18.20 franceinfo: du vendredi 10 Mars 2023

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00:00 Bonsoir Manon Aubry, députée européenne de la France insoumise, vous avez suivi les épisodes de la semaine et de la journée au Sénat avec une décision du gouvernement d'appliquer l'article 44.3.
00:11 Ça veut dire un vote bloqué sur la réforme des retraites, un seul vote sur l'ensemble du texte. Vous parlez-vous d'un déni de démocratie ?
00:18 C'est plus qu'un déni de démocratie, vous imaginez, on est aujourd'hui en train d'étudier un projet de loi qui va engager notre avenir collectif pour sans doute des décennies.
00:28 Le gouvernement avait déjà fait le choix de l'article 47.1, donc il avait déjà choisi le temps d'examen.
00:36 Il avait menacé aussi d'utiliser le 49.3 et maintenant il utilise un autre article de la Constitution, tout le monde va devenir spécialiste,
00:43 pour faire en sorte que les amendements ne soient même pas soumis au vote. Mais c'est quoi l'étape d'après ?
00:48 Le gouvernement va choisir lui-même qui on est lié en France, qui sont les députés, qui sont les sénateurs ?
00:52 Franchement, moi j'ai le sentiment, puisque ça semble être à la mode du côté du gouvernement, mais si vous ajoutez l'utilisation du vote bloqué,
01:01 plus la lettre de mépris qu'a envoyé Emmanuel Macron aujourd'hui au syndicat, où il ne daigne même pas les recevoir,
01:09 moi j'ai le sentiment d'un nouveau bras d'honneur à la démocratie.
01:12 Puisque Éric Dupond-Moriti avait déjà fait un bras d'honneur verbal, comme il l'appelle cette semaine, là c'est un bras d'honneur à la démocratie.
01:21 Et je pense que ça va laisser des traces.
01:23 On y reviendra sur la relation avec les syndicats, je reviens simplement sur cet article.
01:27 Comment peut-on faire un déni de démocratie en utilisant un article prévu par la Constitution ?
01:32 Alors imaginez la situation pour ceux qui nous écoutent.
01:34 On examine un projet de loi sur lequel les députés et les sénateurs, et donc là au Sénat, déposent des amendements,
01:40 ce qui est leur droit et ce qui est la norme.
01:42 Et concrètement, là, dans les heures qui viennent, ils vont venir à la tribune, au micro, défendre leur amendement,
01:48 dire pourquoi il faut le voter, et il n'y aura pas de vote.
01:51 Vous imaginez la comédie que c'est, moi en siégeant au Parlement européen,
01:54 quand j'explique à mes collègues européens la manière dont ça se déroule,
01:58 et que dans notre sacro-sainte démocratie, on n'a même pas le pouvoir de voter sur les amendements,
02:05 et peut-être sur le vote final.
02:06 C'est la démonstration aujourd'hui de "oui, c'est un abus".
02:09 Même l'utilisation de l'article 47.1, qui est contrainte dans le temps, c'est une instrumentalisation,
02:14 et c'est un abus de cet article, et ce qu'est en train de faire le gouvernement
02:18 est une claque à la démocratie, qui, je pense, est extrêmement dangereuse pour les semaines qui viennent.
02:25 Est-ce que tout cela n'est pas la conséquence, tout simplement, des résultats des dernières élections législatives,
02:31 et de ce nouveau paysage politique à l'Assemblée,
02:35 puisqu'aucune majorité ne peut se substituer aujourd'hui à celle du Président de la République ?
02:42 Quand on n'arrive pas à avoir une majorité claire qui se distingue à l'Assemblée nationale,
02:46 si je pourrais dire qu'au premier tour des élections législatives, c'est bien la NUPES qui a fait 28% et qui l'avait emportée,
02:51 mais quand on n'arrive pas à avoir une majorité ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat qui est très claire,
02:56 sans passer en force, le plus simple en démocratie, c'est de s'en remettre aux gens, aux citoyens, aux électeurs,
03:02 et de faire un référendum, par exemple.
