DE DAVOS À MCKINSEY : LES COUPS TORDUS DU CAPITALISME VERT

  • l’année dernière
63 milliardaires français émettent autant de gaz à effet de serre que la moitié de la population française, soit 34 millions de personnes, selon un rapport de Greenpeace et d'Oxfam. L'étude, intitulée les milliardaires français font flamber la planète et l'état regarde ailleurs, met également en évidence que 3 milliardaires français émettent autant de CO2 via leur patrimoine financier que celui de 20% des français. Ces chiffres illustrent la responsabilité des ultra-riches dans le chaos climatique. Pourtant, une partie des principales fortunes s'organisent et forment « une jet-set climatique » qui s'est donné pour mission de remplacer le capitalisme fossile par un capitalisme vert. Voyant dans le dérèglement climatique de nouvelles opportunités économiques et un moyen de spéculer sur la catastrophe, avec une économie du climat qui émerge, la bourgeoisie investit dans un nouveau récit qui met au centre la figure de l'entrepreneur capable de trouver des solutions technologiques. Capables d'investir, comme Jeff Bezos 150 millions de dollars dans des mouvements américains pour le climat en 2021, et d'apparaître comme des « philanthropes climatiques », ces milliardaires orientent les débats et les négociations internationales à leur profit. Dans un livre, Fin du monde et petits fours, le politiste et maître de conférences en science politique à l'University of London Institute in Paris (ULIP), Edouard Morena décrypte les mécanismes de cette classe sociale privilégiée, organisée et consciente, qui nuit au climat mais qui s'érige champion de la Terre.

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Transcription
00:00 Les ultra-riches sont-ils en train de détruire la planète ?
00:02 Cherchent-ils à tout prix à sauver le capitalisme
00:05 alors que leur responsabilité est de plus en plus pointée du doigt,
00:08 documentée entre voyages en fusée, jets privés et super yachts ?
00:12 Les loisirs des bourgeois mettent en évidence des activités contraires
00:16 avec la lutte contre le réchauffement climatique.
00:18 Selon un rapport de Greenpeace et d'Oxfam,
00:20 63 milliardaires français émettaient autant de gaz à effet de serre
00:23 que celui de la moitié de la population française,
00:25 soit 34 millions de personnes.
00:28 Pourtant, un auteur, politiste,
00:30 dans une démonstration détaillée de la manière dont les ultra-riches s'activent,
00:34 nous explique comment ces ultra-riches se font passer
00:37 pour les sauveurs de la planète.
00:38 Fin du monde et petit four,
00:40 les ultra-riches face à la crise climatique.
00:42 On en parle tout de suite avec notre invité.
00:45 (Générique)
00:48 ---
00:51 -Edouard Morena, bonjour. -Bonsoir.
00:53 -Vous êtes maître de conférence en sciences politiques
00:55 à l'Institut universitaire de Londres à Paris.
00:58 Vous êtes l'auteur de "Fin du monde et petit four,
01:00 les ultra-riches face à la crise climatique".
01:03 Avec ce titre, on comprend bien l'objet de votre livre.
01:07 Il vise les plus riches qui se retrouvent à Davos
01:10 et forment un entre-soi destructeur, mais organisé,
01:13 avec une vision et un objectif,
01:15 faire perdurer la société capitaliste en crise
01:18 et empêcher toute remise en cause structurelle
01:22 de ce modèle économique,
01:23 notamment toute remise en cause issue du mouvement climat.
01:28 Vous avez décrypté comment fonctionne ce GOTA du climat,
01:31 parce que ce qu'on comprend bien avec votre livre,
01:33 c'est que ce sont les mêmes qui, finalement, aujourd'hui,
01:36 par exemple, démantèlent notre système de retraite
01:39 et nous poussent vers cette retraite par capitalisation
01:41 qui finance des fonds vers des projets d'extractivisme,
01:44 d'énergie fossile destructeur.
01:47 Les ultra-riches, les multinationales,
01:48 ce sont les chefs d'Etat
01:50 et qui, aujourd'hui, se prétendent champions de la Terre
01:53 et protecteurs du climat.
01:55 Ce sont aussi les mêmes, comme par exemple le cabinet McKinsey,
01:59 qui conseillent ces mêmes élites qui sont à l'œuvre
02:02 dans les politiques actuelles ou qui sont inactifs
02:04 face aux dérèglements climatiques,
02:05 qui organisent la normalisation du capitalisme vert
02:09 et montrent une communication pleine de greenwashing.
02:12 -Oui, absolument.
02:13 Merci déjà pour l'invitation et aussi pour le résumé du bouquin.
02:18 Je ne sais pas trop quoi rajouter,
02:19 à part le fait qu'effectivement, l'objectif du livre, c'est ça,
02:22 c'est de...
02:25 Récemment, on a pas mal parlé des ultra-riches,
02:27 de leur mode de consommation.
02:28 On s'est pas mal intéressés finalement aux super yachts, aux avions.
02:31 Et d'ailleurs, quand vous faites référence au rapport de Greenpeace et Oxfam,
02:35 c'est un rapport très intéressant parce que justement,
02:37 ils ne se limitent pas seulement à analyser leurs habitudes de consommation,
02:41 ils s'intéressent en fait aussi à leurs investissements.
02:44 Et du coup, cette porte d'entrée, pour moi,
02:46 elle est particulièrement intéressante parce que quelque part,
02:50 ça permet aussi de montrer en quoi les ultra-riches ont intérêt à agir
02:53 sur le climat parce qu'au fond, à travers leurs investissements,
02:57 à travers leurs fortunes qui sont généralement investies,
02:59 y compris soit dans des projets climaticides
03:02 ou alors aussi dans des projets ou dans des infrastructures
03:06 ou dans des projets immobiliers qui sont potentiellement à risque
03:09 du fait du changement climatique.
03:11 En fait, quelque part, ils ont intérêt à agir parce qu'ils sont aussi,
03:15 à leur manière qui est très particulière,
03:17 aussi exposés en fait aux risques climatiques et à l'instabilité
03:20 que cette crise climatique génère et aussi aux potentielles pertes
03:25 de richesses et donc de pouvoirs qu'elle peut aussi entraîner.
