Alors que la guerre en Ukraine bat son plein et que l’Afrique devient un peu plus chaque jour un champ de bataille géopolitique entre le camp occidental et la Russie, les défenseurs des droits de l’Homme sur le continent sont-ils encore audibles ? L’avocat Vincent Brengarth, qui se tient aux côtés du Front National pour la Défense de la Constitution dit FNDC, un regroupement qui se bat, en Guinée Conakry, pour la fin de l’impunité et contre les tripatouillages constitutionnels. Bon à savoir, le coordinateur national du FNDC, Fonike Mengue, est incarcéré depuis des mois. Où en sont les procédures judiciaires lancées au nom du FNDC contre l’ancien président guinéen Alpha Condé et le chef de l’actuelle transition militaire, Mamadi Doumbouya ? N’y a-t-il pas un problème à porter plainte auprès de juridictions étrangères, c’est-à-dire en France et à la Cour pénale internationale ? N’y a pas des raisons objectives de soupçonner ces juridictions étrangères, notamment la CPI, d’être soumises à l’agenda géopolitique des puissants ? Que penser des juridictions de la CEDEAO et de l’Union africaine ? Et de la tournée africaine d’Emmanuel Macron, suite à un discours au sujet d’une supposée nouvelle politique africaine ? Entretien avec Théophile Kouamouo.
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00:00 Alors que la guerre en Ukraine bat son plein et que l'Afrique devient un peu plus chaque jour un champ de bataille géopolitique entre le camp occidental et la Russie,
00:08 les défenseurs des droits de l'homme sur le continent sont-ils encore audibles ?
00:13 Nous avons voulu poser la question à l'avocat Vincent Brengard, qui se tient aux côtés du Front National pour la Défense de la Constitution, dit FNDC,
00:22 un regroupement qui se bat en Guinée-Conakry pour la fin de l'impunité et contre les tripatrouillages constitutionnels,
00:30 bon à savoir le coordinateur national du FNDC, Fonike Menge, est incarcéré depuis des mois.
00:37 [Générique]
00:42 Bonjour Vincent.
00:43 Bonjour.
00:44 Il y a peu de temps, on vous voyait à la Cour pénale internationale où vous essayez de traduire l'ancien président guinéen Alpha Condé.
00:50 Aujourd'hui, vous êtes sur le pont contre Mamadji Doumbouya, chef de la transition militaire qui lui a succédé.
00:56 On a envie de savoir comment tout cela s'articule.
00:59 Aujourd'hui, c'est une situation extrêmement préoccupante que traverse la Guinée parce que ça fait déjà depuis septembre 2021 que Doumbouya est au pouvoir
01:08 après un coup d'État militaire par la force contre Alpha Condé, qui est évidemment un président décrié,
01:14 mais on ne s'attendait pas à ce que ce régime qui prétendait opérer une transition rapide allait à ce point rester au pouvoir.
01:22 Et en fait, il reste au pouvoir par l'utilisation de la répression, notamment contre les sociétés civiles et contre les manifestants.
01:29 Donc en réaction à cette répression, nous avons initié différentes procédures.
01:33 Nous avons déposé plainte devant la Cour pénale internationale et nous sommes également tournés vers les juridictions françaises
01:40 parce que selon les informations que nous disposons, M. Doumbouya aurait la double nationalité puisqu'il serait à la fois guinéen et français,
01:46 ce qui permet à un juge français d'avoir à connaître des agissements, même s'ils ont été commis à l'étranger,
01:51 contenus de la nationalité française de l'auteur des infractions.
01:54 – Qu'est-ce que vous reprochez exactement à Mamadi Doumbouya ?
01:57 – On lui reproche un ensemble de choses qui ont été documentées par un certain nombre d'organisations non gouvernementales.
02:03 Il y a déjà les exactions qui ont été commises contre les manifestants.
02:06 On parle de personnes qui ont été blessées, qui ont été tuées dans le cadre de différentes manifestations
02:11 en opposition au maintien de l'agent au pouvoir.
02:14 On parle également de cas de détention arbitraire qui sont extrêmement documentés,
02:18 à nouveau contre des membres de l'opposition, contre des membres qui participent à pouvoir permettre l'alternative politique.