03:04 C'est une des options que pourrait faire Emmanuel Macron pour sortir par le haut,
03:08 parce qu'aujourd'hui, ce gouvernement joue un jeu dangereux.
03:11 Je ne sais pas si vous avez vu les offres dans la presse...
03:14 - Et ça si les républicains votent avec la majorité et qu'il y a une majorité qui se dégage à l'issue de cet examen ?
03:19 Est-ce que vous diriez que le processus démocratique a été respecté ?
03:22 - Une majorité au Sénat sans pouvoir examiner les amendements,
03:26 sans écouter l'ensemble des syndicats qui sont d'accord,
03:29 sans écouter 90% des actifs qui sont opposés à cette réforme des retraites.
03:33 Vous voyez, quand je vous disais que le gouvernement joue un jeu dangereux,
03:36 je ne sais pas si vous avez vu ces offres dans la presse,
03:38 je me les suis notées parce que vraiment ils sont choquants.
03:40 C'est un conseiller de l'Élysée qui dit que, en gros, Macron ne reculera pas,
03:43 si Paris n'est pas en feu et qu'il n'y a pas de mort.
03:46 - Confident chez nos confrères de l'opinion.
03:48 - Exactement, mais où est-ce qu'on en est ?
03:50 Il faut qu'il y ait un mort dans la rue pour faire reculer démocratiquement un gouvernement
03:53 qui fait une réforme contre l'ensemble de la population.
03:56 Il joue avec le feu, littéralement, et ça c'est extrêmement dangereux.
04:00 Et je pense que le plus sage à ce stade, pour Emmanuel Macron,
04:04 c'est soit de retirer sa réforme, soit de repasser devant les urnes avec un référendum
04:08 et de dire aux Français "vous en voulez ou vous en voulez pas,
04:10 eh bien on va laisser la démocratie tranchée".
04:12 Ce serait le signe d'une démocratie mature.
04:14 - Peut-on laisser un référendum et donc une question unique réglée,
04:17 une question aussi complexe que celle des retraites ?
04:20 Parce que, par exemple, le débat aujourd'hui, il peut être sur la manière
04:24 de renflouer les caisses du système, et en l'occurrence,
04:27 l'ANUP a fait des propositions en ce sens.
04:29 Est-ce qu'on peut répondre à une question aussi complexe par une simple question
04:32 qui est "oui" et "non" ?
04:33 - Propositions qui ne sont pas étudiées, puisque nous n'avons pas le luxe
04:36 de les faire voter au Sénat et à l'Assemblée nationale.
04:39 - Mais vous nous accorderez que la question est complexe et délicate.
04:42 - La question est assez simple, parce que finalement, on nous dit
04:45 qu'il y a un déficit épotétique, etc.
04:47 On pourrait contester cela, mais le choix du gouvernement, il est très clair,
04:51 c'est de faire travailler 60 millions de Français, deux ans de plus.
04:55 C'est ce choix qui est fait, donc c'est ce choix qui doit être sumi aux urnes,
04:58 dont on sait très bien qu'une vaste majorité de la population y est opposée.
05:02 En effet, il y a d'autres alternatives.
05:04 Nous, on préfère aller piocher, par exemple, dans les plus de 120 milliards
05:08 de surprofits des grandes entreprises du CAC 40, qui continuent à se gaver
05:11 et qui fait que les prix alimentaires augmentent.
05:13 Et c'est pour ça que je veux dire aux gens, peut-être que c'est aussi
05:17 un message d'espoir, parce qu'on voit bien que le gouvernement
05:20 est quand même un peu fébrile et qu'ils ne sont pas sereins dans leurs bottes,
05:25 je dirais, et que l'histoire des mouvements sociaux ne nous apprend rien d'autre que cela.
05:28 Quand on se mobilise, on peut obtenir des victoires.
05:31 C'était le cas en 2006, même après que le CPE ait été promulgué.
05:34 C'était le cas en 1995, avec trois semaines de grève reconductible.
05:37 Et donc là, on est dans ce moment de bascule un peu incertain.
