Avec Violaine des Courieres, auteur de "Le management totalitaire" aux éditions Albin Michel.
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00:00 Sud Radio Bercov dans tous ses états, le face à face.
00:05 Vous êtes bien sur Sud Radio, le face à face du mardi 31 janvier avec Violaine Descourrières
00:10 pour son livre "Le Management totalitaire" aux éditions Albin Michel.
00:13 Bonjour Violaine Descourrières.
00:15 Bonjour.
00:16 Alors Violaine Descourrières, un livre remarquable, un livre fort parce qu'un livre qui décrit
00:21 justement en ce jour de grève pour les retraites, il décrit le monde du travail.
00:26 Ce monde du travail, qu'est-ce qu'il est, qu'est-ce qu'il est devenu.
00:29 Et vous avez un vrai travail d'enquête.
00:31 Voyons, on dit les journalistes ne travaillent pas, ce n'est pas vrai.
00:33 Ce n'est pas vrai.
00:34 Il y a beaucoup de journalistes qui travaillent, qui font très bien leur boulot.
00:37 Et je pensais au livre sur les EHPAD, je pense à ce livre sur le management totalitaire.
00:42 Alors vous n'y allez pas de main morte au départ.
00:44 Vous citez Anna Arendt, vous dites mais évidemment ce n'est pas le troisième Reich, mais quand
00:50 même il y a des problèmes.
00:52 Et alors vous avez interviewé énormément de PDG, vous avez interviewé des patrons,
00:59 des directeurs de ressources humaines, vraiment beaucoup de monde et vous constatez des choses
01:05 très fortes.
01:06 Et je voudrais d'abord que vous me disiez, ces patrons, ces patrons de grandes sociétés
01:12 comme Proglio, comme Lackmann, ils donnent leur nom, enfin voilà, ils ne vous demandent
01:15 pas de cacher leur nom et puis beaucoup d'autres.
01:18 Et vous dites, vous disiez avant qu'on prenne l'antenne, vous disiez ils sont inquiets,
01:23 ils sont furieux.
01:24 De quoi ?
01:25 Oui, alors c'est vraiment une des grandes découvertes de cette enquête.
01:28 C'est que moi j'avais la question d'une dérive totalitaire en tête.
01:32 Et donc j'ai voulu poser la question à ces anciens PDG et je pensais qu'ils allaient
01:38 lever les yeux au ciel.
01:39 Et en fait j'ai été très marquée parce qu'ils ont souligné le mot.
01:43 Alors je parle notamment dans cette enquête de 5 ans de mon entrevue avec Henri Proglio,
01:49 ancien PDG de Veolia jusqu'en 2009 et puis de EDF.
01:53 Alors lui effectivement le mot totalitaire il l'a souligné, il est extrêmement inquiet.
01:57 Il a vu le basculement, les taux financiers se resserrer et donc il me dit c'est comme
02:02 si je suis un coureur avec toujours la mesure de ma tension avec moi et c'est la mesure
02:07 de l'action en bourse.
02:08 Et alors lui il a eu cette phrase extrêmement forte qui m'a beaucoup interpellée.
02:12 Il m'a dit "aujourd'hui le monde de l'entreprise est aussi rigide que les castes indiennes.
02:16 Tout en haut il y a les financiers, ensuite il y a les industriels et les derniers les
02:21 esclaves, les salariés".
02:22 - C'est lui qui vous a dit ça exactement.
02:24 - C'est lui qui m'a dit ça exactement.
02:25 Et donc ce que j'ai compris, alors également avec Henri Lachman, ancien PDG de Schneider
02:30 Electric jusqu'en 2005, c'est qu'en fait ces capitaines d'industrie ils aiment leurs
02:34 équipes, ils aiment le travail, ils ont des compétences et ils ont vu progressivement
02:39 les financiers prendre le pouvoir dans les entreprises.
02:41 - Alors justement vous dites ça, oui, financiers, industriels et puis esclaves en bas.
02:47 Mais alors justement définissons un peu le mot totalitaire.
02:50 Dans ce management totalitaire, ce ne sont pas les Etats totalitaires, comment vous le
02:56 définiriez, comment ils vous l'ont défini et à l'issue de vos 5 ans d'enquête, c'est
03:01 quoi ce management totalitaire ? Il se caractérise par quoi ?
03:04 - Alors d'abord il faut que je revienne en fait à la genèse de cette enquête, il y
03:09 a 5 ans.
03:10 Donc moi je n'étais pas encore journaliste, je me suis reconvertie, j'étais salariée
03:13 dans une agence de communication, qui faisait partie, ce que je dis dans l'introduction
03:18 du livre, de cette génération de jeunes qui étaient dans des écoles du type de commerce.
03:25 Et j'étais très fière dans cette agence de communication, il y avait beaucoup d'événements,
03:30 c'était vraiment l'entreprise avec de la moquette très épaisse par terre, plein de
03:37 petits événements et en fait quand j'ai eu mon premier enfant, à mon retour de congé
03:41 maternité, je me suis fait virer dans une agence qui était officiellement féministe.
03:46 Donc déjà ça m'a un peu interpellée.
03:47 - Et virer pourquoi ?
03:48 - Alors c'était en fait dans le cadre d'une réorganisation, puisque c'est souvent dans
03:52 ce cas là...
03:53 - C'est pas la société perdait de l'argent ?
03:55 - Non pas du tout, il y a eu une fusion entre deux agences et en fait moi j'ai été convoquée
04:00 par le DRH, qui était un DRH de transition, donc qui était juste missionné pour cette
04:05 période et qui m'a dit qu'il y avait des personnes qui trouvaient que je travaillais
04:09 mal, sauf que quand j'ai demandé le nom de ces personnes, c'était des personnes avec
04:13 qui je n'avais jamais travaillé.
04:14 Et donc il m'a sommée d'accepter une rupture conventionnelle sous peine d'être licenciée.
04:19 Et moi absolument furieuse, je suis venue le voir à la fin de l'entretien, je lui
04:23 ai dit "Dites-moi la vérité, dites-moi est-ce que vraiment c'est parce que je travaille
04:26 mal, parce que tout ce que vous avez dit c'était faux ?" Et il m'a dit "J'ai besoin de pouvoir
04:30 me regarder dans la glace, en fait vous étiez juste sur la liste."
04:33 Donc j'ai d'abord eu ça, ensuite ce qui a déclenché le livre, c'est quand j'ai un
04:37 ami qui a fait un grave burn-out et sa femme a appelé le manager qui le harcelait pour
04:43 dire qu'il était en arrêt maladie.