03:28 - Des intérêts de classe donc, puisque c'est une classe en fait
03:32 qui est très organisée, il faut politiquement poser
03:35 la question de la responsabilité des riches.
03:37 - Oui, absolument. Pour moi, c'est central.
03:39 Et encore une fois, c'est central parce qu'au fond,
03:42 ce n'est pas juste une responsabilité dans la crise elle-même,
03:44 c'est aussi une responsabilité dans la promotion d'un certain projet
03:48 de transition bas carbone, un projet de transition bas carbone
03:51 qui du moins, qui domine actuellement, qui est centré sur les mécanismes
03:56 de marché, qui est centré sur une forme de technosolutionnisme,
04:00 qui a aussi une vision très spécifique du rôle de l'État.
04:06 Mais c'est un rôle de l'État, ce n'est pas un État interventionniste
04:10 finalement, c'est un État qui dérisque leurs investissements,
04:14 qui prend en charge le risque lié à la transition bas carbone
04:17 et donc qui fait porter les risques liés à la transition sur la collectivité,
04:22 mais par contre, qui privatise les profits potentiels à faire aussi
04:27 à travers les différents investissements dans des technologies vertes, etc.
04:31 Donc pour moi, en s'intéressant aux ultra-riches,
04:34 et en fait, ça permet aussi de se poser ces questions sur le type
04:39 de transition qu'on est actuellement en train de promouvoir,
04:43 le type de transition bas carbone, et finalement, de montrer aussi
04:47 que cette transition ou ce projet de transition qu'on est en train
04:49 de nous imposer ou nous présenter comme le seul possible,
04:53 en fait, non, c'est un projet de transition qui sert les intérêts
04:58 d'une classe sociale de privilégiés.
05:01 - On parlait d'intérêt, on parlait de responsabilité,
05:04 on parlait du rapport d'Oxfam et de Greenpeace, mais dans les faits,
05:08 est-ce que ce sont les plus riches qui détruisent la planète ?
05:10 - Oui, alors effectivement, et je pense qu'il y a énormément de travaux.
05:13 Encore une fois, le rapport de Greenpeace et Oxfam l'a bien montré,
05:16 mais aussi les travaux de chercheurs comme Lucas Chancel,
05:19 en fait, qui travaillent vraiment spécifiquement sur cette question.
05:22 Et encore une fois, ce qu'ils montrent, c'est, il me semble, de mémoire,
05:24 c'est que 70% des émissions des ultra-riches proviennent aussi
05:31 de leurs investissements.
05:32 Donc, encore une fois, ce n'est pas que leurs habitudes de consommation,
05:36 ce n'est pas que leur mode de vie qui est problématique,
05:38 c'est en fait ce qu'ils font de leur argent, là où ils le placent,
05:42 qui est aussi problématique, qui aussi génère des émissions de gaz
05:46 à effet de serre, qui effectivement nous mènent sur une trajectoire
05:49 qui n'est pas du tout soutenable.
05:51 - Vous dites que ce n'est pas que leur mode de vie qui est problématique,
05:54 mais il y a quand même un mode de vie qui est climaticide.
05:56 - Oui, bien sûr, absolument, effectivement.
05:59 Mais en fait, je pense que quelque part, en focalisant notre regard
06:04 aussi sur cette question de la consommation, ça sous-entend finalement,
06:08 et c'est ce qu'on voit avec certains ultra-riches dans leur discours,
06:11 c'est-à-dire oui, oui, certes, j'ai un jet privé, je vole en jet privé,
06:14 mais j'ai racheté des milliards d'hectares de forêt amazonienne.
06:17 Donc, ça compense en quelque sorte mon mode de vie.
06:20 Donc, ça sous-entend toujours finalement cette idée que bon,
06:22 ce mode de vie-là, il peut être compensé ou alors en fait,
06:25 que c'est juste une question effectivement de changer ses ampoules
06:28 ou que eux-mêmes, que finalement, ça renforce aussi ce discours
06:31 qui est très dominant autour du climat, qui est de dire que finalement,
06:35 c'est un problème lié à nos habitudes de consommation.
06:37 Et quelque part, ça met un peu tout le monde sur le même plan.
06:40 Si un ultra-riche fait un effort, nous aussi, en tant que consommateurs,
06:44 on doit aussi faire un effort.
06:45 Et pour moi, en fait, ça a aussi pour effet finalement de détourner
06:49 nos regards d'enjeux qui, pour moi, sont aussi fondamentaux,
06:52 qui sont plus structurels en fait, qui sont liés aussi à cette question
06:56 de la répartition des richesses, à qui détient en fait le capital,
06:59 qui détient aussi le pouvoir et donc à partir de là,
07:02 qui a aussi une responsabilité liée en fait à ce capital investi,
07:07 mais aussi liée à l'influence qu'ils ont sur le débat climatique
07:11 dans son ensemble.
07:12 - Oui, parce que jusque là, quand on parle de la responsabilité
07:15 des ultra-riches, on parle plutôt de leur mode de vie.
07:17 Quand on parle des voyages dans l'espace de Jeff Bezos
07:20 ou de ces super yachts qui ne peuvent pas passer des ponts,
07:22 on parle de leur mode de vie, même dans l'espace militant.
07:25 Quand on voit des comptes Instagram, par exemple, qui fleurissent
07:28 pour poursuivre les déplacements de jets privés de tels milliardaires,
07:31 de Bernard Arnault, etc., on se fait focus là-dessus.
07:34 - Oui, oui.
07:35 Et alors, je pense que c'est vraiment très utile.
07:37 Parce que là, en fait, c'est une porte d'entrée,
07:38 finalement, vers une sorte d'analyse peut-être un peu plus complète
07:41 ou approfondie aussi des ultra-riches et de leur responsabilité.
07:44 Effectivement, moi, en fait, je rajoute ma sorte de pierre
07:47 à cette discussion en disant effectivement, c'est important
07:50 de s'occaliser sur ça parce qu'en plus, ça envoie un message
07:53 qui est très négatif.
07:54 C'est un sort de pied de nez à la planète et à la société
07:59 et aux plus pauvres aussi, qui sont pour le coup, qui sentent
08:03 les effets aussi de la crise climatique déjà.