02:27 Donc ces ensembles d'agissements sont constitutifs et peuvent être constitutifs d'infractions pénales,
02:33 aussi bien à la détention arbitraire que les homicides dont sont à l'origine les forces de l'ordre en Guinée
02:40 et qui ne trouvent absolument pas à se justifier par les circonstances dans lesquelles il a été fait usage des armes et de la force.
02:47 Donc c'est pour ça que cet ensemble de faisceaux d'indices nous permet, en tout cas, de nous tourner vers les juridictions
02:52 pour faire en sorte que les responsabilités soient déterminées et soient actées,
02:56 pour faire en sorte enfin que les agissements qui sont en cours en Guinée puissent cesser.
03:01 – Alors on peut vous reprocher de ne porter plainte qu'auprès de juridictions étrangères,
03:05 c'est-à-dire auprès de la Cour pénale internationale et en France ?
03:09 – Alors on a tout de même déposé une plainte devant la Cour d'appel de Conakry,
03:14 auprès du Parquet général de Conakry, mais on l'a fait parce qu'en réalité,
03:18 le garde des Sceaux avait annoncé des poursuites, vouloir diligenter des poursuites
03:22 contre un certain nombre de membres de l'opposition,
03:24 précisément aussi compte tenu des initiatives que nous avions prêtes à l'étranger.
03:27 Donc s'il veut y voir des fausses informations ou une tentative de déstabilisation,
03:32 à ce moment-là, il suffit que le Parquet général,
03:34 auprès de la Cour de l'appel de Conakry, diligeant des poursuites concernant les exactions
03:39 qui sont commises par les forces de l'ordre en Guinée,
03:41 et à ce moment-là, on ne se tournera plus vers les juridictions internationales.
03:44 Mais à partir du moment où vous n'avez aucun indice qui permet de considérer
03:48 que les juridictions en Guinée sont indépendantes,
03:50 vous devez nécessairement vous tourner vers les juridictions internationales.
03:55 C'est vrai que d'un point de vue de la souveraineté des États qui sont concernés,
03:59 notamment la Guinée, c'est quelque chose qui peut être extrêmement regretté,
04:02 et je suis le premier à le regretter, mais quand vous n'avez aucune chance
04:05 pour les victimes de ces infractions d'obtenir justice devant leur propre juridiction,
04:09 forcément qu'elles doivent trouver d'autres terrains.
04:12 Alors, est-ce qu'il n'y a pas des raisons objectives, en réalité,
04:14 de soupçonner ces juridictions étrangères, notamment la CPI,
04:18 d'être soumises à l'agenda géopolitique des puissants ?
04:21 On pense à la sur-présentation des Africains parmi les personnes
04:24 qui sont jugées à la CPI, on pense aussi au procès,
04:27 qui a été des fois burlesque de Laurent Gbagbo,
04:30 qui a entamé le crédit de cette institution en Afrique.
04:33 Est-ce qu'il n'y a pas un problème CPI, malheureusement ?
04:35 Il y a un problème CPI, et c'est d'ailleurs ce qui participe aussi à aggraver
04:39 notre préoccupation, c'est que même si on a encore la capacité
04:42 de se tourner vers des juridictions internationales,
04:44 il faut bien se rendre compte qu'en fait, l'isolement de ces différents pays
04:48 est en train de se renforcer, parce que la Cour pénale internationale
04:50 a été extrêmement décriée, notamment parce qu'on lui reprochait
04:54 de juger uniquement de dignitaires et d'hommes politiques africains
04:57 dans des conditions qui parfois étaient rocambolesques,
04:59 tu l'as noté tout à l'heure, et aujourd'hui, on a en plus le sentiment
05:03 que même d'autres mécanismes de contrôle internationaux,
05:07 et notamment auprès de la CDO, sont là encore des mécanismes
05:10 qui sont complètement inopérants, parce que non seulement
05:12 vous avez des juridictions qui sont complètement dépassées
05:16 par le nombre de dossiers et le nombre de signalements
05:18 qu'elles peuvent recevoir, et donc avec un manque de moyens,
05:21 et en plus remise en cause de plus en plus, non seulement
05:23 par les États, et même parfois par des organisations
05:27 qui voient une atteinte à la souveraineté, sauf que
05:29 si vous avez des juridictions internes qui refusent de juger
05:32 que de l'autre, vous avez des juridictions internationales,
05:35 dont la CPI, dont la CDO, qui ne font pas leur travail,
05:38 que peut-il se passer pour permettre l'efficacité de…
05:40 – La CDO est peut-être un peu plus difficilement attaquable
05:43 que la CPI, dans la mesure où finalement, les abandons de souveraineté
05:48 se font au profit, disons, d'une sorte de construction politique
05:55 andogène. Quel est le problème avec les juridictions
06:00 de la CDAO et de l'Union africaine ?