04:44 Et quand elle lui a posé la question de ce harcèlement, pourquoi, le manager a répondu
04:49 "C'était le process".
04:50 Et c'est cette phrase qui a déclenché le livre.
04:53 Je me suis dit si ce manager qui avait l'air sympathique en vient à oublier de penser
04:57 par lui-même et qu'il délègue à l'organisation sa pensée, c'est que là il y a une question
05:03 totalitaire, c'est-à-dire de ne plus penser par soi-même, de tout déléguer à l'entreprise.
05:07 - Et alors est-ce que c'est tout déléguer à l'entreprise ou au fond ils intègrent
05:13 ce que la Boétie appelait la servitude volontaire ? C'est-à-dire est-ce que quelque part, ce
05:18 n'est pas ça, et vous voyez ça remonte à beaucoup plus loin que la notion de totalitarisme
05:22 de Hannah Arendt, est-ce que quelque part, parce que vous le dites un peu dans votre
05:26 livre, c'est un peu le, pas le non-dit mais enfin qui sous-tend, c'est quelque part est-ce
05:30 qu'ils se fondent à l'entreprise, ils disent "c'est formidable, c'est moi l'entreprise,
05:34 c'est moi même si je suis salarié".
05:37 - Non, je pense que ça s'est passé, je pense qu'aujourd'hui il y a une prise de distance
05:42 qui est faite.
05:43 - C'est le cynisme c'est quoi ?
05:45 - Alors en fait il y a une forme de cynisme, c'est-à-dire toutes ces phrases "l'entreprise
05:49 une jungle" ou "on ne peut pas être gentil en entreprise", c'est-à-dire comme si on
05:54 était dans un système particulier qui fait que dans la société on dénonce toute forme
05:59 de violence, même les plus infimes, mais dans l'entreprise toutes les violences sont
06:01 permises au nom de l'idéologie de la performance et que tout le monde a acquis ce principe.
06:07 Donc il y a ça.
06:08 Ensuite il y a la question de la réputation, moi j'étais très marquée par un DRH que
06:12 j'ai rencontré dans un espace de co-work à Paris et qui me racontait avoir souvent
06:17 mis dehors des femmes à leur retour de congé maternité et avoir fait des choses pas très
06:21 propres.
06:22 - Il vous l'a dit ?
06:23 - Oui il me l'a dit, mais il m'a dit "mais c'est comme ça le monde de l'entreprise".
06:26 Il m'a dit surtout "moi je fais des missions courtes, je fais le sale boulot, mais si c'est
06:30 pas moi qui le fais, c'est un autre qui le fait, et moi si je le fais pas, je vais avoir
06:34 une sale réputation dans le milieu, on me recommandera pas".
06:36 - C'est ce que disaient certains bourreaux ou tortureurs, si c'est pas moi c'est quelqu'un
06:41 d'autre.
06:42 - Exactement, mais parce que tout le monde se connaît, parce que quand vous avez un entretien
06:46 pour un nouveau CDD ou une nouvelle mission chez un autre employeur, il appelle votre
06:50 employeur d'avant.
06:51 Donc vous avez intérêt à vous faire bien voir.
06:52 - Oui, c'est-à-dire qu'il y a cette culture effectivement de "il faut faire le job, sinon
06:58 je serai mal".
06:59 On va continuer d'en parler, c'est passionnant, avec vous, Violenne Descourrières, et après
07:05 cette petite pause.
07:06 - Et vous nous appelez au 0826 300 300 pour interpeller Violenne Descourrières sur son
07:10 livre "Le Management Totalitaire, ce que vivent nos salariés".
07:13 On attend vos témoignages, 0826 300 300, à tout de suite sur Sud Radio.
07:17 - Je n'aime pas la blanquette de veau, je n'aime pas la blanquette de veau.
07:24 - Sud Radio Bercov dans tous ses états.
07:27 - Et nous, nous continuons de parler à la Hannah Arendt du Management, Violenne Descourrières,
07:32 qui a écrit un livre vraiment remarquable, que je vous recommande, sur ce qui se passe
07:38 aujourd'hui dans un certain nombre d'entreprises.
07:40 Et c'est quand même assez préoccupant, c'est le moins que l'on puisse dire.
07:44 Alors, je voudrais qu'on avance un peu, Violenne Descourrières.
07:47 Vous vous dites, alors je vous cite, "ce qui compte aujourd'hui, c'est que l'entreprise
07:52 est devenue un produit financier et rien d'autre, en tout cas d'abord un produit financier,
07:57 avec une logique comptable, le profit, le retour sur investissement et donc le harcèlement,
08:03 on veut les meilleurs, on veut classer parmi les meilleurs, etc.
08:06 Et vous dites qu'aujourd'hui, voilà, comme beaucoup d'entreprises sont financées par
08:11 des fonds d'investissement, vous parlez de BlackRock, notamment, enfin les trillionnaires
08:16 qu'on peut dire, et le marché, etc.
08:19 Mais il y a quand même quelque chose, ces braves chefs d'entreprise, est-ce que ça
08:25 n'a pas été toujours comme ça ? Est-ce que toujours, l'entreprise, c'est le profit,
08:29 mais c'est normal, et puis voilà, on peut être pour, on peut être contre, c'est un
08:34 autre problème.
08:35 Et là, ils dénoncent tous, oui c'est pas possible, il y a une financiarisation, il
08:38 n'y a que ça qui compte.
08:39 Est-ce que vraiment quelque chose a changé, ou en fait, c'est un nouveau vocabulaire pour
08:43 de vieilles pratiques ?
08:44 Non, je pense qu'en fait, réellement, en 30 ans, les taux financés s'est réellement
08:50 resserré.
08:51 Alors, comment ?
08:52 Alors, surtout, en fait, ce qui est intéressant, c'est la typologie des actionnaires.
08:56 Alors avant, évidemment, il y avait des dérives, on ne peut pas dire que tout était parfait,
08:59 mais vous aviez des chefs d'entreprise qui étaient actionnaires des uns des autres,
09:02 des entreprises, voilà, ceux qui étaient dans les conseils d'administration, donc certes,
09:05 il y avait un entre-soi, mais ceux qui étaient dans les conseils d'administration et les
09:10 actionnaires, ils savaient ce que c'était que l'entreprise, donc ils connaissaient la
09:13 réalité.
09:14 Voilà, aujourd'hui, ils la pratiquaient, et c'est ça, en fait, qui a changé.
09:18 C'est ce profil des actionnaires, et vous avez des fonds d'investissement.
