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00:00 En fait, plus je buvais, plus j'avais envie de crever.
00:01 Et en même temps, si je ne buvais pas, la situation était insupportable.
00:04 Moi, j'ai commencé à boire à l'âge de 13 ans.
00:06 Alors de manière extrêmement ponctuelle, de fil en aiguille, de verre en verre.
00:11 J'ai développé clairement une addiction et elle s'est subtilement installée
00:14 pour qu'à 30 ans, je n'ai plus le choix que d'arrêter de boire.
00:17 C'était soit ça, soit la mort.
00:19 Il y a énormément de raisons pour lesquelles on boit.
00:22 Quand on est jeune, on boit pour faire comme les grands.
00:23 On boit pour s'intégrer, on boit pour s'amuser.
00:25 Parce qu'il faut quand même admettre que c'est hyper fun.
00:27 J'ai bu aussi parce que je suis une femme pleine de complexes.
00:30 J'ai bu pour danser, j'ai bu pour draguer.
00:32 J'ai bu aussi pour accepter mon homosexualité.
00:35 J'ai un hétérofertile parce que je viens d'une famille
00:38 dans laquelle le vin a une place assez importante.
00:40 Tout le monde boit, à l'exception de ma mère et de ma tante.
00:44 Et dans les repas de famille, de manière traditionnelle,
00:46 au même titre qu'on mettrait une carafe d'eau, on met une bouteille de vin.
00:49 Et c'est vrai que moi, j'ai commencé à boire à l'âge de 13 ans.
00:52 C'était pour ma culture générale.
00:54 En école, que ce soit d'ingénieur ou en école de journalisme,
00:58 la norme, c'est de boire.
01:00 En école d'ingénieur en agriculture, c'était une manière de s'intégrer.
01:03 Et puis, c'était aussi une manière de faire honneur au patrimoine.
01:05 Après le milieu agricole, j'ai fait Sciences Po Paris en journalisme.
01:09 On n'était plus tellement sur l'alcool franchouillard et patrimoine.
01:13 On n'était plus sur l'alcool mondain.
01:15 J'avais 23 ans, j'ai commencé à boire seule parce qu'en fait,
01:18 je me rendais bien compte que les gens en école de journalisme
01:20 n'avaient quand même pas la même descente que moi.
01:22 C'est le moment où j'ai commencé à boire seule pour prendre de l'avance.
01:24 Par exemple, je retrouvais mes copains en soirée.
01:27 J'allais me boire trois, quatre bières avant de les rejoindre.
01:32 Et puis après, j'ai carrément embrassé le diable
01:33 parce que j'ai ouvert un restaurant.
01:35 Je gagnais ma vie en vendant de l'alcool,
01:37 ce qui est quand même très fort pour une personne alcoolique.
01:39 Mais c'est vrai que finalement, plus les gens picolaient,
01:41 mieux je gagnais ma vie.
01:42 Le problème, c'est que je buvais avec eux.
01:44 Je calais mes rendez-vous professionnels le matin,
01:46 je les faisais à Jean,
01:47 et puis en fait, passait une certaine heure qui était OK.
01:51 En tout cas, pour moi, donc aux alentours de 11h.
01:54 Et là, je pouvais commencer à boire.
01:56 Je buvais toute la journée.
01:57 Je ne voulais pas que mes salariés, mes employés du soir,
02:00 quand ils arrivent, se disent "elle est complètement bourrée en fait".
02:03 Donc ce que je faisais instantanément, c'est que je leur servais un verre.
02:06 Comme ça, on sentait tous l'alcool.
02:07 L'alcool est complètement admis en France.
02:09 D'ailleurs, si on ne boit pas, qu'on est mis à la marge.
02:12 Mais il y a une petite différence dans la consommation
02:14 quand on est un mec ou quand on est une nana.
02:17 On va vraiment glorifier le mec qui picole
02:19 parce que c'est viril, parce que c'est costaud.
