L'Invité du 13h (13h - 10 Mars 2023 - Ivana Obradovic et Nicolas Prisse)
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00:00 Les nouvelles sont plutôt bonnes. L'Observatoire français des drogues et tendances addictives
00:04 publie les résultats de sa dernière enquête ESCAPADE. Elle porte sur les pratiques des
00:08 jeunes de 17 ans. 23 000 adolescents ont été interrogés. C'est la 9e enquête de ce type.
00:13 La dernière datait de 2017. Et la version 2022 traduit une baisse des usages du tabac,
00:21 du cannabis, de l'alcool. Baisse enclenchée en 2014 qui se confirme donc et nettement.
00:26 Ce qui augmente, c'est l'usage de la cigarette électronique. Les deux gros bémols dans
00:31 cette étude sont les inégalités sociales face à l'usage de ces produits. Et puis
00:36 ce qui se dégrade, c'est la santé mentale d'une partie de la population adolescente.
00:40 Alors vous avez 17 ans, un peu plus, un peu moins ? Ou alors c'est l'âge de votre
00:43 fille, de votre fils ? Appelez-nous pour nous faire part de votre expérience ou poser des
00:46 questions à nos invités. 0145 24 7000 et l'appli France Inter rubrique Réagir.
00:51 Invité que je vous présente, bonjour Ivana Obradovitch.
00:54 Bonjour.
00:55 Vous êtes la directrice adjointe de cet observatoire français des drogues et conduites
00:58 addictives. Vous avez mené l'enquête ESCAPADE. Et bonjour Nicolas Pris.
01:02 Bonjour.
01:03 Président de la MIDELCAM, mission interministérielle de lutte contre les drogues et conduites addictives
01:07 et médecin de santé publique. Question de méthode, Ivana Obradovitch, pourquoi cet
01:11 âge de 17 ans choisi pour l'enquête ?
01:13 Alors d'abord parce que c'est la fin de l'adolescence.
01:16 Oui.
01:17 Également parce que ça permet d'interroger des jeunes qui ont dépassé l'âge de la
01:22 scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans. Donc par rapport aux enquêtes en milieu scolaire
01:27 par exemple, ça nous permet d'avoir les jeunes qui sont sortis du système scolaire.
01:30 Et puis surtout, c'est l'âge auquel on vient à la journée Défense et Citoyenneté
01:36 qui est le cadre de l'enquête.
01:38 D'accord.
01:39 Qui permet d'interroger une génération depuis 20 ans, toujours à l'âge de 17 ans.
01:42 Et Nicolas Pris, 17 ans c'est un bon âge pour aussi regarder les pratiques addictives
01:47 dans l'adolescence, à ce moment charnière au fond entre adolescence et âge adulte.
01:50 C'est un âge essentiel parce que le cerveau des jeunes de 17 ans, ça commence plus tôt
01:56 bien sûr depuis finalement la naissance, mais on fait très attention à ce que cet
02:01 organe qui est essentiel pour la construction individuelle ne soit pas altéré par des
02:05 phénomènes toxiques que sont les consommations de substances psychoactives.
02:09 Donc j'allais dire, plus on va avoir de gens qui seront exemples de toute consommation
02:15 d'alcool à cet âge-là, de cannabis et de tabac, plus on va avoir de chances de leur
02:20 donner leur petite chance supplémentaire dans la vie future.
02:24 Alors commençons par le tabac si vous le voulez bien.
02:27 Est-ce qu'on peut rappeler les chiffres ? Je les ai sous les yeux mais vous les connaissez
02:30 par cœur Ivana Obradovitch.
02:32 Ça diminue nettement ?
02:33 Oui, alors la première chose c'est qu'on a aujourd'hui 16% de fumeurs quotidiens à
02:39 17 ans, ce qui est deux fois moins qu'en 2014.
02:41 Donc c'est une baisse qui est particulièrement marquée.
02:44 Ça traduit une chose, c'est-à-dire que le renouvellement générationnel du tabagisme
02:50 s'est ralenti puisqu'aujourd'hui on a moins d'un jeune sur deux à 17 ans qui
02:55 a expérimenté la cigarette.
02:57 On était à presque 80% au début des années 2000.
03:01 Donc on voit que les entrées dans le tabagisme sont moins nombreuses.