09:22 Aujourd'hui, alors je cite aussi Henri Lachmann, l'ancien PDG de Schneider Electric, jusqu'en
09:27 2005, qui a cette phrase, très, qui m'a aussi interpellé, il me disait "les actionnaires
09:31 d'aujourd'hui sont des terroristes, ce sont des spéculateurs, ils se fichent de l'entreprise
09:36 dans laquelle ils investissent".
09:37 Donc cette phrase, je la trouve très intéressante pour raconter ce basculement, c'est-à-dire
09:41 qu'en fait, aujourd'hui, les actionnaires, vous en avez beaucoup, que ce soit une entreprise
09:48 de l'industrie ou des télécoms, c'est pareil, ce qu'ils veulent, c'est la même chose, c'est
09:53 le rendement.
09:54 - C'est le rendement, oui.
09:55 On se fiche de savoir de quoi ils parlent, sur quoi ils travaillent, le sujet, etc.
09:58 - La hausse des matières premières, l'inflation, les difficultés de recrutement, ce n'est pas
10:03 leur sujet, donc ils sont complètement déconnectés du réel.
10:05 - Combien le retour sur investissement ?
10:07 - Exactement, des pourcentages.
10:09 - Et parce que oui, effectivement, les fonds de pension, voilà, on se dit...
10:14 Et est-ce que ça, c'est devenu, parce que ce que vous avez l'air de dire, enfin, dès
10:19 que vous l'écrivez, c'est la tyrannie du court terme, c'est ça aussi ? Il faut produire
10:23 des profits rapides, rapides, rapides ?
10:25 - Exactement.
10:26 À partir du moment où tout en haut, il y a cette tyrannie du court terme, ça se traduit
10:29 chez les DRH, j'en ai interviewé beaucoup, par une vision brouillée, complètement brouillée,
10:34 c'est-à-dire une vision trimestrielle.
10:35 Vous savez, vous pouvez embaucher pour le trimestre.
10:38 Donc qu'est-ce qui se passe ? Quand vous allez recruter en CDI des salariés, puisqu'on
10:42 est en France, on recrute en CDI, on essaye en tout cas, eh bien vous allez rompre des
10:47 périodes d'essai de salariés, bah officiellement, parce que...
10:51 - Ah oui, on recrute en CDI, mais on leur dira "la période d'essai, alors on leur dit
10:54 quoi".
10:55 - Eh bien elle est terminée, parce qu'en fait, à la fin du trimestre, eh bien vous
10:57 avez à nouveau une autre vision.
10:59 Vous voyez, c'est ce changement qui est devenu absolument permanent, c'est ce management
11:03 par l'instabilité, qui fait qu'en France, alors qu'on a un droit du travail très cadran,
11:08 eh bien on est sur un mode de management anglo-saxon, avec finalement des missions
11:13 courtes.
11:14 - Vous voulez dire, parce que je crois qu'on a le droit, enfin corriger si je me trompe,
11:18 on a le droit à deux périodes d'essai en général, non ?
11:20 - Alors vous avez une période d'essai qui peut être renouvelée.
11:23 - Qui peut être renouvelée, c'est ça.
11:24 Et est-ce que c'est...
11:25 Alors est-ce que ça, ce côté très pratiqué, en fait pas seulement parce qu'on change
11:31 tous les trois mois de stratégie, mais parce que, bah bon, on se dit "allez, on va continuer
11:35 à avoir des périodes d'essai".
11:37 C'est peut-être plus rentable.
11:39 - Oui, alors il y a ça aussi.
11:40 Alors ça c'est chez les salariés, mais je n'ai pas eu la preuve absolue comme d'autres
11:45 preuves que j'ai dans mon livre, mais j'ai effectivement des salariés qui me racontent
11:49 avoir été cinq ou six embauchés en même temps, et en fait, sur les cinq ou six, trois,
11:56 dont la période d'essai a été rompue, trois ou quatre.
11:58 - Ah oui, carrément.
11:59 - Une forme de sélection par la période d'essai.
12:00 - Ouais, c'est ça.
12:01 Et alors justement, parlons de ce court terme.
12:04 Alors oui, vous parlez de quelque chose, le harcèlement.
12:07 Comment ça se traduit ? Alors justement, dans cette perspective de "attention, rentable,
12:12 rentable, rentable absolue, très bien, mais très vite surtout, parce qu'une entreprise
12:16 doit être rentable, si elle ne l'est pas, elle ferme", ça c'est légitime.
12:20 Mais en revanche, vous dites "mais on arrive à des harcèlements assez terrifiants".
12:25 Vous avez parlé de cette personne qui a eu un burn-out, etc.
12:29 Mais ça se traduit comment, ce harcèlement ? Comment on le vit ? Surtout, comment on
12:35 l'applique ?
12:36 - Oui, en fait, je pense que c'est le phénomène de l'employeur psychologue, du manager psychologue.
12:41 C'est ça le harcèlement.
12:42 C'est-à-dire qu'on est arrivé à un point où les compétences ne suffisent plus, où
12:47 pour être vraiment performant, il faut avoir un comportement performant.
12:51 Et donc dans mon livre, dans cette enquête de cinq ans, je raconte en fait toutes ces
12:56 études un peu fumeuses, il faut le dire, dans le Massachusetts, aux États-Unis, à
13:00 l'université de Harvard, où vous avez des chercheurs qui sont repris par des cabinets
13:04 de conseils très très professionnels et qui vous expliquent qu'un salarié heureux
13:09 est un salarié plus performant.
13:11 Par exemple, Tal Ben-Chahar, un chercheur aux États-Unis, a publié un ouvrage qui
13:17 s'appelle "L'apprentissage du bonheur".
13:18 Et donc il explique cette performance par le bonheur.
13:21 - C'est la palissade.
13:22 Un salarié heureux sera un salarié qui sera plus performant.
13:26 - Oui, mais donc vous vous retrouvez en fait avec tout un ensemble de critères dont votre
13:31 salarié, il doit sourire, il doit être heureux, il doit être enthousiaste, il doit travailler
13:34 comme un fou, mais il doit avoir les valeurs de l'entreprise.
13:37 Et surtout, dans ces entretiens annuels, les salariés sont de plus en plus notés sur
13:42 leur investissement, leur engagement, autant de choses qui sont très subjectives et qui
13:46 sont faciles pour déstabiliser un collaborateur dont on voudrait qu'il parte, on voudrait
13:50 qu'il accepte une rupture conventionnelle.
