GRAND REMPLACEMENT OU GROS N'IMPORTE QUOI ? LES VÉRITÉS D'UN DÉMOGRAPHE

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Quiconque est branché à l’actualité, qu’elle soit relayée via le poste de télévision ou les frénétiques réseaux sociaux, le sait. La théorie du grand remplacement à colonisé tous les espaces. Citée directement ou pas, l’idée s’est infusée dans notre société jusqu’à être prise au sérieux par une certaine gauche et surtout, quotidiennement abordée par les nombreuses voix médiatiques liées à la droite et l’extrême-droite. Sur Twitter, par exemple, pas un jour ne passe sans que le militant d’extrême-droite Damien Rieu ne poste une photo ou relaie un fait divers censé illustrer ce grand remplacement. Celui d’une population française fantasmée comme homogène, blanche et chrétienne, par une population musulmane venue principalement du continent africain.

Théorisé en France par Renaud Camus en 2010, l’idée d’une submersion numérique d’un peuple par un autre est, elle, bien plus ancienne. Mon invité de ce soir, démographe et historien, est allé chercher dans notre passé proche et lointain pour comprendre et expliquer la source de cette peur irrationnelle. Car pour lui, il l’affirme, chiffres et arguments à l’appui : il n’y a pas de grand remplacement.

Pour Le Media, Cemil Sanli a préparé et mené un entretien sur ce sujet explosif, avec comme invité Hervé Le Bras, démographe et historien. Auteur de "Il n'y a pas de grand remplacement" chez Grasset.

Cet entretien est extrait de l'émission TOUJOURS DEBOUT animée en directe le mercredi 15 janvier 2023.

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Transcript
00:00 Là à nouveau c'est un cas particulier, je ne dis pas du tout qu'en Seine-Saint-Denis,
00:04 bon je le sais, il y a 30% d'immigrés, mais c'est pas pour autant qu'il y a une majorité d'immigrés.
00:11 Et puis c'est la Seine-Saint-Denis seulement, si vous allez dans le Pas-de-Calais ou dans l'Aisne,
00:17 les deux départements qui ont le plus voté pour Marine Le Pen au premier tour,
00:22 c'est deux des cinq départements où on compte le moins d'immigrés.
00:27 C'est quand même assez intéressant de voir cela.
00:30 Donc là-dedans, le mécanisme qui fait qu'il y a des votes d'extrême droite
00:35 n'est pas lié à la présence locale des immigrés, c'est lié à la présence des immigrés dans le cerveau.
00:41 Et parce qu'on a mis cette présence dans le cerveau de ceux qui votent pour Marine Le Pen.
00:46 Quiconque est branché à l'actualité au quotidien, qu'il soit relayé via le poste de télévision ou les frénétiques réseaux sociaux,
00:53 le sait, la théorie du grand remplacement a colonisé tous les espaces.
00:57 Cité directement ou pas, l'idée s'est infusée dans notre société jusqu'à être prise au sérieux par une certaine gauche
01:03 et surtout quotidiennement abordée par les nombreuses voix médiatiques liées à la droite.
01:08 On se souvient du discours de Valérie Pécresse aux énigmes de Paris et à l'extrême droite,
01:12 représentée par deux candidats aux dernières élections présidentielles,
01:15 Éric Zemmour d'un côté, Marine Le Pen de l'autre.
01:17 Sur Twitter, par exemple, pas un jour ne passe sans que le militant d'extrême droite Damien Rieu,
01:22 ne poste une photo ou ne relaie un fait divers censé illustrer ce grand remplacement en France,
01:27 celui d'une population française fantasmée comme homogène, blanche et chrétienne,
01:31 par une population musulmane venue principalement du continent africain.
01:35 Alors, théorisée en France par Renaud Camus en 2010, l'idée d'une submersion numérique d'un peuple par un autre est, elle, bien plus ancienne.
01:44 Mon invité de ce soir, démographe et historien, est allé chercher dans notre passé proche et plus lointain
01:49 pour comprendre et expliquer la source de cette peur irrationnelle, car pour lui, il l'affirme, chiffre et argument à l'appui,
01:56 il n'y a pas de grand remplacement.
01:58 Bonsoir, Rive Le Bras.
02:06 Bonsoir.
02:07 Merci, d'abord bienvenue, puis merci d'avoir accepté l'invitation ce soir, ça fait plaisir de vous voir.
02:11 Alors, il n'y a pas de grand remplacement, c'est le titre de votre essai qu'on voit à l'écran, parue aussi sous "Gracet".
02:17 Une affirmation, une affirmation, c'est pas une question, c'est une affirmation, qui vient se heurter au sondage réalisé par l'institut Harris Interactive d'octobre 2021,
02:26 vous le citez dans votre ouvrage, qui posait alors la question suivante, je vais la lire, je cite "Certaines personnes parlent du grand remplacement,
02:33 les populations européennes blanches et chrétiennes étant menacées d'extinction suite à l'immigration musulmane provenant du Maghreb et de l'Afrique noire.
02:40 La question est celle-ci, pensez-vous qu'un tel phénomène va se produire en France ?
02:44 Réponse, 61% des personnes interrogées ont répondu oui à ce moment-là.
02:48 Avant d'aller au fond du sujet ce soir ensemble, tous les deux, qu'est-ce que cette réponse à ce moment-là raconte de la France à cet instant-là ?
02:57 – À la manière dont est posée cette question… – Elle est un peu dirigée.
03:01 – J'aurais peut-être répondu oui, puisqu'on présente ce qui est totalement hypothétique et même faux comme une hypothèse vraisemblable.
03:09 À ce moment-là, oui, si ce qu'on présente, vous l'avez lu… – C'est le lui comme c'est le moi.
03:14 – Exact, à ce moment-là, on dit oui, c'est ce qu'ont fait un grand nombre de personnes qui ont pris ce qui était dit dans cette question comme argent comptant.
03:21 Donc on a affaire dans cette question à une manipulation.
03:25 Et je trouve que c'est grave parce que c'est pas l'extrême droite ni la droite qui a posé cette question.
03:32 C'est une enquête commandée par le périodique, je crois qu'il paraît toutes les semaines, d'ailleurs hebdomadaire, « Challenge ».
03:40 – « Challenge », effectivement, oui. – Qui est, disons, c'est le… – Libéral.
03:44 – C'est libéral centre-gauche, vous voyez, c'est le même groupe que le Nouvel Observateur.
03:49 Donc ça montre jusqu'où va, au fond, cette tentative d'imposer ce thème du grand remplacement.
03:56 C'est pas simplement l'extrême droite, c'est pas simplement la droite pécresse que vous avez citée.