05:41 Et si on arrive à maintenir cette pression vis-à-vis du gouvernement,
05:45 alors ils n'auront d'autre choix que de reculer.
05:47 En l'occurrence, ce n'est pas forcément l'entente cordiale entre les représentants syndicaux.
05:51 Et Jean-Luc Mélenchon, Philippe Martinez l'a accusé de s'approprier,
05:55 à un moment donné, le mouvement social.
05:58 Comment est-ce que vous imaginez la suite ?
06:00 Je crois que chacun était à sa place.
06:02 Les oppositions ont mené la bataille à l'Assemblée nationale et au Sénat.
06:06 Tous les groupes de la NUPES.
06:07 On a soutenu l'ensemble des cortèges et des mobilisations dans la rue.
06:12 Et c'est parce que, justement, il y a eu, je pense, une synthèse des forces syndicales et des forces politiques
06:17 qu'on a pu avoir cette manif historique cette semaine.
06:19 Plus de 3,5 millions de personnes.
06:21 Même les chiffres polices sont des chiffres historiques.
06:24 Moi, de mon existence, ce sont les plus grandes manifs que j'ai jamais vues de ma vie.
06:27 Probablement les gens qui nous écoutent aussi.
06:29 Donc c'est bien que quand même, il y a quelque chose qui a marché dans cette mobilisation.
06:33 Et on peut essayer d'enfoncer un coin entre les syndicats...
06:35 - Je dis ça en l'occurrence parce que ce qui était, à un moment donné, le reproche de Philippe Martinez ou de Laurent Berger,
06:39 c'était les incidents nombreux qui étaient provoqués à l'Assemblée,
06:42 qui faisaient qu'on ne parlait que de ça, pratiquement,
06:45 et surtout qu'il n'avait pas permis d'aller jusqu'au vote, par exemple, de l'article 7.
06:49 Est-ce que vous estimez, du côté de la NUPE, que vous allez sortir par le haut
06:53 et gagnant, d'une certaine manière, de cette séquence politique,
06:57 quelle que soit son issue au Parlement ?
06:59 - Au moins, la bataille parlementaire a permis une clarté très nette.
07:04 C'est qui, aujourd'hui, se trouve du côté de l'opposition à cette réforme des retraites.
07:08 Et il est clair qu'aujourd'hui, du côté politique, ce sont les formations de la NUPES.
07:12 Que le Rassemblement National n'a fait aucune proposition.
07:15 La seule proposition, c'est de faire de nos utérus la variable d'ajustement en faisant plus d'enfants.
07:20 Ils n'ont appelé à aucune mobilisation.
07:22 Donc, je pense, et c'est le message que j'ai aussi envie de dire aux gens,
07:26 les gens qui nous écoutent, là, qui sont peut-être dans la voiture,
07:29 et qui sont d'accord avec nous, et qui se disent "OK, comment on va réussir à faire la différence ?"
07:33 La victoire politique qu'on va construire demain, c'est pour demain.
07:36 Aujourd'hui, l'enjeu, c'est comment on gagne cette bataille syndicale et dans la rue.
07:41 Et chacun peut aider à sa façon.
07:43 Venir en manif demain, donner aux caisses de grève, faire grève quand on en a la possibilité.
07:49 Et tout ça ensemble, c'est cette conjonction qui peut, à la fin, nous amener à la victoire.
07:52 - En un mot, rapidement, vous avez la conviction que Marine Le Pen ne tire pas les marrons du feu ?
07:56 - Je pense qu'elle doit, aujourd'hui, faire face à toutes ces contradictions.
07:59 A aucun moment, Marine Le Pen n'a soutenu le mouvement dans la rue.
08:02 D'ailleurs, on ne l'a pas vu.
08:03 Et à aucun moment, elle a fait le travail de contre-proposition.
08:07 Et donc, aujourd'hui, pour moi, le RN n'égare qu'à un marche-pied au pouvoir,
08:12 et qui est bien pratique pour Emmanuel Macron.
08:14 - Manon Aubry, députée européenne de la France Insoumise, merci d'avoir été l'invité du 18h20 politique.

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