06:03 Si vous deviez les juger, ces juridictions,
06:07 quels sont les problèmes qu'elles rencontrent,
06:10 l'Union africaine et CDAO ?
06:11 – Alors c'est vrai que la situation n'est pas complètement comparable
06:13 à la CPI, compte tenu des critiques dont elle a pu faire l'objet,
06:16 mais vous avez des juridictions qui sont elles-mêmes déjà confrontées
06:18 à des difficultés structurelles, puisque ce sont des juridictions
06:22 qui sont aussi surchargées. Nous, on a pu introduire différents recours
06:25 qui mettent parfois des années à pouvoir être instruits,
06:29 et pourtant, je ne pense pas que ce soit un manque de volonté,
06:32 mais le caractère extrêmement vaste des dossiers dont elle peut avoir
06:38 à traiter explique aussi ce délai. Et puis, vous avez aussi
06:41 des considérations qui sont complètement politiques,
06:45 parce qu'on fait en sorte aussi de chercher des équilibres
06:49 avec un pays, je pense notamment à la junte militaire en Guinée,
06:52 où au départ, il y avait une espèce d'admission du calendrier
06:58 qui était projeté pour permettre cette transition démocratique.
07:00 Tout le monde se rend compte que ce calendrier ne va pas être tenu,
07:04 mais il y a quand même un espoir qui est affirmé,
07:06 et je pense aussi qu'il y a une conscience du fait que si jamais
07:09 on rentre aussi du côté de la CDAO ou d'autres organisations
07:12 internationales dans une trop grande frontalité par rapport aussi
07:17 à la junte, eh bien, ça risque encore plus de durcir la situation.
07:20 Donc, nous, on espère véritablement qu'on va pouvoir entendre raison,
07:24 en tout cas, à ces juridictions et surtout à la junte militaire au pouvoir,
07:28 parce qu'aujourd'hui, il n'y a aucune raison qu'elles se maintiennent.
07:32 Et on parle en plus d'un pouvoir qui n'a eu de cesse de proroger
07:36 les délais de transition et qui emprisonne ses opposants.
07:41 Vous avez quasiment, alors comme s'ils ne sont pas emprisonnés,
07:43 ils sont tous en exil.
07:45 Et pour quelle transition démocratique à partir du moment où vous avez
07:48 complètement cassé l'assisté civil et vous avez cassé la moindre manifestation ?
07:53 Je rappelle simplement que depuis 2022,
07:55 les manifestations ne sont même plus possibles en Guinée.
07:58 Comment est-ce qu'on peut imaginer que vous puissiez avoir une transition
08:00 démocratique à partir du moment où l'expression collective n'est pas possible ?
08:04 En plus, vous retrouvez avec cette double instrumentalisation,
08:08 d'une part, une interdiction des manifestations.
08:11 Et une fois que les manifestations sont interdites,
08:13 ça justifie pour les autorités un usage complètement disproportionné de la force.
08:18 Donc après, on vient criminaliser les organisateurs de ces manifestations
08:22 en disant "Vous voyez, nous, on avait interdit les manifestations.
08:24 En fait, c'est à cause de vous qu'il y a eu des blessés.
08:26 C'est à cause de vous qu'il y a eu des tués."
08:27 Je crois que ces discours doivent véritablement cesser parce que personne ici,
08:35 en tout cas, tout le monde voit bien l'effet d'opportunisme
08:39 qu'il pourrait y avoir dans ces interactions manifestées.