04:01 Mais ça va jusque au centre et ça explique que 61% des personnes interrogées se soient laissées prendre à ce piège.
04:09 – Alors le thème que j'utilisais en début d'infusion dans la société, c'est quelque chose que vous observez dans votre travail, j'imagine.
04:15 Ça s'est infusé, finalement. Jusque là. – Oui, disons, mon travail est moins de… c'est pas un travail de sondeur.
04:23 – Évidemment. – Donc, j'ai plutôt un travail à travers des déclarations
04:28 ou à travers, quelquefois, justement, le sondage que vous citez.
04:31 Mais mon travail est plutôt de vérifier, est-ce qu'il y a un fond de vérité, est-ce qu'il y a un fond de réalité dans ce genre d'affirmations ?
04:40 – Bien sûr, et on va le voir ce soir. Je rappelle que vous êtes effectivement démographe, historien,
04:44 mais aussi directeur d'études à l'École des États et Hautes, études en sciences politiques.
04:47 – Non, en sciences sociales. – En sciences sociales, pardon, c'est vrai.
04:51 Et à l'Institut National d'Études Démographiques, là, pour le coup, on est dedans.
04:55 Alors, et auteur aussi d'une cinquantaine d'ouvrages dans lesquels vous abordez, il y a un sujet,
04:59 mais évidemment en lien avec la démographie, mais aussi la France, la politique, comme dans ce bouquin-là.
05:04 Alors, j'aimerais savoir, qu'est-ce qui vous a donné envie et poussé à écrire ce livre
05:08 "Il n'y a pas de grand remplacement", un élément déclencheur ?
05:11 – Alors, oui, comment est-ce que… je peux dire en quelques mots, c'est…
05:17 la décision est venue, mais elle n'est pas devenue de moi, c'est-à-dire qu'au mois de novembre de l'année dernière,
05:24 la cote de Zemmour, le candidat Zemmour, était en train de monter très rapidement
05:30 et c'était même à un moment, fin octobre, où elle était égale à la cote de Marine Le Pen.
05:36 Et donc, un directeur de Grasset, qui est Olivier Nora, a décidé de faire un contre-feu.
05:45 Donc, il m'a demandé, puis il a demandé à Laurent Joly, qui est un historien,
05:50 concernant la question de Pétain et les Juifs, il nous a demandé de faire un contre-feu,
05:55 d'essayer d'examiner, à tête reposée, qu'elles étaient, d'un côté, l'affirmation que Pétain avait aidé les Juifs
06:03 et de l'autre côté, l'affirmation qu'il y aurait un grand remplacement.
06:07 Et donc, à ce moment-là, j'avais déjà travaillé sur ces questions,
06:10 j'avais déjà publié un chapitre d'ouvrage qui examinait, mais qui était un peu technique,
06:16 qui examinait l'impossibilité de ce grand remplacement, d'un point de vue démographique,
06:20 étant donné tout ce qu'on connaît, non seulement de l'immigration, mais des descendants d'immigrés.
06:25 Mais là, avec ce matériel-là, ça m'a permis de pousser plus loin et de faire ce livre assez rapidement, d'ailleurs.
06:31 Oui, c'était ça, effectivement. Alors, on va en parler plus intensément dans les prochaines minutes.
06:37 Alors, les premiers chapitres de votre livre, et puis d'ailleurs, dès son titre,
06:41 qui ne laisse pas de doute sur l'objectif du livre, on a l'impression que l'objectif principal est d'atomiser,
06:48 le terme qui m'est venu à l'esprit à ce moment-là, l'idée reçue du grand remplacement
06:52 avec des arguments purement chiffrés, d'abord, pas uniquement, mais en commencement du bouquin.
06:57 Alors, pourquoi les chiffres sont-ils pour vous si importants ? Je me fais un peu l'avocat du diable, évidemment.
07:03 Quand on sait que ces mêmes chiffres, on le voit sur le terrain du chômage, mais aussi un peu partout,
07:09 sont si malléables, finalement, pourquoi les chiffres sont si importants malgré tout ?
07:12 Alors, d'abord, je vais vous contredire un tout petit peu. C'est au contraire à la fin de l'ouvrage.
07:19 C'est-à-dire, l'ouvrage est en trois parties. C'est un assez petit ouvrage. J'espère qu'il est lisible.
07:23 Justement, pour le rendre lisible, les chiffres n'arrivent que dans la troisième partie. Dans la première partie...
07:30 Il y a un récit, on va y venir avec Joris Spahn. Dans la première partie, oui, il y a des...
07:35 Non pas des chiffres. Il y a la manière dont on fabrique les chiffres dans la première partie.
07:39 Mais disons que la première partie, c'est pourquoi... Comment ce terme est-il apparu ?
07:45 La manière dont je procède est celle... Je me suis inspiré d'un philosophe et...
07:50 Un grand philosophe et linguiste, Jean-Pierre Fay, qui a écrit un livre remarquable qui s'appelle
07:55 « Le langage totalitaire », où il a regardé comment le thème national socialisme était apparu
08:01 et était devenu un slogan. Parce que pour moi, essentiellement, le grand remplacement, c'est un slogan.
08:06 Et donc, Jean-Pierre Fay a regardé dans la République de Weimar comment tout ça s'était noué,
08:12 avec de longues discussions, avec des approximations. Et puis, c'est arrivé. Et le terme s'est imposé.
08:19 De la même manière, j'ai cherché historiquement qu'est-ce qui avait précédé. Comment est-on arrivé
08:24 à souder le terme « grand », le terme « remplacement », et ceci à propos des migrations.
08:30 Bon, je vais pas entrer dans le détail. Mais j'ai trouvé des pistes qui remontent aux années 60,
08:35 et notamment à l'ouvrage d'un romancier qui s'appelle... Le titre de l'ouvrage, c'est « Le Candescent »,
08:45 et qui décrit une arrivée massive de 1 million d'Indiens faméliques sur les côtes varoises, à côté de Saint-Tropez.
08:56 – Effectivement. Alors quand je vous disais les chiffres, vous ouvrez sur un chiffre, celui avec lequel
09:00 j'ouvre aussi cette émission, enfin du moins cette seconde partie. Les 61% des Français ont part,
09:06 finalement, de chiffres, puisqu'on peut pas finalement être dans la tête de tout le monde,
09:10 être présent partout dans toutes les classes de la société pour comprendre réellement.
09:13 Donc on est obligé de prendre des chiffres. Mais effectivement, très rapidement,
09:16 on arrive sur l'exemple de ce roman. Et il m'a beaucoup impacté. Alors je le connaissais pas.
09:21 Et je vais en lire un petit passage, parce que c'est quand même assez impressionnant.
