du papier toilette
23:56à ses créanciers.
23:58On comprend très bien
23:58le message qu'il y a derrière.
24:00Voilà,
24:00l'esprit de la loi
24:01n'est pas là.
24:01Et donc,
24:02le juge essaie de concilier
24:03un peu ces deux approches.
24:04Ça le conduit
24:05à rejeter en l'espèce
24:07ce chèque
24:07mais sans renier
24:08totalement la lettre de la loi
24:09parce qu'il dit
24:10en fait,
24:10ça va dépendre
24:11de la qualité
24:11du support utilisé.
24:13Donc parfois,
24:14il peut y avoir
24:15des lacunes
24:15dans notre droit
24:17et c'est ce qu'utilisent
24:18certains avec humour.
24:20Oui, avec humour.
24:22Le plaideur
24:22avait une prétention
24:23assez drôle
24:24et le juge
24:25rend une décision
24:25elle-même
24:26qui est assez drôle.
24:26Alors,
24:27on va parler
24:28justement des juges.
24:30Pourquoi selon vous
24:31certains magistrats
24:32se laissent aller
24:33à ces commentaires drôles,
24:35à ces rédactions
24:36inhabituelles
24:38dans le monde du droit ?
24:39Alors,
24:40je ne suis pas dans leur esprit
24:41mais je vois assez bien
24:41un certain nombre de raisons
24:42qui peuvent les conduire
24:43à rendre de telles décisions.
24:45On imagine peut-être
24:46parfois simplement
24:47un égarement du juge,
24:49un moment de fatigue.
24:50Le plus souvent,
24:51on pense quand même
24:51qu'il y a sans doute
24:53une volonté
24:54de s'amuser,
24:55de faire quelque chose
24:57de drôle
24:57en fin de carrière,
24:59peut-être un juge
24:59qui a envie
25:00de voir quelque chose
25:01de nouveau.
25:01et puis également,
25:04il y a sans doute
25:05une recherche
25:06parfois de reconnaissance,
25:08de vedettariat,
25:09peut-être un désir
25:10d'immortalité.
25:11Après tout,
25:11cette poule,
25:12depuis les années 90,
25:14on en parle.
25:1630 ans plus tard,
25:16il y a même
25:17un professeur de droit privé
25:18qui en fait un livre.
25:19Bon,
25:19tout ça a sans doute
25:20joué dans l'esprit
25:21de ces juges.
25:22On peut
25:22cependant
25:24relever
25:25qu'en lisant
25:27ces décisions,
25:28on a parfois
25:28quand même
25:28une certaine gêne
25:29qui apparaît.
25:31Alors,
25:31je passe déjà
25:32sur le fait
25:32qu'il y a certaines décisions
25:33qui ne sont même pas drôles,
25:35qui sont insultantes
25:36pour les partis au litige,
25:38pour des tiers.
25:39Je pense à une décision
25:40dans laquelle un juge
25:41explique que le demandeur
25:43a un coefficient intellectuel
25:44égal à la surface
25:45de sa caravane.
25:46ça va un peu loin.
25:48Une autre
25:49qui commence
25:49en disant
25:50que
25:50attendu
25:51que les corps féminins
25:52ont tendance
25:52à grossir
25:53de façon lente
25:53mais inopinée,
25:54ce qui est totalement misogyne.
25:55Mais même en mettant de côté
25:56ces décisions
25:57qui sont insultantes,
25:58il reste
25:59dans tous ces arrêts insolites
26:00des partis au litige
26:01qui n'ont pas demandé
26:03à être au cœur
26:04d'un arrêt insolite,
26:05à subir un coup de canif
26:07dans le sérieux
26:07de la justice.
26:09Et donc,
26:09j'ai consacré
26:11un livre sur le sujet,
26:12mais il ne faut pas y voir
26:13un encouragement,
26:14une invitation
26:14faite au magistrat
26:15à continuer
26:17dans cet exercice
26:17un peu particulier.
26:18Alors,
26:19pas d'invitation au magistrat
26:20mais est-ce qu'il y aura
26:21une nouvelle édition
26:22de cet ouvrage
26:23avec de nouvelles décisions
26:25si évidemment,
26:26si d'aventure
26:26il y a d'autres décisions ?
26:28Oui,
26:28alors effectivement,
26:28je reçois
26:29beaucoup de décisions supplémentaires
26:31et il y aura
26:32une deuxième édition
26:33avec des additions
26:35mais également,
26:36j'envisage de faire
26:37un volume 2
26:37qui porterait
26:38sur les décisions étrangères
26:40insolites.
26:41Pour l'instant,
26:41ce n'était que des décisions françaises
26:42à part une décision belge
26:44enfin un ouvrage.
26:44Donc une vue plus internationale.
26:45Une vue plus internationale
26:46avec la difficulté
26:47qui est qu'il va falloir
26:48aller les récupérer
26:49sur place.
26:50Et peut-être aussi
26:51des enjeux de traduction,
26:52j'imagine.
26:52Oui,
26:52des enjeux de traduction,
26:53des enjeux de commentaires
26:54qui pour commenter
26:55telle décision
26:56dans telle langue étrangère
26:57tout ça va se poser
26:58mais je commence,
26:59je prends le temps,
27:00j'ai mis 10 ans
27:01à faire ce volume,
27:03je prendrai peut-être 10 ans
27:04pour faire le deuxième.
27:05Pour terminer,
27:06est-ce que c'était justement
27:07difficile de sélectionner
27:09toutes ces décisions,
27:11ces 40 décisions ?
27:12Est-ce qu'il y en a davantage
27:13d'ailleurs que ces 40
27:14ou il n'y en a vraiment
27:16que cette quarantaine ?
27:18Non,
27:18il y en a beaucoup plus
27:19mais disons que
27:21j'ai fait un choix
27:22à un moment donné
27:23qui était de dire
27:24je ne vais pas prendre
27:24tout ce qui me fait rire,
27:26toutes les décisions
27:27dans lesquelles
27:27les faits sont drôles.
27:28Je vais essayer
27:29de retirer un critère,
27:29c'est qu'il faut
27:30que dans la décision,
27:31le juge lui-même
27:33ait pris une tournure insolite,
27:34une motivation insolite
27:35ou amusante,
27:37drôle,
27:38engagée parfois,
27:40insultante,
27:40rarement,
27:41même si c'est un peu déplaisant,
27:43mais il y avait ce critère
27:43qui m'a permis
27:44de serrer mes décisions
27:45et d'en avoir un peu moins
27:46mais j'en ai plein
27:47sous le cou
27:47dont je ne sais pas encore
27:49quoi faire,
27:50peut-être dans un second volume,
27:52enfin dans une deuxième édition
27:54elles apparaîtront,
27:55je ne sais pas.
27:55Bon,
27:56on attend la prochaine édition
27:57avec une certaine impatience,
27:59merci Lionel Andreux
28:01de nous avoir présenté
28:02cet ouvrage,
28:03je rappelle que vous êtes
28:04professeur
28:05à l'université de Poitiers.
28:06Encore merci
28:06pour votre invitation.
28:07C'est le moment
28:08de terminer cette émission,
28:10merci pour votre fidélité,
28:12restez curieux
28:13et informés,
28:14à très bientôt
28:15sur Be Smart for Change.
28:16Sous-titrage Société Radio-Canada

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