03:05 Et alors je voudrais mettre ça en parallèle avec la cigarette électronique et puis on
03:09 va voir les interprétations ensuite.
03:11 Là du coup, l'usage de la cigarette électronique explose particulièrement chez les filles.
03:15 Alors c'est ça, c'est la nouveauté.
03:17 C'est-à-dire que les usages de cigarettes électroniques sont passés devant les usages
03:23 de tabac.
03:24 Que ce soit les usages quotidiens, mensuels.
03:27 C'est ça, sur tous les indicateurs d'usage on a ce phénomène.
03:29 Avec un usage quotidien qui a triplé quand même dans la dernière période, entre 2017
03:35 et 2022.
03:36 Et c'est une augmentation qui porte particulièrement sur les filles.
03:40 Ce qu'on peut interpréter comme un effet du marketing ciblé.
03:44 De la diversification de l'offre de produits de vapotage également avec plus récemment
03:50 l'apparition de la peuf.
03:52 Et puis l'introduction des arômes, des couleurs dans ces produits qui sont par ailleurs très
03:58 accessibles.
03:59 Avant d'interpréter les chiffres, Nicolas Pris, que dites-vous vous ?
04:02 Cigarette électronique, inoffensif ou dangereuse ?
04:05 Vous vous situez où sur cette échelle-là ?
04:07 Principe de précaution, notamment chez les jeunes.
04:11 La cigarette électronique peut avoir un intérêt en réduction des risques chez les personnes
04:16 qui décident d'arrêter de fumer, à condition que ce soit un vapotage exclusif et qu'on
04:22 ait essayé par ailleurs des traitements qui sont parfaitement codifiés et gratuits, qui
04:26 sont les traitements de substitution nicotinique.
04:27 Dans ce cas-là, c'est possible d'avoir recours à la cigarette électronique.
04:31 Pour les jeunes, on ne peut pas affirmer que ça constitue une entrée dans le tabagisme
04:37 systématiquement.
04:38 Il y a un risque.
04:39 Et je dirais là aussi, en tant que médecin, on sait la fragilité du poumon en tant qu'organe
04:45 de toute façon.
04:46 Donc je ne recommanderais pas d'inhaler tout produit, quel que soit le produit, à cet
04:53 âge-là.
04:54 On ne sait pas aujourd'hui s'il y aura des conséquences à moyen ou à long terme.
04:57 Sur les chiffres de cette enquête, est-ce qu'il n'y a pas l'impression qu'on a
05:00 vu que la cigarette électronique chez les ados est en train de remplacer la cigarette
05:04 tout court ? Est-ce que c'est une interprétation hâtive ?
05:06 L'avenir le dira.
05:09 Mais en tout cas, ce qu'on voit, c'est un désintérêt pour les produits qui se fument
05:15 au profit des produits qui se vapotent et au profit d'une plus grande diversité d'expérimentation
05:22 puisque les usages baissent sur tabac, alcool, cannabis.
05:26 Mais il y a d'autres produits.
05:27 Les produits qu'on interroge dans cette enquête sont de plus en plus nombreux.
05:31 Il y a maintenant le protoxyde d'azote, également le CBD, ce qu'on a appelé il y a quelques
05:36 années le "purple drink", c'est-à-dire du sirop codéiné qui est mélangé avec
05:40 des sodas.
05:41 Donc ça c'est un effet de mode.
05:42 Ça c'est ultra minoritaire par exemple ?
05:44 Oui c'est très minoritaire.
05:45 Il y a eu un petit effet de mode vers la fin des années 2010 et puis on voit qu'il est
05:51 retombé.
05:52 Je voudrais qu'on détaille les chiffres alcool et cannabis et puis on interprète
05:58 ensuite.
05:59 Donc l'alcool et le cannabis commençons par l'alcool, là aussi ça baisse et ça
06:03 baisse nettement Ivana Obradovitch.
06:05 Alors là aussi on a un peu le même phénomène que sur le tabac, c'est-à-dire qu'aujourd'hui
06:09 20% des adolescents n'ont pas essayé l'alcool à 17 ans.
06:15 C'est quatre fois plus qu'au début des années 2000.
06:18 On était à 5% de non-expérimentateurs donc malgré la large diffusion de l'alcool
06:24 quand même dans la société et puis c'est une des rares drogues qu'on expérimente
06:28 en famille le plus souvent, il y a quand même vraiment un recul qui est marqué.