08:05 Mais en même temps, en fait, je pense que ce qui est aussi intéressant,
08:08 c'est de voir comment ces ultra-riches sont aussi des acteurs du débat
08:12 et comment finalement, ils s'organisent et quelque part, ils cherchent
08:17 à orienter, finalement, le débat autour du climat.
08:20 Finalement, de promouvoir un sort de discours qui se voudrait
08:25 hégémonique, qui serait finalement, qui crée une sorte de fausse
08:30 linéarité entre la science du climat et l'urgence réelle, en fait,
08:34 qu'est-elle exprimée par le GIEC, par les scientifiques et en fait,
08:37 un certain nombre ou certaines solutions très précises.
08:40 Et pour moi, c'est ce flou qui me dérange.
08:42 C'est le fait qu'il ne s'agit pas pour eux juste de créer une sorte
08:47 de prise de conscience sur l'enjeu.
08:48 Il s'agit d'associer à ce travail de prise de conscience un projet
08:53 politique spécifique et de présenter ce projet politique comme faisant
08:57 partie d'un tout, comme si c'était un sort de résultat de la science
09:02 du climat, en fait, alors que ce n'est pas du tout le cas.
09:04 Le choix de transition que l'on fait, il y a plusieurs choix de transition
09:08 possibles, il y a plusieurs transitions possibles et je pense que c'est
09:10 ça qui est important, c'est qu'on puisse aussi débattre de ces options.
09:13 Et pour débattre ces options, ça implique nécessairement de
09:16 s'intéresser à quelles transitions servent quels intérêts.
09:21 En fait, est-ce qu'il s'agit de servir les intérêts d'une minorité
09:24 ou est-ce qu'au contraire, on veut mettre en œuvre une transition
09:26 bas carbone qui suit la science du climat, mais qui serve l'intérêt
09:29 du plus grand nombre ?
09:30 Ce que vous écrivez dans ce livre, notamment, c'est qu'il y aurait
09:33 une jet set climatique qui se serait donnée pour mission de remplacer
09:36 le capitalisme fossile par un capitalisme vert.
09:39 Et d'ailleurs, comment vous définissez du coup ce capitalisme vert ?
09:42 Le capitalisme vert, effectivement, c'est un peu un capitalisme
09:46 réformé.
09:47 Et ce qui est intéressant à voir, d'ailleurs, dans leurs analyses,
09:50 c'est qu'il y a une sorte de...
09:51 En fait, il y a une reconnaissance du fait qu'effectivement,
09:54 le capitalisme fossile ne fonctionnait pas, le capitalisme tel qu'il
09:58 était ne fonctionnait pas et avait une responsabilité dans la crise.
10:01 C'est ça qui est intéressant, c'est qu'ils reconnaissent cette
10:04 responsabilité.
10:05 Mais par contre, ce qu'il dit, c'est que par contre, c'est un système
10:10 économique qui peut être réformé et qui est en plus le plus efficace
10:14 pour traiter du problème.
10:15 Donc, c'est pour ça qu'il lui appose ce mot vert, en disant qu'effectivement,
10:21 le problème, c'est juste qu'il s'agit de réformer le capitalisme,
10:26 quitte d'ailleurs à sacrifier certains secteurs économiques.
10:29 C'est pour ça que ces mêmes acteurs que j'étudie, ils ont un discours
10:32 très anti-charbon.
10:33 Certains d'entre eux, pas tous, certains ont au contraire une vision
10:39 plus conciliante, mais certains ont un regard assez critique sur l'industrie
10:42 fossile.
10:43 Et du coup, ce qu'ils proposent, effectivement, c'est un nouveau...
10:46 C'est un capitalisme réformé qui est centré sur des nouvelles
10:50 technologies, des innovations.
10:51 Donc, c'est aussi intéressant parce que ces acteurs, les acteurs que
10:55 j'étudie, ils sont aussi en général liés à la Silicon Valley, liés
10:59 au secteur de la tech.
11:01 Et aussi, un capitalisme réformé qui aussi met l'accent sur le rôle
11:06 de la finance, notamment à travers les mécanismes de marché,
11:09 notamment à travers ce genre de principe qui est vraiment essentiel
11:12 et qui est de dire que finalement, en valorisant le carbone qui est
11:17 stocké dans la nature et dans les forêts, en lui donnant un prix,
11:20 quelque part, on peut le sauver.
11:21 Et ça, c'est un peu le principe de base, c'est-à-dire qu'il faut donner
11:25 un prix à tout, en fait.
11:26 C'est l'objet, notamment dans les enjeux des COP, de beaucoup
11:30 de discussions.
11:31 Absolument.
11:32 Et c'est depuis 1997, avec Kyoto, que ce principe-là, finalement,
11:38 il est vraiment ancré dans les COP et dans le système onusien
11:42 autour du climat.
11:43 Et ce qui est intéressant, d'ailleurs, c'est de voir qu'en 1997,
11:46 c'était le vice-président Al Gore, qui est aussi un des acteurs très
11:50 importants que j'ai étudiés, qui était aussi un des gros promoteurs,
11:55 finalement, de cette idée de marché carbone, du fait qu'il fallait
11:58 à tout prix mettre un prix sur le carbone qui était dans la nature.
12:00 Donc, ça crée des nouveaux marchés, ça crée des nouvelles opportunités,
12:04 ça crée aussi, du coup, effectivement, des opportunités de faire de l'argent.
12:07 Donc, ça ouvre des nouveaux possibles.
12:10 Il y a une économie du climat qui émerge.
12:12 Absolument, il y a une économie du climat qui émerge, notamment dans
12:15 le secteur de la finance, c'est la finance verte.
12:17 C'est un nouveau...
12:18 C'est une sorte de nouvel Eldorado.
12:20 Mais en fait, ce qui est intéressant de voir, c'est ça, effectivement,
12:22 qu'il y a tout un secteur qui s'est formé autour de la question du climat.
12:26 Ce secteur, il comporte des experts, il comporte des évaluateurs,
12:30 des personnes sur le terrain qui sont là pour mesurer le carbone qui est
12:33 stocké dans les forêts tropicales.