13:52 On va lui dire "tu n'es pas assez engagé, tu n'es pas assez investi, depuis quelque
13:56 temps tu as la tête ailleurs, on te trouve le matin, tu souris pas, t'as pas l'air
14:02 heureux de venir travailler, et donc en fait on pense que tu n'es pas bien ici, peut-être
14:07 tu pourrais accepter cette rupture conventionnelle".
14:09 En fait même "accepte-la, sinon tu serais sûrement licencié".
14:12 Voilà, c'est souvent comme ça que ça se passe.
14:14 - Et ça c'est une forme de harcèlement.
14:16 - C'est une forme de harcèlement.
14:18 Alors après il y a aussi, ce que j'ai observé dans cette enquête de 5 ans, c'est tout un
14:22 système qui fait que les gens, sur le moment, ne se rendent pas compte de la violence qui
14:27 leur est faite.
14:28 Alors par exemple, j'ai parlé avec une salariée, qui au début je lui posais cette question
14:34 parce qu'elle avait été mise dehors un petit peu rapidement de son entreprise, une société
14:40 très design d'ameublement, et puis je lui dis "mais est-ce que tu peux me raconter comment
14:45 ça s'est passé ?" et elle me dit "ben voilà, un jour j'ai été convoquée au parking de
14:52 mon entreprise, je lui dis "mais il n'y avait pas de salle de réunion ?" "si, si, elles
14:56 étaient vides, mais ma manager m'a dit que c'était mieux en bas, au sous-sol, je me
14:59 suis retrouvée sur un tabouret cassé, mes deux managers étaient sur une chaise, je
15:03 me suis fait recadrer, on m'a dit que j'avais un comportement odieux et qu'il fallait absolument
15:09 que je me reprenne, donc toute une analyse psychologique a été faite de mon profil
15:13 et je suis remontée sidérée dans mon open space."
15:17 Et je lui ai dit "mais tu te rends compte ?" et elle me dit "mais en fait, c'était peut-être
15:21 un peu violent."
15:22 - Ah oui d'accord, oui, ils ont intégré cette violence.
15:27 - C'est un monde à part dans lequel toutes les violences sont vues comme banales.
15:33 - Je vous dis, il faut relire la Boétie aussi avec le livre de Violenne Descourrières,
15:37 le traité de la servitude volontaire, il décrit ça il y a six ans, vous voyez, les
15:42 choses sont là, mais c'est plus l'entreprise.
15:44 On va continuer à Violenne Descourrières.
15:46 - Oui, et vous continuez de nous appeler au 0826 300 300 pour interpeller Violenne Descourrières
15:51 sur son livre "Le Management totalitaire" aux éditions Albain Michel.
15:54 A tout de suite sur Sud Radio.
15:56 - Les carottes sont cuites, les carottes sont cuites.
15:59 - Sud Radio Bercov dans tous ses états.
16:02 - Et nous continuons à parler de ce management, de ce management totalitaire avec Violenne
16:08 Descourrières.
16:09 Son livre vient de paraître aux éditions Albain Michel et c'est un livre qui décrit,
16:13 c'est un état des lieux qui est effectivement très fort, très fort.
16:18 Et puis vous allez jusqu'à dire, c'est intéressant, vous allez jusqu'à dire, vous constatez,
16:25 il y a en fait, alors c'est vrai que vous allez vous choquer, pourquoi ? Parce que vous
16:29 dites "état totalitaire", quand on dit "état totalitaire" on pense à Corée du Nord et
16:33 compagnie.
16:34 Bon, c'est pas la Corée du Nord et c'est pas ce que vous dites, mais quand même, il
16:38 y a des choses assez étonnantes.
16:43 Alors on va vous dire, on parle de la Chine et de son crédit social, les bons points,
16:46 les mauvais points, et bien ça existe dans l'entreprise.
16:49 Après ce que je dis dans votre livre.
16:51 C'est ce que je raconte dans mon livre, ce sont toutes ces méthodes anglo-saxonnes qui
16:55 sont dans les entreprises du CAC 40.
16:58 Et exactement, c'est un peu comme ce que vous dites, les notes sociales, les salariés
17:03 sont classés en trois catégories, c'est quand même pas beaucoup.
17:05 Les hauts potentiels, les médians et les faibles contributeurs.
17:11 Alors surtout...
17:12 Les hauts potentiels, les médians et les faibles contributeurs.
17:16 Exactement.
17:17 Et donc cette méthode de tri qui s'appelle ranking, elle a été utilisée la première
17:21 fois chez Microsoft dans les années 2000.
17:23 Et donc pour comprendre le phénomène, c'est que chez Microsoft, sur une équipe, vous
17:28 aviez pour 10 personnes, 7 faibles contributeurs, 2 hauts potentiels et 1 médian.
17:37 Ça vous donne une idée en fait de l'objectif de ce classement.
17:41 Et donc dans cette enquête de 5 ans, j'ai vu que cette pratique, elle était dans quasiment
17:47 toutes les entreprises du CAC 40.
17:49 Et il y a un autre phénomène, c'est que dans certaines entreprises, vous avez des
17:52 quotas de faibles contributeurs.
17:55 Et les faibles contributeurs, ils sont ensuite menés vers la sortie.
17:57 Alors pourquoi les quotas ? Ils pourraient dire on ne va pas prendre des faibles contributeurs,
18:02 on va prendre que des hauts potentiels ou des médians.
18:04 Et bien, mais c'est parce que ce sont dans des entreprises qui veulent se séparer de
18:08 façon régulière de leurs salariés pour adapter la masse salariale aux chiffres d'affaires.
18:14 Donc chez Sanofi, par exemple, jusqu'en 2017, il y avait encore cette pratique.
18:19 Or la Cour de cassation, en 2013, a interdit la pratique de quotas.
18:23 Et vous avez chez les syndicats, la CFDT, ils m'ont bien précisé qu'il y avait encore
18:27 des entreprises qui utilisaient cette méthode-là.
18:30 Alors il y a d'autres entreprises qui font les choses de façon un petit peu plus, comment
18:34 dire… Plus douce, plus soft.
18:36 Plus douce, par exemple, Danone, ils vont mettre en place un pourcentage de hauts potentiels,
18:42 de médians et de faibles contributeurs.
18:44 Vous ne faites pas vraiment en réalité ce qu'il y a dans votre équipe, vous faites
18:48 selon le pourcentage.
18:50 Donc vous allez vous retrouver avec des gens qui travaillent bien, qui ont des compétences
18:53 et qui sont mis dans ces quotas de "losers" entre guillemets.
18:56 Et qui sont ensuite menés vers la sortie.
18:59 Et qui ne le savent pas eux-mêmes, bien sûr.
