POUR UNE ÉCOLOGIE PIRATE : LE MANGA ONE PIECE INSPIRE LE MOUVEMENT CLIMAT

  • l’année dernière
« Être dépossédé de l'ancrage dans une terre, c'est être voué à l'errance et à l'impasse politique ». Par ces mots, Fatima Ouassak, autrice de Pour une écologie pirate, insiste sur l'urgence de lutter pour libérer la terre, notamment des quartiers populaires. Cette terre « meurt car ceux qui l'habitent ne sont pas considérés comme chez eux », écrit-elle.
Politologue, co-fondatrice du Front de mères et de Verdragon, la maison de l'écologie populaire à Bagnolet, en Seine Saint-Denis, Fatima Ouassak se définit politiquement à travers sa terre.
Inspirée par le manga One Piece et par la soif de liberté des protagonistes de l'oeuvre littéraire japonaise, qui rappelle celle de la jeunesse des quartiers populaires, l'autrice voit à travers cette soif de liberté le déclencheur d'une lutte pour la libération des terres dans les quartiers populaires. Cette soif de liberté, symbolisée par la figure du pirate, inspire le titre du livre de Fatima Ouassak et son projet écologiste, du point de vue des quartiers populaires. Ce projet croise écologie, anti-racisme, féminisme, lutte des classes et libération animale.

▶ Soutenez Le Média :
https://soutenez.lemediatv.fr (CB - SEPA - Chèque)
https://dons.lemediatv.fr (CB - SEPA - Chèque)
https://fr.tipeee.com/le-media (CB - Paypal)
Transcript
00:00 - Alors l'écologie pirate, c'est une écologie populaire, effectivement,
00:04 populaire au sens où, en tout cas, elle a l'ambition d'être populaire,
00:07 elle a l'ambition de s'ancrer dans la classe ouvrière, dans la classe populaire,
00:11 en l'occurrence les quartiers populaires en particulier,
00:13 mais c'est la classe ouvrière de manière plus générale.
00:17 On a parlé de la terre, il y a aussi la question de la liberté, d'où le sous-titre,
00:21 "Et nous serons libres".
00:23 C'est donc la question de la terre, mais aussi la question de la liberté,
00:25 c'est comment les deux s'articulent.
00:26 Et la piraterie, évidemment, c'est le symbole de la liberté.
00:30 Je fais notamment référence au manga "One Piece",
00:33 où il s'agit notamment de trois enfants qui arrivent à s'extraire d'une décharge
00:42 et qui se jurent devant la mer, devant l'océan, qu'un jour ils deviendront pirates.
00:47 Et donc, je pense que ça correspond politiquement à la soif de liberté,
00:54 je suis sûre qu'il anime beaucoup de gens,
00:57 mais je pense qu'il anime particulièrement les jeunes qui vivent dans les quartiers populaires.
01:02 Nous vivons une crise climatique d'ampleur,
01:05 nous assistons aux catastrophes écologiques et à une course effrénée du système capitaliste
01:09 vers la destruction de notre environnement et de nos habitats.
01:12 Notre monde est de plus en plus irrespirable,
01:14 et face à l'urgence, les réponses sont trop souvent insuffisantes,
01:17 s'appuyant parfois sur des mouvements écologistes déconnectés, bourgeois,
01:20 qui ne comprennent pas les enjeux d'une écologie populaire.
01:24 Faisant ce constat, la politologue et co-fondatrice du Front de Mer et de Vert-Dragon,
01:28 la maison de l'écologie populaire à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis,
01:31 propose un front internationaliste autonome, initié dans les quartiers populaires,
01:35 c'est ce qu'on appelle l'écologie pirate.
01:38 Bonjour Fatima Ouassak.
01:45 Bonjour.
01:46 Vous allez bien ?
01:46 Très bien et vous ?
01:47 Très bien.
01:48 Alors, vous venez de publier ce livre pour une écologie pirate,
01:52 un livre qui pose des questions essentielles, qui esquisse un projet populaire,
01:57 un projet de libération pour affronter le capitalisme, l'impérialisme et la crise climatique.
02:01 Alors, dans ce livre, vous avez un projet quand même,
02:05 et dans ce projet, au cœur, il y a la question de la terre, la libération de la terre,
02:08 c'est votre mot d'ordre.
02:09 Et vous dites même que la terre est peut-être le lien entre les classes populaires en marge des métropoles
02:14 et celles des campagnes.
02:17 Oui, en fait, effectivement, je parle de la terre dans le livre.
02:21 Alors, ça peut paraître étonnant parce que quand on parle d'écologie du point de vue des quartiers populaires,
02:26 d'écologie populaire, et quand on parle des banlieues, on parle rarement de la terre.
02:31 Alors, moi, j'ai pu observer, d'ailleurs, pas dans les quartiers populaires,
02:35 plutôt dans les campagnes, à quel point lorsqu'il y a un projet d'installation de ce qu'on peut appeler un grand projet inutile,
02:44 c'est l'ancrage territorial, l'ancrage dans la terre des habitants du territoire
02:50 qui va décider si oui ou non le projet va être mis en œuvre.
02:58 J'ai pu observer ça dans le Jura, par exemple, où il y a un fort attachement à la terre, un rapport d'amour presque à la terre.
03:05 Dans les luttes locales.
03:06 Dans les luttes locales, mais du coup, les grands projets inutiles ont moins la possibilité de s'y installer.
03:13 Dans d'autres régions, j'ai pu observer, par exemple, ce qui se passait en Bourgogne,
03:17 il y a moins d'ancrage territorial, ce sont des zones qui sont dévastées, désindustrialisées, etc.
