• le mois dernier
Imaginez grandir en Russie, confrontée à un environnement violent et précaire, pour ensuite être abandonnée par ses propres parents. Katia avait moins de six ans lorsqu'elle s'est retrouvée au bord de la route avec son frère : un tournant décisif dans sa vie. "Environ cinq cent mille" enfants se retrouvent sans parents ou abandonnés en Russie, selon le Cairn.

Dès son plus jeune âge, elle a dû apprendre à se débrouiller seule, luttant pour sa survie aussi bien à l'orphelinat qu'en s'adaptant à la culture française. Son parcours, jonché d'obstacles, l'a souvent mise à l'épreuve. Pour Katia, il est essentiel de laisser les enfants, avoir une voix, chose qui est trop souvent négligée.

Aujourd'hui, la musique est devenue le moyen par lequel elle s'exprime librement, partageant ce qu'elle aurait aimé dire à sa mère adoptive.

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Personnes
Transcription
00:00Il y a un jour où notre mère biologique nous a amenés sur une rue.
00:03Elle est partie et nous a dit d'attendre.
00:05Puis ensuite, qu'elle reviendrait.
00:07On a attendu, on a attendu.
00:09Et il n'y a personne qui est venu nous chercher.
00:10Je suis née en Russie, en 2001.
00:13Je suis née dans une famille avec des parents très pauvres.
00:16Mes parents étaient militants, donc il y avait beaucoup de violence,
00:18beaucoup de drames, beaucoup de sexe aussi.
00:21On a eu accès à des images et beaucoup de choses
00:24dont on n'aurait jamais dû avoir accès.
00:26L'endroit où j'ai commencé ma vie, clairement, c'était un squat.
00:29On ne peut même pas dire que c'était une maison.
00:30C'était littéralement une sorte de cabane en bois.
00:33Il n'y avait pas d'eau, pas d'électricité.
00:35C'était très rouillé, très vieux, très vétuste.
00:38Pour donner un exemple, nos toilettes, c'était un gros seau rouillé.
00:42Et en face, il y avait un énorme trois rats.
00:44Et il n'y avait pas genre trois rats, il y en avait une quinzaine, vingtaine.
00:47On n'avait qu'un lit double pour quatre personnes.
00:49Donc mon père biologique, ma mère biologique, moi et mon frère.
00:53J'ai vécu avec mes parents biologiques de ma naissance jusqu'à l'âge de mes quatre ans.
00:58Alors nous, on n'a pas vécu de violences physiques de la part de ces personnes,
01:03les squatters, donc de tous ces gens qui faisaient des allers-retours.
01:06Mais on a vécu des violences physiques de notre père biologique.
01:10Mais celle qui vivait le plus de violences physiques, c'était ma mère.
01:13Je pense que notre mère biologique, elle a encaissé beaucoup de coups pour nous.
01:16Et quand on est enfant, on fait forcément des bêtises.
01:19On crie un peu, on n'est pas forcément maître de soi.
01:22Ou en tout cas, on a une sorte d'euphorie à partager au monde.
01:25Et je pense que notre mère a beaucoup payé pour peut-être nous, sûrement.
01:30Notre père, il était très froid, en fait.
01:32Il était tout le temps à l'idée.
01:34Et la seule personne qui nous apportait un petit peu d'amour, c'était notre mère.
01:38J'ai un grand frère d'un an et demi de plus que moi.
01:40On a vécu jusqu'en 2005 avec mes parents biologiques.
01:44La première personne à nous quitter,
01:46et je pense que c'est vraiment la situation qui a tout fait basculer,
01:49c'est mon père qui a été emmené en prison, donc devant nos yeux.
01:53On s'est retrouvés, moi, ma mère et mon frère, tout seuls.
01:57Sachant déjà qu'on vivait en dessous de nos moyens.
01:59Il y a un jour où notre mère biologique nous a amenés sur une rue.
02:03C'est une quatre voies, donc il y a un aller, il y a un retour.
02:06Et donc, il y a quand même beaucoup de passages.
