Décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites : «Elle n'est guère surprenante», estime Jean-Philippe Derosier

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Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Ensemble, ils reviennent sur la décision du Conseil constitutionnel concernant la réforme des retraites.
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Transcription
00:00 Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le constitutionnaliste Jean-Philippe Dorosier.
00:06 Bonjour Jean-Philippe Dorosier, bienvenue sur Europe 1, vous êtes professeur en droit public, vous enseignez à l'université de Lille,
00:11 auteur d'un blog intitulé "La constitution décodée", il y a du travail en ce moment à ce sujet.
00:16 Le conseil constitutionnel, Jean-Philippe Dorosier, il était censé par sa décision vendredi clore le contentieux sur les retraites.
00:24 On voit qu'il n'en est rien, sa décision de non-conformité partielle, c'est-à-dire la validation de l'essentiel du projet de loi sur les retraites,
00:31 mais partielle seulement, donc n'a absolument pas éteint la contestation syndicale qui en appelle maintenant à un gros 1er mai.
00:37 Alors on va laisser de côté les réactions politiques Jean-Philippe Dorosier, on va regarder ce qu'a validé le conseil constitutionnel vendredi,
00:43 ou plutôt, peut-être prenons les choses dans l'autre sens, qu'ont retoqué les sages exactement Jean-Philippe Dorosier ?
00:48 Alors ils ont retoqué ce que dans notre jargon de constitutionnaliste on appelle les cavaliers sociaux, c'est-à-dire, vous savez, on s'en souvient,
00:55 le gouvernement a fait le choix de passer par une loi de financement de la sécurité sociale, ce qui veut dire une loi budgétaire,
01:02 et on ne peut pas mettre tout et n'importe quoi dans une loi budgétaire, et les dispositions qui n'ont pas leur place dans ce type de loi s'appellent des cavaliers,
01:09 une espèce de cavalier social, donc ce sont des dispositions qui n'ont pas d'impact ou un impact trop indirect sur le budget de la sécurité sociale.
01:17 Alors j'ai lu beaucoup de vos confrères réagir, vos confrères constitutionnalistes, à la décision du conseil constitutionnel qui s'impose donc,
01:24 mais cette décision vous paraît-elle bien fondée en droit, bien motivée ? Je vous pose cette question ce matin Jean-Philippe Dorosier,
01:32 parce que par exemple votre confrère Dominique Rousseau estimait dans les colonnes du journal Le Monde ce week-end que ce n'est pas le cas,
01:38 c'est pas bien fondé en droit, c'est pas bien argumenté ces décisions de vendredi.
01:42 - Alors Dominique Rousseau a dit beaucoup de choses avant la décision, puis après la décision, qui ne m'ont pas surpris en tout cas ses propos après la décision,
01:52 la décision du conseil constitutionnel dit le droit, et effectivement notre rôle de juriste est de l'analyser, et le cas échéant de la critiquer,
02:01 c'est son avis, qu'elle n'est pas bien fondée, elle n'est guère surprenante en réalité, on aurait espéré, et moi le premier,
02:09 que le conseil constitutionnel fasse peut-être preuve d'un petit peu plus d'audace, et qu'il retienne que le véhicule législatif sélectionné,
02:17 cette fameuse loi de financement de la sécurité sociale n'était pas adaptée, parce qu'il n'a pas été imaginé pour faire une telle réforme.
02:23 - Le fait que ça n'a pas été voté par le Parlement non plus, par l'Assemblée nationale.
02:26 - Alors ça c'est encore moins surprenant, parce que c'est déjà arrivé, le 49-3 est un article de la Constitution qui peut tout à fait être utilisé,
02:35 et il est même arrivé que des lois soient adoptées sans même avoir été votées par le Sénat, alors là il y a eu un vote du Sénat.
02:42 Donc la décision n'est pas véritablement surprenante, encore une fois, comme je le disais, on aurait aimé qu'elle soit peut-être un petit peu plus audacieuse,
02:49 elle aurait pu être plus protectrice des droits du Parlement, précisément retenir que le Parlement a été quelque peu malmené,
02:56 notamment au Sénat, plusieurs milliers d'amendements ont été retoqués, déclarés irrecevables.
03:01 - Le Conseil constitutionnel a aussi pointé qu'il y avait eu par exemple des erreurs d'estimation, des erreurs de chiffrage,
03:06 qu'il y avait eu cumul de procédures, que c'était assez inhabituel, mais bon, il n'y avait pas de faute constitutionnelle du Sénat.
03:12 - Oui, il a retenu ce cumul de procédures de façon inhabituelle, mais qui n'est pas inconstitutionnelle, dans le cadre de ce débat-là,
03:20 et en réalité, si on devait traduire ça, ça veut dire qu'aux excès du gouvernement,
03:26 ont correspondu en réalité les excès aussi du Parlement, et notamment d'une partie du Parlement, à savoir l'opposition,
03:32 qui s'est cachée derrière l'obstruction, plutôt que de faire preuve d'un débat peut-être plus serein, d'opposition certes,
03:39 mais on a bien vu que si le texte n'est pas allé au bout à l'Assemblée nationale,
03:44 ce n'est pas parce qu'il manquait de temps, mais parce que l'opposition, notamment la France insoumise, a fait en sorte que ce texte n'aille pas au bout.