03:23 Et les grands projets inutiles ont plus de facilité à s'y ancrer.
03:27 Et partant de ça, j'ai émis l'hypothèse que dès lors qu'on est désancré, qu'on est moins ancré dans le territoire,
03:36 il se trouve que les quartiers populaires, ce sont des territoires, c'est une terre,
03:40 on va être moins susceptible, moins à même de défendre cette terre-là.
03:47 Donc il y a bien un lien, effectivement, entre ce qui se passe dans les quartiers populaires, ce qui se passe dans les campagnes.
03:52 Parce que je pense tout simplement que c'est quelque chose d'universel, en fait.
03:55 On protège d'autant plus et d'autant mieux une terre que dès lors qu'on y est ancré,
04:01 que dès lors qu'on y a accès, dès lors qu'on a un rapport presque charnel à cette terre.
04:07 - Qu'on l'aime. - Qu'on l'aime, tout simplement.
04:09 - Quand vous parlez d'ailleurs de cette alliance au sein des classes populaires pour la libération de la terre,
04:14 on ne peut pas s'empêcher de penser notamment à une lutte qui fait actuellement l'actualité,
04:20 de penser notamment au soulèvement de la terre et à la lutte contre les bassines,
04:23 contre l'accaparement de l'eau, mais aussi des terres par certains grands exploitants agricoles.
04:31 Est-ce que c'est ce type de lutte notamment qui peut aussi vous inspirer ?
04:35 - Alors tout à fait, je pense qu'on peut se retrouver effectivement autour de la réappropriation de la terre,
04:40 l'idée de reprendre de la terre au système colonial capitaliste.
04:46 Mais il y a bien colonial dans colonial capitaliste et oui, je pense qu'il faut aussi inscrire ces luttes-là,
04:53 donc les luttes que vous venez de citer, dans une longue histoire de lutte anticoloniale,
04:59 en Afrique notamment, mais aussi en Amérique du Sud où il y a les mêmes soulèvements en réalité.
05:04 - Ça fait beaucoup écho aux luttes de libération nationale ?
05:06 - Absolument, aux luttes de libération anticoloniale, puisque les luttes de libération anticoloniale,
05:10 c'est avant tout une lutte pour se réapproprier des terres qui sont spoliées.
05:15 Et c'est ce lien-là qui n'est pas fait en fait, et c'est aussi pour ça que j'ai voulu écrire ce livre,
05:20 c'est pour inscrire, réinscrire ces luttes pour la terre dans les luttes anticoloniales,
05:28 et je fais l'hypothèse aussi que c'est ce qui va faire de la lutte écologiste quelque chose qui peut être appréciable dans les quartiers populaires.
05:39 Dès lors qu'on parle de lutte anticoloniale, ça va tout de suite davantage parler dans les quartiers populaires que les luttes que vous citiez tout à l'heure.
05:47 - Du coup, ça signifie aussi que vous appuyez beaucoup sur les luttes du passé ?
05:51 - Alors c'est des luttes du passé, mais en réalité, la lutte anticoloniale, pour moi, elle existe toujours.
05:56 Par exemple, en Palestine, j'ai donné l'exemple aussi de l'Amérique du Sud, on parle du mouvement des centaires là-bas.
06:02 Donc oui, je pense qu'il y a un lien à faire entre, effectivement, le passé et le présent,
06:07 mais il y a aussi un lien à faire entre ce qui se passe partout dans le monde, et à nouveau, voilà,
06:13 je considère qu'on a affaire là à une lutte qui est universelle et qui peut nous rassembler autour de la table dans une perspective internationaliste.
06:22 - Pour ce projet, vous dites, vous écrivez, qu'il y a quand même des luttes que vous voulez mener en premier lieu,
06:29 donc cette lutte pour la terre, mais aussi vous parlez des luttes syndicales, des luttes culturelles, de quoi il s'agit exactement ?
06:35 - Alors pour ce qui concerne les luttes syndicales, c'est pas tant l'objet de ce livre-là, j'espère avoir l'occasion d'en parler dans un autre livre.
06:44 - Un troisième qui va suivre, on a déjà eu un autre avant.
06:47 - Absolument, oui, en fait, j'ai surtout voulu dire à quel point notre salut dépendait, effectivement, de trois luttes de libération,
06:57 libération de la terre, les luttes syndicales, effectivement, et c'est toute la question du travail qui, pour moi, reste centrale, essentielle.
07:05 - C'est la question qu'on pose aujourd'hui, notamment avec la présence du mouvement écologiste dans le mouvement contre la réforme des retraites.
07:10 - Absolument, et donc cette troisième axe, les luttes culturelles, et c'est comment, en fait, on arrive à faire de l'écologie,
07:20 non seulement un outil de libération et pas simplement de protection de la terre, j'explique dans le livre la différence entre protection et libération,
07:29 mais surtout à faire de cette écologie quelque chose de joyeux, en fait, de désirable, et aussi à hauteur d'enfant.
07:36 Et je trouve que cet axe culturel est trop délaissé, et notamment dans une perspective d'éducation populaire,
07:44 et c'est pour ça que je parle beaucoup dans le livre, bon déjà, c'est pour ça que ça s'appelle l'écologie pirate,
07:48 enfin la piraterie, tout à coup, c'est un imaginaire qui est non seulement enfantin, mais qui est aussi de l'ordre de l'aventure,
07:55 mais c'est aussi pour ça que je parle de dragons, c'est pour ça que je parle de Roi Capice, par exemple, il y a une petite histoire à la fin qui est dédiée aux enfants.