02:08Et c'est une route, typiquement, celle qui sépare la campagne de la ville.
02:11Et on y retrouve un peu le côté industriel, la forêt, les déchets, les choses comme ça.
02:18Elle s'est baissée vers nous, elle nous a remis nos manteaux.
02:20Et puis, elle s'est relevée, et puis elle est partie et nous a dit d'attendre.
02:25Et ensuite, qu'elle reviendrait et elle est partie.
02:28Donc, c'est un peu comme dans les films.
02:29Est-ce qu'on la suit ou pas ?
02:31Je me suis posé des questions parce que personne ne nous avait jamais laissé sur une route, en fait.
02:35On a préféré lui faire confiance.
02:37On a attendu, on a attendu, et on a attendu.
02:41Et il n'y a personne qui est venu nous chercher.
02:43Donc, après avoir attendu des heures,
02:45mon grand frère, qui a sûrement compris la situation bien avant moi,
02:49c'est qu'il a décidé de traverser la quatre voies.
02:51Donc, il y avait encore du passage, il y avait des voitures.
02:54Et il a décidé de traverser pour aller chercher de l'aide en face.
02:58J'avais 4 ans, il avait 5 ans et demi.
03:00Il y a eu une enquête qui a été menée auprès de ma mère biologique
03:03pour connaître, en fait, ses raisons.
03:04Le jour où je me suis rendu compte que ma mère était partie pour de bon
03:08et que je n'avais plus de parents biologiques,
03:11c'est le jour où, quelques mois plus tard après notre insertion à l'orphelinat,
03:18notre mère biologique est revenue nous voir avec mon frère.
03:21Donc, nous, on était dans le salon et puis on nous dit « vous avez de la visite ».
03:25Donc, elle nous attendait dans une salle d'attente.
03:27Elle avait des petits goûters, des choses comme ça.
03:29Donc, c'est pour ça aussi, en fait, il y a plein de détails dont je me rappelle
03:32qui, moi, me prouvent à moi-même que si elle nous a abandonnés,
03:36ce n'est pas pour des questions d'amour, en fait, je pense.
03:39C'était vraiment parce qu'elle ne pouvait pas s'occuper de nous.
03:41Elle n'avait pas du tout les moyens de nous rendre heureux.
03:44On est arrivés dans cette salle d'attente.
03:46Elle nous attendait.
03:47On s'est assis sur ses genoux.
03:48Et puis, elle nous a clairement dit qu'elle ne nous reprendrait pas.
03:51Donc, ça, c'est des choses que je raconte parce que j'ai vu mon dossier d'adoption,
03:55mais moi, sur le coup, je ne savais pas du tout qu'il y avait une enquête qui avait été menée.
03:58Donc, finalement, après le foyer de jeunes enfants où on est restés quelques semaines,
04:03on a été placés en orphelinat.
04:04On a quitté un endroit insalubre, donc chez nous, chez mes parents biologiques.
04:10Il y avait des rats où c'était très sale, il n'y avait pas d'électricité, il n'y avait pas d'eau.
04:15C'était vraiment la rue.
04:17On est arrivés dans un endroit un peu plus salubre,
04:20sauf que les orphelinats, c'est des choses qui marchent avec des subventions.
04:24Déjà, il n'y a pas beaucoup d'argent pour le peuple en Russie,
04:27mais en plus, pour les orphelins, il y en a encore moins.
04:30On faisait des douches avec de l'eau marron.
04:32D'ailleurs, à l'orphelinat, c'est la première fois que j'ai découvert le savon de ma vie.
04:36En russe, le savon, ça s'appelle Milo, M-Y-L-O.
04:39C'est mon nom d'artiste, en fait, Milo-Venus.
04:41Je voulais avoir ce côté qui rappelle d'où je viens, au final.
04:45En orphelinat, c'est très compliqué parce qu'il y avait grand max une quinzaine de jeunes.
04:51Quand je dis jeunes, c'est vraiment les petits entre mon âge,
04:54c'est-à-dire 4 ans, 5 ans.
