La santé mentale des jeunes avec les Dr Delphine Guérin et Amandine Buffière

  • l’année dernière
Les études préoccupantes se multiplient à propos de la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes. Que se passe-t-il ? Quelles sont les causes de ce phénomène et comment le traiter ? Réponses avec les docteurs Delphien Guérin et Amandine Buffière.

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00:00 études préoccupantes se multiplient à propos de la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes
00:04 adultes. Les deux dernières alertes en date sont un baromètre de Santé publique France,
00:08 selon lequel les épisodes dépressifs ont quasiment doublé chez les 18-25 ans,
00:12 entre avant et après le Covid. Un jeune sur cinq a traversé un état dépressif en 2021.
00:18 Autre alerte, ce rapport du Haut Conseil de la Famille hier. Entre 2014 et 2021,
00:23 le taux de consommation de médicaments chez les moins de 20 ans a augmenté de manière radicale,
00:28 près de 50% pour les antipsychotiques, plus 155% pour les hypnotiques et sédatifs.
00:35 Alors que se passe-t-il ? Quelles sont les causes de ce phénomène ? Comment le traiter ? Le manque
00:40 de moyens de la psychiatrie en France s'étale cruellement. Appelez-nous, questions, témoignages,
00:44 vous êtes dans ces tranches d'âge où vous avez un enfant en difficulté. Je vous attends,
00:48 01 45 24 7000 et l'appli France Inter rubrique Réagir. Nos invités jusqu'à 13h45 sont le Dr
00:55 Amandine Bufière, pédopsychiatre et présidente de la Fédération des centres médicaux psychopédagogiques.
01:02 Bonjour Madame. Et au téléphone avec nous le Dr Delphine Guérin, médecin et chef du service
01:07 santé de l'Université d'Amiens. Bonjour. Bonjour. Nous étions venues chez vous il y a quelques mois
01:12 pour un 13-14 consacré justement à la santé des étudiants à Amiens. Amandine Bufière, les enfants
01:18 et adolescents en France sont soumis à davantage d'épisodes dépressifs ou de troubles de l'humeur,
01:23 quels éléments d'explication ? Pour l'instant scientifiquement on ne sait pas exactement. Ce
01:31 qui est très clair c'est qu'effectivement le Covid a vraiment accéléré la dégradation de l'état de
01:37 santé psychique des enfants et des adolescents. Cette période où ils ont été enfermés, coupés
01:43 des relations avec leur père, avec l'école, voilà a été très délétère pour eux. Probablement que
01:50 les craintes pour l'avenir, l'éco-anxiété, la guerre en Ukraine, tout ce climat difficile qui
01:57 nous touche tous, touche particulièrement les enfants et les adolescents qui sont à une période
02:02 de leur vie où se projeter dans l'avenir est quelque chose d'essentiel et là l'avenir est un
02:06 peu sombre. Question sur l'application de Mathieu, pourriez-vous relever les bénéfices et risques des
02:12 réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes ? Qu'est-ce que vous pouvez en dire ? Alors c'est
02:17 plutôt des impressions que des choses vraiment cliniciennes mais c'est vrai que je pense ce fait
02:25 que sur les réseaux sociaux on ne montre pas ses fragilités en fait, on montre toujours ce qui va
02:29 bien. On montre son beau profil, ses réussites et peut-être que quand on est un enfant ou un jeune
02:37 et qu'on traverse des périodes difficiles, cette espèce d'étalage d'un monde où tout serait beau
02:42 rend les choses plus déprimantes. Docteur Guérin, comment vont vos étudiants d'Amiens ?