03:51 - Alors, le droit constitutionnel, ce qui est assez difficile à saisir, et c'est la question que je vous pose ce matin,
03:56 c'est une science exacte, ou bien c'est un art de l'interprétation ? On est un peu perturbés quand on n'est pas expert dans votre matière,
04:03 quand on voit des professeurs en droit constitutionnel, certains dirent que le Conseil constitutionnel a bien décidé,
04:10 d'autres dirent "bah non, pas du tout", comme je vous le disais à l'instant.
04:12 - Je n'ai pas dit que le Conseil constitutionnel a bien décidé, j'ai dit que sa décision était motivée, qu'elle dit le droit,
04:17 j'aurais aimé qu'il aille plus loin, et effectivement, une autre voie aurait été possible, ce qui me permet de répondre à votre question.
04:24 Non, le droit constitutionnel n'est pas une science exacte. Il y a effectivement lieu à de l'interprétation,
04:30 le droit est la plus puissante école de l'interprétation, dit-on. Et effectivement, le droit constitutionnel n'y échappe pas,
04:37 on aurait pu avoir une interprétation plus respectueuse du droit du Parlement.
04:40 Notre constitution place le pouvoir exécutif, le gouvernement et le président de la République, dans une place de domination par rapport au Parlement,
04:50 ce dernier subordonné davantage qu'équilibré par rapport au pouvoir exécutif,
04:55 et cela fait de nombreuses années que l'on mène des réflexions pour savoir s'il faut, et si oui, comment rééquilibrer ces pouvoirs.
05:02 On l'a fait en 2008, peut-être est-ce encore insuffisant, et des réflexions sont entamées sur ce sujet.
05:09 - Quid de l'autre décision de vendredi, Jean-Philippe de Rosier, celle sur le référendum d'initiative partagée ?
05:16 Alors elle a été rejetée, je crois savoir que c'est vous justement qui aviez rédigé cette...
05:21 - Non, je n'ai pas rédigé le référendum, j'ai rédigé la saisine sur la loi de réforme des retraites.
05:26 - Alors pourquoi ça a été retoqué par le Conseil constitutionnel ?
05:29 - Cette proposition référendaire a été retoquée parce que le Conseil constitutionnel, là encore dans le prolongement de sa jurisprudence,
05:36 il n'y avait pas véritablement de surprise, a retenu qu'il ne s'agissait pas d'une réforme.
05:40 L'article 11 permet un référendum d'initiative partagée sur une réforme de la politique sociale.
05:46 Or, le Conseil se place au moment où il est saisi, et au moment où il a été saisi de cette proposition de loi,
05:52 le départ à la retraite était fixé à 62 ans, et cette proposition de loi disait que le départ à la retraite était fixé à 62 ans.
05:58 - On ne réforme pas en proposant l'identique. - On ne réforme pas en proposant la même chose.
06:03 - Mais quel est l'intérêt maintenant, puisque ça a été retoqué, il y en a une deuxième saisie ?
06:07 - Tout à fait, c'est la raison pour laquelle cette deuxième a été déposée juste avant que la décision soit rendue,
06:12 en anticipant un petit peu cette décision, et pour sécuriser le recours au référendum,
06:17 en ajoutant un deuxième article sur le financement des retraites, et réformant le mode de financement des retraites.
06:25 C'est-à-dire que la proposition de loi dit "on maintient 62 ans", mais pour combler l'éventuel déficit budgétaire de la caisse des retraites,
06:32 on prévoit une nouvelle forme de financement pour l'alimenter.
06:36 - Avec une grosse réforme fiscale à la clé quand même, et alors justement, là je lis des choses intéressantes,
06:40 on me dit "il y a techniquement aussi peu de chances finalement que cette deuxième saisine passe",
06:44 alors la question qui se pose c'est, on imagine bien que les opposants savent ce genre de choses,
06:49 vous proposez une grosse réforme fiscale pour créer un nouvel mode de financement des retraites,
06:53 les opposants combattent-ils vraiment la réforme ou est-ce qu'ils font semblant ?
06:57 - Ce n'est pas tant une grosse réforme fiscale, c'est une réforme sociale qui est financée,
07:03 c'est-à-dire que les instigateurs de ce référendum veulent maintenir la retraite à 62 ans,
07:09 et prévoir un financement pour cette retraite à 62 ans.
07:13 Et le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la taxation des super-profits,
07:18 qui a été un petit peu mal interprétée parce qu'on a considéré qu'il avait dit non parce que c'était une réforme fiscale,
07:23 mais en réalité il avait dit non parce que ce n'était pas véritablement une réforme,
07:27 et c'est pour ça que je disais que la décision de vendredi est dans le prolongement de cette jurisprudence-là.
07:32 Et là, moi je ne suis pas aussi pessimiste que ceux que j'entends sur précisément ce deuxième RIP,
07:37 je pense qu'il a ses chances, nous le verrons le 3 mai, mais il y a là matière à réforme,
07:42 et le fait que cette réforme soit financée devrait effectivement permettre au Conseil constitutionnel de la rendre recevable.
07:48 - Merci Jean-Philippe de Rosier d'être venu nous voir sur Europe 1, j'invite les auditeurs que ça intéresse à aller voir votre blog "La Constitution décodée".
07:56 - Merci. - Bonne journée à vous.

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