Coralie Fargeat, réalisatrice du film “The Substance”, en salles le 6 novembre (un film France Inter), est ce matin l'invitée de Marie Misset.
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Le film de la nouvelle tête de Marie Misset, ce film s'appelle The Substance, j'essaye
00:06de dire avec l'accent, et votre nouvelle tête, Marie Misset, est sa réalisatrice
00:10Corélie Fargeat.
00:11Oui, et moi je ne vais pas dire avec l'accent, on ne prend pas ce risque.
00:13On rentre tout de suite dans le vif du sujet.
00:15Avez-vous déjà rêvé d'une meilleure version de vous-même ? Plus jeune, plus belle, plus
00:24parfaite.
00:25Une seule injection générera une autre version de vous-même.
00:34Voici la Substance.
00:39Merci d'avoir fait une aussi belle présentation dans votre bonne annonce, ça a rendu les
00:44choses faciles.
00:45Bonjour Corélie Fargeat.
00:46Bonjour.
00:47Alors, vous avez écrit et réalisé The Substance, ce film hallucinant, je n'ai pas d'autres
00:52mots.
00:53Demi Moore joue une actrice, oscarisée, devenue reine du fitness, virée du jour au lendemain
00:56par un Dennis Quaid incroyable, producteur dégoûtant qui mange avec les doigts et qui
01:01s'appelle Harvey dans le film.
01:03Virée parce qu'elle est trop vieille, à 50 ans, elle prend donc cette fameuse Substance.
01:07Même en entendant ces 15 secondes de bande-annonce, on a une petite idée de l'ambiance sonore
01:12du film, de la claque qu'on se prend pendant 2h20, peut-être pas du niveau d'hémoglobine
01:17concernée.
01:18En revanche, à Cannes, il y a des gens qui se sont cachés les yeux, mais la salle était
01:22survoltée.
01:23Vous avez eu le prix du scénario avec un jury, présidé par un des cinéastes que
01:27vous aimez le plus, David Cronenberg, qui lui aussi a fait du Body Horror, ce sous-genre
01:33que vous maîtrisez parfaitement dans The Substance.
01:36Et pourtant, Cannes, c'était pas gagné d'y aller, non Coralie Fargeat ?
01:39Alors, je corrige juste, le jury était présenté par Greta Gerwig.
01:43C'est vrai, j'ai décidé que ce serait David Cronenberg pour vous faire plaisir.
01:47Mais j'adore David, donc ça me va très bien.
01:50En effet, Cannes, c'était une immense surprise et une immense joie, parce que c'est
02:01le premier endroit qui a vu le film, c'est la première fois qu'on montrait le film
02:04devant un public et c'est la première fois par le comité de sélection et Thierry Frémaux
02:08que le film a été aimé, a été vu et a été choisi pour incarner quelque chose.
02:15Et c'est vrai qu'étant donné le côté assez clivant du film, assez innovant, assez
02:22inédit, il n'a pas toujours été regardé avec ses yeux d'amour et toute l'histoire
02:29du film, c'est « They are going to love you ». On cherche à être aimé et tout
02:33ce qu'on fait, c'est parce qu'on cherche cet amour et cette reconnaissance et ça nous
02:37fait parfois vraiment aller très très loin.
02:41Et donc me retrouver là, pour moi, dans le temple du cinéma qui m'a bercé, qui incarne
02:47ce rêve, mon Walk of Fame à moi, c'était évidemment une émotion incroyable et de vivre
02:53cette première projection avec la salle qui en effet était survoltée et ça, c'était
02:58magique d'être avec mes actrices, mes acteurs, une partie de mon équipe, c'était un immense moment.
03:03Alors que la première fois que vous l'avez montré, ce film, c'était à Universal,
03:06votre distributeur, ils ont détesté, ils ont d'ailleurs lâché le film.
03:10Qu'est-ce que ça raconte ça pour vous, justement ?
03:12C'était un moment très difficile parce qu'en effet, un film, c'est 5 ans de travail,
03:19c'est un investissement émotionnel hyper important sur un film très personnel.
03:26Donc c'est vrai que quand on n'est plus désiré, quand on n'est plus aimé, c'est
03:30toujours très difficile et on peut soi-même se sentir monstrueux, ce qui est l'histoire
03:35du film.
03:36Donc ça a été tout d'abord pour moi, une énorme déception parce qu'on a envie
03:41d'être porté, on a envie d'être soutenu et on se retrouve seul à terminer un film.