09:24 Puisque vous l'ouvrez presque, votre récit à vous, avec celui-ci. Alors un peu pour le démonter juste après.
09:31 Alors je vais vous lire un petit extrait. Le récit du « Candescent » de Raspail, vous dites lui, est excessif.
09:36 Et on n'est pas à l'intérieur qu'il y a sur la côte d'Azur, 100 bateaux d'un coup qui débarquent,
09:44 rouillés avec une odeur de latrine, chargés chacun d'une dizaine de milliers d'individus,
09:49 entassés par couches humaines dans les cales et sur les ponts. Ils ont quitté six semaines plus tôt Calcutta,
09:55 donc en Inde, sur les bords du Gange. La description de la foule n'est pas tendre.
09:58 Elle grouille, colonie de fourmis, voire de microbes, épouvantables armées, millions de sauvages et gesticulants.
10:04 Pourquoi avoir fait ce choix-là de prendre ce récit et de citer dans votre livre ces exemples-là
10:10 qui viennent déshumaniser finalement les humains en migration ?
10:13 D'abord, ça montre les excès incroyables auxquels arrive un écrivain qui est encensé,
10:20 et qu'on va retrouver d'ailleurs par la suite, qui est encensé par les politiques d'extrême-droite
10:26 et même parfois de droite. Ça, c'est la première chose. Mais si j'ai mis cela, c'est parce que c'est fait un parallèle.
10:32 C'est-à-dire d'un côté, il y a cette déclaration. Et de l'autre côté, il se trouve que 30 ans plus tard,
10:41 un navire chargé de... en fait de... de cures de Syriens débarque,
10:49 et justement débarque à côté de Saint-Tropez, très exactement à Aboulouris, avec non pas un million,
10:55 mais à peu près un millier de personnes. Et donc, ça permettait une comparaison.
11:00 Est-ce que ce millier de personnes s'était répandu comme des sauvages ? Est-ce que dans le boulequin de...
11:05 – Tuants, violents, détruisants. – Et puis violents, tuants et volants. Donc, eh bien au contraire.
11:12 Et on voit le mécanisme de l'arrivée de ce millier de personnes qui est... Alors c'est une époque où ils prétendent,
11:20 on peut le dire, venir d'Irak. Et à ce moment-là, vous savez qu'en Irak, il y avait eu une ville entière
11:25 qui avait été gazée par Saddam Hussein. Donc ils recueillent la sympathie. On leur demande de déposer une demande d'asile.
11:33 – La majorité de la population française était à ce moment-là très... – Plutôt pour, étant donné ce qui s'était passé en Irak.
11:38 Et ils se présentent comme des paysans pauvres ayant fui le régime irakien. Et puis surprise quand très peu
11:47 déposent une demande d'asile. Et en fait, une grande partie s'évanouit dans la nature, mais pas d'importe où.
11:55 C'est-à-dire qu'on voit des voitures arriver des Pays-Bas, de Belgique et surtout d'Allemagne, de Suisse.
12:01 Et c'est des membres des amis ou des membres de leur famille qui les prennent en charge.
12:06 Donc il n'en reste à peu près sur le millier qu'à peu près 150 en France. Un an après, on les fait un peu parler.
12:13 En fait, ce n'est pas du tout des pauvres paysans irakiens. C'est des Kurdes du nord de la Syrie.
12:21 – Classe moyenne. – C'est des classes moyennes.
12:23 – Tu veux dire aussi, hein, les garçons ? – Mais c'est des classes moyennes qui sont d'une religion tout à fait particulière.
12:29 Ils sont persécutés à la fois comme Kurdes et comme étant d'une secte très très éloignée d'ailleurs de l'islam.
12:37 – Dans le monde de l'islam. – Donc le contraste avec ce que racontent Jean Raspail et ce qui est arrivé est tout à fait remarquable.
12:45 C'est justement, et vous venez de le dire, c'est des classes moyennes, c'est de la persécution, c'est typique de ce qu'on attend pour accueillir des réfugiés politiques.
12:54 – Et là, dans votre récit, vous faites le parallèle pour démontrer, pour un peu casser ce qu'on prédisait,
12:59 tout du moins ce que ces personnes prédisaient, vous voyez comment ça pourrait arriver. Finalement, non. L'humanité est là.
13:04 – Et surtout pour dire, voilà, il y a une fiction d'un côté et puis il y a une réalité de l'autre.
13:10 Et presque toujours, ce que je cherche, c'est à opposer même pas simplement fiction à réalité, mais à opposer le ressenti au fait.
13:18 – Et vous allez encore plus loin pour tenter de comprendre les racines de cette peur d'être grand remplacé, parce qu'elle existe cette peur-là, on va y venir un peu plus tard.
13:26 Vous êtes allé jusqu'en 1870, année de grande défaite militaire française face à ce qui n'était pas encore l'Allemagne.
13:31 Comment vous faites le lien cette fois-ci entre cette période-là de l'histoire de France, d'Europe, on peut le dire aussi, et la théorie du grand emplacement aujourd'hui en France comme à l'entendre ?
13:41 – Oui, cette époque s'exprime des craintes qui sont en fait liées à la défaite de 1870, qui était un choc terrible.
13:48 La France estimait être le pays avec la Russie de l'époque le plus puissant d'Europe.
13:54 Et d'un seul coup, elle est quand même défaite, et défaite platement par la Prusse, qui à l'époque, c'est pas l'Allemagne.
14:01 C'est un pays qui est moins important. Et donc se développe une angoisse de l'invasion.
14:09 Et cette angoisse-là va d'ailleurs rejaillir sur tout ce qui est migration à partir de la fin du XIXe siècle.
14:16 Donc là-dedans s'installe l'idée qui n'est pas, je reviendrai sans doute, qui n'est pas l'idée du grand remplacement,
14:22 mais l'idée que cette invasion, au fond, est d'ailleurs peu assimilable, que ceux qui arrivent en France restent fidèles du pays où ils sont.
14:33 Et que si ce pays est un pays qui nous est hostile, pas très très acquis, à ce moment-là, ils prendront la cause de ce pays contre nous.
14:40 Alors justement, cette peur, on le voit là, on le voit encore plus, j'invite les gens à aller lire le livre, est donc ancienne.
14:47 Elle n'est pas née avec Camus. Hier, on parlait, vous le disiez à l'instant, d'invasion. Aujourd'hui, de remplacement.
14:53 Les mots changent, on le voit, mais est-ce qu'ils sont aussi... Est-ce que les mots qui changent, là on parle du coup, je dis d'invasion à remplacement,
15:00 est-ce que ce qu'ils représentent, ce qu'ils indiquent, là aussi, il y a une évolution ?
