Depuis le début de la crise sanitaire la santé mentale des jeunes décline considérablement : isolement, cours à distance, précarité… La psychologue et psychothérapeute Audrey Le Mérer nous explique le mal-être qui peut les toucher.
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00:00 Bonjour, je suis Audrey Lemerere, psychologue et psychothérapeute.
00:03 Je reçois de nombreux jeunes, familles, ados, adultes,
00:06 et plus particulièrement depuis l'épisode Covid, bien sûr.
00:09 Depuis le début de la pandémie, en mars 2020, en réalité,
00:23 il n'y a pas eu tout de suite un afflux massif dans les cabinets ou en visio
00:27 par rapport à cette population des jeunes, des jeunes actifs et des étudiants.
00:30 C'est apparu plutôt à partir de la deuxième vague du second confinement,
00:34 plutôt même de septembre en réalité 2020, avec la rentrée qui était assez chaotique
00:39 pour de nombreux étudiants, notamment sur les campus universitaires,
00:41 qui restaient fermés avec une jauge à peine de 30% en présentiel.
00:45 Alors, chez les jeunes, le mal-être face au Covid est un petit peu particulier,
00:53 puisqu'en réalité, les jeunes doivent faire face à un manque de socialisation
00:57 et on sait très bien que c'est pendant les années d'études aussi qu'on fait
01:00 sa socialisation future professionnelle et amicale, bien plus que par le passé.
01:05 Heureusement, certains ont un bon socle d'amis lycéens ou collégiens
01:08 et s'en sortent un peu mieux sur le moral.
01:11 Il faut aussi noter que depuis l'apparition du variant britannique,
01:14 de nombreux jeunes sont touchés, j'en ai pas mal à mon cabinet,
01:16 qui m'expliquent qu'ils sont dans un état de fatigue intense.
01:19 Et cette fatigue se cumule effectivement à la fatigue psychologique antérieure
01:23 qu'on a pu détecter chez cette population un peu particulière en ce moment.
01:27 En plus de la fatigue, on peut noter des signes assez distinctifs,
01:35 c'est-à-dire des troubles du sommeil liés surtout, en réalité, à un pseudo-confinement
01:40 qui est lié au couvre-feu de 18 heures, c'est-à-dire qu'en dehors de la plage horaire,
01:44 on ne peut plus sortir, donc il n'y a plus d'activité physique,
01:46 le corps ne se dépense pas assez, donc les troubles du sommeil sont majorés.
01:50 Il y a également des états anxieux sur l'incertitude quant à l'avenir, l'avenir proche,
01:55 c'est-à-dire la fin des études, est-ce que j'ai choisi les bonnes études,
01:59 est-ce que je vais trouver du travail, est-ce que le secteur dans lequel je me suis lancée
02:02 et dans lequel j'ai fourni tant d'efforts pour mon cursus universitaire ou scolaire
02:06 va finalement porter ses fruits, ne pas disparaître ?
02:09 Donc ce grand degré d'incertitude favorise bien sûr des troubles anxieux généralisés
02:13 avec ou non attaque de panique, et on voit maintenant apparaître aussi une sorte de phobie sociale,
02:19 c'est-à-dire que certains jeunes commencent à développer la peur du retour à une vie normale
02:24 qui n'est pas du tout prévue pour les mois à venir en plus.
02:26 C'est un syndrome de glissement lié à l'enfermement.
02:34 L'enfermement, on le connaît suite à, par exemple, un vécu carcéral et/ou hospitalier,
02:39 c'est-à-dire qu'entre les murs, on n'a plus l'impression d'avoir des repères sociaux habituels
02:44 et un développement psycho-affectif habituel.
02:46 Ce sont des bases pour nous, les humains, on est grégaire,
02:50 c'est-à-dire qu'on a besoin du groupe pour se sentir en sécurité et se sentir aimé.
02:55 Et là, les jeunes, en réalité, sentent une sorte de désamour social un petit peu grandissant.