08:03 C'est vraiment, voilà, dans quelle mesure on n'arrive pas avec nos gros sabots d'experts, de techniciens, de techniciennes sur la question de l'écologie,
08:13 quand on parle d'énergie, par exemple, où il faut avoir Bac +10, en fait, en réalité, pour comprendre les enjeux, souvent, et puis c'est quelque chose de très froid.
08:21 D'ailleurs, cette écologie-là d'experts, c'est quelque chose d'assez récent, je parle dans le livre notamment d'une lutte qui a été menée dans les années 70,
08:30 c'est la lutte à Plogov contre l'installation d'une centrale nucléaire. Bon, c'est une lutte qui était très populaire, ancrée dans la classe ouvrière bretonne.
08:40 C'était pas du tout une lutte d'experts. Et je trouve que, voilà, on aurait à gagner à se souvenir, se rappeler de ces luttes-là, et à chanter les luttes,
08:51 à danser les luttes, et à accepter que les enfants fassent partie de nos combats, être vraiment sur quelque chose de l'ordre de l'hégémonie culturelle, en fait, qu'il faudra aller récupérer.
09:02 - Et du coup, c'est ça, l'écologie populaire, c'est cette écologie pirate ? Parce que vous parlez d'écologie pirate, c'est le titre de votre ouvrage, mais c'est l'écologie populaire ?
09:11 - Alors l'écologie pirate, c'est une écologie populaire, effectivement, populaire au sens où, en tout cas, elle a l'ambition d'être populaire,
09:19 elle a l'ambition de s'ancrer dans la classe ouvrière, dans la classe populaire, alors en l'occurrence les quartiers populaires en particulier, mais c'est la classe ouvrière de manière plus générale.
09:29 On a parlé de la terre, il y a aussi la question de la liberté, d'où le sous-titre "Et nous serons libres".
09:34 C'est donc la question de la terre, mais aussi la question de la liberté, c'est comment les deux s'articulent, et la piraterie, évidemment, c'est le symbole de la liberté.
09:42 Je fais notamment référence au manga "One Piece", où en fait, il s'agit notamment de trois enfants qui arrivent à s'extraire comme ça d'une décharge,
09:53 et qui se jurent devant la mer, en fait, devant l'océan, qu'un jour ils deviendront pirates.
09:59 Et donc voilà, je pense que ça correspond politiquement à la soif de liberté, je suis sûre, qui anime beaucoup de gens,
10:09 mais je pense qu'il anime particulièrement les jeunes qui vivent dans les quartiers populaires, qui sont particulièrement emmurés, qui sont particulièrement assignés à résidence.
10:19 Ils sont notamment privés de libre circulation.
10:23 J'explique comment, de mille et une manières, on assigne à résidence et on empêche les jeunes des quartiers populaires de circuler librement.
10:31 Mais je trouve que la piraterie, cette idée d'écologie pirate, incarne bien, symbolise bien, en fait, la soif de liberté qu'il peut y avoir dans les banlieues en particulier.
10:42 - Et parce que vous me parlez de ce manga "One Piece", mais justement, cette soif de liberté dont vous êtes en train de me parler,
10:47 c'est ce qui peut être le déclencheur de cette lutte pour la libération des terres dans les quartiers populaires.
10:52 - Oui, je pense que c'est une question, là encore, qui est trop négligée, notamment par le mouvement climat et le champ écologiste de manière générale.
11:01 C'est-à-dire que quand on parle d'écologie populaire, en particulier en direction des quartiers populaires, on pense vraiment à la question de la survie,
11:07 les questions très concrètes, praticopratiques, la végétalisation, l'espace vert, la lutte contre les pollutions, qui sont des luttes qui sont évidemment légitimes.
11:15 Les quartiers populaires sont le lieu où on respire le moins bien, où on mange le plus mal, où il y a le moins d'espace vert, effectivement.
11:24 Mais on fait comme si la question de la liberté était une question secondaire. Cette question, d'ailleurs, ne se pose jamais,
11:31 alors que je fais l'hypothèse qu'on ne vit pas, on ne survit pas sans liberté, et qu'il faut poser cette question-là, la liberté,
11:41 et donc des entraves à la liberté, pour intéresser à l'enjeu écologiste dans les quartiers populaires.
11:47 – Mais c'est étonnant, parce que je vous entends beaucoup parler d'écologie populaire.
11:51 Tout à l'heure, vous avez parlé de lutte anticoloniale, mais je ne vous entends jamais parler d'écologie décoloniale,
11:57 alors que pourtant, c'est un terme qu'on entend beaucoup en ce moment.
12:01 – Oui, alors c'est un terme, effectivement, qu'on entend beaucoup. Je trouve ça d'ailleurs suspect.
12:08 Je trouvais également suspect qu'on parle beaucoup, il y a quelques années, du terme "intersectionnel".
12:14 Ce sont des termes qui sont très vite galvaudés. Et il faut s'interroger sur le fait qu'on privilégie ce terme décolonial au terme anticolonial.
12:25 Lorsqu'on me parle d'anticolonial, de lutte anticoloniale, tout à coup, je peux identifier ce qui pose problème en France et en Europe,
12:37 c'est-à-dire le rapport notamment à l'Afrique et ce mur de mort, de haine que constitue la mer Méditerranée.
12:47 Lorsqu'on parle de décolonial, dans la mesure où c'est un terme qui est notamment porteur de pensées, de concepts sud-américains,
12:58 où on a affaire à un autre contexte et surtout où la France et l'Europe ne sont pas directement responsables du désastre écologique qui s'y passe.