15:04 – C'est même pas qu'ils changent. Le succès du... Je tente de montrer dans le livre, et là c'est, au fond, un peu plus abstrait.
15:10 C'est pourquoi y a-t-il un succès de ce grand remplacement par rapport à invasion ou submersion, que par exemple Marine Le Pen avait tenté un peu plus tôt.
15:20 Et je crois que ça traduit un changement très important. C'est-à-dire que la peur de l'invasion, elle est bâtie presque rationnellement.
15:28 C'est-à-dire qu'on part du fait qu'il y a des différences de fécondité importantes, donc que ça entraîne des migrations.
15:34 Encore maintenant, on se met à craindre les migrations africaines. Et puis ces migrations devenant de plus en plus importantes,
15:40 à ce moment-là, on est débordé. Et donc, on peut dire, en bout de parcours, il y a un remplacement.
15:45 La force du grand remplacement, c'est pas de le mettre en bout de parcours, c'est de le mettre au premier... C'est la première chose.
15:52 – C'est l'idée première. C'est vraiment le projet.
15:54 – C'est-à-dire qu'au lieu de partir du passé, on part du futur. Et c'est ça, c'est une très grande force.
15:59 Et d'ailleurs, Renaud Camus, l'apôtre du grand remplacement, quand on lui dit « mais définissez-le », il dit « il n'y a pas à le définir,
16:08 il est une évidence ». Ça, c'est d'ailleurs une réponse absolument typique, au fond, des régimes totalitaires.
16:15 C'est-à-dire que toujours, les choses sont des évidences. On les pose comme évidence. C'est-à-dire que ce n'est pas discutable.
16:20 Et ensuite seulement, eh bien on regarde comment faire pour, au fond, négocier cette évidence.
16:28 C'est une évidence qui est même une racine extrêmement ancienne. J'aurais pu le mettre dans l'ouvrage, mais ça ne l'aurait entraîné plus loin.
16:35 C'est une évidence qui s'appelle... Qui a un mot savant qui s'appelle l'eschatologie. C'est-à-dire que pratiquement jusqu'à la Révolution française,
16:43 l'Europe a vécu, la chrétienté a vécu dans l'idée du jugement dernier. Le jugement dernier était posé comme une évidence.
16:50 Et donc il fallait s'adapter pour aller vers ce jugement dernier. Il y a des très grands travaux historiques, notamment un historien,
16:56 un grand historien allemand, a écrit un livre qui s'appelle « Le futur passé », où il montre qu'on est venu pendant des siècles buter
17:03 contre cette évidence et que c'est seulement au moment, au fond, à l'époque des Lumières et surtout de la Révolution française,
17:09 qu'on a ouvert l'avenir. Et ce que fait Renaud Faure, et ce que fait Raymond Camus, et ce que fait Le Grand Remplacement,
17:17 c'est de fermer l'avenir, de considérer que c'est une évidence. Et d'ailleurs Pécresse, qui a été un tout petit peu plus prudente que les autres candidats,
17:26 mais pas beaucoup, elle n'a pas dit « Il n'y a pas de Grand Remplacement ». Elle a dit « Il faut chercher à l'éviter ».
17:31 Donc elle a admis qu'il était une possibilité et qu'une possibilité, Renaud Camus le dit dans ses livres, très proche.
17:39 Il y a un livre de Renaud Camus qui doit... Si je me souviens bien le titre, c'est... 2019, ça doit être les élections européennes,
17:46 dernier moment, dernière année avant Le Grand Remplacement. – Dernier empart, oui, c'est ça, effectivement. Et vous en avez parlé...
17:52 – Peut-être juste pour donner un exemple de ça. La peur de la fin des temps, la peur du jugement dernier était tellement forte
18:00 que Luther, par exemple, c'est une époque où on prévoyait que c'était très proche. Les anabaptistes qui sont enfermés à Münster,
18:07 c'est une secte protestante, pensaient que ça arriverait l'année suivante. Et Luther, dans ses propos de table, dit
18:14 « Jusqu'ici, je pensais que la fin des temps, ça serait dans 10 ans. Mais à la vitesse à laquelle les choses se dégradent,
18:21 je pense que ça sera plus tôt que dans 10 ans ». C'est pour vous montrer l'espèce de climat que cherche à établir la thèse du Grand Remplacement.
18:30 – Et ça me fait penser un petit peu là, où vous le abordez un peu en plus, pas par spoiler trop, mais à la fin du bouquin,
18:36 les théories, du moins les prédictions de fin du monde, où on a beau y arriver à chaque fois, 2022, 2000, machin,
18:44 et c'est un peu comme les théories du complot. On peut pas les démontrer, mais c'est ce qui vient les asseoir et les confirmer.
18:50 – Oui, vous voyez que c'est l'arrêt. – Oui, mais c'est aussi, disons que c'est beaucoup plus, disons, la peur de l'immigration,
18:57 elle est plus large que l'extrême droite. – On le voit.
19:00 – Et puis, on peut avoir peur de certains aspects de l'immigration. On reste dans un domaine relativement rationnel.
19:07 Mais se projeter dans le futur, on entre cette fois-là dans un type de régime totalitaire. Parce qu'au fond, le régime hitlérien,
19:15 qu'est-ce qu'il disait ? Il disait, voilà, on s'installe dans le Reich de Milan. Autrement dit, il projetait...
19:21 – Oui, il a failli se projeter, oui. – Même chose pour, il faut bien le dire, le régime soviétique.
19:25 Il projetait dans le communisme, c'était la fin de la lutte des classes. Peut-être que c'était tout à fait positif par rapport au régime nazi.
19:34 Mais enfin, c'est aussi se mettre, poser une fin des temps. Une fin des temps qui est soit la fin de la lutte des classes,
19:41 soit ce fameux Reich de Milan. Donc cette tendance de poser le futur par rapport au passé est une véritable tendance totalitaire.
19:49 Il me semble qu'Anna Arendt avait regardé cette question.
19:52 – Alors il y a cet argument qui permet à cette droite de plus en plus conservatrice d'asseoir aussi cette crainte de grand emplacement.
20:00 L'argument nataliste, vous en avez parlé tout à l'heure, il y a quelques minutes. La France ferait trop peu d'enfants pour renouveler et faire croître
20:05 naturellement sa population alors que ses voisins, Germanie qui est aujourd'hui africain, seraient bien plus féconds que les Français.
20:12 Alors nous mettant en danger mécaniquement, si on les croit, face à une submersion, pour reprendre le terme qu'usait Marine Le Pen,
20:18 une submersion inévitable, c'est aussi un argument, vous, démographe, que vous venez de démonter dans votre livre.