12:35 En fait, c'est un secteur à part entière, c'est un secteur dans lequel
12:39 on peut faire carrière.
12:40 Et du coup, c'est pour ça que je pense que c'est cette sorte d'économie
12:43 circulaire de l'action climatique qui est aussi intéressante à analyser
12:48 parce qu'au fond, ils ont presque intérêt, et c'est ce que j'essaie
12:52 de montrer aussi quand je m'intéresse un peu aux forêts, en fait,
12:54 ils ont intérêt à ce que finalement, ça soit une sorte d'usine à gaz
12:57 parce qu'en fait, c'est aussi une usine à gaz qui crée de l'emploi
13:00 aussi à sa manière.
13:01 Vous écrivez même qu'il y a un business de l'optimisme.
13:03 Absolument.
13:05 Après, effectivement, d'autres acteurs qui font un peu partie de cette
13:08 climatique, c'est aussi tous ceux qui travaillent sur la question de...
13:10 sur la communication.
13:11 En fait, les communicants sont aussi des acteurs très, très importants.
13:16 Et effectivement, en fait, c'est toute cette idée de construire
13:20 un narratif autour de l'action climatique qui soit aligné un peu
13:23 avec ce projet un peu hégémonique qui est celui du capitalisme
13:27 vert.
13:28 Et du coup, effectivement, il y a tout un tas de professionnels
13:32 de la communication qui sont là aussi pour porter ce discours.
13:35 Mais ce n'est pas un discours qui est uniquement optimiste.
13:38 En fait, ce qui est intéressant, c'est de voir comment, en tant que...
13:41 comment il y a une forme de combinaison entre peur et optimisme,
13:43 en fait.
13:44 Et tout l'enjeu, et c'était un point qui avait été soulevé par un de
13:48 ces communicants, c'était cette idée qu'il fallait un tiers de peur et
13:51 deux tiers d'espoir.
13:52 Et donc, c'est de trouver cette sorte de bon équilibre entre...
13:56 entretenir une forme de peur et du coup, jouer aussi sur,
14:02 effectivement, la crise qui est encore une fois bien réelle, jouer aussi
14:05 sur l'urgence de la situation, mais en même temps, toujours combiner
14:08 ce discours de peur par aussi un discours d'espoir qui, lui,
14:11 pour le coup, est centré sur ces solutions très spécifiques qu'il
14:14 cherche à promouvoir.
14:15 Et encore une fois, Al Gore, pour moi, est un bon exemple de ça.
14:19 - Justement, Al Gore, on va en parler.
14:21 - Oui, je suis coincisté.
14:22 - Parce que...
14:24 Non, mais c'est intéressant, justement, on avait noté ça,
14:27 vous parlez de communication.
14:28 Il y a un exemple qui illustre beaucoup.
14:30 Vous parlez notamment dans ce livre d'un film "La vérité qui dérange"
14:33 d'Al Gore.
14:34 Donc, Al Gore, ex-vice-président des États-Unis d'Amérique,
14:37 un symbole de cette élite financière climatique, de cette élite qui
14:40 fait en réalité partie, c'est ce que vous décrivez, du problème
14:43 et qui s'érige finalement défenseur du climat.
14:45 C'est très intéressant parce que ce film dit beaucoup pour les plus
14:49 jeunes.
14:50 Je vous propose de regarder un bout de la bande-annonce parce que
14:52 peut-être que tout le monde ne l'a pas en tête.
14:54 (musique)
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15:30 Je me souviens quand ce film est sorti en 2006 au cinéma, il avait fait
15:35 énormément de bruit à l'époque.
15:36 Il a quand même marqué, même en son époque, beaucoup l'ont considéré
15:39 un petit peu comme précurseur.
15:41 En réalité, vous dites que ce film fait partie d'un récit construit
15:45 par les élites.
15:45 Oui, en fait, c'est à la base l'histoire de ce documentaire.
15:50 C'est assez intéressant parce qu'en fait, c'était une présentation
15:53 de ce PowerPoint qu'il avait et qu'il faisait, qu'il avait constitué
15:56 lui-même et qui, du coup, présentait justement dans un peu ses cercles
15:59 d'amis aux États-Unis, etc., dans les réseaux qu'il avait.
16:03 Et donc, ce PowerPoint s'est ensuite transformé en documentaire
16:08 avec le soutien d'ailleurs d'un capital risqueur qui avait mis
16:13 de l'argent dans son projet.
16:14 Et effectivement, c'est un documentaire intéressant parce que l'extrait
16:18 que vous montrez, en fait, il est intéressant parce que finalement,
16:20 il insiste beaucoup sur cette question de l'urgence avec des images
16:23 choc, avec aussi cette idée qu'il nous reste 10 ans pour agir.
16:26 À un moment donné, il fait référence à cette idée que dans 10 ans,
16:29 il n'y aurait plus de neige sur le climat de Jarod.
16:30 On était en 2006.
16:31 Et ce mécanisme aussi de la limite ou de la date limite, finalement,
16:37 c'est ce que l'on retrouve encore aujourd'hui autour du climat.
16:40 On parle toujours de 2030, 2050, etc.
16:42 - D'un certain point, les rapports du GIEC.
16:44 - Voilà, donc effectivement, et encore une fois, tout ça s'appuie
16:46 sur la science.
16:47 Donc, il se réfère aussi beaucoup à la science du climat pour insister
16:51 sur cette urgence.
16:52 Mais ce qui est aussi intéressant dans le documentaire, c'est que finalement,
16:55 à la fin du documentaire, la deuxième partie du documentaire,
16:59 en gros, c'est la question des solutions.
17:00 Et du coup, finalement, en fait, il y a tout ce travail,
17:03 finalement, où on insiste sur l'urgence de la situation.
17:06 Et hop, ensuite, on transitionne vers "oui, mais il existe des solutions".
17:10 Et c'est là, en fait, où il y a une sorte de déroulé de solutions.
17:13 Et encore une fois, ce sont toujours des solutions très spécifiques.
17:15 Ce sont des solutions très spécifiques, centrées sur les entreprises,
17:19 centrées sur les investisseurs, centrées sur les mécanismes de marché,
17:23 centrées sur les nouvelles technologies.