19:01 Qui ne le savent pas, surtout en fait, ils vont avoir tout le poids de la culpabilité
19:04 sur leurs épaules, alors qu'en fait ils sont l'objet d'une logique comptable.
19:08 Je comprends.
19:09 Et ça c'est… Oui, je voulais dire, c'est un classement qui n'est pas évidemment
19:13 codifié, qui n'est pas écrit, qui n'est pas formulé, mais qui est là.
19:16 Qui existe dans le rapport.
19:18 Oui, et les managers pensent qu'ils sont en fait… qu'ils sont tout seuls, qu'ils
19:23 vont demander ce genre de pratiques, ou… Ils ne réalisent pas en fait qu'on est sur
19:27 un phénomène global.
19:28 Les syndicats par contre, évidemment, le savent.
19:31 Et des DRH sont… s'inquiètent de cette dérive.
19:36 J'en ai rencontré une notamment, qui a dû refuser la pratique par quota dans son
19:40 entreprise avec beaucoup de courage.
19:41 Et elle n'a pas été virée ?
19:42 Non, parce qu'elle était implantée depuis longtemps, d'où le management par la stabilité.
19:47 Quand c'est le cas, c'est positif.
19:49 Donc il y a quand même des managements par la stabilité.
19:52 Exactement.
19:53 Heureusement, d'ailleurs, heureusement.
19:54 Mais pour revenir à ça quand même, est-ce que vous n'allez pas loin ? Je reviens à
19:59 ce mot totalitaire, Virine Descourrières.
20:02 Est-ce qu'au fond, les personnes que vous avez eues, et encore une fois, vous avez fait
20:06 vraiment une excellente enquête et vous avez interrogé beaucoup de monde à tous les niveaux.
20:11 Est-ce qu'au fond… Alors, on va parler un peu de l'actualité.
20:15 Est-ce que la crise Covid, est-ce que la guerre en Ukraine, disons ce qui se passe aujourd'hui,
20:22 puisqu'on parle des retraites, on parle des retraites, de l'âge, on parle de la pénibilité,
20:27 etc.
20:28 Est-ce que l'actualité, si vous voulez, le fait qu'il y ait eu le confinement en
20:35 2020, etc. a joué sur le management, même si c'est marginal ou pas du tout ? Ou ça
20:40 a simplement accentué les tendances que vous aviez déjà vues ?
20:44 Alors, je pense qu'il n'y a pas eu beaucoup de changements.
20:49 Le véritable changement, c'est chez les salariés, c'est-à-dire ceux qui ont été
20:55 en confinement et qui ont réalisé qu'ils avaient leur famille, qu'ils avaient leur
21:00 espace de vie et que toute leur vie n'était pas à leur entreprise.
21:03 Je pense qu'il y a eu cette prise de distance-là, ce qui fait que les chiffres montrent que
21:08 vous avez aujourd'hui 87% des cadres qui veulent se reconvertir.
21:13 Le chiffre est absolument massif.
21:14 C'est un chiffre fiable ? Oui, complètement.
21:17 C'est énorme ! 87% des cadres ? Oui.
21:20 Qui veulent se reconvertir dans quoi ? Qui ont l'idée de se reconvertir ? Alors,
21:24 vous voyez... De quitter l'entreprise ?
21:26 Oui, de quitter l'entreprise.
21:27 Donc, vous avez sur ce chiffre très impressionnant une grande partie qui ne vont pas le faire,
21:33 mais qui ont l'idée de le faire.
21:35 D'accord.
21:36 Ça montre la perte de sens en entreprise.
21:37 Donc, ce que je dis dans cette enquête de cinq ans aussi, c'est que cette perte de
21:41 sens, elle vient du management par l'instabilité.
21:44 Entre 1985 et 2017, le nombre de fusions et acquisitions ont été multipliées par 18.
21:51 C'est absolument énorme ! Oui, c'est énorme, vous le dites.
21:54 Entre 1985 et 2017.
21:57 Exactement.
21:58 18 fois... Enfin, 18 fusions et acquisitions.
22:02 18 fois.
22:03 Or, selon la direction de l'animation de la statistique et la recherche, D'Arès,
22:07 en 2021, les salariés qui éprouvent une perte de sens dans leur métier sont ceux
22:12 qui ont subi au moins un changement ces douze derniers mois.
22:15 Donc, un logiciel qui arrive, qui vient prendre une partie de votre travail, une fusion-acquisition,
22:22 une réorganisation.
22:23 Donc, il y a une perte de sens qui joue et qui s'ajoute au reste, si vous voulez.
22:28 Oui.
22:29 Donc, je pense qu'en fait, du côté du salarié, il y a une évolution.
22:32 Par contre, au niveau des pratiques managérielles, au contraire, en fait, l'entreprise prend
22:36 toujours plus de place.
22:37 Elle veut tout régir dans la vie du salarié.
22:39 C'est ce que je raconte.
22:40 Je parle même d'entreprises au cas 40 qui font appel à des jeunes pousses de gestion
22:44 du sommeil.
22:45 C'est-à-dire, vous avez des salariés qui vont remplir un questionnaire sur l'application.
22:51 Ils vont dire s'ils ronflent la nuit, s'ils font de l'apnée du sommeil.
22:54 Et tous ces chiffres arrivent non pas chez la médecine du travail, mais chez le DRH.
22:59 Ah oui, intéressant.
23:01 DRH comme substitut de médecine du travail, mutuelle, etc.
23:06 Et vous avez la même chose, vous avez des applications de bien-être où vous faites
23:10 part de votre état de santé psychique.
23:12 Et tous ces critères arrivent sur des chiffres qui sont chez les DRH.
23:16 Et c'est la même chose aussi sur les applications de sport.
23:19 Or, tout ça, ça corrobore toutes ces études à Harvard qui vous disent qu'un salarié
23:26 qui est sportif est plus performant, un salarié qui est heureux les plus aussi.
23:29 Et l'entreprise fait sa communication pour dire qu'elle s'occupe du bien-être de ses salariés.
23:33 Oui, c'est très...
23:35 Et en fait, attendez, on va vers une espèce de gestion, je ne vais pas dire de contrôle
23:40 général, de la vie quotidienne.
23:42 Oui, et c'est pour ça que j'en viens justement à votre question.
23:45 Mais est-ce que ce n'est pas extrême la dimension totalitaire ?
23:47 Non, c'est dans le sens de totalisant.
23:49 Vous avez une entreprise qui régit tout de votre vie tellement que vous n'avez plus d'espace
23:53 de vie personnelle.
