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Diagnostiquée autiste, ayant subi des moqueries à cause de son poids et homosexuelle, Delphine nous parle de son quotidien et des différents obstacles que la société lui fait subir.

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Amusant
Transcription
00:00 Déjà, je me suis construite en tant que grosse, femme grosse.
00:03 Ensuite, femme lesbienne.
00:05 Et dernièrement, c'était l'autisme.
00:08 Je grandissais au milieu d'un monde qui n'était pas déchiffrable pour moi, incompréhensible.
00:13 C'est comme s'il fallait que j'apprenne toute seule comment survivre dans ce monde.
00:17 Déjà, je me suis construite en tant que grosse, femme grosse.
00:20 Ensuite, j'ai découvert que j'étais queer, une femme lesbienne.
00:25 Plutôt gouine, même, c'est plus politique, je préfère employer ce mot.
00:28 Et dernièrement, c'était l'autisme.
00:31 Tout est vraiment lié, il n'y a que maintenant que je peux m'en rendre compte rétrospectivement.
00:36 Mais c'est vraiment à partir du CP, lorsque j'avais 6 ans,
00:38 où les choses deviennent sérieuses et t'es obligée de se conformer à toutes les normes.
00:43 En fait, j'ai commencé à prendre du poids à partir du CP.
00:47 Mais ce n'était pas du tout un fait isolé.
00:49 C'était que déjà, j'avais ma maîtresse qui me harcelait.
00:52 Bon, mais du coup, c'était parce que j'étais autiste, mais je ne le savais pas.
00:55 Et puis, je me retrouvais avec de l'angoisse que je n'arrivais pas forcément à canaliser.
01:01 Et du coup, j'ai commencé à prendre du poids.
01:03 J'ai commencé à penser que toutes mes difficultés venaient de là,
01:07 mais pas parce que moi, je les ressentais.
01:09 C'est parce qu'on me le faisait comprendre, en fait.
01:10 Et c'est toujours comme ça, en fait, avec n'importe quelle oppression.
01:13 On ne comprend pas forcément où est le problème,
01:15 mais c'est les autres qui nous font ressentir les différences et le problème.
01:18 Donc, j'ai eu des moqueries.
01:20 Du coup, c'était un peu compliqué, surtout que moi, je ne comprenais pas pourquoi.
01:24 Vraiment, je ne le comprenais pas.
01:25 Et en fait, le fait d'avoir pris du poids, ce n'est pas isolé.
01:28 C'est vraiment lié aussi au fait d'être autiste
01:31 et au fait de comment mon corps va réagir par rapport aux agressions extérieures.
01:36 Moi, quand j'étais enfant, je ne parlais pas.
01:38 Je restais dans ma chambre, je lisais, je jouais toute seule.
01:42 Je n'avais pas envie de contact avec les autres enfants.
01:44 C'est un trait qui est assez fréquent au niveau de l'autisme.
01:47 Voilà, en tout cas, c'est ce que le corps médical aime bien voir pour les jeunes enfants.
01:51 Parce qu'en fait, je ne correspondais pas aux attentes d'une enfant neurotypique,
01:56 d'une enfant telle qu'on se l'imagine.
01:58 C'est-à-dire que mes émotions étaient là,
02:00 mais elles s'exprimaient de manière moins attendue,
02:03 moins déchiffrable pour les autres.
02:05 Du coup, oui, c'était assez compliqué.
02:07 Par exemple, là, ça ne se voit pas, mais le fait de parler,
02:10 alors évidemment, je suis à l'aise.
02:12 Encore une fois, ça ne se voit pas
02:14 parce que les personnes ont une image attendue de ce que doit être l'autisme.
02:17 Et ce n'est pas parce que je corresponds aux attentes des personnes
02:21 que ça ne veut pas dire que je n'ai pas de difficultés.
02:22 Et en fait, ça me coûte énormément d'énergie.
02:24 Et du coup, c'était pareil.
02:25 En fait, tout me coûtait énormément d'énergie.