13:12 Voilà, j'ai l'impression que c'est une manière de contourner en fait ce qui peut faire très très mal en France, et encore une fois,
13:19 la question de la liberté de circuler, notamment entre le Nord et le Sud, entre l'Europe et l'Afrique,
13:23 la question de la Méditerranée qui devient meurtrière, la question de l'extractivisme, la question totale en Ouganda ou en Afrique du Sud, etc.
13:32 La question des quartiers populaires aussi, parce que les populations qui vivent dans les quartiers populaires sont issues de cette immigration post-coloniale,
13:40 d'une part, mais d'autre part, sont aussi porteurs de ces luttes anticoloniales qui ont été pour partie seulement, malheureusement, victorieuses.
13:50 Et donc dans les quartiers populaires, on n'est pas désarmés en réalité sur ce front écologiste que moi-même j'appelle de mes voeux.
13:58 On peut venir aussi armés, nourris de ces luttes anticoloniales. Donc voilà, c'est pas tant parce que je refuse d'utiliser le terme "décolonial",
14:07 c'est surtout qu'avec le terme "anticolonial", ça permet de remobiliser en fait dans les quartiers populaires, voilà, des héritages qui nous permettront,
14:18 voilà, de mieux affronter le désastre écologique. De toute façon, dans le livre, dès le départ, je pose bien l'objectif d'élargir le front écologiste.
14:28 Je m'adresse notamment au mouvement climat et au mouvement écologiste pour dire "là, ça ne va pas du tout". L'écologie, ce projet écologiste que vous défendez
14:38 et avec lequel vous venez, notamment dans les quartiers populaires, mais aussi dans les campagnes, c'est un projet qui est trop situé,
14:43 qui est un projet du point de vue des classes moyennes supérieures blanches, défendant les intérêts, les enjeux des classes moyennes supérieures blanches.
14:52 Il n'y a aucune raison pour que les classes populaires, la classe ouvrière et notamment celle qui vit dans les quartiers populaires, s'approprient en fait cette écologie-là.
15:02 Le livre, c'est vraiment une proposition en fait pour dire "il ne s'agit pas de sensibiliser les quartiers populaires". On a très très bien compris ce qui se passe.
15:12 On a effectivement, comme ça a été dit tout à l'heure, beaucoup plus chaud l'été que les autres, beaucoup plus froid l'hiver que les autres.
15:18 On respire plus mal, nos enfants sont plus asthmatiques que les autres, etc. Donc on connaît bien la question écologique et le désastre climatique d'aujourd'hui et de demain.
15:25 Maintenant, le projet écologiste, nous on veut qu'il nous ressemble, qu'il porte nos enjeux, la question de la réappropriation de la terre.
15:32 On veut se sentir chez nous ici, on veut pouvoir circuler librement, on veut que nos familles, nos communautés, nos peuples en Afrique puissent être en lien avec nous,
15:42 qu'on ne soit pas séparés les uns les autres par cette...
15:46 Justement par rapport à ça, l'Afrique, votre projet il est beaucoup tourné vers l'Afrique.
15:50 Oui, mais exprès encore une fois, pour dire, parce que je sais que c'est ça qui fait mal, c'est-à-dire que je parle des Suds, du Sud global de manière générale évidemment.
15:57 Mais je parle bien de l'Afrique, puisqu'il y a quelque chose qui sépare l'Europe et l'Afrique, c'est cette question de circulation,
16:06 c'est-à-dire que les Européens peuvent circuler librement en Afrique, c'est une liberté.
16:12 La réciproque n'est pas vraie. Et donc cette liberté n'en est pas une. C'est un privilège en fait. C'est un privilège racial et un privilège colonial d'une part.
16:23 Mais il y a aussi l'idée de cette perspective internationaliste que j'essaie de renouveler un petit peu dans le livre,
16:33 en disant est-ce que finalement l'internationalisme n'aura pas plus de sens pour le peuple qui vit en France, qui vit en Europe,
16:44 dès lors qu'il sera ancré dans quelque chose de... là encore d'affectif, de proche, dans nos familles, dans nos communautés encore une fois, les villages au pays.
16:55 Et j'ai l'impression... et par les langues aussi, les langues communes. J'ai l'impression que l'internationalisme abstrait,
17:02 c'est pas qu'une impression, c'est une question de bon sens, ne peut pas fonctionner. Enfin on ne voit pas exactement à quoi ça renvoie.
17:09 Par contre un projet internationaliste où on pose la libre circulation, où on considère que les populations africaines ou d'origine africaine
17:20 ne doivent pas être réduites à leur utilité, mais elles doivent être respectées dans leur dignité humaine.
17:27 Le fait que ça passe aussi par nos langues, les langues dont on a été coupé, encore une fois, le fait qu'on ait été amputé de nos communautés,
17:36 parce que, encore une fois, on ne peut pas accueillir nos proches sans que ce soit conditionné par le capital, par les besoins des secteurs d'activité.
17:45 Là, Gérald Darmanin nous parle de métier en tension. Enfin c'est-à-dire que la dignité humaine, qui devrait être un droit fondamental à la liberté de circuler,
17:53 sont conditionnés par l'entreprise et par le capital. C'est ça qu'il s'agit de refuser. Et je trouve que c'est une perspective assez réjouissante,
18:00 une perspective internationaliste assez réjouissante.
18:03 Mais justement, vous me parlez de liberté de circulation, mais tout à l'heure, vous m'avez aussi parlé de soif de liberté et de mur,
18:10 en parlant des quartiers populaires. Pourtant, vous dites qu'aujourd'hui, on fait de la place dans les quartiers, on libère de l'espace.