02:20 Et limite, on va le chambrer, mais de manière sympa le lendemain
02:23 parce qu'il a un peu abusé, mais c'est OK.
02:25 La nana, ce n'est pas OK.
02:27 Il faut boire, mais rester présentable, rester désirable.
02:30 Et en fait, les premières dissimulations sont arrivées
02:33 quand j'ai remarqué cette différence de traitement
02:36 entre les hommes qui picolent et les femmes qui picolent.
02:38 C'est hyper honteux d'être une femme qui a besoin d'alcool pour vivre.
02:41 Il y a deux manières de boire seule.
02:43 Il y a boire seule chez soi, un peu cachée.
02:45 Et quand on est capable de boire seule en public,
02:48 là, c'est une autre étape.
02:49 Ce n'est pas OK de voir une nana de 27 ans accouder à un bar
02:52 à boire toute seule.
02:54 Je souhaiterais que normalement,
02:55 on aille voir cette nana et qu'on lui demande comment ça va.
02:58 Sauf qu'en fait, une femme toute seule dans un bar,
03:00 généralement, on considère qu'elle est soit là pour draguer
03:02 ou se faire draguer.
03:04 Soit c'est une poche troncée et on ne peut plus rien pour elle.
03:06 En assouvissant mes besoins de boisson,
03:09 je me suis mise mille fois en danger.
03:11 Déjà, une femme seule dans un bar qui boit et qui est alcoolisée
03:15 et qui n'a plus toute sa conscience et toute sa lucidité devient une proie.
03:19 Ça m'est arrivé de faire des dingueries,
03:21 mais des dingueries de mon corps, en fait.
03:23 D'accepter des relations sexuelles que jamais j'aurais acceptées
03:25 si j'avais été sobre.
03:27 J'ai réalisé il y a très peu de temps
03:28 que je n'ai jamais eu une relation sexuelle avec un homme en étant sobre.
03:31 En fait, plus je buvais, plus j'avais envie de crever.
03:33 Et en même temps, si je ne buvais pas, la situation était insupportable.
03:36 Tous les matins, je me réveillais,
03:37 je ne savais même pas ce qui s'était passé la veille.
03:38 Je me suis blessée de partout.
03:40 25 points de suture là, des chutes à répétition.
03:43 J'ai frôlé la mort en dévalant une bonne vingtaine de marches.
03:47 Je me suis ouvert le crâne.
03:48 Enfin, bon, c'était un peu moche.
03:51 J'ai été suivie par un addictologue dès le lendemain de cette chute.
03:54 Et puis, j'ai d'abord essayé de diminuer,
03:57 ce qui, en fait, était impossible.
03:59 Je me suis dit "mais comment je vais faire ?"
04:00 C'était effrayant, en fait, de se dire qu'on arrête de boire pour toute la vie.
04:04 Il y a un paquet de cons qui te disent "t'exagères, t'es pas alcoolique.
04:08 Allez, vas-y, bois un petit verre, quoi."
04:10 Alors, je remarque que les gens qui, généralement, disent ça
04:11 sont ceux qui picolent le plus.
04:13 Et j'ai été cette personne.
04:15 J'ai été cette restauratrice qui poussait à la consommation,
04:17 qui offrait des shots de manière extrêmement naturelle
04:20 et qui n'avait pas d'alternative d'un alcoolisé pour les gens qui ne buvaient pas.
04:23 Aujourd'hui, j'écris sur mon alcoolisme.
04:25 J'écris vraiment pour qu'on essaie de remarquer ces femmes.
04:28 Il n'y a pas de gueule de l'emploi quand il est question d'alcoolisme.
04:30 Ça peut être ta sœur, ta cousine, ta maman.
04:32 Ça peut être un tas de femmes qu'on ne voit pas parce qu'elles se cachent,
04:35 parce qu'elles ont honte de ce qu'elles font.
04:37 *Bruit de déchiquetage*
04:39 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]