06:32 En revanche il y a quand même un petit facteur de vigilance sur les alcoolisations ponctuelles
06:37 importantes, ce qu'on appelle parfois un peu rapidement le binge drinking.
06:41 Trop rapidement sans doute.
06:43 C'est le fait d'avoir consommé au moins cinq verres dans une soirée, une occasion
06:47 de consommation et là il y a plus d'un tiers des adolescents qui sont concernés
06:52 par ce genre de comportement dans le dernier mois.
06:55 Nicolas Pris, le fait qu'il y ait une bonne part d'ado qui n'ait même pas touché
07:00 à une cigarette ou un verre d'alcool, quelle importance a ? Le côté est totalement vierge
07:04 si j'ose dire.
07:05 Eh bien c'est ce que je vous disais au tout début de notre entretien.
07:09 Le cerveau de ces gamins prend ces toxiques et ces toxiques modifient l'architecture
07:18 même intime d'un cerveau.
07:21 Sur le risque de devenir dépendant plus tard, sur un certain nombre de capacités de mémorisation,
07:27 d'attention, etc. les toxiques en général ont un impact important.
07:31 Donc c'est vraiment à chaque fois une victoire que d'avoir des jeunes qui ne commencent
07:37 pas ces consommations tôt, parce que plus on commence tôt, plus c'est sérieux et
07:42 qui ne s'installent pas dans des usages durables.
07:44 Changement de perception, c'est en train de devenir ringard la cigarette ou l'alcool ?
07:49 Alors on l'avait vu dans une enquête qualitative, c'est-à-dire on interrogeait des mineurs
07:54 en face à face assez longuement sur leurs habitudes de vie et effectivement on voyait
07:58 que la cigarette s'était ringardisée.
08:00 C'est perçu comme un produit chimique, dangereux.
08:03 Il y a beaucoup d'adolescents qui ont vu leurs parents essayer d'arrêter, parfois
08:06 sans y parvenir.
08:07 Et puis il y a aussi un historique de décès parfois dans la famille qui sont liés au
08:12 tabagisme.
08:13 Donc clairement c'est un produit qui est beaucoup moins populaire dans les générations
08:17 actuelles.
08:18 On va au standard dans un instant, ça veut dire que les politiques de prévention ont
08:21 porté leurs fruits, les messages répétés portent leurs fruits ?
08:25 Nicolas Pris ?
08:26 Oui, enfin je crois qu'il faut d'abord saluer tous les gens qui travaillent sur le
08:31 terrain à des programmes de prévention qui pour le coup sont réellement efficaces.
08:38 Les programmes dits de renforcement des compétences psychosociales qui travaillent sur l'estime
08:43 de soi, sur l'esprit critique, sur le fait d'être mieux avec soi-même, mieux avec
08:47 les autres.
08:48 On sait désormais que ça marche expérimentalement en termes d'évaluation sur un ou deux exemples
08:55 mais les chiffres-là nous montrent bien que si on arrive à déployer ça, on aura des
09:01 succès encore plus importants.
09:02 Ça se déploie où ? En milieu scolaire ?
09:03 Ça se déploie en milieu scolaire, en milieu périscolaire, ça se déploie en direction
09:07 de public en difficulté.
09:08 Donc l'aspect psychologique au fond ?
09:11 L'aspect psychologique, ce qui aide à construire finalement des adolescents qui ne soient pas
09:15 dominés par leurs émotions mais qui aient la capacité de réfléchir un peu à la situation
09:20 et à peser le pour et le contre.
09:22 N'oublions pas quand même, vous l'avez mentionné, les campagnes, les campagnes
09:26 d'information et de marketing social notamment.
09:29 Maintenant Santé publique France, trois fois par an, fait des campagnes d'information
09:32 sur le tabac, deux fois par an sur l'alcool, régulièrement sur le cannabis aussi.
09:36 Tout ça, c'est un ensemble d'actions qui sont efficaces vraisemblablement.
09:41 Le prix, ça joue ?
09:42 Le prix joue énormément.
09:44 C'est une des mesures les plus efficaces et c'est en partie ce qui explique la baisse
09:47 du tabagisme.
09:48 On a eu une augmentation du prix de cigarette de deux tiers en dix ans.