02:28 Mais comme j'étais grosse, on me disait
02:29 "Mais en fait, c'est parce que tu es grosse que tu as des difficultés."
02:32 En fait, du coup, ça aussi, c'est quand même quelque chose que je rattache à l'autisme.
02:36 C'est que j'ai la chance et je suis privilégiée
02:39 d'avoir eu quand même la capacité de pouvoir toujours remettre en question les normes.
02:43 Même si ça ne m'a pas empêchée pour autant de vouloir m'y conformer,
02:46 parce que c'est beaucoup plus compliqué que ça.
02:48 Mais je sais que je suis au fond de moi
02:50 et je pense que c'est ce qui m'a sauvée en fait.
02:54 C'était que je savais que le problème ne venait pas de moi.
02:56 Mais en même temps, ce n'est pas parce qu'on sait ça
02:58 qu'on est capable de l'appliquer constamment et de le comprendre.
03:01 Le problème, c'est que c'est comme si je grandissais au milieu d'un monde
03:04 qui n'était pas déchiffrable pour moi et compréhensible.
03:08 Et qu'en fait, c'est comme s'il fallait que j'apprenne toute seule
03:10 comment survivre dans ce monde.
03:12 Je ne suis pas comme les autres.
03:14 Il y a plein de choses que je ne peux pas faire.
03:15 Et que là, par exemple, même parler, ça me coûte.
03:20 Ça me coûte en énergie.
03:21 Mais...
03:24 Et ça, les autres ne le voient pas en fait.
03:25 Ce qui est embêtant, c'est que ça dépend de tout un ensemble de facteurs.
03:31 Et que le problème, en fait, vraiment, c'est les autres.
03:34 Même par exemple, quand j'ai fait mon diagnostic,
03:36 je savais que c'était compliqué parce que là, encore une fois,
03:40 ça touche vraiment à la norme en fait, aux normes.
03:43 Et il va encore falloir que je dépende de la validation de personnes
03:46 qui en plus ne sont pas concernées et ne comprennent absolument rien à ce que je vis.
03:51 En fait, ce diagnostic, c'est une blague.
03:52 On m'a donné un livre avec des grenouilles d'images
03:56 et il fallait que je raconte une histoire.
03:57 Elle m'a donné trois bonhommes et il fallait que je crée une histoire avec.
04:00 Donc, elle m'a demandé de faire semblant de me laver les dents
04:02 pour voir si j'étais apte à jouer à des jeux sociaux.
04:06 Il y a aussi...
04:07 Enfin, tout le silence qu'il y a par rapport au diagnostic,
04:11 ça crée énormément d'angoisse pour les personnes autistes
04:13 parce que nous, on a besoin de prévoir.
04:14 Et au moins de savoir comment ça va se passer,
04:16 il faut arrêter de sacraliser ça.
04:18 Au contraire, tu mets des personnes en situation de stress
04:21 qui peuvent encore plus faire tout foirer.
04:23 Ça ne te met pas du tout à l'aise.
04:25 Et du coup, par exemple, elle me dit...
04:28 Comme les autistes, par rapport au DSM,
04:31 qui est quand même le temple des diagnostics psychiatriques,
04:34 il y a toute une liste de traits.
04:37 Et du coup, il faut que tu en aies beaucoup pour que tu puisses être validé.
04:42 Et du coup, un des traits, c'est les gens qui ne comprennent pas les blagues,
04:45 qui n'ont pas trop de sens de l'humour.
04:47 Parce qu'en gros, c'est ça.
04:48 Ça ne sert à rien de faire des grandes phrases.
04:50 C'est ça, en fait.
04:50 Et elle me donne des blagues à lire, des paragraphes.
04:54 Et puis bon, j'identifie.
04:55 Je lui dis "Excusez-moi, j'ai plutôt une sensibilité littéraire."
04:59 J'ai appris à identifier la structure grammaticale d'une blague.
05:02 Donc en fait, même si ça ne va pas me faire rire
05:03 et même si je ne vais pas le savoir,
05:05 je vais te dire que c'est une blague.