17:24 - L'entrepreneur, justement, devient une figure centrale de la lutte
17:27 contre le changement climatique, de la politique climatique.
17:30 - Ah absolument, et du coup, ça renforce aussi cette idée,
17:31 enfin, de cette sorte de mythe de l'entrepreneur, en fait,
17:33 qui a été aussi très bien décrit dans un livre récent,
17:36 chez mon éditeur aussi, à la découverte sur le mythe de l'entrepreneur,
17:40 où effectivement, c'est cette idée, en fait, que l'entrepreneur,
17:43 en fait, va sauver le monde.
17:45 Que c'est des sortes de surhommes qui vont sauver le monde.
17:47 Et du coup, des Jeff Bezos, des Bill Gates, des Al Gore aussi,
17:50 parce que lui-même est entrepreneur du climat,
17:52 il a un fonds d'investissement sur le climat, etc.
17:54 En fait, ils incarnent finalement, en fait, vraiment des figures héroïques
17:59 qui vont sauver la planète et qui sont presque en mission, en fait.
18:04 - Ils viennent même à la rescousse des États.
18:06 On voit, il y a un exemple récent dans la politique française,
18:09 c'est les One Planet Summit, par exemple, où Emmanuel Macron,
18:13 donc l'État français, fait appel à la finance et dit
18:16 "on a besoin de la finance", ils font partie de la solution
18:18 dans la politique climatique.
18:20 - Oui, absolument.
18:21 Et puis, c'est la même chose récemment aussi à la COP à Charmelchek,
18:23 où en fait, on insiste beaucoup sur le rôle de la finance,
18:26 notamment en Afrique, sur la question, en fait, de comment finalement...
18:31 Alors, il parle en anglais, c'est "blended finance",
18:33 malheureusement, je ne sais pas la version en français.
18:35 C'est cette idée où, finalement, il y aurait une sorte de coopération
18:37 entre des États et acteurs privés de la finance pour, finalement,
18:43 financer des projets de bas carbone.
18:45 Et encore une fois, un des gros projets, notamment en Afrique,
18:48 c'est la valorisation des forêts tropicales et du carbone qu'elles
18:51 sont censées stocker.
18:52 Donc, il y a toujours cette sorte de mise sur un piédestal, en fait,
18:56 de ces acteurs privés qu'on présente vraiment comme des héros.
18:58 En plus, en général, ce sont des philanthropes et ça,
19:01 c'est aussi un aspect important.
19:02 Et du coup, voilà, le One Planet Summit, comme vous dites, en 2017,
19:06 ce qui était pour moi très, très marquant, c'est qu'en fait,
19:11 on mettait sur le même plan des chefs d'État et des milliardaires
19:16 entrepreneurs philanthropes, comme si, finalement, ils avaient la
19:20 même importance, la même légitimité, alors que personne ne les a élus.
19:24 Leur légitimité, en plus, elle est plus que discutable.
19:28 Donc, pour moi, c'est vraiment intéressant, effectivement,
19:32 comment aussi certains gouvernements, et effectivement, l'Emmanuel
19:36 Macron, pour moi, est un exemple de ça, cherchent à entretenir,
19:41 finalement, ce mythe de l'entrepreneur sauveur du climat.
19:43 Et ce qui est aussi, pour moi, très intéressant, c'est aussi le fait
19:47 qu'à travers ça, finalement, on entretient aussi, en général,
19:52 finalement, un modèle économique qui place l'entrepreneur comme
19:55 étant une sorte de figure clé, comme étant quelque chose vers quoi
19:58 on doit aspirer, même, comme si c'était une chose qu'il fallait
20:01 absolument être.
20:02 - C'est là où on voit aussi leur poids dans les négociations
20:05 internationales.
20:06 Il y a notamment cette date clé avec la COP 15 à Copenhague, où on voit
20:12 comment, justement, ils se sont organisés en amont, même si ça a
20:14 été un échec derrière, pour peser.
20:17 - Oui, effectivement.
20:18 Alors, en amont de la COP 15, il y a eu tout un travail de fait,
20:21 notamment avec le soutien, avec l'aide de McKinsey.
20:24 Ils ont fait appel à McKinsey, qu'ils ont donné, je crois que c'est
20:27 aux 40 ou 50 millions de dollars, pour faire tout un travail, en fait,
20:30 de mise en relation, on va dire, d'acteurs qu'ils identifiaient comme
20:35 étant clés.
20:36 Donc, encore une fois, toute une sorte de diplomatie parallèle,
20:38 c'était un peu mis en place avant la COP 15.
20:40 Il y avait les négociations officielles et, en parallèle, il y avait
20:42 des sortes de discussions qui avaient lieu avec certains chefs d'État
20:46 triés sur le velet, ou représentants de gouvernement, certains représentants
20:49 de grandes entreprises, quelques milliardaires philanthropes,
20:53 quelques grosses ONG aussi, qu'on voulait avoir autour de la table.
20:56 Et finalement, ça renforçait...
20:58 Leur idée, c'est de se dire, si on met les bonnes personnes autour
21:01 de la table, on va résoudre ce problème.
21:03 Et du coup, c'est une vision très élitiste aussi de comment faire face
21:07 à la crise climatique.
21:08 - C'est ça l'entresoi climatique ?
21:09 - Absolument, c'est totalement l'entresoi climatique.
21:11 - Le nouvel esprit vert du capitalisme que vous décrivez.
21:13 - Oui, absolument, c'est une forme d'entresoi.
21:15 C'est vraiment cette idée qu'en fait, les élites vont sauver le monde.
21:19 Mais après, avec Copenhague, ce qu'ils avaient justement sous-estimé,
21:24 c'est le fait que finalement, il ne suffisait pas de rassembler
21:28 les élites, il ne suffisait pas de faire en sorte que les élites soient
21:30 d'accord autour d'un constat et d'une action.
21:34 Il fallait en fait que aussi l'opinion, finalement, soit d'accord aussi
21:40 avec cette vision.