03:46Après, à mon sens, ça raconte aussi évidemment beaucoup de ces enjeux de domination, des
03:55sujets qu'on a envie de défendre ou pas spécialement, là il s'est trouvé que
03:59ce n'était pas.
04:00Et je pense qu'on a besoin de gestes proactifs, qu'on aime ou qu'on n'aime pas un film
04:06d'ailleurs, sur les histoires qu'on a envie de porter dans le monde.
04:10Et là, ça a été porté par quelqu'un d'autre.
04:12Vous avez fait un très beau pied de nez à ce qui vous est arrivé.
04:15Alors moi, ce qui m'a frappé, c'est vraiment la façon dont vous avez représenté la haine
04:18de soi.
04:19C'est un truc très jouissif à l'écran.
04:21Demi Moore et sa version plus jeune, qui sont donc une seule et même personne, finissent
04:25vraiment par se taper dessus.
04:26La violence de cette haine que le film peut vraiment représenter, c'était ça qui
04:31vous apportait au tout début ?
04:32Oui, en fait, j'ai vraiment puisé dans ma propre expérience pour incarner et sortir
04:41cette histoire de moi, qui est quelque chose que j'ai vécu au quotidien, je pense que
04:45depuis que je suis petite fille, sur à quel point les regards, les normes, les représentations
04:51qui sont celles qui nous disent « vous êtes une bonne femme si vous ressemblez à ça
04:56ou si vous vous comportez comme ça », qui est quelque chose dans lequel je ne me suis
05:00jamais sentie correspondre, m'a fait me sentir comme un monstre très souvent et m'a fait
05:07développer à plein de moments une violence face à moi-même, une haine.
05:12Mais c'est vraiment visible dans le film et moi, je trouve ça très impressionnant
05:16à voir.
05:17Le son prend une très, très grande place dans le film.
05:20On entend beaucoup de bruits, la musique est très forte, ça fait vraiment partie
05:23de l'expérience.
05:24On peut écouter un petit bout, c'est un britannique rafferty qui a créé cette ambiance
05:28sonore ultra présente.
05:30Je ne sais pas s'il y a un bout qui arrive, s'il arrive, il arrive, s'il n'arrive pas,
05:33il n'arrive pas.
05:34Qu'est-ce que vous vouliez que la musique nous fasse, Coralie Fargeat ?
05:37L'idée, c'était que la musique fasse ressentir l'expérience viscérale et l'expérience
05:43corporelle qu'est le film, donc il y avait ce côté bruit, ce côté expérimental, ce
05:47côté de pulsation qui raconte le corps et toutes ses déformations, avec aussi un
05:54côté émotionnel par moment de cette fêlure, de ce désir d'amour qui pour moi sont vraiment
06:01les deux jambes du film et c'est vrai que Rafferty, pour moi, avait ça quand j'ai écouté
06:05ce qu'il avait fait.
06:06Il y avait ces deux composantes-là.
06:07J'ai bien rigolé parce qu'il y a une cinquantaine de titres et il y en a un qui s'appelle
06:10Blood et juste après il y en a un qui s'appelle More Blood, du sang, encore plus de sang.
06:15Il y a aussi beaucoup de bruit de bouche, de bruit de corps.
06:17C'est ma dernière question pour vous Coralie Fargeac, c'est quoi votre relation au dégoût ?
06:23Je ne l'appellerai pas comme ça parce que pour moi j'ai vraiment sorti la sincérité
06:29de mes tripes qui sont quelque chose qu'on est habitué à cacher, à garder à l'intérieur,
06:35à considérer comme honteux sa part d'ombre, sa part qui n'est pas le sourire ultra-bright
06:41et pour moi de sortir tout ça en montrant ceci est moi, ceci fait partie de moi, c'était
06:46plutôt une vraie libération assez jouissive que dégoûtante.
06:51Que vous permet d'ailleurs ce sous-genre du body aurore, ça vous permet comme ça
06:55d'être totalement libre.
06:56Merci Coralie Fargeac pour ce film hallucinant qui en va finir la semaine prochaine, promis
07:01vous ne serez pas déçus.
07:02En revanche, mangez pas trop avant, c'est mon petit conseil.
07:05Et puis si on veut vous entendre plus longuement Coralie Fargeac, c'est chez Eva Bester la
07:09semaine prochaine dans la 20ème heure.
07:11Merci beaucoup.
07:12Merci Coralie Fargeac, merci Marie-Mie, c'est bon.