18:16 Mais si on aménage cet espace, ce n'est pas pour des raisons écologiques, mais pour des raisons sécuritaires.
18:21 C'est pour la police, seule représentante de l'État dans les quartiers, c'est ce que vous écrivez.
18:25 Mais c'est un représentant qui prend quand même beaucoup de place. Si on respire mal dans les quartiers, c'est aussi à cause de la police.
18:31 Oui, la police est devenue quasiment le seul représentant de l'État, le seul service public.
18:37 Alors c'est un service public répressif, mais c'est un service public.
18:40 Effectivement, et alors ce n'est pas nouveau.
18:43 Je veux dire, le fait que les villes populaires soient aménagées, agencées de manière à favoriser le contrôle de ces classes dangereuses, en réalité,
18:53 je veux dire, ce n'est pas quelque chose qui est nouveau.
18:55 Mais ça a tendance à s'aggraver avec la vidéosurveillance, les drones, le quadrillage, le quadrillage policier.
19:01 Et vous dites qu'il faut lier les luttes contre les violences policières avec les luttes contre les pollutions.
19:05 Ce serait bien, parce qu'à l'heure où on cherche du commun, à l'heure où on essaye, on parle beaucoup d'alliances des luttes.
19:11 Il y a cette idée positive de la respiration, du souffle qui doit être explorée, surtout partant de ces territoires,
19:20 encore une fois, qui sont quadrillés, où la population est assignée à résidence, où on ne peut pas circuler librement dans l'espace public.
19:26 C'est toute l'idéologie sécuritaire qui se réaffirme à travers les dispositifs de résidentialisation.
19:33 D'ailleurs, côté quartier populaire comme quartier pavillonnaire, et on sépare les quartiers populaires des quartiers pavillonnaires avec ces murs,
19:41 mais ce sont des murs de haine, en réalité, ce sont des murs de ségrégation.
19:45 Dans quelle mesure on peut associer cette lutte-là avec la lutte féministe, par exemple,
19:53 qui considère que les femmes, les fillettes doivent avoir accès à l'ensemble de l'espace public, quel que soit l'heure, partout.
20:03 Ça doit être lié aussi à la question de défense des droits des personnes migrantes, lié à la lutte contre l'homophobie, la lutte contre la transphobie,
20:11 puisque la transphobie, l'homophobie s'exerce notamment dans l'entrave à la circulation dans l'espace public, dans tous les espaces publics.
20:19 Donc il y a vraiment, avec cette histoire de liberté de circuler, au-delà de la légitimité de l'enjeu,
20:26 vraiment un levier stratégique pour mettre autour de la table toutes les personnes, toutes les organisations,
20:33 qui défendent l'égalité humaine, qui défendent la justice, qui défendent le vivant.
20:39 Il y a quelque chose là, encore une fois, en termes stratégiques, qui je pense peut être moteur.
20:44 – Mais dans ce cas, est-ce qu'il ne faudrait pas aussi poser la question de l'abolition de la police ?
20:48 Est-ce que abolir la police ne pourrait pas être une revendication écologique ?
20:51 – Oui, alors du point de vue des enfants, oui.
20:53 C'est pour ça que je parle beaucoup dans le livre de cette écologie du point de vue des enfants,
20:58 en posant la question de savoir ce qui facilite et ce qui entrave la libre, joyeuse et insouciante circulation.
21:05 Et oui, du point de vue des enfants, certes il y a le trafic routier,
21:10 la place laissée à la voiture par exemple, dans les villes, qui entrave, ça c'est certain.
21:14 Et moi je milite aussi contre la pollution atmosphérique,
21:18 et donc contre la place qu'occupe la voiture dans la ville.
21:23 Il y a la question des pollutions d'ailleurs de manière plus générale,
21:27 les pollutions sonores, visuelles, olfactives, etc.
21:31 Mais il y a aussi la question de la présence policière,
21:34 c'est-à-dire que la question c'est de savoir comment on peut attendre de jeunes,
21:41 notamment de jeunes garçons, à qui on répète à longueur de temps qu'ils ne sont pas ici chez eux.
21:47 C'est-à-dire que c'est un processus d'errance, de désancrage,
21:51 notamment à travers les contrôles policiers, et c'est documenté aujourd'hui,
21:56 on sait que les contrôles policiers sont racistes, l'État a été condamné là-dessus.
22:00 Donc ce n'est pas du tout quelque chose de militant ce que je dis,
22:03 c'est quelque chose d'officiel, presque d'institutionnel.
22:08 Comment peut-on attendre de ces jeunes qu'ils s'ancrent dans le territoire,
22:13 qu'ils défendent le territoire, et qu'ils défendent notamment la terre des quartiers populaires,
22:16 parce que c'est une terre, on ne le voit pas parce qu'elle est bétonnée,
22:20 mais c'est une terre qu'il faut défendre.
22:22 Oui, parce que vous dites que la police participe au désintérêt des quartiers populaires pour la question climatique.
22:27 Mais par le désancrage, c'est-à-dire le fait de dire à ces jeunes,
22:31 de nous dire, de dire aux familles qui vivent dans les quartiers populaires,
22:34 "vous n'êtes pas ici chez vous", c'est-à-dire le fait de demander les papiers comme si on était à la douane,
22:39 et ce n'est pas juste une seule fois, c'est depuis que les enfants sont enfants,
22:43 ils sont habitués à cette idée qu'ils ne sont pas ici chez eux.
22:47 On ne peut pas attendre de cette population-là, et de ces jeunes en particulier,
22:50 qu'ils défendent cette terre d'où, à mon sens, le désintérêt pour la question environnementale
22:55 et la question écologique de manière plus générale.