04:56Après ça, il y a beaucoup d'adolescents et beaucoup plus que les petits.
05:02Beaucoup de ces adolescents étaient très mal élevés.
05:05Ils nous montraient leurs appareils génitaux, leurs appareils sexuels.
05:08Ils s'amusaient à nous les rapprocher au visage et des choses comme ça.
05:13Comme nous, quand on était petits, on ne faisait pas le poids.
05:16Sinon, pour ma part, en tout cas, les grandes, les adolescentes entre 13 et 18 ans,
05:24elles voulaient beaucoup protéger les petits.
05:26Elles portaient un petit peu un rôle de maman, de grande sœur
05:30pour tous ces orphelins qui arrivent à l'orphelinat
05:34et qui ne savent pas trop ce qu'ils font là,
05:37et qui sont très jeunes et qui ne comprennent pas leur situation.
05:40Parce que moi, j'ai mis un très long moment à comprendre ma situation.
05:44À l'orphelinat, on recevait pas mal de punitions.
05:46Pour des choses banales, surtout d'un enfant traumatisé,
05:51c'est le fait de ne pas pouvoir dormir et le fait de faire pipi au lit.
05:54Je faisais pipi au lit et je n'arrivais clairement pas à dormir.
05:56Ces grandes filles m'ont sauvé la mise plusieurs fois par rapport aux punitions qu'on me donnait.
06:02Par exemple, moi, comme j'avais des problèmes pour faire pipi et pour dormir,
06:08la surveillante s'approchait de nos têtes et si elle voyait seulement une paupière qui tremble,
06:14elle pouvait nous punir pour ça.
06:16Les punitions qu'ils nous faisaient faire, c'était des squats avec les mains tendues
06:21et avec un gros oreiller en plume d'oie.
06:24Si vous avez déjà essayé de porter un oreiller en plume d'oie,
06:30vous savez que c'est quand même assez lourd,
06:31et surtout pour un enfant de 5 ans, 6 ans.
06:34Donc voilà, on devait faire des squats toute la nuit jusqu'à ce qu'on tombe.
06:38Et si on tombait en avant, justement, il y avait cet oreiller-là pour nous rattraper,
06:41jusqu'à ce que justement on dorme, tout simplement.
06:44Les surveillantes étaient en bas en train de taper la discute à l'accueil,
06:48donc elles n'étaient vraiment pas très présentes.
06:50Pas mal de fois où elles ont délégué la surveillance des petits à ces filles,
06:56à ces adolescentes grandes.
06:58Et comme moi, elles m'aimaient bien,
07:00comme elles avaient compris aussi qu'il y avait une bienveillance à avoir vis-à-vis des plus jeunes,
07:05elles m'ont sauvé la mise pas mal de fois en gardant le secret que je ne faisais pas les punitions.
07:11J'ai pas mal de traumatismes par rapport à toutes ces périodes-là que j'ai vécues.
07:16C'est le fait qu'on m'efforçait à manger toute la période de temps que je suis restée à l'orphelinat.
07:21Donc c'est un peu comme les enfants,
07:22si tu ne manges pas ton assiette, tu ne quittes pas la table.
07:26Et j'étais venue à un point où la viande, les choses comme ça, je devais tout gober.
07:30C'est-à-dire que je prenais, je ne mâchais plus rien.
07:33Je prenais, je gobais, je prenais, je gobais juste pour terminer l'assiette,
07:36pour qu'on me laisse tranquille parce que sinon ça allait durer littéralement toute la soirée.
07:41Et j'étais très très souvent sur le banc des retardataires,
07:46c'est-à-dire que tout le monde pouvait quitter la table sauf moi.
07:48Et donc j'étais obligée à avaler mes plats.
07:51Et donc ça, c'est une période que j'ai personnellement très mal vécue en grandissant
07:56parce qu'il y a beaucoup de choses que je n'arrive pas à manger aujourd'hui.
07:58J'ai des gros problèmes avec la nutrition.
08:00Et ça, ça va me prendre encore beaucoup de temps dans le futur pour régler ça.