02:50 Question toute simple. Alors les étudiants d'Amiens aujourd'hui, la génération d'étudiants sur Amiens,
02:56 c'est la génération de lycéens qui a été confinée durant on peut dire deux ans durant la période
03:02 lycée. Les étudiants ne vont pas bien. Les étudiants ne vont pas bien, on a une nette augmentation nous
03:09 du taux de fréquentation du service pour des motifs d'ordre psychiatrique et psychologique avec un
03:14 changement de profil patient. C'est à dire qu'avant la crise sanitaire, nous avions des étudiants qui
03:19 venaient consulter prioritairement pour des problématiques de stress et d'anxiété en lien avec
03:25 les partiels. Aujourd'hui on a un profil tout autre avec ce qu'on appelle les patients polytraumatisés,
03:29 des patients beaucoup plus complexes, les prises en charge moins de plus lourds et donc on va
03:34 travailler vraiment dans la pluridisciplinarité avec le nécessaire recours à l'orientation vers
03:41 la psychiatrie dans un nombre de cas assez élevé. - Et on tombe sur le manque de moyens dont on
03:46 reparlera. Témoignage d'Etienne au Standard. Bonjour Etienne. - Oui bonjour. - 22 ans, vous
03:52 habitez près de Nantes et je lis ma petite fiche, il y a beaucoup de mauvaises nouvelles qui circulent,
03:57 c'est ce que je constate. - C'est ça en fait, je pense que dans les médias on entend beaucoup de
04:02 mauvaises nouvelles et très peu de bonnes nouvelles en fait et je pense que ça a un certain impact sur
04:08 la santé mentale des étudiants et en fait ce que je constate autour de moi c'est que ça va vraiment
04:16 pas du tout mais du coup c'est devenu un vrai sujet de savoir comment les autres vont vraiment
04:21 et je parle un peu en connaissance de cause, moi je suis allé voir mon médecin traitant en octobre
04:28 qui m'a... enfin je lui ai dit que j'avais une perte de motivation, que je dormais 12 heures par jour,
04:32 que j'arrivais pas à travailler et elle m'a donné le nom de trois psychologues et depuis octobre en
04:37 fait je n'ai pas contacté parce que au fond de moi j'estime un peu que bah y'a rien qui fait que ça
04:41 devrait mal aller et y'a un peu ce syndrome de l'imposteur qui fait que bah oui tout devra aller
04:48 pour le mieux finalement ça va pas mais j'ose pas sauter le pas pour autant. - Delphine Guérin,
04:53 merci beaucoup Etienne pour ce témoignage, Delphine Guérin des jeunes adultes comme ça
04:57 qui n'osent pas aller consulter et qui se sentent un peu en position d'imposture, c'est fréquent ?
05:02 - Oui oui c'est assez fréquent dans notre service alors on a tellement de demandes que voilà dans
05:08 les services de santé universitaire les étudiants peuvent pas avoir recours tout de suite au
05:11 psychologue, il faut qu'ils passent par une infirmière qui fait ce qu'on appelle une
05:14 consultation de réorientation et puis qui va en cas d'urgence qui va réorienter vers un psychiatre
05:20 du territoire et puis après on met les patients sur une liste d'attente puisque on est passé de
05:26 prise en charge de cinq six consultations à plus d'une dizaine de consultations par patient et donc
05:30 on se rend compte notre liste d'attente malheureusement elle est aujourd'hui de deux
05:34 mois et quand on rappelle les patients au bout de deux mois en disant voilà maintenant vous pouvez
05:38 être pris en charge et ben on tombe sur sur des gens comme comme cet auditeur qui finalement voilà
05:44 finalement maintenant ça va un petit peu mieux j'ose plus j'étais dans une dynamique d'aller
05:47 vers et de me faire soigner et puis maintenant non je ne vais plus répondre à ce moment là.
05:52 Amandine Bufière comment est ce qu'on distingue au fond notamment chez un ado voir chez un enfant
05:58 un coup de blouse d'un réel épisode dépressif de quoi parle-t-on quand on dit que les enfants et
06:04 adolescents sont soumis à davantage d'épisodes dépressifs ?
06:07 Alors on parle d'une humeur triste qui va durer, d'un repli, d'un enfermement, après la dépression
06:20 chez l'enfant l'adolescent peut prendre des formes très diverses ça peut être aussi des conduits
06:24 tarifs, des troubles du comportement alimentaire et c'est vrai que par rapport aux témoignages de
06:30 votre auditeur il faut vraiment avoir en tête qu'on n'a pas besoin d'avoir des raisons objectives
06:36 d'aller mal pour consulter en fait la souffrance psychique c'est aussi se sentir mal sans savoir
06:41 exactement pourquoi et ça en soi c'est une raison suffisante pour consulter et plus tôt on va
06:47 consulter et moins les choses vont s'installer parce que généralement la dépression et l'anxiété
06:53 peuvent s'installer de manière progressive sauf quand elles font suite à des traumatismes ou un
06:58 décès, un deuil, une rupture des choses comme ça.