08:41 Justement, pour clore un peu ce chapitre,
08:43 est-ce que vous avez eu affaire à la Cour africaine des droits de l'Homme
08:46 et des peuples dans votre quête de justice ?
08:48 On a eu parfois à la faire, mais c'est vrai que pour l'instant,
08:51 les décisions qui ont pu être rendues dans les différents dossiers
08:53 qu'on a pu avoir, manque d'effectivité.
08:54 Mais je crois surtout que pour clore, si je puis dire, ce sujet,
08:57 c'est qu'aujourd'hui, j'insiste véritablement,
09:01 nous sommes confrontés à une situation qui est complètement alarmante.
09:04 C'est le cas de la Guinée. C'est aussi le cas du Tchad
09:07 pour lequel nous avons opéré un signalement devant la Cour pénale internationale.
09:11 Parce que vous avez aussi, dans le cadre de la remise en cause de la France,
09:14 même si c'est un autre sujet, parce qu'on peut comprendre,
09:17 compte tenu de la problématique liée à la France-Afrique
09:20 et à la problématique de la colonisation,
09:23 que vous avez aussi une rupture qui est aussi brutale
09:26 et qui fait qu'en fait, vous avez aujourd'hui des pays
09:29 qui sont un peu presque en électron, en roue libre,
09:32 parce que vous avez une absence de véritable effectivité
09:36 des moyens de contrôle juridictionnels.
09:38 Et en plus, alors que hier, encore la France pouvait exercer
09:41 une forme d'influence quand elle le souhaitait en matière de droit de l'homme,
09:45 déjà, elle ne le peut pas, parce qu'économiquement,
09:47 elle voit bien qu'elle est notamment confrontée à la Russie
09:51 qui gagne de plus en plus de place dans ses territoires et qu'elle se dit,
09:54 eh bien, si on impose trop de conditions, on va perdre un peu plus de marché.
09:58 D'ailleurs, on voit bien qu'il y a une remise en cause de plus en plus forte
10:00 et c'est ce qui se traduit notamment au Burkina Faso.
10:04 Et je pense également qu'il y a une propre conscience du fait que
10:07 la France aujourd'hui n'est absolument plus exemplaire
10:09 pour pouvoir faire la leçon à qui que ce soit.
10:12 Mais il n'empêche que moi, ce que je demande,
10:15 c'est véritablement que ces droits de l'homme soient présents aussi,
10:18 un peu plus au moins, soient présents tout court
10:21 dans le discours d'Emmanuel Macron qui va annoncer dans les jours à venir
10:25 un certain nombre de mesures, parce qu'il faut bien comprendre
10:27 qu'en fait, ce sont des populations qu'on est en train de laisser
10:30 à l'abandon et aux bénéfices de dignitaires qui exercent
10:34 par la pression, par l'intimidation et aussi afin de s'enrichir.
10:39 Et ça, je pense que c'est complètement intolérable.
10:42 Et c'est d'autant plus intolérable qu'on ne peut pas se dire à chaque fois,
10:44 en fait, c'est les problèmes de la Guinée, c'est les problèmes du Tchad.
10:48 Et nous, nous consacrer uniquement à nos propres sujets internes
10:52 et puis passer des jours et des jours à pouvoir notamment discuter
10:54 de l'affaire Palmade, à n'en plus vouloir et à ne plus avoir de salive.
10:58 Tant on en parle, il y a d'autres sujets qui sont des sujets primordiaux,
11:01 qui sont des sujets de droit de l'homme, qui sont des sujets de démocratie
11:03 et qui sont beaucoup plus essentiels que des non-sujets dont on parle beaucoup trop.
11:07 Emmanuel Macron a déjà prononcé hier un discours sur sa nouvelle politique africaine.
11:12 J'imagine que vous avez été attentif à ce discours.
11:14 J'ai été attentif, mais je pense que précisément, le discours d'Emmanuel Macron,
11:19 c'est précisément cette sorte de conciliation, c'est-à-dire la conscience
11:23 qu'il peut avoir de la remise en cause grandissante de la France
11:26 et notamment de la présence militaire dans un certain nombre de pays.