08:05Moi, il faut savoir que je n'ai été adoptée qu'une seule fois.
08:07Donc c'est avec ma famille adoptive actuelle.
08:09Mais mon frère, il a été adopté plusieurs fois.
08:12En tout, il a été adopté cinq fois.
08:14En Russie, c'est un peu la loi du plus fort.
08:17C'est à qui aura le plus d'argent qui fera ce qu'il veut.
08:19Il y avait une femme qui est arrivée.
08:21Donc celle-là, du coup, a adopté mon frère, mais pas moi.
08:24Et donc elle regarde tous les enfants comme ça, elle regarde tous les enfants.
08:29Puis il y a une des surveillantes qui dit qu'on est une fratrie.
08:33Donc excusez-moi, mais vous ne pouvez pas adopter un seul enfant.
08:38Ça serait mieux pour leur santé mentale qu'ils soient adoptés à deux,
08:43puisque c'est une fratrie.
08:45C'est je veux lui, mais je ne veux pas elle, mais sans aucune raison.
08:48Je sais que j'ai passé un bon moment seule à l'orphelinat sans mon grand frère.
08:53Moi, je sais juste que mon frère, lui, par contre, il a bien compris les choses.
08:58Donc il a compris qu'il était emmené et sans sa sœur et qu'il ne voulait pas y aller.
09:03Et donc lui, ce qu'il a fait, sa stratégie, c'est qu'il cassait tout dans l'appartement des gens.
09:07Et donc il cassait les télés, les motos, tout ce qu'il pouvait casser,
09:11il le cassait pour être renvoyé à l'orphelinat.
09:13Et ça a marché.
09:14On a été adoptés à six ans et mes parents avaient un certain âge quand même à cette époque-là.
09:20Et c'est pour ça, d'ailleurs, qu'ils n'ont pas pu faire d'enfants.
09:22Mon père est resté veuf dix ans, mon père adoptif.
09:26Et puis, il a rencontré une femme et ils ne pouvaient plus faire d'enfants,
09:29mais ils voulaient quand même avoir leur progéniture.
09:31Donc ils ont décidé d'adopter.
09:33Et de base, ils ne comptaient pas adopter du tout en Russie.
09:36Vraiment, quand j'ai appris que j'allais être adoptée, ça s'est fait très rapidement en fait.
09:39Les choses se sont vraiment faites très rapidement.
09:42Après, une fois que la décision était prise, peut-être en deux jours, on a quitté l'orphelinat.
09:46Une amie à eux leur a expliqué qu'il y avait pas mal d'enfants à adopter en Russie aussi
09:50et que ça serait intéressant d'aller faire un tour là-bas, se renseigner.
09:54Et donc, au final, ils sont partis sur la Russie.
09:56Un enfant qui a des souvenirs de son ancienne vie à l'orphelinat,
10:01qui a des souvenirs de ses parents biologiques, de son père, de sa mère, de sa grand-mère,
10:05à qui on dit, en fait, tu n'as plus de famille, tu n'as plus personne.
10:08Et juste un papier qui atteste avec une signature officielle,
10:12en traduction française et russe, qui atteste comme quoi je suis bien la fille de cette personne-là.
10:17J'ai toujours eu du mal à accepter mon abandon, mon adoption.
10:20Et le fait que je me retrouve en France, au final, moi, j'ai toujours tendance à dire,
10:25je ne sais même pas ce que je fais là, en fait.
10:27J'ai un peu cette quête de sens.
10:29Quand je suis arrivée en France, on est passé de rien à tout.
10:32Et donc, on est passé à...
10:34Quand je dis tout, c'est vraiment le côté où une famille stable avec de l'argent,
10:38père, mère, expert comptable et médecin,
10:41qui ont des valeurs, pas de coude sur la table,
10:43qui ont une religion, qui les appliquent tous les jours.
10:46On est passé, en fait, de l'informel au formel.
10:49Et du coup, l'éducation qu'on a reçue a été assez rude, assez stricte, c'est mon avis.
10:55Et beaucoup de choses auxquelles on a dû se plier sans comprendre.