20:23 – Oui, là on tombe sur des arguments nettement plus anciens, sur toute l'histoire du natalisme.
20:30 Alors on peut entrer dans le détail mais encore même l'année dernière, il y a eu plus de naissances que de décès en France.
20:38 Donc si vous voulez, attendons un petit peu avant d'être saisi des froids. C'est de la même manière, je dirais, juste avant,
20:46 vous aviez quelqu'un qui parlait très bien des retraites, c'est la même chose, il n'y a aucune urgence. Donc attendons un tout petit peu.
20:53 – On n'est pas pressé. Alors pourtant aujourd'hui cet argument nataliste, on le retrouve, de relancer la natalité,
20:58 et j'entends bien "franco-français", "sous-entendu", "blanche", vous voyez un peu le sous-entendu dans les rangs de la droite type LR.
21:05 Il y a quelques jours, mon jeune invité aujourd'hui, porte-parole du parti Les Républicains, je ne sais pas si vous connaissez Guilhem Carayon,
21:10 mettait le sujet de la natalité au-dessus, on parlait de la retraite à ce moment-là, c'était un débat,
21:16 au-dessus de celui de l'âge de départ à la retraite qui fait débat en ce moment. Je vous propose de l'écouter.
21:22 – Donc nous on considère qu'il faut travailler un petit peu plus longtemps, mais en même temps que l'âge,
21:28 l'allongement de l'âge légal, ce n'est pas la question essentielle.
21:33 On a fait un peu l'élément central des discussions sur les plateaux de télé, tout le monde ne parle que de ça.
21:37 Alors qu'en réalité le sujet c'est la natalité, qui est pour le coup très faible, qui est à 1,8, la plus faible d'Europe.
21:45 – L'immigration vient aussi combler ce genre de choses.
21:48 – Oui, moi je constate que ce n'est pas à l'immigration de combler les problèmes de natalité qu'on a.
21:52 On serait le seul pays à raisonner comme ça.
21:54 – Ah on ne serait pas le seul, au contraire, non, non, tous les pays pensent comme ça.
21:57 – En tout cas ce n'est pas ma vision du tout.
21:59 Moi je crois que cette faiblesse de la natalité, elle doit être relancée,
22:02 la natalité doit être relancée à travers une politique familiale.
22:05 Par exemple l'universalité des allocs familiales, ça permet aux gens de les encourager à faire plus d'enfants
22:10 parce qu'ils se diront qu'ils pourront les élever dignement, dans de bonnes conditions.
22:14 – Je vous ai vu réagir là, beaucoup.
22:16 – Ah, trois choses. D'abord ce que dit ce jeune homme, c'est que...
22:22 – Porte-parole des Républicains aujourd'hui et vice-président du parti.
22:25 – Alors première chose, est-ce que ça a un impact sur les retraites ?
22:28 Mais peut-être, mais au mieux dans 21 ans, l'âge auquel ces naissances manquantes
22:34 devraient arriver à l'âge de payer, de cotiser pour les retraites.
22:38 Donc là à nouveau, attendons un peu 21 ans, bon peut-être que quelques années avant,
22:43 on commencera à s'en occuper. Mais étant donné qu'on a une réforme des retraites à peu près tous les 5 ans,
22:48 dans 21 ans, il y en aura eu déjà 3 autres. Donc elles auront pu se charger de ça.
22:52 Ce n'est pas du tout une urgence. Second point, ce jeune homme dit qu'on a la natalité la plus faible d'Europe.
22:58 Alors là, les bras montonnent, on a la plus forte d'Europe.
23:02 Donc avec 1,8 elle n'est pas beaucoup plus forte que d'autres,
23:06 mais elle est la plus forte encore actuellement. L'Irlande est juste après, ensuite vient la Roumanie.
23:10 Et puis il y a des natalités, l'Allemagne est à 1,50 et ensuite on tombe les plus faibles,
23:15 c'est l'Italie et l'Espagne à 1,28. Mais d'où sort-il cela ?
23:19 Là, je suis absolument sidéré par ce manque de culture.
23:25 Il suffit d'ouvrir n'importe quel annuaire démographique pour bien savoir que la France est en tête.
23:32 Et troisième point, c'est cette idée magique que les allocations familiales vont permettre le relèvement de la fécondité.
23:39 On a des dizaines d'études économétriques et démographiques qui montrent que ce n'a jamais été le cas.
23:44 Prenez le cas du baby-boom. Alors on a dit voilà, c'est vrai qu'il y a eu un système d'allocations familiales très important
23:51 institué en 1946 avec la Fondation de la Sécurité, avec les ordonnances de sécurité sociale.
23:57 Mais les pays qui n'ont introduit aucune allocation familiale, comme par exemple les États-Unis,
24:03 ont eu un relèvement de la fécondité plus fort que la France.
24:06 Leur baby-boom est même tellement fort que quand ils parlent d'une autre, ils disent c'est un baby-boomlet, un petit baby-boom.
24:12 Donc il y a des études de l'INSEE, dès les années 60, ont montré qu'il n'y avait aucun rapport entre le fait,
24:18 entre les pays, la hausse de natalité, le baby-boom dans les pays développés et ceux qui avaient ou non institué un système d'allocations familiales.
24:28 Le mieux qu'on puisse dire, que disent les études économétriques, c'est que si on regarde le rôle des allocations familiales,
24:36 grosso modo, dans le passé, ça a peut-être permis d'avoir 0,1 enfant de plus. Donc on passerait de 1,8 à 1,9.
24:46 Mais étant donné qu'il pense que c'est... Ce monsieur pense que c'est le chiffre le plus bas, ça restera parmi les plus bas.
24:52 - Il est plus haut. - Il est dans son esprit les plus bas.
24:55 - Il y a aussi une chose qui est intéressante dans cet extrait-là, en plus de ce que vous avez soulevé,
24:59 c'est cette volonté de non, l'immigration ne doit pas entrer dans l'équation, dans la mixité sociale,
25:04 la mixité même de la population, démographiquement parlant.
25:07 Et du coup, ça me fait poser une question que j'imagine les gens de droite qui pourraient nous regarder se posent.
25:12 Est-ce qu'on peut échapper à cette mixité ethnique, comme le voudrait une partie de la droite, comme on le voit,
25:18 sans tomber dans un projet néofasciste ?
25:21 - Oh, c'est même pas une question d'y échapper. C'est une réalité.
25:25 Bon, c'est une mixité qui est quand même modérée. Il faut pas non plus la soulever trop fortement ou la...
25:32 - Ça, je veux faire encore une fois l'avocatisable. C'est une question qui se pose. Je le vois passer.