22:58 Donc oui, la police fait partie du problème.
23:00 Voilà, moi je défends autre chose en fait, comme société,
23:04 je défends une autre idéologie que l'idéologie sécuritaire.
23:09 Pour moi il faut faire de la place aux enfants dans nos villes,
23:12 il faut favoriser la joie, le jeu, le collectif, l'agora.
23:16 Je défends aussi l'idée que plus on va libérer l'espace public, la terre, en fait, des quartiers populaires,
23:23 et plus les enfants seront en sécurité, y compris au sein des foyers,
23:26 puisque c'est au sein des foyers que les enfants subissent l'essentiel des violences,
23:31 des violences sexuelles, des violences physiques, morales, etc.
23:35 Donc l'hypothèse c'est ça aussi, c'est de dire en fait,
23:37 il faut faciliter la circulation entre le dedans et le dehors,
23:41 en tout cas il faut libérer le dehors,
23:42 et pour moi, libérer le dehors, effectivement, passe par l'abolition de la police.
23:46 Mais justement cette hypothèse, elle part quand même d'un constat,
23:48 un constat que vous faites dans votre quartier,
23:50 là où il y a justement Verdragon, la maison de l'écologie populaire à Bagnolet,
23:54 et pourtant on est quand même dans une ville de gauche,
23:57 cette situation dans laquelle on hérite tous,
24:00 elle est aussi un héritage des politiques qui sont laissées par la gauche,
24:05 vous dites finalement que la gauche elle est aussi coupable en fait,
24:08 elle est responsable de ce qui se passe actuellement.
24:12 Oui, responsable, au sens où la population qui vit dans les quartiers populaires,
24:18 depuis qu'elle est installée en France pour la part descendante
24:24 de l'immigration post-coloniale, africaine et asiatique,
24:28 on n'a jamais laissé cette population s'organiser politiquement,
24:33 s'organiser de manière autonome,
24:36 on n'a jamais laissé cette population avoir accès au pouvoir politique,
24:40 à la démocratie tout simplement,
24:43 on n'a jamais laissé cette population prendre soin de ses enfants,
24:46 et préparer l'avenir de ses enfants,
24:51 et effectivement ce qui peut étonner,
24:53 c'est que la gauche a largement participé à cet état de fait,
24:57 c'est quelque chose qui devient, qui est de plus en plus documenté,
25:02 depuis les années 80, on sait à quel point la gauche
25:06 a pu instrumentaliser la question de l'extrême droite
25:09 à des fins électoralistes, c'est-à-dire se poser comme ça,
25:13 grande protectrice des immigrés, des descendants de l'immigration,
25:18 à la veille des élections, pendant les campagnes électorales,
25:22 mais dès lors que les campagnes électorales se terminent,
25:25 on oublie complètement les populations qui vivent dans les quartiers populaires,
25:27 ça c'est quelque chose qui est documenté aujourd'hui.
25:29 J'ai voulu montrer avec Verdagon cette expérience,
25:32 bon déjà que c'est une expérience réussie,
25:34 et ça c'est bien aussi de dire qu'il se passe des trucs dans les quartiers populaires,
25:37 qu'on n'est pas que victime d'oppression,
25:39 on est aussi force de proposition, on invente des choses,
25:43 c'est intéressant Verdagon aussi parce que c'est une alliance de lutte,
25:47 donc c'est une organisation des quartiers populaires,
25:49 le Front de Mer en alliance avec le mouvement Climat,
25:52 en l'occurrence Alternatiba, et donc c'était pour dire aussi que,
25:56 voilà, les questions ne sont pas cloisonnées,
25:59 les organisations ne sont pas cloisonnées,
26:00 il peut y avoir de la solidarité, de l'amitié aussi dans le mouvement militant,
26:04 mais j'ai voulu aussi parler de Verdagon effectivement,
26:06 pour dire à quel point nous avons été attaqués,
26:08 et attaqués par la gauche qui refuse à Verdagon,
26:12 comme ailleurs en France dans les quartiers populaires,
26:15 que les populations qui vivent dans les quartiers populaires des villes populaires,
26:20 s'organisent politiquement,
26:22 et c'était aussi, je terminerai par ça,
26:26 une manière de répondre aux nombreuses personnes, aux médias etc.,
26:31 qui se penchent sur les quartiers populaires en s'attristant du fait que ces populations,
26:38 pourtant premières victimes du désastre climatique,
26:41 ne s'intéressent pas, en tout cas ne semblent pas s'intéresser
26:46 à la question environnementale et à la question écologique,
26:49 c'était pour répondre, on s'y intéresse évidemment,
26:52 parce que nous aimons comme tout le monde nos enfants,
26:55 et que évidemment on a peur pour nos enfants, pour nos petits-enfants,
26:59 on a peur de ce qu'ils vont devenir, encore une fois, de ce qu'ils vont respirer, de ce qu'ils vont manger,
27:03 on a peur qu'ils ne soient pas libres,
27:05 parce que la liberté c'est quelque chose de fondamental pour nous aussi,
27:08 mais on nous en empêche en fait, voilà, c'était pour pointer du doigt les entraves
27:13 à l'accès à la question écologique,
27:16 et ne pas rester comme ça sur cette idée que
27:19 les populations qui vivent dans les quartiers populaires passeraient complètement à côté du sort de leurs enfants.