10:59Il faut savoir que quand on a été adoptés, on nous a francisés nos prénoms.
11:02Donc en Russie, moi, je m'appelais Yekaterina.
11:05Personne ne m'a jamais appelée Yekaterina.
11:07Donc on m'a toujours appelée Katia.
11:09Et en arrivant en France, on m'a appelée Catherine.
11:12J'ai toujours eu du mal à accepter.
11:14Yekaterina, en Russie, c'est aussi courant qu'un Théo ou une Jeanne en France.
11:19Vraiment, moi, je trouve que ça me dénaturalise.
11:22J'ai dû avoir une double identité, en fait.
11:24J'arrive à l'école, les premiers jours d'école, je m'appelle Catherine.
11:27Je me rappelle du premier jour, on est arrivés en classe.
11:30Tous les camarades nous ont regardés comme des aliens.
11:33Tous ont été briefés sur le fait que des enfants venant de Russie
11:37et ayant perdu leurs parents, donc ayant été adoptés, arrivent dans leur classe.
11:42Au début, on veut juste s'intégrer et puis on ne comprend pas
11:45qu'on n'est pas sur la même longueur d'onde.
11:48Donc, on se moquait de nous.
11:49C'est là où on a commencé à avoir du harcèlement.
11:51Mon frère a accumulé du retard, malheureusement,
11:54et n'a pas réussi à s'adapter au système d'éducation français.
11:58Il avait des gros, gros problèmes pour compter, des gros problèmes pour parler.
12:02Et en plus, tout ça, rajouté avec le harcèlement,
12:05on n'était pas du tout prêts, on se sentait très perdus.
12:08Quelques années après mon adoption,
12:12on était forcés, par exemple, à aller à la messe tous les dimanches.
12:14En fait, il y avait une vie catholique que mes parents respectaient
12:17et étant devenus leurs enfants,
12:19on était obligés de respecter cette vie catholique-là.
12:22En tout cas, pour parler de mes parents adoptifs,
12:24je pense qu'ils n'ont pas saisi les opportunités,
12:26quand elles s'amenaient à elles,
12:28pour que nous, on croit en eux et qu'on les catégorise dans nos têtes d'enfants
12:33comme des personnes qui nous soutiendront et nous aideront toute notre vie.
12:39On voulait plus une relation émotionnelle avec nos parents adoptifs.
12:42Il y a littéralement trois sujets qui passaient.
12:44C'est la religion, la politique et l'éducation, les études.
12:49Donc même nos propres personnalités, il fallait les effacer
12:51parce qu'apparemment, ce n'étaient pas les bonnes.
12:53On a senti plus de rejet que d'acceptation
12:56et je pense que vraiment, nous, on est arrivés,
12:58on avait juste besoin d'acceptation.
12:59Tout simplement, le début de notre éducation,
13:01on ne nous a pas appris à nous canaliser,
13:03on ne nous a pas appris à suivre des ordres.
13:05On nous a juste appris à survivre, tout simplement,
13:07parce qu'on a été placés dans la rue, puis en orpheline.
13:09Dans nos têtes d'enfants, on sait que ce n'est pas nos parents
13:11puisqu'on a connu nos vrais parents.
13:13Et se dire que ces gens-là nous donnent des ordres,
13:15nous ont adoptés et nous critiquent derrière en plus.
13:19Je ne doute pas du tout de l'amour qu'ils ont pour nous.
13:21Je ne doute pas qu'ils aient fait leur maximum pour nous.
13:23Mais ce que je sais, en tout cas, c'est ce que je pense,
13:27c'est qu'ils ont plus essayé de nous modeler à leur image
13:30que de nous modeler à l'image qu'on devrait être, nous,
13:33avec notre personnalité et nos besoins et notre histoire.
13:36J'ai rapidement compris qu'il fallait une distance
13:38entre ma famille adoptive et moi.
13:41Je leur ai dit que j'avais envie d'aller en internat,
13:43je leur ai dit que je ne me sentais pas bien.