23:54 Si vous utilisez le développement personnel, vous faites du sport, vous avez un bon sommeil
23:59 et vous incarnez les valeurs de votre entreprise, vous devenez un ambassadeur et vous devez,
24:04 l'entreprise Engie par exemple dit à ses salariés, de parler en bien d'Engie dans
24:08 les dîners entre amis.
24:09 Et dit à ses salariés qui sont les ambassadeurs d'Engie.
24:12 L'entreprise va tellement loin qu'elle devient totalisante dans le sens de totalitaire.
24:17 Est-ce que ça va jusqu'à la vie privée ? Est-ce que vous êtes marié, pas marié ?
24:21 Est-ce qu'on se renseigne aussi là-dessus, sur la vie privée ?
24:25 Oui, alors ça c'est un petit peu plus informel.
24:27 Ce que je dis dans un des chapitres intitulé "L'employeur psychologue", ce sont tous ces
24:32 managers.
24:33 Vous avez quelques fichiers, alors ça a été un peu médiatisé, notamment à la SNCF
24:39 ou chez Vinci Autoroute, c'est des affaires connues, de fichiers où vous avez des managers
24:44 qui vont y écrire des choses subjectives sur les gens.
24:46 En fait, c'est toute cette dérive qui fait que le salarié n'est plus seulement noté
24:51 sur ses compétences.
24:53 À l'ère de l'intelligence artificielle, certaines compétences sont devenues obsolètes,
24:57 donc il est noté sur son comportement, sur son mode de vie, qui doit être performant.
25:02 Et là, quand vous enjoignez un salarié à être un athlète, ou même vous avez des
25:08 séminaires où, je raconte dans mon livre, le salarié est enjoint à être comme Gandhi,
25:14 Martin Luther King, à être un héros, un athlète, mais les héros meurent en martyr
25:19 et les athlètes terminent leur carrière à 40 ans.
25:22 Donc, en fait, on voit qu'on est vraiment à l'ère du salarié de court terme.
25:27 - Alors écoutez, salarié de court terme, je ne sais pas si nos auditeurs se sentent
25:31 Gandhi ou martyr, je ne crois pas, mais en tout cas, on va avoir les auditeurs de Sud
25:38 Radio maintenant.
25:39 - Oui, ça réagit beaucoup, et vous continuez de nous appeler au 0826 300 300, on attend
25:44 vos réactions et on accueille tout de suite Daniel de Castelnaudary.
25:47 Bonjour Daniel.
25:48 - Bonjour Daniel.
25:49 - Bonjour André, bonjour aussi à votre invité.
25:52 - Bonjour Daniel.
25:53 - Merci beaucoup.
25:54 Merci beaucoup pour tout ce que vous faites André.
25:56 Voilà, alors moi, tout ce que vous dites, beaucoup de choses dont vous parlez, madame,
26:00 je l'ai vécu et notamment, dernièrement, on m'avait fait remiroiter un poste de directeur
26:05 de site, une boîte de 30 personnes.
26:07 Et ensuite, deux mois après, on m'a dit non, vous êtes trop gentil, il nous faut quelqu'un
26:12 de dur, cette personne est arrivée, la personne dure et j'ai fait un burn-out et je suis parti.
26:17 Mais voilà, ma question aujourd'hui, alors après oui, je voulais juste faire un petit
26:22 aparté aussi par rapport à la loi sur la retraite.
26:25 On nous dit qu'on vit plus longtemps, mais on vit un stress, le boulot est devenu anxiogène.
26:30 Et je peux vous dire qu'à l'âge de 57 ans, à 57 ans, je suis dans un état de stress,
26:35 mais permanent.
26:36 Pour ça, c'était encore un autre sujet.
26:37 - Oui, mais c'est un vrai problème.
26:38 - Donc on vit plus longtemps, mais peut-être dans un stress plus grand.
26:42 - Peut-être différent, oui.
26:43 Oui, Daniel, votre question ?
26:44 - Alors, ma question, je vais viser ça, ma question.
26:46 Ce que j'ai remarqué également, c'est qu'on a les résultats de l'éducation enfant roi,
26:51 vous savez, les restes des 68 heures, selon moi.
26:53 Je voudrais savoir si dans votre livre, vous en parlez, parce que ces gens-là qui ont été
26:56 éduqués avec tout pour ma tronche, tout pour moi, tout pour moi, je veux tout, tout de
27:01 suite et maintenant, quand j'en ai vu qu'ils se sont retrouvés managers, ils sont, mais
27:05 vraiment, ce sont des petits dictateurs.
27:07 Vous avez raison de le dire.
27:08 Dès que ces gens-là qui veulent tout, ils se servent de vous comme un tremplin et ils
27:13 vous pressent.
27:14 Et après, quand ils voient que vous êtes usé, mais ils n'hésitent pas à vous jeter
27:19 et à vous faire croire que vous avez mal bossé, que vous êtes incompétent.
27:22 Voilà, je voulais savoir si vous parliez de ça dans votre livre.
27:24 - Oui, Violenne Descourrières, est-ce que l'esprit 68 heures, disons de la génération
27:30 des boomers, est-ce que ça a joué ou vous avez eu des exemples ?
27:34 - Alors, moi, j'ai surtout interrogé des personnes qui étaient, je pense, après cette
27:41 génération-là.
27:42 Donc, je ne peux pas parler exactement de cet esprit.
27:47 En revanche, je pense qu'il y a quelque chose de ça lié à la valeur travail de façon
27:54 générale dans le sens où on voit ce capitalisme individualiste anglo-saxon, s'il a pris le
28:01 dessus sur le capitalisme social, pourquoi la France n'a pas pris cette direction qu'on
28:06 voit en Allemagne, d'un capitalisme rénant social de long terme ?
28:10 Je pense que c'est parce que ça séduisait cette vision anglo-saxonne, individualiste.
28:16 - Il est interdit d'interdire, tout de suite.
28:18 - Exactement.
28:19 Et c'est dans les années 60 que se sont implantés ces premiers cabinets, McKinsey, Bain et compagnie
28:27 anglo-saxon qui ont diffusé cette culture individualiste.
28:31 Donc, je pense que le terreau était là.
28:33 - D'accord.
28:34 Lucien ?
28:35 - Oui, on va tourner une rapide page de pub et on accueillera Jean de Paris.
28:39 A tout de suite.
28:40 - En sec.
28:41 Je n'aime pas la blanquette de veau.
28:44 Je n'aime pas la blanquette de veau.
28:47 Sud Radio Bercov, dans tous ses états.
