De quoi sont faites aujourd'hui les relations franco-chinoises ? Et de quel poids pèse la France dans un contexte géopolitique tendu, entre guerre en Ukraine et difficultés économiques en Chine ? Pour en parler la diplomate Sylvie Bermann ancienne ambassadrice à Pékin et à Moscou est notre invitée.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Le président de la République est arrivé ce matin à Pékin pour trois jours de visite d'État en Chine.
00:05 Discours devant la communauté française. Demain, il rencontrera Xi Jinping.
00:10 La présidente de la Commission européenne le rejoindra à cette occasion.
00:14 Le contexte est le suivant.
00:15 Guerre en Ukraine après pandémie, avec une Chine qui a eu le plus grand mal à se relancer après les mois de politique zéro Covid.
00:22 Les entreprises, quelques 2000 sont françaises en Chine, ont souffert.
00:26 Contexte géopolitique plus large aussi, le régime chinois apparaît de plus en plus dur et menaçant.
00:32 Le mois dernier à Moscou, Xi Jinping a affiché son amitié avec Vladimir Poutine contre l'Occident.
00:37 Alors quels sont les enjeux de cette visite d'Emmanuel Macron ?
00:40 De quoi sont faites aujourd'hui leurs relations franco-chinoises ?
00:43 De quel poids pèse la France en Chine ?
00:45 Notre invitée jusqu'à 13h45 est ambassadrice de France, en poste en Chine entre 2011 et 2014, puis au Royaume-Uni et en Russie.
00:54 Elle a raconté ce parcours dans un livre paru à l'automne dernier, "Madame l'ambassadeur de Pékin à Moscou, une vie de diplomate".
01:01 Je vous attends au 01.45.24.7000 et via l'appli France Inter pour vos questions.
01:04 Bonjour Sylvie Berman.
01:05 Bonjour.
01:06 Merci d'être au micro de France Inter.
01:08 Commençons au fond par deux des phrases d'Emmanuel Macron ce matin devant la communauté française.
01:13 Il est question de la guerre en Ukraine.
01:15 La Chine, forte de sa relation étroite avec la Russie, peut jouer un rôle majeur dans la résolution du conflit.
01:22 Et la Chine n'a pas d'intérêt à fournir des armes à la Russie.
01:26 Il a posé là les deux jalons au fond dans ce qu'il a à dire à Pékin à propos de l'Ukraine.
01:30 Oui tout à fait.
01:32 C'est clair que le seul interlocuteur que Vladimir Poutine peut écouter c'est Xi Jinping.
01:38 Parce qu'il sait que Xi Jinping n'ira pas contre ses intérêts non plus.
01:43 Ce qui explique aussi qu'il n'y a pas pour le moment de pression forte.
01:49 En tout cas, Xi Jinping ne peut pas lui demander de retirer du jour au lendemain ses troupes sans condition.
01:55 Donc il ne faut pas se faire d'illusions sur ce qui peut être obtenu.
01:58 En revanche, Xi Jinping peut transmettre les positions de la communauté internationale, de l'Occident en particulier.
02:05 Parce qu'il faut bien le distinguer de l'Europe.
02:09 Et en ce qui concerne la fourniture d'armes, c'est un peu une ligne rouge.
02:14 Et c'est important que la Chine s'en abstienne.
02:17 Pour le reste, ça ne veut pas dire que Xi Jinping ne fera rien.
02:21 Mais je pense que la situation n'est pas mûre et donc c'est pour le long terme.
02:24 Est-ce que cette guerre, Xi Jinping l'embarrasse ?
02:27 Comment a-t-il accueilli cette guerre au fond ?
02:30 Parce qu'elle perturbe les relations économiques qui font la puissance de la Chine.
02:34 Est-ce que cette guerre l'embarrasse ?
02:35 Oui, je pense que cette guerre l'embarrasse.
02:38 Vladimir Poutine l'a sûrement informé.
02:42 Non pas d'une guerre.
02:44 Je ne pense pas que c'était ce qu'il a envisagé de faire, mais d'une simple opération de police.
02:48 Cette fameuse opération militaire spéciale.
02:52 Xi Jinping avait dû obtenir que ça ne se passe pas en même temps que les Jeux Olympiques d'hiver.
02:57 Comme ça avait été le cas en Géorgie lors de l'ouverture des Jeux Olympiques d'été.
03:02 Mais aujourd'hui, c'est sûr que cette guerre embarrasse la Chine.
03:07 Comme vous le dites, ça perturbe les circuits économiques.
03:10 Et ce n'est pas facile non plus pour la Chine d'être associée à un pays qui est discrédité.
03:15 En tout cas en Occident.
03:17 Donc je pense que son souhait, c'est que la situation soit réglée le plus rapidement possible.