25:36 - Si vous voulez, actuellement, pour une fois, entrons un peu dans des chiffres. Mais tout le monde peut les consulter
25:41 sur le site de l'INSEE. Ils sont pas bien difficiles. On compte 10% en France de la population est d'origine immigrée.
25:48 Mais il faut bien savoir immigrée, ça vient de tous les pays. Disons, sur ces 10%, à peu près la moitié vient des pays d'Afrique
25:58 et du Tiers-Monde. Et puis l'autre moitié vient d'Europe. Et peut-être que d'ailleurs, il faut compter hors du Tiers-Monde la Chine, actuellement.
26:07 Donc c'est à peu près moitié. Et puis on sait combien il y a... Et là, le point est important. Combien il y a ce que l'INSEE appelle
26:15 des descendants d'immigrés. L'INSEE appelle des descendants d'immigrés une personne dont... C'est pas une question d'âge.
26:22 - Au moins un des parents. - Au moins un des parents est immigré. Mais c'est là... La nuance est extrêmement importante,
26:27 parce que quand on regarde les chiffres de l'INSEE, la moitié des descendants d'immigrés viennent de familles mixtes, de couples mixtes.
26:34 L'autre moitié, de couples de deux immigrés. Et c'est une particularité, je dirais, d'ailleurs, de la France par rapport aux États-Unis,
26:41 notamment, c'est qu'il y a un mélange rapidement qui s'opère. - Oui, on le voit. Jean-Simon Menne, d'ailleurs, l'exemple parfait.
26:49 Voyez-le, je vous l'apprends. Mais vous savez, ce mélange fait suite à un autre mélange, il y a un siècle.
26:54 C'est les provinces françaises qui se sont mélangées, donc, là-dedans. C'est tout à fait naturel dans une population qui se développe.
27:02 - C'est l'avancée naturelle des choses. Alors du coup, y échapper n'a pas vraiment de sens, en fait. C'est ce que vous expliquez, finalement.
27:09 - Oui, parce que d'abord, ça ne présente aucun danger. C'est plutôt une richesse, parce que ça amène quand même des idées nouvelles.
27:16 Ça amène des façons différentes de voir l'avenir, de voir la société. Et puis c'est quand même une dose assez petite.
27:24 Et puis c'est aussi nié qu'une fois que les personnes arrivent en France... Parce que dans ces 10% d'immigrés en France,
27:31 il y en a qui sont là depuis 50 ans, on devient français assez rapidement. Il faut savoir que dans ce qu'on appelle immigrés,
27:38 37% actuellement ont la nationalité française. - C'est un chiffre aussi important. Alors quelque part, je me posais aussi en préparant l'émission
27:46 un peu cette question. Est-ce que cette peur-là, qui est peut-être plus française qu'allemande, dans votre livre, vous le dites,
27:52 que dans les débats publics, ça fait moins partie du débat, d'être envahi, d'être remplacé, d'être colonisé, ne réside pas dans le simple fait que...
28:01 Question colonisation, la France s'y connaît, dans un rayon assez large. - Oui, ça peut jouer. L'Allemagne a eu des colonies, mais avant la guerre de 1914.
28:10 C'est aussi qu'être français et être allemand, ça ne se définit pas de la même manière. Pour un allemand, être allemand, c'est parler allemand.
28:19 Et d'ailleurs, c'est quand des immigrés arrivent en Allemagne, la première chose qu'ils ont fait, ce qui est encore actuellement même le cas avec les ukrainiens,
28:27 on les met vraiment à l'école. C'est-à-dire qu'il faut qu'ils sortent de cet enseignement en parlant bien allemand.
28:34 Et à partir du moment où ils parlent bien allemand, ils sont allemands. Parce que l'unité allemande s'est faite sur ce principe.
28:40 Si les Allemands ont annexé l'Alsace et la Lorraine en 1870, c'est parce qu'ils estimaient que le dialecte... Il n'y a pas tort que le dialecte
28:50 alsacien est un dialecte germanique. C'est un dialecte issu de l'allemand. En France, on a une notion tout à fait différente.
28:57 On a une notion régalienne, si vous voulez. C'est-à-dire que c'est le fait de l'appartenance à la France, comme l'a dit Renan, c'est une prière de tous les jours.
29:09 C'est une manifestation de tous les jours, ce qui est très difficile à prouver et qui permet tous les excès.
29:16 – Tout à fait. D'autres chiffres m'ont aussi intéressé. Ça rentre dans ce qu'on se dit là. Vous vous rappelez des chiffres qui concernent
29:23 la part d'étrangers chez nos voisins, notamment allemands. On voit que vous avez cité la France qui était autour de 10%.
29:29 Nous sommes à 12,5% en Allemagne, 16,7% en Autriche et carrément, je connais pas mal de ce pays-là, la Suisse, c'est un quart.
29:36 Un quart de la population suisse est étrangère. – Mais attention, même pas immigrée. Étranger.
29:41 – Étranger, oui. – Parce que étranger et immigré, c'est pas la même chose. C'est-à-dire que par rapport sur les 10% dont j'ai parlé d'immigrés,
29:49 en fait, il y a un peu moins de 7% d'étrangers. – Tout à fait. Et là, d'ailleurs, j'ai vécu quelques années à Genève.
29:57 Dans le canton de Genève, vous avez 40% des habitants et des travailleurs et travailleuses qui sont vraiment étrangers.
30:02 Ils n'ont pas un permis de travailler mais qui ne sont pas d'ici. Du coup, on peut se demander... Est-ce qu'on retrouve cette théorie, cette peur
30:10 d'être remplacé ailleurs, dans d'autres pays que nous ? On peut imaginer qu'en Suisse, un quart des étrangers, il y a une peur similaire à la nôtre,
30:18 enfin du moins à ce qu'on peut retrouver en France. Est-ce que ça se manifeste aussi ailleurs ou alors c'est typiquement... Ou c'est différent ?
30:24 – Mais bon, disons, mon travail, c'est vraiment un travail... J'ai tenté de faire un travail de fond sur la France.
30:31 Donc, de prendre des références... – Vous avez pas... J'ai jeté un petit peu d'œil...
30:34 – J'ai lu l'ensemble de la prose de M. Renaud Camus qui est très répétitive. – Vous avez lu jusqu'au bout.
30:40 – J'ai ensuite discuté dans la troisième partie des questions plus... dont on vient un peu de parler, d'ailleurs, des questions de chiffres.
30:47 Mais pour le reste, je sais, j'ai des idées et j'ai des informations, mais ça sera plus difficile pour moi d'en parler. Je peux simplement dire que la France a souvent eu un rôle moteur.