28:50 - 13h46 sur Sud Radio, vous avez la parole au 0826 300 300 et on a le plaisir d'accueillir
28:57 Jean de Paris.
28:58 Bonjour Jean.
28:59 - Bonjour Jean.
29:00 - Bonjour.
29:01 - On vous écoute Jean.
29:02 - Oui, moi je voulais juste témoigner, je suis consultant, j'ai 62 ans, je suis consultant
29:08 en ressources humaines et chercheur en psychogénétique.
29:11 J'ai utilisé par le passé un questionnaire qui avait l'originalité d'évaluer la valeur
29:17 marchande de nos défauts.
29:18 - Ouais.
29:19 - Et cet outil ne donnait pas pour le profil d'une personne son trait le plus caractéristique,
29:27 mais le trait qui le distinguait le plus des autres.
29:29 - D'accord.
29:30 - Et sur le principe des écartiques.
29:32 Et on avait évalué avec cet outil la personnalité des DRH.
29:37 - Ouais.
29:38 - Et c'était déjà dans les années 90.
29:41 - D'accord.
29:42 - Et le trait majeur des DRH c'était la dureté de terre.
29:47 - Ah oui, vous avez constaté ça chez la plupart, intéressant.
29:52 - Exactement.
29:53 Car comme le dit très bien Violenne, pour qu'un DRH puisse survivre comme DRH, il faut
30:00 qu'il ait une dureté de coeur.
30:01 Sinon il fait un burn-out ou alors il change de métier parce qu'il ne supporte plus d'être
30:07 un coupeur de tête.
30:08 - Oui, c'est ça.
30:09 Et de dire aux gens "maintenant je suis venu te dire que tu t'en vas".
30:14 - Exactement.
30:15 Et on avait trouvé avec cet outil, notamment dans un groupe hôtelier, le salaire annuel
30:24 des directeurs d'hôtel à 1000 euros près.
30:28 - Ah bon, je veux dire en faisant...
30:30 - Selon leur personnalité, on pouvait indiquer leur salaire annuel à 1000 euros près.
30:34 - Ah oui, carrément.
30:35 En faisant leur caractéristique, vous dites "celui-là il vaut tant".
30:39 - Voilà, exactement.
30:40 - Bah écoutez, c'est très intéressant.
30:43 Mais en tout cas, avoir fait de l'entreprise psychogénétique, c'est vrai que ça aide.
30:47 Merci Jean, merci.
30:48 - Je vous en prie.
30:50 - Merci beaucoup Jean.
30:51 Et on continue notre tournée des auditeurs avec Philippe de Cherbourg.
30:54 Bonjour Philippe.
30:55 - Bonjour Philippe.
30:56 - Bonjour Philippe.
30:57 - Bonjour Philippe.
30:58 - Bonjour André, bonjour Violaine.
30:59 Moi je vais vous expliquer un petit peu, j'étais une victime collatérale en fin de compte.
31:04 Ma femme avait une activité dans un grand groupe qui commence par eau et orange.
31:09 Je vais vous expliquer auparavant quand même son parcours, brièvement.
31:13 Elle est partie aux Etats-Unis en plein boom de l'informatique et autres.
31:21 Et tout se passait bien, elle a eu l'occasion de travailler à l'américaine avec un management
31:27 à l'américaine que vous connaissez peut-être aussi, qui peut être, c'est vrai certes,
31:32 on va dire expéditif ou violent, mais qui a le mérite de reconnaître vraiment la valeur
31:38 des individus, des collaborateurs.
31:40 Elle a passé 10 ans après les revenus dans ce groupe, ça c'était à l'époque France
31:47 Télécom, maintenant Orange, mais c'était catastrophique.
31:52 Moi, victime collatérale, je vous explique, chaque soir quand elle rentrait, elle ne comprenait
31:58 pas en fin de compte, avec sa hiérarchie proche, les explications.
32:06 Et en fin d'année, l'entretien annuel, ça va parler à beaucoup de salariés, où là
32:11 vous aviez en fin de compte une explication les yeux dans les yeux et souvent, on va dire,
32:20 un déficit de valeur par rapport au travail réellement fait et fait que.
32:26 Et ça, c'est un gros problème.
32:28 Alors, je vous parle aussi de l'organisation des sociétés, notamment française, qui est
32:34 un gros problème.
32:35 Quand vous avez connu un management américain ou à l'américaine, vous avez beaucoup de
32:39 mal à revenir sur un management français, c'est-à-dire philo ou pyramidal.
32:47 Alors là, il y a un gros problème.
32:50 Alors, je suis Orange, il serait intéressant d'ailleurs de regarder ce qui se passe du
32:54 côté de M.
32:55 Lombard et Vénez.
32:56 - Oui, on ne va pas rentrer dans le détail d'Orange, c'est une autre émission.
33:00 Non, mais vous vous dites simplement, je voudrais quand même résumer, vous vous dites que
33:05 le problème, il n'y a pas que l'accusé, parce que ce que fait Violaine, c'est "management
33:10 anglo-saxon, c'est pas bien, management française, c'est pas mieux parce qu'ils ont pris, peut-être
33:17 l'état ou les défauts du management anglo-saxon.
33:20 C'est un vrai sujet, ça, Violaine.
33:24 - Oui, alors ce que je veux juste préciser, bien sûr, mais c'est qu'en fait dans le management,
33:30 ce que je dis dans ce livre, c'est que le problème, c'est le pire des deux.
33:35 C'est-à-dire le pire du management français, qui est un management justement qui exige
33:39 une loyauté totale de la part du salarié, et le management anglo-saxon qui est justement
33:45 dans cette tyrannie du court terme, et donc ce management par l'instabilité.
33:48 C'est les deux couplets qui font qu'on se retrouve avec un tel malaise, surtout en France.
33:53 - Ils ont pris les défauts des deux.
33:54 - Le pire des deux.
33:55 - Oui.
33:56 Lucia.
33:57 - Oui, et on accueille maintenant Guillaume Deblois.
34:00 Bonjour Guillaume.
34:01 - Oui, bonjour Guillaume.
34:02 - Oui, bonjour, bonjour monsieur Vercoff, bonjour à votre invité.
34:07 - Bonjour.
34:08 - Madame a parlé d'une entreprise qui est de plus en plus invasive dans la vie privée
34:18 des gens.
34:19 Je souhaitais quand même rappeler que Ford, Henry Ford, avait déjà commencé, maintenant
34:26 plus d'un siècle, puisqu'il demandait à ses salariés de la sobriété, donc pas d'alcool,
34:35 d'avoir une vie de famille stable, de faire des économies, etc.