21:41 Et c'est pour ça qu'entre la COP 15 à Copenhague et la COP 21 à Paris,
21:45 il y aura tout un accent qui va être mis aussi autour de la communication,
21:48 autour de cette idée de contrôler le discours dominant autour du climat.
21:53 Parce qu'en fait, la COP 15, pour qu'elle soit une réussite,
21:58 pour que la COP 21 soit une réussite, il faut qu'elle soit interprétée
22:01 comme une réussite.
22:02 Et donc, c'est pour ça que la communication est si importante.
22:04 - Justement, par rapport à ce discours, par rapport à cette communication,
22:06 ce que vous me dites, c'est qu'ils cherchent à orienter un récit médiatique
22:10 qui leur est favorable.
22:11 Je reviens notamment sur Holgor, sur son film, sur les conférences
22:15 qu'il organisait.
22:15 Il y en a plein, vous vous en racontez, vous parlez aussi des conférences TED,
22:18 par exemple, comme outils construits pour orienter ce récit.
22:23 En fait, il s'agit finalement de dépolitiser le discours, de faire
22:27 une lutte contre le changement climatique, une question peut-être
22:31 d'ajustement, vous dites même réaliste, plutôt que de changement
22:34 structurel.
22:35 On entend, par exemple, dans la bande annonce, Holgor, dire, dans le film
22:40 "Une vérité qui dérange", dire que c'est moins une question politique
22:42 que morale.
22:43 - Oui, effectivement.
22:44 C'est une fausse dépolitisation.
22:46 C'est effectivement présenter les choses comme étant hors du champ
22:49 politique, alors qu'en fait, derrière ça, il y a une vision très politique
22:52 du changement et de la transition à bas carbone.
22:56 Donc, oui, et cette utilisation des émotions, en fait, aussi est
23:01 intéressante.
23:02 Cette sorte de manière de toucher sur les cordes sensibles, de parler
23:05 en fait de ces enfants, de créer une forme de connexion finalement,
23:10 quand un Holgor ou un Jeff Bezos disent que oui, mais moi aussi,
23:13 j'ai des enfants.
23:14 Quelque part, ça crée une sorte de connexion avec le commun des mortels
23:17 et ça leur rend une forme d'humanité, en fait, quelque part.
23:20 Et du coup, ça nous rend aussi peut-être plus captifs à ce qu'ils
23:23 nous disent.
23:25 Alors qu'encore une fois, quelque part, pour moi, c'est aussi...
23:30 certes, ils sont parents, certes, ils aiment leurs enfants, certes,
23:33 ils ont peut-être peur pour leurs enfants, mais ils se servent aussi
23:36 de ça.
23:37 Et c'est pour moi, c'est ça qui dérange.
23:38 La peur, en fait, et la conscience de la crise et de l'urgence,
23:42 elle est là.
23:44 Mais ce qui est intéressant à voir, c'est comment aussi, finalement,
23:47 cette peur et cette conscience et cette urgence, en fait, on peut
23:50 aussi s'en servir.
23:52 On peut s'en servir à des fins politiques, à des fins de promouvoir
23:57 un certain projet de transition bas carbone.
23:59 Et c'est ça qui me dérange au fond.
24:01 C'est cette sorte de manipulation de la peur et de l'urgence, en fait.
24:07 Et c'est ce qu'on voit vraiment.
24:08 Enfin, pour moi, en tout cas, c'est une chose que je voyais
24:10 particulièrement.
24:11 - Et pour empêcher toute critique du capitalisme.
24:12 - Oui, parce qu'au fond, face à la peur, face à l'urgence, en fait,
24:16 c'est un effet un peu anesthésiant où on se dit, en fait, on n'a pas
24:19 le temps, finalement, de faire un pas de côté et de réfléchir à
24:23 des alternatives.
24:24 Et du coup, encore une fois, ça renforce presque les solutions
24:28 parce que leurs solutions, elles sont déjà là.
24:29 Les solutions, elles sont déjà prêtes, en fait.
24:31 Elles sont déjà empaquetées.
24:32 Il suffit de les prendre.
24:33 Et du coup, face à l'urgence, quand on nous dit qu'il nous reste
24:37 effectivement cinq ou dix ans pour agir, on va effectivement peut-être
24:41 se dire qu'en fait, on n'a pas le temps de s'interroger sur la
24:45 pertinence du projet de transition qui nous porte.
24:47 On n'a pas le temps, en fait, de s'interroger sur si ça marche ou pas.
24:50 Alors qu'encore une fois, ça fait 20 ans, en fait, que ce projet,
24:53 il est en place.
24:54 Ça fait 20 ans aussi que les émissions de gaz à effet de serre continuent
24:57 à augmenter.
24:58 Et en plus, ça fait 20 ans qu'on voit aussi les inégalités face à la
25:02 crise et les inégalités sociales en général se creuser.
25:04 Donc, c'est pour ça, en fait, que là aussi, c'est ce que j'essaye
25:08 de montrer dans le livre.
25:09 C'est cette sorte de manière de se servir de la science et de l'urgence
25:14 climatique et de la peur qu'elle produit, qui, encore une fois,
25:19 est sincère, de se servir de ça pour finalement imposer un projet
25:24 de transition qui sert, certes, qui a peut-être pour objectif de réduire
25:29 les émissions et encore, on n'est même pas sûr que ça marche.
25:32 Mais en tout cas, ce qui est certain, c'est que ça préserve leurs
25:35 intérêts, les intérêts d'une infime minorité d'individus au détriment
25:39 des intérêts d'une majorité.
25:40 - Il y a une autre image que je voudrais montrer.
25:42 Parce que vous avez parlé tout à l'heure de philanthropie médiatique,
25:46 enfin climatique.
25:47 J'aimerais qu'on développe un peu ce point parce qu'il y a l'image
25:51 de Jeff Bezos, ce milliardaire, cet homme qui dépense des fortunes
25:54 pour faire un tour en fusée et qui va ensuite plaider à la COP de Glasgow
25:58 pour le climat.
25:59 Et pourtant, ça passe dans les médias.
26:02 Cette image, elle finit par s'imposer.
26:04 Il y a toute une communication dont vous parlez, mais il y a aussi
26:08 cette idée que Jeff Bezos, c'est aussi cet homme qui a versé 150
26:12 millions de dollars.