03:23 Alors les diplomates ont le sens précis des mots.
03:25 Je vous ai entendu dire associés.
03:26 Ils ne sont pas alliés Chine et Russie.
03:28 Comment vous définiriez cette relation dans le cadre qui est celui de la guerre en Ukraine ?
03:32 Non, c'est un partenariat.
03:35 Quand moi j'étais arrivée en Russie en 2017, un des meilleurs spécialistes russes m'avait dit
03:40 la relation avec la Chine, ce n'est ni une alliance, ni un partenariat.
03:44 C'est une simple entente au cas par cas.
03:47 Depuis, les choses ont évolué au fur et à mesure que les États-Unis identifiaient la Chine comme la menace principale.
03:56 Que des sanctions étaient adoptées contre Moscou.
04:01 Parce qu'avant la guerre, il y avait déjà 1000 sanctions américaines contre la Russie.
04:05 Et à partir de ce moment-là, s'est développé un véritable partenariat.
04:09 Y compris d'ailleurs avec une dimension militaire, puisqu'il y a des exercices en commun.
04:13 Et donc c'est effectivement un partenariat.
04:17 C'est évidemment un partenariat asymétrique.
04:20 Mais c'est tout à fait assumé par les deux pays.
04:25 Et chacun y trouve son compte.
04:26 Asymétrique parce qu'économiquement, la Chine est bien plus puissante que la Russie aujourd'hui.
04:30 Oui, bien évidemment.
04:32 Mais la Chine n'a pas un intérêt non plus à un effluissement de la Russie.
04:36 Parce que c'est son principal partenaire contre les États-Unis.
04:40 Donc je pense qu'elle regrette cette situation.
04:44 Mais pour le moment, elle affiche une neutralité qui est une fausse neutralité.
04:50 En ce sens que bien évidemment, elle n'ira jamais contre les intérêts de la Russie.
04:54 Et comment définir, Sylvie Berman, la relation franco-chinoise ?
04:57 C'est une relation très ancienne.
05:01 Puisqu'on a été le premier grand pays à reconnaître la République populaire de Chine.
05:06 Les Chinois nous ont été reconnaissants.
05:08 C'est quelque chose qui est célébré tous les dix ans, donc l'année prochaine.
05:11 Et il y a une certaine affection dans le public pour la culture française.
05:18 C'est le côté soft power de la France.
05:21 On a aussi des partenariats structurants dans le domaine nucléaire, aéronautique, agroalimentaire, de la santé.
05:28 Maintenant, on va discuter sur les enjeux globaux.
05:31 Et puis, il ne faut pas oublier une chose, c'est qu'on a un partenariat stratégique global.
05:36 Dans la mesure où on est deux membres permanents du Conseil de sécurité.
05:40 Donc même si sur l'économie, la France n'est pas le pays le plus puissant de l'Union européenne.
05:48 D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle il a souhaité associer à sa visite Ursula von der Leyen.
05:54 Parce que c'est le poids de l'Europe et donc d'un continent face à un autre pays continent.
05:59 Néanmoins, la relation est quand même plutôt bonne et assez fréquente.
06:06 C'est intéressant qu'il associe Ursula von der Leyen.
06:09 Je lisais notamment une tribune de Pierre Lelouch, venu de la droite, sur le thème "On n'est plus capable, nous la France, de parler seul à seul".
06:17 "Seul à seul" avec la Chine, c'est ça que ça veut dire ?
06:19 Alors, le président parlera seul à seul avec Xi Jinping à plusieurs occasions.
06:26 Mais effectivement, il associera la présidente de la Commission européenne.
06:31 Parce que les pays européens sont plutôt concurrents en Chine sur des dossiers précis.
06:41 Mais en revanche, sur un certain nombre de principes, l'ouverture des marchés, une concurrence équitable, la réciprocité, c'est un intérêt qui les concerne tous.
06:51 Et ça, c'est incarné par l'Union européenne qui a cette compétence.
06:58 Et en fait, encore une fois, la Chine, c'est un état-continent.
07:03 Et donc, pour peser face à elle, il faut se présenter en continent.
07:06 Sur le plan économique, il faut se poser en continent.
07:11 Ça n'empêche pas qu'évidemment, on a des intérêts économiques bilatéraux.
07:16 Enfin, je rappelle aussi qu'on a un déficit commercial majeur.
07:20 160 milliards de déficit extérieur globalement en France, un quart avec la Chine.
07:24 Oui, et en fait, le montant a doublé depuis que j'ai quitté la Chine.
07:28 Pas de causet, pas de relation de causet.
07:31 2000 entreprises françaises en Chine, là où l'Allemagne, on a plus de 5000.
07:36 Alors, vous parliez tout à l'heure notamment du nucléaire, des secteurs importants.