27:23 Mais parce que justement il y a la gauche,
27:25 mais au sein de la gauche il y a aussi le mouvement climat,
27:27 qui est quand même divers, mais vous, vous avez justement une critique,
27:31 vous en avez un petit peu parlé tout à l'heure,
27:32 mais une critique quand même assez forte vis-à-vis des franges dominantes
27:35 du mouvement climat, même si vous êtes alliée avec certains, notamment avec Alternatiba,
27:40 mais ce serait un mouvement quand même dominant,
27:43 dans sa partie principale, qui serait quand même bourgeoise, petite bourgeoise, blanche,
27:47 et qui voit pas les quartiers.
27:48 Alors, de fait, mais alors je discingue quand même le mouvement climat et la gauche.
27:52 Je dis d'ailleurs dans le livre à quel point la gauche a une responsabilité politique et morale
27:57 dans l'avènement de l'extrême droite et possiblement
28:00 dans l'accès au pouvoir politique de l'extrême droite,
28:03 qui aurait à gérer la question climatique, et ça on ne le dit pas assez.
28:07 C'est-à-dire qu'on ne se projette pas assez sur cette extrême droite,
28:09 qui aurait à gérer la question de la terre, la question démographique, la question migratoire,
28:14 autant d'enjeux climatiques.
28:16 L'extrême droite a quelque chose à dire sur le climat,
28:18 et ça on ne s'en inquiète pas assez.
28:20 La gauche a une responsabilité, j'y reviens pas, mais...
28:23 Parce qu'elle a une vision coloniale en fait des quartiers populaires.
28:25 Mais depuis longtemps, et on parle de partis politiques,
28:28 on parle de partis majoritaires, structurés,
28:31 il y a une volonté politique, pas individuelle, globale,
28:35 mais une volonté politique.
28:37 Dans le mouvement climat, il y a quand même aussi des bonnes volontés,
28:40 c'est peut-être le problème d'une grille d'analyse qui s'est mauvaise.
28:43 Et c'est pour ça que je distingue.
28:46 C'est-à-dire que le mouvement climat déjà est beaucoup plus jeune,
28:47 il est né dans les années 2010,
28:51 il n'est évidemment pas aussi structuré qu'un parti politique,
28:55 évidemment, il n'y a pas la même histoire, la même réflexion, etc.
29:00 Moi, je fais partie du mouvement climat aussi,
29:02 c'est-à-dire que c'est en camarades que je m'adresse au mouvement climat.
29:05 - Oui, parce qu'il faut préciser, dans le Vert-Dragon, il y a le Front de Mer,
29:09 mais il y a aussi le mouvement Alternatiba.
29:10 - Absolument, et voilà.
29:14 C'est-à-dire que la critique que je fais à l'égard de cette écologie majoritaire,
29:20 portée effectivement par le mouvement climat,
29:22 c'est une critique constructive dans le sens où, moi, je suis sincère,
29:27 comme mes camarades, je veux qu'on lutte efficacement contre le désastre climatique.
29:32 Simplement, évidemment, et je crois que je ne suis pas la seule,
29:35 à voir que le mouvement climat est l'un des mouvements sociaux
29:39 les plus situés sociologiquement, les plus blancs, les plus CSP+,
29:43 je veux dire, ça, il suffit d'observer les marches climat, les manifs climat,
29:49 pour s'en rendre compte.
29:50 - Le problème, c'est notamment que les écologistes, en fait,
29:52 refusent aussi, pour le dire clairement, de considérer la question raciale
29:56 comme faisant aussi partie du débat, y compris dans le mouvement écologiste,
30:00 parce qu'il y a un angle mort, qui est peut-être celui de l'interaction
30:02 entre race, classe, genre, climat, écologie.
30:06 - Absolument, c'est-à-dire que dans le champ écologique,
30:10 de manière plus générale que le mouvement, le simple mouvement climat,
30:13 il y a effectivement l'idée que la question antiraciste,
30:19 mais comme la question féministe, ce sont des questions sociétales,
30:23 que l'enjeu, il est écologique, notamment dans l'articulation
30:27 de plus en plus avec la question du capitalisme, en fait,
30:31 et de l'extractivisme, des combustibles fossiles, etc.
30:34 La question raciale et la question patriarcale, effectivement,
30:37 sont considérées comme secondaires, et on peut les traiter,
30:41 encore une fois, comme des sujets sociétaux.
30:43 Moi, ce que j'essaie de montrer dans le livre, c'est à quel point
30:46 il ne peut y avoir de lutte écologiste qu'à travers une lutte anticoloniale,
30:51 qu'on ne peut pas dissocier les deux, puisque si le capitalisme
30:56 mène à la destruction du vivant, c'est notamment parce qu'il sous-humanise
31:00 une partie de l'humanité, et notamment aussi parce qu'il considère
31:03 que certaines terres, plus que d'autres, sont des sous-terres
31:06 qu'on peut maltraiter, qu'on peut polluer, etc.
31:08 Et donc, c'est l'entreprise coloniale.
31:10 Et donc, les deux vont ensemble, l'entreprise capitaliste,
31:13 l'entreprise coloniale sont liées, et donc, il ne peut y avoir
31:16 de lutte écologiste qu'anticoloniale, antiraciste et féministe, évidemment,
31:23 puisqu'il y a aussi la question du patriarcat.
31:25 Oui, c'est cette difficulté, en fait, à articuler les enjeux,
31:29 à articuler les luttes qui existent.
31:31 C'est-à-dire que les rapports de domination les croisent, quoi, toutes,
31:33 notamment avec le territoire, parce que vous parlez de la terre,
31:35 c'est que le territoire se croise avec la question de la classe,
31:37 la question du genre et de la race.