26:12 Vous en parlez très bien dans le livre à l'égard des mouvements
26:17 américains pour le climat en 2021.
26:18 Finalement, cette philanthropie climatique, elle lui permet d'utiliser
26:24 cet outil.
26:25 Ça devient l'outil ultime de légitimation des milliardaires.
26:28 - Absolument, oui, effectivement, cette image de Jeff Bezos à la COP26,
26:32 elle est pour moi assez marquante, surtout qu'en plus, il se sert
26:34 en fait de son expérience, de son vol spatial comme finalement
26:40 un vol nécessaire pour qu'il prenne conscience de l'enjeu,
26:42 qu'il prenne conscience de la fragilité de la Terre.
26:44 Mais en plus, ce qui est pour moi vraiment fascinant aussi dans
26:49 ce discours et aussi dans cette utilisation de l'image de l'homme
26:52 qui est dans l'espace en train de regarder la Terre, c'est que ça
26:54 renforce encore cette idée qu'on est tous sur la même planète,
26:57 que finalement, en fait, on n'est rien dans l'univers, que finalement,
27:00 on est tous des...
27:01 Voilà, que quelque part, on est fragile et que même les milliardaires
27:05 en fait sont fragiles.
27:06 - On serait tous égaux devant la situation.
27:08 - Ça renforce cette sorte de faux sentiment en fait où on est tous
27:11 dans la même galère, alors qu'en fait, dans la réalité, ce n'est pas
27:14 le cas.
27:15 Dans la réalité, les gens souffrent déjà des effets du changement
27:18 climatique dans les pays du Sud et Jeff Bezos, lui, est plutôt à l'abri
27:23 de ces problèmes et le sera pendant encore certainement très longtemps.
27:27 Et c'est ça qui est intéressant en fait dans leur approche.
27:32 Et effectivement, la philanthropie, c'est un outil important de ce
27:36 point de vue-là parce que c'est aussi un ticket d'entrée vers ces forums.
27:39 C'est ce qui permet en fait à Jeff Bezos de prendre la parole à la COP26.
27:43 Donc c'est important de ce point de vue-là et d'autant plus qu'avec
27:47 cet argent et la fondation de Jeff Bezos, le Bezos Earth Fund,
27:50 c'est de loin un des plus gros financeurs de la cause climatique,
27:55 mais aussi de la biodiversité.
27:57 En fait, il a aussi pour effet de déstabiliser aussi le mouvement
28:00 climat parce qu'à partir du moment où il donne des sommes assez
28:03 conséquentes à des mouvements climat,
28:07 - Une récupération, une instrumentalisation.
28:08 - Il y a une volonté en tout cas et en tout cas, ça a un effet déstabilisant
28:11 parce que ces mêmes mouvements-là, en fait, quelques mois auparavant,
28:14 c'était les premiers à le critiquer et aussi à dénoncer le fait
28:16 qu'en tant que PDG d'Amazon, aussi en tant que patron,
28:21 en fait c'est une catastrophe.
28:22 Donc c'est aussi ça qui est problématique finalement,
28:26 c'est cette sorte d'effet anesthésiant aussi qu'a la philanthropie parfois,
28:29 que ça crée un malaise en fait, ça crée un malaise et du coup,
28:34 en fait ça peut aussi potentiellement créer des failles dans le mouvement
28:39 lui-même et donc l'affaiblir.
28:41 En fait, et du coup, alors qu'encore une fois, en plus même l'argent
28:45 qu'il donne à ces ONG ou à ces mouvements, c'est proportionnellement
28:49 rien par rapport à ce qu'il donne à des grands think tanks,
28:52 à toutes ces grandes organisations qui dominent vraiment le débat
28:57 autour du changement climatique.
28:58 Donc oui, la philanthropie pour moi est vraiment une arme de ce point
29:02 là, elle est une arme de légitimation des ultra riches,
29:05 elle est aussi une arme potentiellement de division du mouvement climat
29:09 et donc de division d'un front d'opposition potentiel face à ces acteurs là.
29:16 Là-dessus justement, il y a un épisode peut-être qui illustre
29:19 parfaitement la façon dont on peut récupérer ce mouvement climat,
29:22 c'est par exemple quand le Forum de Davos invite Greta Thunberg
29:26 à s'exprimer devant ses élites.
29:27 Et là, on voit que malgré les mots accusateurs de Greta Thunberg
29:31 à leur égard, les organisateurs du Forum sont très contents.
29:34 Oui c'est ça absolument, effectivement on l'invite,
29:37 en fait il n'y a aucune espèce de volonté d'ailleurs d'influencer
29:42 son discours, elle est totalement libre de ses paroles et quand vous
29:45 l'écoutez en fait, elle a un discours qui est très accusateur vis-à-vis
29:49 de son auditoire.
29:49 Mais ce qu'on retient au final c'est quoi ?
29:52 C'est qu'elle était à Davos et finalement c'est sa présence qui compte
29:56 pour ces acteurs là.
29:57 C'est comme quand on invite le chercheur Barrault,
30:02 Adrien Barrault, Aurélien Barrault quand on l'invite au congrès du MEDEF.
30:09 C'est un peu le même principe, c'est toujours cette idée que...
30:11 En fait ce qu'on retient au final c'est quoi ?
30:13 C'est qu'il y était et du coup il légitime ces espaces,
30:16 il légitime ces espaces et il renforce cette idée que ce sont des espaces
30:20 de pouvoir, parce que finalement le pouvoir il est là.
30:22 - Ils réussissent à tirer profit de ces accusations de la part des activistes.
30:25 - Oui absolument, ça a vraiment cet effet un peu anesthésiant.
30:31 Et ce qu'on retient c'est les images, c'est cette image de Greta au Forum
30:37 économique mondial, c'est ces images d'elle à côté d'Al Gore,
30:40 c'est ces images d'elle à côté d'Arnold Schwarzenegger en train de faire
30:43 des selfies.
30:44 C'est tout ça qu'on retient aussi.
30:46 Et encore une fois c'est toujours cette idée de légitimation de ces élites
30:51 et du coup quitte à s'en prendre, quitte à se prendre 8 minutes de critique
30:56 dans la figure, ça en vaut largement la peine je pense de leur point de vue.