30:59 Il ne faut pas sous-estimer cela. C'est que notamment les textes de l'extrême-droite française sont souvent traduits aux États-Unis, où ils jouissent d'un certain succès,
31:08 où ils sont donnés en référence par des gens comme Steve Bannon, par exemple. Et ils ont inspiré, comme vous le savez, des terroristes du monde entier.
31:18 Ils ont inspiré la personne qui a commis ce massacre en Nouvelle-Zélande, dont son manifeste parle du grand remplacement.
31:24 Ils ont inspiré le Norvégien qui a fait ce massacre dans une île. Donc ça se répand dans le monde. Mais ça se répand vraiment dans les milieux les plus extrêmes,
31:36 ce qui était un peu plus grave en France et pour moi qui a été un révélateur, c'est quand j'ai vu que les 5 candidats, lors de leur débat,
31:45 les 5 candidats à devenir candidat unique de la droite à l'élection, à la dernière élection présidentielle, les 5 ont dit qu'ils y croyaient.
31:56 Cette fois-là, c'était la droite. C'était quand même, je trouve, quelque chose de grave, alors qu'à l'étranger, c'est beaucoup plus limité.
32:03 C'est vraiment un cercle très petit. Vous parliez de la Suisse. Blücher, qui est l'équivalent de Le Pen en Suisse, avec...
32:10 – L'UDC. – Bon, il faut faire des nuances. L'UDC ne parle pas de cette question. Il est anti-immigré au point de déposer ou de susciter ce qu'on appelle des votations, ensuite,
32:20 qui sont des référendums anti-immigration. Certaines fois, ça marche. Par exemple, celui qui interdit la construction des minarets, d'autres fois, ça rate.
32:29 Bon, la situation est à peu près... est tale. Mais il n'y a pas cette peur en Suisse, alors que, comme vous l'avez rappelé, il y a 25% d'étrangers en Suisse.
32:40 – Tout à fait. Alors le sujet, on le voit. On s'approche doucement vers la fin de notre entretien. Mais on voit que ce sujet est complexe, en fait,
32:45 puisque comme il draine le racisme et évidemment un spectre de lecture qu'on peut qualifier d'irrationnel. Je sais pas si ce terme vous va, finalement.
32:54 Est-ce qu'une peur est forcément irrationnelle ? On le voit pas forcément, puisqu'elle prend racine dans des choses qui peuvent être...
33:00 – Non. Je vais faire un petit point là-dessus. C'est que cette peur n'est pas irrationnelle. Cette peur, elle est...
33:08 C'est une caractéristique d'ailleurs de l'extrême droite, d'une partie de la droite. C'est de prendre un cas particulier et de le transformer en cas général.
33:16 C'est une mécanique spéciale. Il y a un exemple. Je vais juste en dire un mot. Il y a un exemple dans mon livre qui est une citation de Renaud Camus
33:24 où il dit qu'un de ses amis s'est retrouvé à 6h du soir sur un quai de la station Châtelet, seul blanc.
33:33 – Exactement. – Donc qu'est-ce qu'on fait pour répondre à cela ? Eh bien je suis allé à 6h du soir à la station Châtelet un certain nombre de fois, 25 fois.
33:43 Et j'ai compté alors à vue d'œil ce qui ne me paraissait pas blanc. Alors ça pouvait être asiatique, ça pouvait être...
33:51 – Des non-blancs. – Voilà, des non-blancs. Alors avec des approximations.
33:55 Le maximum que j'ai trouvé est 35%. Et la moyenne est autour de 20%.
34:01 Donc là-dedans, la seule chose que je puisse dire, c'est que peut-être que ce M. Millet, ami de M. Renaud Camus, a une fois par hasard...
34:10 C'est pas totalement impossible vu cela, mais que dans l'immense majorité des cas que représentent déjà les 25 fois où j'ai fait mon test, ça ne marche pas.
34:22 Et ça, ça veut dire qu'on oppose des statistiques à un fait particulier, à un cas tout à fait particulier qui est celui de ce monsieur.
34:31 Je ne dis pas du tout que ce monsieur est un menteur. Je dis simplement que c'est un cas extraordinairement particulier.
34:37 Alors bien sûr, très souvent, de façon au fond plus générale, on me brandit le cas. On me dit « Vous n'êtes pas allé en Seine-Saint-Denis ».
34:45 – Voilà, par exemple. – Bon. Là, à nouveau, c'est un cas particulier. Je ne dis pas du tout qu'en Seine-Saint-Denis,
34:51 bon, je le sais, il y a 30% d'immigrés. Mais c'est pas pour autant qu'il y a une majorité d'immigrés.
34:58 Et puis c'est la Seine-Saint-Denis seulement si vous allez dans le Pas-de-Calais ou dans l'Aisne.
35:04 C'est deux départements qui ont le plus voté pour Marine Le Pen au premier tour.
35:09 C'est deux des cinq départements où on compte le moins d'immigrés. C'est quand même assez intéressant de voir cela.
35:16 Donc là-dedans, au fond, le mécanisme qui fait qu'il y a des votes d'extrême-droite n'est pas lié à la présence locale des immigrés.
35:24 C'est lié à la présence des immigrés dans le cerveau. Et parce qu'on a mis cette présence dans le cerveau de ceux qui votent pour Marine Le Pen.
35:32 À côté de ça, il y a quand même du réel, du concret, des gens peut-être qui nous regardent ce soir et qui ont le profond sentiment d'être face au phénomène dont vous dites qu'il n'existe pas.
35:43 Mais qu'ils ou elles ont la certitude de voir, on le voit, l'exemple que vous avez cité est un et en est un, mais il y en a d'autres aussi, dans leur quartier là où ils vivent.
35:51 Olivier Faure, le patron du PS lui-même, parlait en 2018, je ne sais pas si vous vous en souvenez, d'une sorte de colonisation à l'envers
35:58 pour qualifier l'islémisation probable de certains endroits en France. Écoutez plutôt.
36:03 Il existe aujourd'hui des endroits où le fait de ne pas être issu de l'immigration peut poser problème à des gens qui vivent dans ces quartiers.
36:13 Ils peuvent se sentir exclus. Il y a des endroits où il y a des regroupements qui se sont fait génération après génération.
36:18 Ils donnent le sentiment qu'on est dans une forme de colonisation à l'envers, ce que m'a dit un jour une de mes concitoyennes qui me disait,
36:26 après avoir voté longtemps pour la gauche, qu'elle ne voulait plus voter pour nous parce qu'elle avait le sentiment d'être colonisée.
36:32 Alors cette déclaration a fait scandale à l'époque dans la gauche et évidemment fait plaisir à la droite à ce moment là la plus conservatrice.