31:39 Absolument. C'est-à-dire que si on peut aussi bien maltraiter la terre
31:45 des quartiers populaires, où il y a le plus de décharges,
31:47 où il y a le plus d'échangeurs autoroutiers,
31:49 où il y a le plus de trafic routier, etc.,
31:51 si on peut autant maltraiter cette terre-là,
31:54 c'est parce qu'on sous-humanise la population qui y vit
31:57 et qu'on désancre la population qui y vit.
31:59 C'est-à-dire, on lui répète qu'elle n'est pas ici chez elle,
32:02 et donc, évidemment, elle ne défend pas sa propre terre.
32:05 Je veux dire, mais lutter contre le racisme,
32:08 c'est mener une lutte écologiste.
32:10 C'est ça qu'il faut que les écologistes,
32:12 et le mouvement climat en particulier, comprennent.
32:15 Mais bon, j'ai bon espoir quand même,
32:17 parce qu'il y a un certain nombre de propositions dans le livre,
32:19 et je sais que ça fait partie des débats actuels.
32:22 Vous parliez tout à l'heure des luttes pour la terre
32:25 au début de l'entretien.
32:27 Et je vois bien à quel point on est quand même,
32:31 on est dans un moment, en fait, dans une séquence
32:34 où on essaie de faire le lien autour de notions positives
32:37 comme la terre, l'amour, la liberté, etc.
32:39 Et donc, oui, j'ai bon espoir.
32:41 Pour conclure, on peut dire finalement
32:42 que les luttes écologistes, les luttes antiracistes,
32:45 les luttes féministes, les luttes des classes se rejoignent donc.
32:47 Mais même, vous allez un petit peu plus loin,
32:49 parce que vous parlez de forger même des alliances,
32:51 y compris avec des non-humains dans votre livre.
32:53 Oui, alors c'est toute la question de la libération animale.
32:56 Là encore, je la pose du point de vue des quartiers populaires,
33:00 notamment de la population musulmane
33:03 qui vit dans les quartiers populaires.
33:05 Alors c'est un débat qu'on refuse en France.
33:07 Enfin, je suis bien placée pour en parler,
33:08 parce qu'à l'époque, nous militions
33:11 pour une alternative végétarienne.
33:13 Il était impossible de poser la question
33:17 du rapport aux animaux non-humains
33:19 dans une perspective spirituelle et religieuse.
33:22 Tout à coup, le débat devait être laïc, technique.
33:26 C'est-à-dire qu'on ne pouvait défendre cette cause,
33:29 la cause animale, que de manière laïque.
33:33 Sans mobiliser une spiritualité, sa foi, la religion, etc.
33:38 Ce qui est complètement stupide.
33:40 Moi, ce que j'essaie de montrer, c'est que ces questionnements-là,
33:43 notamment la question des élevages industriels,
33:45 qui sont une ignominie en fait.
33:47 En réalité, il suffit de se pencher deux secondes sur ce qui s'y passe.
33:50 C'est quelque chose qui devrait être interdit.
33:52 Moi, je milite pour la fermeture des élevages industriels.
33:55 Ces questions-là, en fait, traversent déjà les quartiers populaires,
33:59 traversent déjà ce qu'on pourrait appeler "la communauté musulmane".
34:03 Parce qu'il y a un malaise, en fait.
34:05 On voit bien que ce n'est pas normal,
34:07 cette viande industrielle qu'on mange matin, midi et soir.
34:11 Ce n'est pas normal que le lobby de la viande
34:13 soit présent dans les écoles pour faire visiter les enfants
34:17 dans les fermes soi-disant urbaines.
34:20 Tout ça n'est pas normal.
34:23 Il faut pouvoir se mettre autour de la table pour en discuter.
34:26 Il y a une proposition militante.
34:28 Donc la question de la libération animale.
34:31 Là encore, j'espère qu'on sera assez ouvert d'esprit
34:35 pour oser poser des questions, encore une fois,
34:39 avec une dimension spirituelle, religieuse, métaphysique, philosophique
34:43 et pas en rester aux polémiques stériles autour du halal ou des choses comme ça.
34:47 D'autant qu'en France, quand on est jeune, quand on est enfant,
34:50 quand on grandit en ville, en tout cas dans les grandes zones urbaines,
34:54 on a un rapport de plus en plus éloigné, voire inexistant avec les animaux.
34:58 Avec le vivant de manière générale.
35:00 Et alors, ce que je voulais aussi pointer du doigt,
35:03 c'est cette écologie populaire qui se dit populaire
35:06 et qui n'envisage l'écologie dans les quartiers populaires
35:08 qu'à travers ces fermes urbaines, ces zoos,
35:11 en disant "mais ces enfants, c'est bien, ils vont avoir un petit contact avec les animaux".
35:16 Non, je veux dire, ce sont des animaux qui sont en cage.
35:19 Je pense, moi, au contraire, que les enfants qui vivent dans les quartiers populaires
35:23 aspirent à autre chose, en fait.
35:24 Justement, c'est pour ça que je parlais de liberté, de soif de liberté.
35:27 C'est ça qu'il faut aussi aller chercher chez les enfants.
35:30 Donc, c'est ce type d'alliance-là, effectivement, que j'envisage.
35:33 Merci, Fatima Ouassak.
35:35 Je le rappelle, vous êtes l'autrice de ce livre
35:37 "Pour une écologie pirate", aux éditions La Découverte.
35:40 Je vous dis à très bientôt.
35:42 Sous-titrage Société Radio-Canada
35:44 © Sous-titrage Société Radio-Canada
35:46 © Sous-titrage Société Radio-Canada
35:48 © Sous-titrage Société Radio-Canada
35:50 © Sous-titrage Société Radio-Canada
35:52 [SILENCE]

Recommandée