13:45Donc, quelqu'un qui ne se sent pas bien,
13:47il ne va pas forcément avoir la tête à travailler,
13:49il ne va pas avoir la tête à rigoler, des choses comme ça.
13:53Mes notes, si elles ont baissé, c'est parce que je ne me sentais pas bien.
13:57Tout ce qui se passait dans ma tête,
13:59clairement, c'est que je n'avais pas l'impression
14:00d'avoir ma place dans ce monde.
14:02Tu as plein de choses en grandissant,
14:04tu as plein de choses qui t'arrivent en tête,
14:05et notamment les prises de conscience brutales,
14:09franchement, sur mon histoire,
14:10et qui se faisaient de jour en jour,
14:12parce que j'allais chez des copains,
14:14ils avaient plein de photos de bébés,
14:17ils savaient exactement à quelle heure ils sont nés,
14:19donc c'est des discussions qui reviennent dans les cercles amicaux.
14:23Moi, clairement, ça me renvoyait à ma situation.
14:27Et moi, je sais que je vais vivre ça toute ma vie
14:29et que je vais avoir plein de choses comme ça
14:32qui vont me ramener à ma situation passée.
14:35Tout simplement, j'ai baissé les bras en vrai,
14:38j'ai arrêté de travailler,
14:39et puis j'ai laissé ma frustration prendre le dessus.
14:42Quand je suis arrivée à l'internat,
14:43j'ai découvert des gens qui avaient des passés aussi très différents du mien.
14:49Franchement, j'ai rencontré une sorte de deuxième famille
14:51qui m'a accepté pour qui j'étais,
14:53avec qui je passais du temps.
14:55J'ai communiqué avec les professeurs,
14:57j'ai communiqué avec les autres camarades,
14:59comme personne ne me connaissait,
15:00personne n'avait ses a priori sur moi.
15:03J'ai pris conscience que j'avais une deuxième chance.
15:05En plus de ça, j'étais bien entourée,
15:06donc franchement, j'ai foncé.
15:08J'adore la musique depuis que je suis toute petite.
15:10J'ai grandi avec la musique, le hip-hop, l'électro.
15:13Et franchement, je ne sais même pas tellement comment c'est venu
15:15le fait de pouvoir écrire un texte.
15:17Je n'ai jamais vraiment écrit de texte avant.
15:19On devait écrire des poésies pour être évaluées encore une fois.
15:22J'ai souvent été touchée par les mots.
15:24Il y a beaucoup de mots que je trouve très beaux, très symboliques.
15:27Et j'ai rencontré à l'internat des fans,
15:30des grands fans de rap français,
15:32et donc ça m'a poussée un peu plus vers le rap français.
15:34Je ne pensais vraiment pas que j'avais quelque chose en moi comme ça.
15:37Et puis pendant le confinement,
15:39j'ai invité un pote à moi pendant le confinement
15:41pour justement éviter de trop passer de temps avec ma famille solo.
15:44Parce que là, je m'étais habituée à l'internat
15:47et franchement, ça me convenait parce que je passais toute la semaine.
15:50J'avais le temps toute la semaine pour réfléchir
15:52à comment essayer de mettre les choses en place
15:54pour que ça se passe bien le week-end.
15:55Mais voilà, quand même, tous les vendredis soirs,
15:57je rentrais chez moi, j'avais la boule au ventre.
15:59Donc voilà, je revenais le dimanche soir à l'internat.
16:02J'étais la plus heureuse.
16:04Mais ça, je dois avouer que cette période
16:06où on s'est éloigné avec mes parents,
16:07ça nous a quand même un peu rapprochés en fait.
16:09La première fois que j'ai écrit un texte,
16:11c'était un défi qu'on m'avait lancé.
16:13Et donc franchement, le freestyle, il était assez rigolo.
16:16Et puis en deux semaines,
16:17donc pendant le confinement, en deux semaines, j'ai écrit deux textes.
16:20Et le deuxième texte que j'ai écrit,
16:22je l'ai écrit littéralement deux jours après mon tout premier texte.