05:06 Ce n'est pas fiable du tout.
05:08 Ce n'est pas adapté.
05:09 Et puis de toute façon, c'est vraiment une mauvaise compréhension.
05:11 Enfin, je veux dire...
05:12 Et en même temps, tu vois, elle m'a donné un truc à lire.
05:14 Et c'est hyper...
05:15 C'est très fétichisant et c'est très compliqué
05:18 parce qu'elle me donne un texte à lire à haute voix.
05:21 Je le lis et puis elle me regarde complètement émerveillée.
05:24 "Ah bah dis donc, vous lisez vite."
05:26 Mais en même temps, tu sens dans son regard que tu es inférieur, tu vois.
05:29 Et du coup, pendant le test psychose là,
05:31 elle me rend mon test, tout ça.
05:32 Et puis elle me dit "Ah bah, ça serait bien de faire un accompagnement,
05:35 une thérapie."
05:36 Je dis "Ah oui, ça consiste en quoi ?"
05:38 Donc moi, je ne supporte pas qu'on me le fleure.
05:40 Mais alors, vraiment, ça me crée des trucs.
05:43 Et donc aussi, je suis très sensible aux bruits.
05:46 Elle me dit "Par exemple,
05:47 comme vous n'aimez pas qu'on vous ait fleur, qu'on vous touche,
05:50 on va vous désensibiliser.
05:52 Donc, je vais prendre une plume
05:54 et puis je vais vous la passer sur le bras, comme ça, jusqu'à ce que..."
05:57 Et moi, je suis là, je fais "OK".
05:59 Elle me dit "Par exemple, je vous fais écrire un texte
06:02 et puis je suis dans la pièce et je fais plein de bruit."
06:04 Et puis elle était là, elle kiffait trop et tout.
06:05 Et je lui dis "Mais en fait, ça va."
06:07 Je lui dis "Parce que je suis une adulte
06:09 et je suis en mesure de comprendre que ce n'est pas du tout risqué, ce que vous faites."
06:11 Parce qu'en fait, cette personne, elle proposait à des enfants.
06:14 Et je lui dis "Mais par contre, je dis ça,
06:16 je dis que ce n'est pas OK sur des enfants,
06:18 parce qu'en fait, vous les mettez en situation de stress,
06:21 en fait, c'est de la torture, ce que vous faites."
06:23 Comme c'est un peu compliqué, quand on est autiste,
06:26 de comprendre les intentions des autres.
06:28 Par exemple, les enfants, ils comprennent très bien les intentions, les moqueries, tout ça.
06:32 Je pense que c'est surtout ce qui nous fait prendre conscience
06:35 qu'on se moque de nous, c'est peut-être les réactions des autres.
06:38 Mais que du coup, c'est beaucoup plus difficile de comprendre
06:40 ce qui se joue, quand ça se joue.
06:42 Et qu'en fait, moi, c'est simple, quand j'avais 6 ans,
06:44 on partait en vacances en Corse et il y avait un garçon qui était...
06:46 Genre, j'avais 6 ans, il doit avoir 13, 14 ans.
06:48 Et en fait, moi, c'était compliqué pour moi
06:51 parce que du coup, je n'avais pas d'équilibre,
06:53 un équilibre qui est très spécial.
06:55 Et en fait, il me donnait des gages à faire, sauter.
06:57 Il avait compris que du coup, je n'étais pas trop à l'aise.
07:00 Il me faisait sauter entre les rochers.
07:02 Et du coup, après, forcément, je ratais tout le temps.
07:04 Et que du coup, il me donnait des gages
07:07 et ces gages, c'était des attouchements sexuels.
07:09 Et du coup, moi, je ne comprenais pas trop.
07:12 Enfin, je n'ai jamais trop compris.
07:13 Mais je pense que ce que je veux dire, c'est que
07:15 pour un enfant qui n'est pas autiste,
07:17 c'est très compliqué, ce genre de situation.