03:00 En plus, ils ont été un petit peu malmenés aussi par les pouvoirs publics et universitaires et scolaires,
03:05 il faut bien le dire, puisque j'entends régulièrement que les écoles ne les soutiennent pas,
03:09 au contraire, et pour beaucoup, elles leur infligent davantage de devoirs
03:13 puisqu'elles n'ont que ça à faire et qu'il n'y a pas le temps d'aller faire d'autres activités,
03:16 ce qui est un petit peu dur pour eux parce qu'ils se sentent punis deux fois plus que les autres.
03:21 Le glissement, c'est un peu particulier, c'est-à-dire que c'est un syndrome dépressiogène,
03:25 voire dépressif, lié complètement à un contexte,
03:28 c'est-à-dire que sans le contexte, il n'y aurait pas eu ces symptômes-là.
03:32 Parfois, il faut traiter avec une phase pharmacologique, parfois une phase psychologique,
03:37 et parfois, il suffit simplement de reprendre contact avec des amis, des proches,
03:42 qui nous font du bien via WhatsApp, se voir peut-être en tout petit comité
03:46 en respectant à la fois les gestes barrières, la distanciation sociale
03:49 et l'ouverture des fenêtres dans un lieu clos,
03:51 pour pouvoir justement se sentir de nouveau en contact avec ses congénères.
03:55 Je leur conseille quand même d'essayer de maintenir un lien social entre eux,
04:03 alors certes en visio, en virtuel, avec Zoom ou tous les outils dont on dispose maintenant,
04:07 peu importe, de ne pas se laisser non plus trop diriger par les classes politiques
04:13 ou les classes médicales, qui ont tendance à surpsychologiser en réalité le mal-être de nos jeunes.
04:19 Ils peuvent également s'en sortir par eux-mêmes, ils sont créatifs,
04:22 ils nous l'ont prouvé à plusieurs reprises, ils savent créer des réseaux,
04:25 avoir de l'entrain en réalité entre eux sur des projets,
04:28 et on doit laisser et faire émerger avec eux ces projets-là
04:32 pour qu'ils se sentent acteurs à nouveau de leur vie.
04:34 [Musique]
04:39 Alors ce qu'on vit actuellement aura de toute façon des répercussions pour l'ensemble de la population,
04:44 je pense qu'on n'en mesure pas encore l'ampleur.
04:46 Le traumatisme est installé et plus la situation perdure, plus le traumatisme va être intense.
04:52 Des études avaient montré qu'après seulement 21 jours de confinement,
04:56 il y avait déjà des signes anxieux sur 6 mois, voire une année.
05:01 Donc j'ose imaginer ce que ça va donner après plusieurs vagues de confinement possibles en tout cas.
05:05 Et chez les jeunes effectivement ça va marquer un tournant,
05:08 c'est-à-dire que maintenant dans leur vie,
05:10 ils ne pourront plus se dire que ça ne pourra jamais arriver,
05:13 alors que d'autres populations vont passer quelque part à autre chose se disant que c'était épisodique.
05:18 Eux vont s'attendre en réalité à un enchaînement quelque part de catastrophe.
05:22 J'entends déjà ce discours avec "oui mais si on se sort du Covid Audrey,
05:26 après ça va être le climat, et après ça va être une crise économique,
05:29 et après ça va être la guerre".
05:31 Donc j'entends ces pensées catastrophiques
05:34 qui sont liées complètement aussi au syndrome de glissement,
05:37 mais également à une certaine factualité, réalité, qu'on ne peut soustraire,
05:42 on ne peut se soustraire à cette réalité.
05:44 Néanmoins, il faut savoir aussi vivre avec l'adversité,
05:47 et c'est ça la capacité de résilience, phénomène très à la mode,
05:50 mais quand même qui sert un petit peu en psychothérapie.
05:52 C'est-à-dire faire de cette adversité quelque chose de moteur
05:56 pour justement créer une activité ou quelque chose dans lequel on se sent à la fois utile
06:01 et plein de vie.
06:03 [musique]