11:30 Le fait que notamment par le groupe Wagner, la Russie est de plus en plus forte.
11:34 Vous avez aussi la Chine qui est extrêmement présente en Afrique.
11:37 Donc, on voit d'un point de vue économique, on voit en fait qu'il y a cette conscience
11:42 de la volonté, malgré tout, de pouvoir maintenir des contrats,
11:45 de pouvoir maintenir des démarchés et de l'autre, abandonner volontairement
11:51 toute la thématique des droits de l'homme parce que justement,
11:53 vous avez un certain nombre de pays qui ne supportent plus cette remise en cause.
11:57 – De pouvoir plus que de pays.
11:58 – Voilà, évidemment, de pouvoir puisqu'on ne parle pas des populations,
12:02 mais sauf qu'en fait, si vous avez aujourd'hui une communauté internationale
12:06 qui est complètement silencieuse sur ce sujet, que la France elle-même
12:10 commence complètement à les sacrifier sur l'autel de considération
12:15 complètement économique, eh bien en fait, on est en train de tirer le trait
12:19 sur la question des droits de l'homme en Afrique.
12:21 Et ça, je pense que c'est, encore une fois, profondément alarmant
12:25 et qu'on doit véritablement s'en saisir collectivement.
12:28 – Après ce discours, Emmanuel Macron se rendra au Gabon, au Congo-Brasaville,
12:32 en RDC, en Angola, en termes de droits de l'homme, on a vu mieux,
12:37 mais ce sont aussi des pays stratégiques d'un point de vue des hydrocarbures.
12:41 – C'est ça, mais à chaque fois, on a le sentiment finalement
12:43 que les considérations stratégiques l'emportent sur le restant des considérations.
12:47 Et je pense que ce phénomène est en train de s'aggraver
12:50 de façon extrêmement considérable, parce qu'avant, la France pouvait
12:54 éventuellement avoir des liens privilégiés avec certains pays en Afrique,
12:57 on voit aujourd'hui que c'est de moins en moins le cas.
12:59 On voit aussi qu'on vit dans une économie qui est de plus en plus mondialisée,
13:03 qui est sujette à une concurrence de plus en plus féroce,
13:06 et que les choix qui sont opérés par nos gouvernants
13:08 sont systématiquement des choix qui sont économiques,
13:11 qui sont des choix de finances, en mettant complètement de retrait
13:15 ces questions de droits fondamentaux.
13:17 Donc, il suffit simplement de voir effectivement le premier discours
13:21 qui était fait par Emmanuel Macron, et de voir de toute façon
13:24 le logiciel de pensée dans lequel on est, pour se dire que, à l'évidence,
13:28 ces questions ne seront absolument pas sur la table,
13:30 ou elles le seront complètement de façon marginale.
13:35 Parce que, encore une fois, aujourd'hui, les objectifs et les finalités
13:39 qui sont poursuivis par nos gouvernants ne sont pas compatibles, en fait,
13:43 avec un respect absolu des droits fondamentaux,
13:46 puisque, encore une fois, leur respect est perçu comme un obstacle
13:50 à la conclusion d'un centre de marché, et à la préservation
13:53 d'un certain nombre de partenariats économiques avec des pays en Afrique.
13:56 – Alors, la France a mauvaise image en Afrique,
13:58 surtout auprès des peuples, en tant qu'avocat,
14:02 vous êtes compagnon de route d'un certain nombre d'opposants,
14:06 d'activistes, de dissidents, est-ce que vous avez l'impression
14:09 qu'au sein des peuples africains, il y a quand même une sorte de désir,
14:13 de camaraderie, de fraternité d'armes sur les terrains de la démocratie,
14:19 des droits de l'homme, parce qu'au fond, finalement,
14:21 sur des sujets internationaux, quand on parle à la Chine,
14:26 quand on pense à la Chine, quand on pense à d'autres, même à la Russie,
14:30 la question de la diplomatie, des droits de l'homme revient souvent
14:33 dans la bouche des dirigeants occidentaux, de manière opportuniste ou pas,
14:35 est-ce qu'on peut penser qu'à la base, parmi les peuples africains,
14:41 il y a une sorte de soif de justice qui pourrait être accompagnée
14:43 justement par la diplomatie internationale,
14:46 aussi dans le cadre de la guerre d'image qui accourt en ce moment ?