09:52 Donc c'est énorme.
09:53 Valérie Austandard, bonjour Valérie.
09:56 Vous enseignez en lycée, c'est bien cela ?
09:58 Oui, c'est bien ça.
09:59 Que voulez-vous nous dire ?
10:02 Je constate que la cigarette d'une façon générale est peut-être moins consommée,
10:09 mais il y a vraiment une recrudescence de consommation de pof.
10:12 Quand on dit aux élèves, ils nous disent "mais madame, c'est pas grave, c'est juste
10:16 une pof".
10:17 Il y a vraiment la différence entre cigarette, cigarette électronique et pof.
10:21 Il y a des élèves qui ont vraiment des dizaines de pofs dans la poche.
10:26 Alors Ivana Obradovitch, est-ce qu'on peut réexpliquer ce qu'est la pof ? Et question
10:29 à Nicolas Pris, quels effets éventuels ?
10:32 Alors la pof, c'est un produit qui se vapote, qui se trouve assez facilement dans les bureaux
10:36 de tabac, même dans certains kiosques à journaux, qui est relativement peu cher,
10:41 qui joue sur le design, l'esthétique, la couleur.
10:44 On trouve toutes sortes d'arômes fruités.
10:47 Donc c'est un produit extrêmement accessible, mais surtout il faut savoir qu'il contient
10:52 souvent de la nicotine, qui est la molécule à l'origine de la dépendance tabagique.
10:58 Donc c'est d'une certaine manière un renouvellement de l'industrie du tabac, autour de nouveaux
11:03 produits pour attirer les jeunes vers la dépendance à la nicotine.
11:07 Donc voilà, la pof est le syndrome et la face émergée d'un iceberg qui se joue autour
11:13 de tous les dispositifs de vapotage qui sont maintenant très designés, très populaires
11:19 et très mis en avant.
11:20 Nicolas Pris sur cette question.
11:21 Terrible, oui, terrible campagne marketing pour imposer des produits attractifs, comme
11:27 on a connu à une époque, les petites cigarettes sympas qui étaient faites pour attirer les
11:32 jeunes femmes avec des goûts, des arômes, etc.
11:34 Donc là, il faut vraiment qu'on se préoccupe très sérieusement de ce sujet-là.
11:38 Ce n'est pas normal qu'on ait une telle appétence pour ces produits-là, pour ce type de produits.
11:44 Je le redis, principe de précaution tout de même.
11:47 On ne sait pas très bien ce que va donner l'exposition à des produits tels que la
11:52 pof aujourd'hui.
11:53 Et grande vigilance quand même auprès des détaillants et des commerçants qui, d'une
11:57 certaine manière, la pof en est un exemple, mais continue à vendre des produits interdits
12:01 au moins de 18 ans à des mineurs.
12:02 Dernière question, celle de Gaël sur l'application.
12:05 Qu'en est-il de la consommation des autres drogues, cocaïne, MDMA, etc. ? Est-ce que
12:10 cette consommation-là baisse aussi ou pas ?
12:12 Oui, tous les usages baissent.
12:14 C'est vraiment la tendance générale qu'on peut expliquer par des effets circonstanciels.
12:20 Évidemment, la crise sanitaire autour du Covid en 2020 et 2021 a réduit les occasions
12:27 de sortie, de consommation, de sociabilité qui sont très adossées aux usages de drogues.
12:33 Et puis après, il y a des explications plus spécifiques par produit.
12:37 On a cité le tabac tout à l'heure, les hausses de prix évidemment, mais l'interdiction
12:41 de la publicité, les restrictions sur le marketing et le fait que ça soit interdit
12:47 de fumer dans les lieux publics, ça explique qu'on a aujourd'hui les premières générations
12:51 qui ont traversé toute l'enfance et l'adolescence dans un régime qui interdit la cigarette
12:56 dans les lieux publics.
12:57 Très différent d'avant.
12:58 Merci beaucoup à tous les deux d'être venus dans les studios de France Inter.
13:01 Anna Obradovitch, Nicolas Prisse et donc cette enquête escapade de l'Observatoire français
13:06 des drogues et tendances addictives.
13:07 On en trouve les détails sur le site internet, n'est-ce pas ?
13:09 Tout à fait, sur fdt.fr.