36:37 Néanmoins, la question migratoire est délicate. Olivier Faure à ce moment là le reconnaît lui-même dans le même interview.
36:43 Je le cite "c'est une des questions les plus difficiles aujourd'hui. Nous", et il parle de la gauche à ce moment là ou du PS plus précisément,
36:49 "nous avons souvent évité la question pour ne pas avoir à y répondre", dit-il. Alors deux questions pour vous et ce seront mes dernières.
36:55 Soit, monsieur Lebrun, comprenez-vous l'inquiétude de certaines personnes quand elles voient par exemple la construction d'une mosquée dans leur ville ?
37:03 Et que leur dites-vous, la question elle est double, que leur dites-vous pour les convaincre, ces personnes là, qu'il n'y a pas de remplacement ?
37:10 Alors d'abord, vous avez remarqué qu'Olivier Faure a employé une technique d'extrême droite, transposer un fait particulier qu'il a cité en fait général.
37:19 Par derrière, il y a un problème, et je ne le nis pas, le dernier chapitre de mon livre est consacré à cela.
37:25 C'est le problème, qui est qualifié par France Stratégie, de ségrégation. C'est-à-dire que les immigrés sont beaucoup plus groupés dans certains quartiers.
37:35 C'est un problème, qui est un problème difficile, parce qu'ils ne sont pas groupés simplement par rejet, mais ils sont groupés parce que le mécanisme de l'immigration,
37:44 c'est une immigration par réseau, c'est-à-dire les immigrés rejoignent en général les gens de leur village, de leur ville, de leur quartier, de leur famille.
37:51 La répartition des immigrés est en effet très inégale, quelque soit l'échelle géographique retenue. C'est ce que vous dites.
37:55 Absolument. Donc là, il y a un problème, et c'est un problème de ségrégation. Alors est-ce que les personnes, comme le prétend monsieur Faure,
38:02 est-ce que les personnes qui vivent dans des quartiers où il y a beaucoup d'immigrés le ressentent très mal ? Hélas, c'est le contraire.
38:10 C'est-à-dire prenez le cas le pire, justement, mais je peux le généraliser à la France entière, mais le cas le pire, qui est souvent cité de la Seine-Saint-Denis.
38:19 La Seine-Saint-Denis, c'est le 3e département qui a le moins voté pour Marine Le Pen au 1er tour et aussi au 2d tour.
38:27 Donc si ces personnes étaient vraiment à ce point-là incommodées par les mosquées, par les burkinis, par les boucheries halales,
38:39 eh bien à ce moment-là, elles le manifesteraient dans les urnes. Or, c'est pas du tout elles qui manifestent dans les urnes.
38:45 Ceux qui votent pour Marine Le Pen, c'est ceux qui habitent dans des tout petits villages perdus où il n'y a pas d'immigrés.
38:51 C'est d'ailleurs là que Marine Le Pen fait sa rentrée d'habitude, un petit village de la Haute-Marne qui a voté à 90% pour elle dès le 1er tour.
38:59 J'ai regardé. Je ne me souviens plus du nom de ce village. Il est dans mon livre.
39:04 Et quand on regarde dans les statistiques de l'INSEE, il n'y a aucun immigré qui réside dans ce village.
39:10 Et j'ai continué à regarder. Il n'y a aucun immigré dans les villages voisins. Donc ça, c'est...
39:14 – C'est étrange en même temps. On pourrait se dire... Est-ce que ce souci... Parce qu'il existe. Du moins, les gens le ressentent.
39:19 Il y a des gens qui le ressentent, des gens qui l'expriment. Bon, c'est un constat.
39:22 Qu'est-ce qui pourrait expliquer cette disparité que vous soulevez là ?
39:28 Est-ce qu'on pourrait s'imaginer que les médias ont un rôle dans l'affaire ?
39:32 Ou les personnes ne veulent pas... Ils voient à la télévision ou entendent un discours dont ils ne veulent pas voir leur réalité impactée ?
39:40 – Non, je pense que c'est une question beaucoup plus difficile. Mais je pense que... Mais là, c'est plus une hypothèse.
39:47 Ça s'est fabriqué... Je pense qu'au début, effectivement, les immigrés... Je ne dirais même pas qu'ils sont arrivés.
39:52 Et qu'on est allé chercher dans les années fin 60 et début 70. Ils étaient vraiment... Ils venaient du fin fond de l'Algérie et du Maroc.
40:01 Souvent, ils étaient illettrés. On les prenait pour cela. Et donc, vraiment, il y avait un contraste.
40:07 Et ça, progressivement, s'est monté dans la tête des individus. C'est devenu au fond un lieu commun.
40:14 Et ça ne correspond plus du tout à l'immigration actuelle. Dans les statistiques même du ministère de l'Intérieur,
40:21 le niveau moyen d'éducation des immigrés qui arrivent actuellement, qui reçoivent une carte de séjour,
40:26 est un peu supérieur au niveau moyen des Français. Il faut quand même le savoir. Donc c'est plus du tout la même immigration.
40:33 Et dans un Seine-Saint-Denis, au fond, les habitants... Le mot « immigré », ça veut rien dire pour eux.
40:38 Ça peut être un adjoint de la mairie. Ça peut être un chef d'une petite entreprise. Ça peut être un SDF.
40:45 C'est une catégorie qui n'a pas de sens. Alors que pour une personne qui est dans ce village de la Haute-Marne,
40:53 il a une représentation pour lui simpliste de l'immigré. Alors est-ce que c'est fabriqué, oui, un petit peu par les médias ?
40:59 C'est entretenu par les médias. Mais ça s'est progressivement, je dirais, incrusté. Et effectivement, c'est très difficile
41:06 de lutter contre ce qui est dans le cerveau. C'est beaucoup plus difficile d'essayer de corriger ce qui est dans les faits,
41:12 par exemple éventuellement la ségrégation spatiale. Mais ôter quelque chose qui est dans le cerveau, c'est extrêmement difficile.
41:19 Et j'ai pas de recette. – Pas de recette. En tout cas, merci à vous d'être venu ce soir pour en discuter avec moi.
41:24 Je rappelle que vous êtes démographe historien à hauteur d'une série d'ouvrages, notamment celui qu'on voit à l'écran.
41:28 Je crois chez Grasset. Il n'y a pas de grand emplacement. Merci, monsieur Lebrun. Bonne soirée.
41:33 – Merci pour vos questions qui me permettent de m'exprimer assez facilement.
41:37 – Oui, c'est important. C'était un grand plaisir. Je pense que ça a été apprécié par beaucoup de nos auditeurs.
41:40 [Silence]

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