14:52 – Moi je pense que déjà, il y a un sentiment anti-français
14:54 qui est aussi instrumentalisé par des pouvoirs tyranniques
14:58 pour justement aussi justifier leur souveraineté, justifier leur retraite…
15:02 – Souveraineté du pouvoir mais pas du peuple.
15:03 – Exactement, la souveraineté du pouvoir pour ne plus avoir
15:07 à rendre de compte à personne, ça veut dire que ça permet aussi
15:10 d'accroître la pauvreté, ça permet d'accroître les sentiments d'exclusion,
15:13 donc déjà il y a quand même ce sentiment qui est aussi instrumentalisé
15:17 de façon extrêmement forte notamment par des régimes
15:19 qui sont des régimes militaires.
15:21 Effectivement, moi dans les différents échanges qu'on peut avoir
15:23 avec l'Association civile, notamment en Au Tchad, notamment en Guinée,
15:27 il y a une forme d'ambivalence parce qu'à la fois évidemment
15:29 ce sont des populations qui ont été complètement meurtries
15:32 par les années de colonisation et en même temps il y a cette relation
15:36 un peu particulière parfois avec la France et la conviction que,
15:39 au moins s'agissant d'aspects démocratiques, même si là aussi
15:43 c'est un autre sujet, la France aurait beaucoup à refaire et à revoir,
15:47 il n'empêche que constitutionnellement si on avait respecté
15:50 l'ensemble des engagements qui sont prévus, notamment dans la constitution
15:52 qui prévoit le régime de la Ve République, on a quand même un régime
15:55 qui pourrait sur le papier bien fonctionner, donc qui peut encore
15:58 servir d'exemple pour un certain nombre de pays et puis non seulement
16:00 vous avez cet exemple démocratique parce que même si en France
16:03 tout ne va pas bien et qu'il y a une dérive autoritaire,
16:05 elle n'est même pas comparable, je veux dire, à celle que traverse
16:08 la Guinée, à celle que traverse le Tchad où à partir du moment
16:11 où vous êtes dans une manifestation, vous risquez de recevoir
16:13 une batte dans la tête parce que vous osez vous opposer au pouvoir
16:17 et que le simple fait d'avoir une assemblée nationale qui soit
16:21 véritablement effective est complètement chimérique.
16:23 Donc c'est vrai qu'il y a cette ambivalence avec à la fois
16:26 une remise en cause mais en même temps la nécessité d'un partenariat
16:30 sur ces questions aussi parce que je pense qu'il peut y avoir
16:34 un dialogue qui soit tout à fait constructif.
16:37 Mais le problème c'est qu'en fait, je le disais tout à l'heure
16:39 par rapport au logiciel de pensée économique, c'est qu'on a conçu
16:43 toujours le partenariat comme étant un partenariat finalement
16:45 qui serait de l'ordre de l'exploitation.
16:47 On se rend compte qu'on n'a jamais véritablement modifié aussi
16:50 cette perception du continent africain et qu'aujourd'hui
16:54 on est en train de le faire, mais on est en train de le faire
16:56 de façon accélérée parce qu'en fait la France est remise en cause
16:58 et donc on veut le faire de façon précipitée et qui dit de façon
17:02 précipitée dit que ces grandes thématiques de démocratie
17:05 et de droit de l'homme passent complètement à la trappe
17:08 au profit d'une préservation à court terme et moyen terme
17:12 d'enjeux économiques immédiats.
17:14 - Alors d'être impliqué dans le cadre des dossiers des biens mal acquis
17:17 en France, mais ces dossiers n'avancent pas toujours très vite
17:20 et certains déplorent des poursuites à tête chercheuse.
17:23 C'est quoi les nouvelles sur le front des biens mal acquis
17:27 par les dirigeants africains en France ?
17:29 - Alors c'est toujours une saga judiciaire qui a été considérable
17:34 parce qu'elle a permis déjà des condamnations.