07:41 Mais nous sommes un partenaire économique secondaire de la Chine.
07:44 Alors, on a des points très forts que j'ai évoqués tout à l'heure.
07:49 Je pense qu'il y aura un certain nombre de contrats, effectivement.
07:52 Mais les pratiques allemandes sont différentes.
07:55 Il y a à la fois les très grosses entreprises.
07:57 BASF qui vient encore d'investir, Volkswagen.
08:01 En Chine, c'est Dassa Auto quand vous arrivez à l'aéroport.
08:05 Et toutes ces machines sont fournies, bien évidemment, par l'Allemagne.
08:11 Et l'Allemagne, nous, on a des grosses entreprises.
08:14 Et l'Allemagne, il y a surtout le Mittelstand qui est le tissu des entreprises.
08:20 Et qui est extrêmement dynamique.
08:23 Et puis, l'Allemagne s'est construite là-dessus.
08:26 C'est-à-dire comme un pays exportateur.
08:29 En particulier vers la Chine.
08:31 C'est un pays qui comptait aussi sur l'OTAN pour sa sécurité.
08:35 Et sur la Russie pour l'énergie.
08:37 Vous releviez à quel point le déficit s'était creusé entre France et Chine depuis quelques années.
08:41 Pourquoi cela ? Qu'est-ce qui s'est passé pour que, à ce point, le déficit des relations commerciales avec la Chine se creuse ?
08:47 C'est fonction de... On parle souvent, effectivement, de concurrence inéquitable.
08:52 C'est vrai qu'il y a des subventions chinoises.
08:54 C'est vrai que le marché est fermé dans certains domaines.
08:58 Même s'il y avait eu, dans cet accord sur les investissements croisés, avorté un certain nombre de concessions de la part de la Chine.
09:06 Mais comme la structure des importations françaises n'est pas du tout la même que la structure des importations allemandes.
09:13 Eh bien, ça explique notre déficit.
09:16 Mais par rapport à l'Allemagne, on fait 4 fois moins.
09:22 C'était le cas à l'époque. En tout cas, je n'ai pas vérifié.
09:25 C'est effectivement beaucoup.
09:26 Deux questions sur l'appli. Est-ce que notre président va parler du Tibet, du Xinjiang ?
09:31 Des sujets qui fâchent.
09:33 Il a déjà posé, avant même de partir, Emmanuel Macron, que lui n'aborderait pas Taïwan.
09:38 Sauf si la Chine est demandeuse d'aborder le sujet.
09:43 Pourquoi prendre cette position "je ne parlerai pas de Taïwan" ? Comment explique-t-on ça ?
09:47 Pour le moment, c'est le sujet chaud. Mais on a toujours eu une position claire sur Taïwan.
09:52 C'est la politique d'une seule Chine.
09:55 Et en même temps, ce qu'on demande, c'est le respect du "statut quo".
09:59 C'est-à-dire, bien évidemment, pas d'intervention à Taïwan.
10:02 En contrepartie, pas de déclaration d'indépendance.
10:05 Et puis, le respect de la liberté de navigation dans la zone.
10:10 Donc, on a une position plutôt claire.
10:13 Donc, ce que vous nous dites, c'est qu'il n'y a pas de raison d'arriver en disant "je vais parler de Taïwan".
10:16 Non, ni de dire "je vais parler", ni de dire "avant, je n'en parlerai pas".
10:20 Sauf si c'était une réponse à une question, bien sûr.
10:23 Ce qui peut arriver, les droits de l'homme, le Tibet, le Xinjiang.
10:28 Est-ce que dans le contexte de la guerre en Ukraine, on va essayer de mettre les questions de droits de l'homme sous le tapis, comme on dit ?
10:34 Alors, c'est toujours des sujets qui sont difficiles à évoquer.
10:37 Et en général, c'est fait en bilatéral et non pas sur la place publique.
10:43 La Chine ne l'accepte plus. C'est à un moment où c'était un pays en faible croissance.
10:50 Elle le supportait. Aujourd'hui, non, elle réfute cela.
10:56 Donc, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas en parler du tout.
10:58 Mais, encore une fois, ce n'est pas la peine de refaire une grande déclaration publique.
11:04 Ça, c'est une question intéressante pour la diplomate.
11:07 Quand un sujet comme les droits de l'homme est abordé, vous nous dites plutôt en bilatéral.
11:11 Vous entendez pas devant micro et caméra. Qu'est-ce qui se passe derrière ?
11:15 D'abord, ça a beaucoup évolué. Enfin, derrière, vous voulez dire les réactions des Chinois.
11:21 Les réactions des Chinois. Est-ce que ça a le moindre impact que ce soit ?