31:01 - Orienter le récit c'est aussi l'amener sur les solutions qui les arrangent.
31:04 Vous avez parlé tout à l'heure de ce rêve du solutionnisme technologique
31:09 et de la géo-ingénierie qui mobilise les riches, l'idée que c'est la technologie
31:12 et le capitalisme finalement qui nous sauveront.
31:14 Mais il y a une autre idée tenace chez les riches, c'est celle que le problème
31:18 est démographique et là aussi il y a un travail qui est mené.
31:22 - Oui alors pour le coup sur cette question-là ce n'est vraiment pas
31:26 une question que je traite vraiment dans le livre et je dirais que la
31:31 question démographique ce n'est pas une question qui est nécessairement
31:35 non plus partagée par ces élites que j'étudie.
31:37 - Mais qui est présente dans certains discours.
31:38 - Dans certains discours oui il est présent mais il est présent aussi
31:42 dans certains discours même du mouvement climat.
31:44 Mais c'est toujours cette idée en fait que voilà.
31:47 Moi en tout cas ce que je trouve intéressant avec ce discours autour
31:52 de la démographie et telle qu'il est utilisée en fait par certains
31:55 de ces acteurs encore une fois pas tous, c'est finalement que ça aussi
32:00 ça contribue à mettre tout le monde sur le même niveau.
32:03 A dire que finalement c'est juste...
32:04 Enfin on est 8 milliards sur Terre et du coup un ultra-riche est équivalent
32:11 à n'importe quel autre être humain sur la planète.
32:13 Et donc si on en rajoute un en fait ce n'est pas bon pour le climat.
32:16 Alors que du coup ça laisse totalement de côté finalement le fait que non
32:21 on n'est pas égaux en fait.
32:22 Qu'un habitant des pays du Nord riche mais aussi encore plus un ultra-riche
32:28 en fait lui il a une responsabilité, il a une empreinte carbone qui est
32:32 mille fois plus importante, même des dix mille ou cent mille fois
32:36 plus importante qu'un paysan en Afrique.
32:40 Donc je pense que c'est aussi ça pour revenir à cette question des discours.
32:46 Et que ça contribue aussi à planir finalement le monde, à présenter
32:50 finalement le problème comme étant où on est tous responsables,
32:53 on a tous le même niveau de responsabilité.
32:54 Et ça pour moi c'est vraiment problématique.
32:57 - Mais vous pensez que ces élites elles sont mues uniquement par leur intérêt.
33:01 Il n'y a pas quand même un peu, quand on revoit le film d'Al Gore par
33:04 exemple, des convictions.
33:06 Je veux dire parce que c'est là où on va toucher aux limites du
33:10 séparatisme social parce qu'au final eux aussi seront touchés.
33:13 - Oui non ils ont totalement...
33:15 Je pense que c'est ça, c'est qu'il ne faut pas non plus croire,
33:16 il ne faut pas croire en tout cas que les ultra riches n'ont pas pris
33:19 conscience du problème.
33:20 - C'est une forme de schizophrénie finalement.
33:22 - Oui peut-être.
33:24 - Vous parlez de schisme de réalité.
33:26 - Oui alors j'emprunte ça des travaux d'Ami Dahan et de Stéphane Haïkoud,
33:30 des collègues qui ont beaucoup travaillé un peu sur la question de
33:33 la gouvernance climatique.
33:34 Mais je pense qu'il y a une prise de conscience du problème.
33:39 Et justement c'est à travers cette prise de conscience du problème
33:42 qu'il y a aussi une prise de conscience du besoin d'agir.
33:45 Mais en même temps je pense qu'il y a une prise de conscience du fait que
33:48 face à la crise climatique, ce qu'ils ont à perdre c'est énorme
33:53 aussi en fait.
33:54 C'est certainement pas la même chose que la majorité de la population
33:58 mondiale mais qui a un enjeu en fait pour eux à agir sur le climat.
34:02 Donc en fait je pense qu'il y a une forme de sincérité, il y a une forme
34:05 de prise de conscience de l'enjeu et c'est pour ça que je ne la questionne
34:09 pas vraiment.
34:09 Par contre moi ce que je questionne c'est le projet en fait qu'il propose
34:15 pour transitionner.
34:15 Pour moi c'est un projet qui cherche certes peut-être à réduire
34:22 les émissions de gaz à effet de serre mais aussi en fait à maintenir
34:26 leur position de pouvoir, à maintenir leur richesse.
34:29 Et c'est ça qui me pose problème en fait.
34:31 - En tout cas ce qu'on voit avec votre livre c'est qu'on a là une classe
34:35 sociale qui est vraiment consciente et organisée.
34:38 Et pour reprendre votre conclusion, fin du monde, fin du mois, fin des
34:42 ultra riches, même combat ?
34:43 - Allez, ça me va.
34:44 - Je vous remercie Edouard Morena, c'est la fin de cette interview
34:49 passionnante.
34:50 Je rappelle que vous êtes l'auteur de Fin du monde et Petit Four,
34:53 les ultra riches face à la crise climatique.
34:55 Aux éditions La Découverte, c'est la fin de cette émission.
34:58 Avant de vous quitter, je vous rappelle que le Média ne vit que
35:00 grâce à votre soutien.
35:01 Nous tenons l'antenne grâce à vos dons et à vos abonnements.
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35:08 n'hésitez pas à les commenter.
35:09 Nous vous lisons attentivement.
35:11 Évidemment parlez de nous autour de vous.
35:13 Plus nous sommes nombreux à défendre un journalisme indépendant,
35:16 plus nous serons capables de survivre dans un monde marqué par
35:18 la concentration des médias aux mains de quelques milliardaires,
35:22 justement, on en parlait, qui feront tout pour nous dégager,
35:25 à moins que ce soit nous qui les dégageons.
35:27 A.
35:28 Bon.
35:29 A.
35:30 A.
35:31 A.
35:32 A.
35:33 A.
35:34 A.
35:35 A.
35:36 A.
35:37 Merci à tous !
35:39 [SILENCE]

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