34:39 Donc il était déjà très intrusif à ce niveau-là.
34:41 Donc ce n'est pas une nouveauté.
34:43 Malheureusement, c'est une évolution.
34:46 Et de plus que le management, il s'appuie maintenant sur de plus en plus des logiciels,
34:54 donc dans le tertiaire, c'est-à-dire du software qui décompte vos "performances".
35:05 Et puis, ça devient de plus en plus intrusif dans le domaine du travail.
35:12 - Oui, ça violente des courrières lundi, oui absolument.
35:14 - Voilà, tout à fait.
35:16 Et puis, du point de vue du management tout court, ça s'était apparu il y a à peu près
35:24 une quinzaine d'années.
35:25 Donc des points annuels maintenant qui peuvent être beaucoup plus rapprochés maintenant,
35:35 des points trimestriels, voire même mensuels, pour discuter des "performances".
35:43 Et puis, ce qui m'avait surpris à l'époque, c'était il y a à peu près une quinzaine
35:50 d'années, c'était "bon alors qu'est-ce qui ne va pas selon toi ? Qu'est-ce que tu
36:00 peux améliorer ?" etc.
36:01 - Je comprends.
36:02 Juste, Guillaume, vous voudriez réagir là-dessus ?
36:08 - Oui, vous avez tout à fait raison.
36:10 Quand j'en parle un peu dans mon livre, c'est une forme d'auto-évaluation qui sont demandées
36:17 aux salariés, alors même parfois, j'ai entendu des salariés tous les vendredis qui
36:21 devaient envoyer un tableau avec leurs réussites, mais aussi leurs échecs, leurs difficultés.
36:25 - Les salariés eux-mêmes doivent envoyer un tableau ?
36:28 - Exactement, sauf qu'ils savent très bien qu'en cas d'éviction, ou lorsqu'ils sont
36:33 un peu sur la sellette, c'est tout ce qu'ils ont eux-mêmes écrit qui servira à leur
36:37 licenciement.
36:38 - Attendez, il y a quelque chose, je reviens à la servitude volontaire, moi qui mente,
36:42 ça veut dire que le salarié, est-ce qu'il peut, si par exemple, un salarié de l'entreprise
36:46 dit "écoutez, jugez-moi si vous voulez, moi je ne vois pas pourquoi je ferais une évaluation
36:52 de mes capacités, c'est à vous de dire moi, je travaille du mieux que je peux, et
36:58 ce n'est pas à moi de faire cette évaluation", est-ce qu'il peut la refuser ? Ou alors il
37:01 risque...
37:02 - Non, il risque d'être évincé si tout le monde l'accepte.
37:04 - Alors ça c'est surtout dans les PME, dans les jeunes pousses où vous avez une présence
37:09 syndicale très faible.
37:10 - Ah oui, d'accord, c'est ça.
37:11 - Donc ça se pèterait de façon informelle, tous les vendredis tout le monde envoie un
37:14 mail avec ses réussites et ses échecs et ses difficultés.
37:18 Donc effectivement, les auto-évaluations c'est un vrai phénomène.
37:21 - Oui, c'est intéressant.
37:22 Et on en discute après avec le DRH ou l'ADK ?
37:25 - Non, mais au moment où vous êtes convoqué pour une rupture conventionnelle ou un licenciement,
37:30 la première question posée c'est "et toi, comment tu te sens ?"
37:33 C'est quoi tes difficultés ?
37:35 - Alors moi je voudrais peut-être...
37:37 Je veux dire, Violaine, on a encore beaucoup d'auditeurs et on s'excuse à chaque fois,
37:43 on aimerait avoir plus de temps vraiment pour vous donner la parole et vous le savez que
37:47 c'est très important pour moi, pour nous ici.
37:49 Mais au fond, qu'est-ce qu'on pourrait faire aujourd'hui ? Je veux dire, on arrive en fin
37:54 d'émission, mais est-ce qu'il y a, s'il y a des choses à changer, il y a toujours
37:58 des choses à changer, mais que vous, au bout de cinq ans d'enquête, comme vous le répétez,
38:03 qu'est-ce qu'il y a, qu'est-ce qui serait le plus urgent à changer ?
38:06 - Oui, alors en fait il y a plusieurs étapes.
38:08 D'abord au niveau des PDG.
38:10 Donc Jean-Dominique Sénard, PDG de Renaud, lui disait, il y a un vrai phénomène, il
38:15 faut que les PDG français et allemands se réunissent pour définir les valeurs du capitalisme
38:20 social.
38:21 Ensuite au niveau des DRH.
38:22 Ce qu'il faut, c'est avoir des DRH qui sont au même niveau que les financiers.
38:27 Donc le DAF, le directeur financier.
38:29 - Au même niveau, c'est-à-dire ?
38:30 - C'est-à-dire qu'il soit pris de décision, qu'il ne soit pas un exécutant.
38:35 Un DRH exécutant, c'est un DRH qui va évincer les gens sur la demande de la direction financière.
38:41 Le DRH doit avoir autant d'importance que celui qui est dirigeant financier.
38:46 - Oui, autant d'influence et autant d'importance.
38:48 - Autant d'importance parce que lui, il va parler des ressources humaines sur le long
38:51 terme et il va faire front, il va plutôt stopper les demandes d'éviction.
38:57 Ça c'est au niveau des DRH.
38:59 Au niveau des managers, je pense qu'il ne faut plus indexer la performance des managers
39:03 sur la performance de leur équipe.
39:04 Parce que c'est ce qui facilite les harcèlements.
39:06 - D'accord.
39:07 - Et enfin, au niveau des salariés, c'est la question d'instaurer le plus possible un
39:11 management par la stabilité, c'est-à-dire des CDI et donc le fameux apprentissage qui
39:16 était plébiscité par Henri Lachman, l'ancien PDG de Schneider Electric.
39:22 - L'apprentissage.
39:23 - Qui est un vecteur de stabilité.
39:26 - J'ai un message à envoyer à Emmanuel Macron, il faut tout de suite prendre Violenne Descourrières
39:31 comme ministre du Travail et au moins, au moins, au moins conseillère spéciale du
39:36 ministère du Travail.
39:37 Peut-être que des choses vont changer, en mieux.
39:39 - Merci beaucoup chers auditeurs de nous avoir écoutés avec Violenne Descourrières pour
39:44 son livre "Le management totalitaire" aux éditions Albain Michel.
39:47 Tout de suite l'émission de Brigitte Lay, à tout de suite sur Sud Radio.