16:25Et celui-là, il est sorti d'une façon hyper naturelle.
16:28Et puis j'avais besoin d'écrire.
16:29Et en fait, ce que j'ai trouvé,
16:32en tout cas, ce texte-là, il parle vraiment de ma mère biologique.
16:34Et c'était un message pour elle.
16:36Et dans mes textes, j'aborde le sujet de la famille.
16:39Pour l'instant, j'aborde plus ma famille biologique que ma famille adoptive.
16:43J'ai énormément de mal à écrire sur ma famille adoptive.
16:46J'ai énormément de mal à écrire sur ma vie d'après en fait.
16:50Bizarrement, c'est une opportunité de malade,
16:53l'adoption qui s'ouvre à moi et avec plein de portes.
16:55Et aujourd'hui, clairement, je les prends ces opportunités.
16:58Mais de l'autre côté, mentalement parlant,
16:59je me suis sentie enfermée pendant de longues années de ma vie.
17:03C'est une balance qui fait que bouger et qui est en mode.
17:07Mais tu les aimes beaucoup, mais d'un côté, ils t'ont fait du mal.
17:10Mais tu comprends certaines choses,
17:12mais de l'autre côté, tu comprends pas certaines choses.
17:13Mais peut-être que tu vas comprendre certaines choses.
17:15Donc, ce que tu dis dans ton texte, ça va plus être valable après.
17:18Mais en fait, je me bloque toute seule.
17:20Je me prends la tête et peut-être que ça viendra un jour.
17:22Mais là, moi, je suis pas du tout prête.
17:24Franchement, j'aimerais beaucoup retourner en Russie.
17:26Il y a une chose que je trouve très dommage,
17:28c'est qu'on a perdu la langue avec mon frère.
17:30Ça fait aussi partie de la perte de la culture,
17:33avec les prénoms francisés, la langue perdue,
17:36clairement plus aucune base.
17:37Donc maintenant, moi, mes objectifs,
17:39c'est de reprendre des cours de russe.
17:41Si je pouvais parler à ma famille adoptive de façon libre
17:46et leur dire tout ce que j'ai sur le cœur.
17:48Mais déjà, je les apprécie beaucoup
17:50parce qu'ils sont persuadés qu'on les déteste.
17:53Malgré tout ce qui s'est passé, je les apprécie beaucoup.
17:55Je les aime beaucoup et je prends conscience de beaucoup de choses
17:58parce que je grandis.
17:59J'ai fait des erreurs, je vais tout faire pour les réparer.
18:02J'en ai réparé certaines,
18:03il y en a d'autres encore qui me restent à réparer.
18:05Quand je replonge dans mes souvenirs,
18:07je repense au moment que j'ai vécu,
18:10aux souvenirs que j'ai.
18:11Par exemple, ce jour-là, sur la route,
18:13le jour de mon abandon,
18:15quand notre mère, elle est partie.
18:16J'ai eu la réflexion de me dire qu'il fallait peut-être la rattraper.
18:20Je ne l'ai pas fait, mais franchement, j'aurais dû.
18:23Ce n'est pas que j'aurais dû, en fait,
18:24c'est que j'aurais tellement pu.
18:27Mais après, le destin, il en est vraiment différent.
18:30Donc, si les choses se sont passées,
18:31je crois en Dieu, c'est sûrement pour une raison.
18:34Ce que j'aimerais bien dire aux personnes
18:36qui ont vécu la même situation que moi,
18:38qui ont été abandonnées, adoptées,
18:40qui ont cette double identité,
18:42potentiellement une sorte de double vie,
18:44c'est vraiment d'avoir de la résilience,
18:47de jamais arrêter de se battre
18:50et de ne pas laisser les autres dicter qui tu es
18:53et qui tu as envie d'être.
18:54Et c'est très facile à dire comme ça
18:56parce qu'à faire, c'est très compliqué.
18:57Et je pense que les personnes qui ont une double culture
19:00ne devraient pas avoir honte de leur double culture
19:02et devraient l'exposer et la faire découvrir aux autres.

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