07:01 Consultez d'abord son médecin généraliste, ne pas hésiter à consulter et d'abord se tourner vers le généraliste.
07:07 Oui je crois que c'est un bon réflexe de passer par le généraliste pour évaluer.
07:12 Pour les étudiants je voudrais signaler aussi qu'il y a des associations d'étudiants qui ont
07:16 développé des plateformes dont une qui s'appelle Nightline avec qui j'ai été en contact et qui
07:20 peut aussi donner du soutien, ce qu'on appelle du soutien en santé mentale et puis aussi on peut
07:26 aussi aller dans les centres médico-psycho-pédagogiques et les bureaux d'aide psychologique universitaire,
07:31 les BAPU, malheureusement il n'y en a qu'une quinzaine en France, c'est trop peu mais l'accès
07:36 est direct donc les étudiants qui ont la chance d'en avoir un à côté de leur fac peuvent y aller directement.
07:43 Un mot de ce rapport du Haut Conseil pour la famille sur la réponse apportée à ces troubles,
07:47 l'explosion de la consommation de médicaments, est-ce qu'il faut s'inquiéter de cette hausse
07:53 très forte de la consommation de médicaments ou après tout c'est aussi une aide quand on traverse un épisode difficile ?
08:00 Bien sûr c'est aussi une aide et c'est surtout une aide quand c'est pris dans tout un processus de soins,
08:06 c'est-à-dire quand on est vu par un pédopsychiatre qu'il y a des soins qui sont en place,
08:12 un suivi psychologique et qu'il y a besoin d'un traitement, je crois que c'est une bonne chose de pouvoir accéder à ce traitement.
08:18 Par contre là où c'est plus préoccupant c'est si ce traitement est donné un peu faute de mieux,
08:24 c'est-à-dire parce qu'on n'a pas accès à des soins psychiques, à un suivi pluridisciplinaire notamment dans les centres de consultation.
08:32 C'est le sens du message de Camille. Bonjour Camille.
08:34 Bonjour.
08:35 Votre fille a ressenti un mal-être, des motivations scolaires, problème de sommeil et on est très vite allé aux médicaments c'est ça ?
08:42 Oui en fait elle a pris rendez-vous toute seule sur Doctolib avec un psychiatre qu'elle ne connaissait pas
08:47 et qui lui a prescrit au bout d'une séance des médicaments sans lui parler d'autres thérapies possibles.
08:54 Et moi j'ai appris ça au bout d'un mois et c'est vrai que ça m'a bouleversée de savoir qu'elle avait été placée très rapidement sous médicaments.
09:01 Donc je me questionne en fait sur aussi ces pratiques peut-être un peu précipitées.
09:07 Je pense que ça révèle surtout un besoin d'accompagnement et de parole.
09:12 Alors c'est vrai qu'en même temps peut-être les médicaments peuvent la soulager un petit peu
09:15 mais en même temps j'ai l'impression qu'ils ne résolvent pas du tout le problème de la motivation scolaire ou le problème du trop de sommeil.
09:21 Donc voilà je suis un petit peu désarçonnée face à ces pratiques médicales.
09:26 Docteur Guérin sur cette question j'ai cité des chiffres où on peut ajouter près de deux tiers de hausse pour les antidépresseurs.
09:31 Qu'est-ce qu'on peut répondre à Camille ?
09:33 Ce que je peux vous répondre c'est que si ça a été fait dans le cadre d'une consultation,
09:38 c'est que le professionnel de santé a dû juger de l'urgence de mettre en place le traitement.
09:44 Qui dit traitement, il ne faut pas le prendre comme quelque chose de négatif.
09:49 Il y avait certainement une urgence, on le met en place et puis le professionnel va l'accompagner.
09:54 Et vous verrez qu'au fur et à mesure de l'accompagnement d'autres propositions seront faites à votre fille.
10:00 Pourquoi pas un accompagnement en parallèle par un psychologue,
10:04 puis aussi après l'accès pourquoi pas à d'autres techniques de soins, d'autres propositions de soins.
10:09 Qu'est-ce qu'on a raté Docteur Guérin au moment du Covid et quel impact ça a sur vos étudiants ?
10:15 Alors qu'est-ce qu'on a raté nous ou non ? Qu'est-ce qu'à quoi eux n'ont pas eu accès ?