07:19 Mais pour un enfant autiste, c'est encore beaucoup plus compliqué
07:22 parce que les enfants autistes vont avoir encore
07:25 beaucoup plus de mal d'identifier qu'il s'agit d'agression.
07:28 Alors, il y a très peu d'études qui sont faites,
07:30 de statistiques par rapport aux personnes autistes.
07:32 Mais par exemple, si on en a une, c'est une étude qui dit
07:34 que 88% des femmes autistes ont subi des agressions
07:38 ou des violences sexuelles.
07:39 Et enfin, sexistes, ça, tout le monde, mais enfin, bref.
07:42 Quand j'ai commencé à me questionner,
07:44 et j'étais certaine, au fond de moi, que c'était
07:47 vraiment l'autisme qui me concernait,
07:50 j'ai commencé à faire forcément une analyse de toute ma vie.
07:54 Et du coup, je me suis dit, mais en fait, j'ai 41 ans
07:57 et en fait, il est impensable pour moi.
07:59 En fait, je n'ai pas envie qu'une autre personne
08:00 attende aussi longtemps pour avoir accès à elle-même.
08:03 Et du coup, je me suis dit, il faut que je fasse quelque chose.
08:06 Et très vite est venue l'idée de faire un documentaire
08:09 parce que c'était un mode d'expression qui me convenait.
08:13 Et puis, je fais partie d'un collectif qui s'appelle Barbiturix.
08:16 Il fallait que je communique là-dessus,
08:17 parce que j'écris pour le collectif.
08:19 Et du coup, j'ai publié un article et je me suis dit,
08:22 dans l'article, je vais annoncer le documentaire,
08:24 comme ça, je ne pourrai plus reculer, tout ça, et voilà.
08:26 Mais je n'ai pas du tout envisagé
08:29 que j'allais avoir des retours, en fait.
08:31 Je n'ai pas du tout imaginé ça.
08:34 Et du coup, d'avoir reçu tous ces messages
08:36 et de voir qu'il y avait autant de personnes
08:38 qui vivaient la même chose que moi,
08:39 qui se posaient des questions.
08:41 En fait, ça fait énormément de bien.
08:43 Et du coup, ça m'a permis vachement d'avancer vite sur moi-même
08:46 et de ne pas être seule, en fait.
08:48 C'est vrai qu'au fur et à mesure des retours,
08:49 tout ça, c'est assez déstabilisant et ça fait beaucoup plaisir.
08:52 En même temps, c'est très compliqué
08:54 parce que tu te rends compte que tu n'es pas la seule personne
08:56 à avoir vécu ça.
08:57 Tu te rends compte qu'il y a des personnes
08:59 qui ont des situations qui sont vraiment douloureuses.
09:01 Enfin, tu sais, ça te fait revivre toujours les mêmes choses.
09:03 Et tu te rends compte que je suis privilégiée,
09:06 que même dans les moments difficiles,
09:08 j'ai été privilégiée et que je le suis encore.
09:11 Et qu'il y a beaucoup de personnes, en fait,
09:12 qui souffrent encore à cause de ça
09:14 et que ce n'est juste pas normal, en fait.
09:16 Et du coup, je pense que c'est hyper important d'être entre nous
09:19 parce que c'est là où justement tu prends conscience
09:21 de tout ce que tu peux créer
09:23 et de voir aussi que même au sein d'une communauté,
09:26 ce n'est pas aussi simple et qu'il y a tout un spectre.
09:28 Parce qu'en fait, pour moi, la vie,
09:29 c'est toujours tout un spectre de tout.
09:30 On n'a pas tous et toutes vécu les mêmes choses
09:32 et pourtant, il y a toujours ce truc où on se comprend, en fait.
09:36 Et que même des fois, s'il peut y avoir des frictions,
09:38 en fait, c'est beau de voir à quel point
09:41 on arrive à se comprendre et à se remettre en question.
09:47 [Générique]
09:52 [Musique]
09:54 [SILENCE]

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