11:24 Est-ce que les Chinois se disent "Ouh là là, on s'est fait rattraper par la patrouille" ?
11:27 Non, c'est simplement qu'ils considèrent que c'est totalement inadmissible.
11:31 Parce que pour eux, c'est complètement de l'ingérence.
11:33 Mais ça dépend comment vous le dites.
11:35 On peut estimer, être fondé à dire qu'il y a eu une préoccupation. Il y a une manière de formuler les choses.
11:42 Mais, évidemment, de ne pas en faire une condition pour d'autres rapports, c'est totalement irréaliste.
11:49 C'est contre-productif.
11:51 Moi, je pense que c'est, oui, contre-productif. En tout cas, ça ne...
11:57 Encore une fois, je ne dis pas qu'il ne faut pas en parler du tout.
12:00 Mais il y a une manière de le faire et pas en posant des conditions.
12:04 Parce qu'on le faisait quand on était en situation de force. On n'est plus en situation de force.
12:09 Là encore, en coulisse, si j'ose dire, en tout cas du côté des diplomates,
12:13 une visite d'État en Chine se prépare très différemment d'une visite d'État au Royaume-Uni, aux États-Unis, avec ce régime particulier.
12:22 Comment ça se passe ? Il y a des discussions fluides, régulières, entre les différents services. Comment ça se passe ?
12:28 Oui, tout à fait. En général, c'est assez rodé. Parce que vous avez les deux protocoles.
12:32 Vous avez une visite préparatoire du protocole, en général, 15 jours ou trois semaines avant.
12:38 Et puis des échanges quasiment quotidiens quand on prépare une visite.
12:42 Moi, j'en ai eu de Nicolas Sarkozy et de François Hollande en Chine.
12:48 Et effectivement, tout est millimétré.
12:53 Et quand il y a des demandes de rencontres de personnalités dissidentes, ça ne plaît pas beaucoup.
12:59 Ça s'est fait dans le passé. Mais aujourd'hui, encore une fois, la Chine a évolué.
13:03 Elle considère qu'elle est la deuxième puissance mondiale et qu'elle n'a pas à recevoir de leçons ou qu'on ne peut rien lui imposer.
13:10 Et ces visites-là, c'est de l'ordre de l'affichage ou il y a réellement un travail de fond,
13:15 que ce soit lors des discours officiels ou en bilatéral, on pose des jalons, on fait un travail de fond.
13:21 - Quel impact ça a ce type de visite au fond ? Vous allez me dire que ça dépend j'imagine.
13:25 - Non, mais c'est très important parce que, surtout depuis le Covid,
13:31 on s'est parlé derrière écran interposé en lisant des positions de principe,
13:36 des éléments de langage où il n'y a aucune fluidité et aucune compréhension de la position de l'autre.
13:42 Moi, j'ai des souvenirs de discours d'inné entre chefs d'État.
13:46 Je n'y étais pas d'ailleurs, c'est eux qui me l'ont rapporté ensuite.
13:49 Très intéressant effectivement avec Xi Jinping où il y a une vraie réflexion.
13:53 C'est-à-dire, une fois passée la discussion et les négociations,
13:56 bon là, il y a des résultats, il y a des résultats sur les questions économiques,
13:59 vous avez souvent une déclaration commune, c'est important, ça fait progresser les choses.
14:03 Mais je pense que la compréhension des positions de l'autre, une explication...
14:10 - Ça passe par du direct.
14:12 - Par du direct, mais je vois votre geste, ce n'est pas nécessairement confrontationnel.
14:15 - Oui, oui, c'était...
14:17 - Non, mais c'est important d'avoir des relations humaines,
14:20 ce qui a quand même beaucoup manqué pendant trois ans,
14:22 et ce qui était la négation de la diplomatie.
14:24 - Sauf erreur de, ce sera ma dernière question,
14:26 sauf erreur de ma part, Xi Jinping est arrivé au pouvoir alors que vous étiez à l'ambassade.
14:30 Vous diriez que c'est une dictature aujourd'hui la Chine ?
14:33 - Moi, j'emploie plutôt le terme de régime autoritaire
14:38 et qui effectivement s'est durci par rapport à la période que j'ai connue incontestablement,
14:43 où les libertés publiques sont quand même très largement bafouées.
14:49 Et puis surtout, il y a eu un renforcement du contrôle de parti,
14:53 y compris dans le secteur économique, ce qui n'était pas le cas à l'époque.
14:57 Il y avait même une certaine liberté de parole.
15:00 - De parole en tout cas.
15:01 - Et d'entrepreneur.
15:02 - Merci beaucoup Sylvie Berman d'être venue au micro de France Inter.
15:05 Je cite votre livre "Madame l'ambassadeur de Pékin à Moscou, une vie de diplomate".