17:37 Elle a permis la condamnation qui est désormais définitive
17:39 contre Obiang et aussi la confiscation d'un certain nombre
17:43 d'éléments de son patrimoine puisqu'il avait notamment investi
17:47 dans un hôtel particulier à Paris, donc un patrimoine colossal
17:51 qui s'élevait à plusieurs dizaines de millions d'euros.
17:52 C'est le cas également de l'oncle de Bachar el-Assad,
17:56 Rifat el-Assad, qui était condamné de façon définitive
18:00 par les juridictions françaises et qui en plus ont saisi là encore
18:04 son patrimoine qui s'élevait à plusieurs dizaines de millions d'euros.
18:08 Et non seulement ces condamnations sont des signaux extrêmement importants
18:13 qui ont été adressés à l'encontre notamment des populations.
18:16 Désormais en plus, il va y avoir un mécanisme de restitution
18:20 des avoirs qui ont été confisqués, qui va se faire en coordination
18:22 avec l'assuré civil dans les pays qui sont concernés.
18:26 Et on voit en plus qu'il y a des phénomènes de réplique
18:28 dans un certain nombre de pays.
18:30 Je pense notamment à l'Espagne, je pense à la Suisse
18:33 qui commence aussi à avoir les mêmes mécanismes,
18:35 les mêmes automatismes pour faire en sorte que ce blanchiment puisse cesser.
18:41 Et puis, vous avez actuellement aussi, nous avons initié des poursuites
18:45 contre M. Salamé, donc s'agissant du Liban,
18:49 où vous avez là encore des investigations extrêmement approfondies
18:53 qui sont en cours.
18:54 Mais d'ailleurs, en fait, la saga des Miamalaki participe aussi
18:57 à cet élan démocratique parce que vous vous rendez compte
19:00 que non seulement on peut avoir des régimes qui s'accaparent le pouvoir
19:03 aussi par des biais autoritaires, mais qui le font évidemment
19:05 pour permettre des enrichissements personnels au détriment des populations
19:10 et par le biais d'infractions, des tournements de fonds publics.
19:13 Encore une fois, il ne s'agit pas ici, comme parfois on peut le lire,
19:16 d'une atteinte à la souveraineté.
19:18 C'est simplement de se dire qu'en fait, les juridictions françaises
19:21 sont compétentes à partir du moment où le blanchiment est commis en France.
19:24 On ne juge pas des faits de détournement de fonds publics,
19:26 on juge du blanchiment contenu de la manière
19:30 dont les patrimoines ont pu se constituer.
19:32 Donc ce sont des procédures qui sont en cours et je pense
19:36 qu'elles constituent aussi un espoir considérable pour les populations
19:40 parce qu'elles voient que, enfin, l'impunité cesse.
19:44 Mais c'est vrai qu'on est encore loin d'une situation idéale
19:47 parce qu'on se rend compte que dans cet un pays, malheureusement,
19:50 l'effet de mène corruptif continue et notamment d'ailleurs
19:53 Rifaat el-Assad, ça peut peser une interrogation
19:55 puisqu'il était condamné en France à une peine d'emprisonnement ferme
19:58 et que manifestement, rien n'a véritablement été fait
20:01 pour empêcher qu'il se retrouve aujourd'hui en exil
20:05 auprès du régime de Bachar el-Assad, là où il disait que
20:09 presque les ponts avaient été coupés.
20:11 Donc on voit qu'il y a des progrès significatifs qui ont été faits,
20:16 mais ce sont encore des progrès qui sont fragiles.
20:20 Et c'est pour ça qu'il faut aussi lutter contre cette invisibilisation
20:24 des atteintes aux droits de l'homme et aussi des atteintes
20:27 à la probité dans ces pays.
20:29 Et je pense vraiment qu'il faut cesser avec cette logique
20:33 que moi, je vois faire de plus en plus floresse,
20:35 notamment sur les réseaux sociaux,
20:36 lorsque l'on commande différentes initiatives en disant
20:39 "mais en fait, occupez-vous de la France".
20:40 Je veux dire, on s'occupe déjà de la France par ailleurs,
20:42 qu'en s'agissant d'un centenaire de recours.