10:20 Aujourd'hui quand vous êtes confinés toute votre seconde et toute votre première,
10:25 on a tous souvenirs de nos années lycées,
10:27 on sait combien ces années sont importantes dans la construction psychique et mentale de ces jeunes-là.
10:33 Et voilà, maintenant comment accompagner ces générations
10:37 qui n'ont pas vécu ces étapes de sociabilisation très importantes ?
10:41 Comment on les accompagne après dans un système qui finalement lui n'a pas changé
10:45 et ne s'est pas adapté à ces générations-là ?
10:50 Est-ce qu'il peut avoir des conséquences dans la vie professionnelle ensuite ?
10:52 Eh bien bien sûr, c'est la question qu'on se pose et on le voit déjà.
10:56 Et les professionnels des ressources humaines nous en parlent déjà,
11:00 des changements de posture de cette jeune génération dans le monde du travail,
11:05 dans les liens avec les équipes qui vont se créer et puis sur les motivations.
11:09 Les motivations au travail, c'est quelque chose qui revient généralement,
11:13 et les exigences de cette génération.
11:15 Docteur Bufière, question d'Angèle.
11:17 Il y a remarque d'Angèle, il n'y a plus de place dans les hôpitaux psychiatriques,
11:21 les délais sont trop longs, on lit beaucoup de témoignages,
11:24 ou on en entend quelquefois dans notre entourage,
11:26 de véritables parcours du combattant pour prendre en charge un enfant ou un ado en souffrance.
11:31 Je sais, et malheureusement, c'est assez dramatique dans notre pays aujourd'hui.
11:36 En plus, il y a de fortes inégalités territoriales,
11:39 c'est-à-dire qu'à Paris, vous aurez peut-être la chance d'avoir une consultation en 3 à 6 mois,
11:43 mais en Normandie ou dans le centre de la France, ce sera un an et demi, deux ans,
11:47 pour un enfant ou un adolescent qui ne va pas bien, ça n'a aucun sens.
11:52 Et effectivement, les centres de consultation, les CMP enfants adolescents et les CMPP,
12:00 n'ont pas bénéficié de moyens depuis des années,
12:07 et étaient déjà dans un état structurel difficile avant la crise Covid,
12:12 et là, du coup, les choses ont basculé avec encore des délais qui s'allongent.
12:16 - Et ça, c'est identifié de longue date, est-ce que c'est en train de changer ?
12:20 Est-ce que le numerus clausus, à la base, change ?
12:23 Est-ce qu'il y a de nouveaux moyens affectés en ambulatoire ou est-ce que c'est encore trop lent ?
12:27 - C'est beaucoup trop lent, c'est-à-dire que les assistes de la santé mentale ont donné,
12:32 je crois que c'est 0,5 ETP par CMP enfants adolescents et aucune revalorisation pour les CMPP.
12:38 Donc non, non, les efforts politiques ne sont pas du tout à la mesure des difficultés
12:43 que nous traversons aujourd'hui et que traverse la jeunesse.
12:46 - ETP pour équivalent de temps plein et CMPP, les centres médicaux, psychos, pédagogiques.
12:50 Merci beaucoup d'être venue dans les studios de France Inter, merci à vous.
12:54 Docteur Guérin, il reste une minute, on peut prendre une question supplémentaire.
12:59 Allons-y, comment mesurer l'urgence au fond ?
13:03 On vient d'entendre, Docteur Bufière, que vous nous disiez
13:05 ceux qui ont de la chance ont des délais de trois à six mois.
13:08 Quand on a un adolescent en souffrance, voire qui a des gestes dangereux pour lui-même,
13:13 qu'est-ce qu'on peut faire ? Comment obtenir un rendez-vous rapidement ?
13:17 - Alors on peut aller voir son médecin généraliste, il faut aller voir son médecin généraliste,
13:21 et aussi à les urgences. Il faut ne pas hésiter à se rendre aux urgences.
13:26 Il y a un certain nombre d'hôpitaux, il y a des pédopsychiatres aux urgences
13:29 qui vont évaluer la gravité de la situation et après faire un travail d'orientation.
13:34 - Merci à toutes les deux, Docteur Delphine Guérin également,
13:38 et merci à nos confrères de France Bleu Picardie qui nous ont permis de vous entendre dans de bonnes conditions.

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