20:44 Et ce n'est pas parce qu'il y a déjà des atteintes
20:47 aux droits fondamentaux en France qu'on doit faire une croix
20:51 sur celles qui sont actuellement commises sur le continent africain.
20:54 – Alors, au sujet de ces deux poursuites à la Cour pénale internationale
20:58 et en France contre le pouvoir guélien,
21:00 enfin contre le président de la transition,
21:02 Mohamed Dombouya, est-ce qu'il y a un agenda ?
21:04 Est-ce qu'il y a des futurs rendez-vous judiciaires ?
21:07 – Alors, il n'y a pas forcément de rendez-vous désormais
21:10 qui sont complètement actés, parce que, comme je disais tout à l'heure,
21:12 ce sont des processus qui sont relativement longs.
21:14 Donc, ce sont des processus qui peuvent aussi prendre des mois,
21:16 parce qu'il faut le temps de recueillir un sombre d'éléments de preuve,
21:19 il faut le temps de pouvoir procéder, le cas échéant, à des auditions,
21:23 à la récolte d'un sombre d'éléments.
21:25 Donc, on est davantage face à un stade de collecte d'éléments.
21:29 Mais il s'agit ici, évidemment, du fonctionnement relativement classique
21:32 de ces juridictions internationales,
21:34 parce qu'il ne s'agit pas de juger de façon complètement précipitée.
21:39 Et encore une fois, on va voir aussi comment se comportent
21:41 aussi les propres juridictions internes,
21:43 parce que nous avions aussi déposé plainte
21:45 avant que Dombouya arrive au pouvoir contre Alpha Condé,
21:49 devant la Cour pénale internationale.
21:52 Et puis, au moment où la junte est arrivée au pouvoir,
21:55 elle a décidé d'ordonner des poursuites contre Alpha Condé,
21:59 contre un certain nombre de membres de son administration.
22:01 Donc, vous aviez quand même un sursaut,
22:02 un signe d'une volonté de pouvoir criminaliser un ancien dirigeant.
22:08 Donc, ça montre que quand les juridictions
22:11 sont en capacité de le faire d'un point de vue politique,
22:14 elles sont aussi en mesure de pouvoir judiciariser
22:18 leur ancien ressortissant.
22:20 Donc, devant la CPI, c'est en cours.
22:23 Mais malgré tout, on a espoir que les choses puissent
22:26 se retourner un peu en Guinée pour permettre aussi
22:30 aux juridictions internes d'avoir un peu plus de marge de manœuvre
22:32 pour enfin connaître d'investigations et d'enquêtes
22:35 concernant les agissements qui ont été commis par la junte
22:39 et par les forces de l'ordre contre les manifestants.
22:41 - Parce que justement, en fait, en ce moment, même en Guinée,
22:43 il y a un procès qui se déroule au sujet de violations
22:47 de droits de l'homme qui étaient plutôt anciennes.
22:50 Qui sont déroulées lors d'une transition militaire précédente.
22:53 Est-ce que le procès qui a lieu actuellement à Conakry
22:56 est porteur d'espoir ?
22:57 - Oui, il est porteur d'espoir parce qu'il montre bien
23:00 que les juridictions internes peuvent se saisir de ces sujets.
23:04 Alors, c'est vrai que ça a mis beaucoup de temps.
23:05 C'est vrai qu'il y a des critiques internes par rapport à la manière
23:08 dont le procès peut se dérouler.
23:10 Mais en attendant, c'est ça qu'on attend.
23:12 C'est précisément de permettre à des juridictions nationales
23:16 de pouvoir juger d'agissements qui concernent
23:19 leurs anciens dignitaires ou leurs actuels dignitaires.
23:22 Donc, si la communauté internationale
23:25 est appelée aussi à intervenir, c'est précisément pour permettre
23:29 une pression sur ces Etats, pour aussi faire en sorte
23:34 de leur permettre d'avoir une plus grande autonomie
23:36 dans la manière dont ils gèrent les exactions qui ont été commises
23:39 par les anciens ou actuels pouvoirs.
23:43 - Merci beaucoup, Vincent.