• l’année dernière
Le conflit entre le juge et le peuple serait-il indissociable des systèmes démocratiques modernes ? C’est toute la question posée dans "Le gouvernement des juges" de Frédéric Rouvillois. Le professeur de droit public, spécialiste du droit constitutionnel et des libertés fondamentales, analyse la manière dont l’expression "gouvernement des juges" a été établie et utilisée depuis le début du XXème siècle jusqu’à nos jours. Car au-delà de savoir si l’on a ou pas "un gouvernement des juges", Frédéric Rouvillois insiste, dans cette recherche très documentée, sur l’orientation et l’argumentation essentiellement politiques de ceux qui utilisent la formule. En effet, aux Etats-Unis comme en France, cette dénonciation d’un pouvoir perçu comme antidémocratique et contre-majoritaire émane aussi bien de la gauche que de la droite, suivant les intérêts en jeu. Derrière ce débat, toujours actuel et international, qui s’est mondialisé avec l’essor de la thématique de l’Etat de droit et l’émergence de la notion de post-démocratie, c’est tout simplement l’histoire d’un mythe politique qui est dévoilé dans cet entretien.

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Transcription
00:00 Professeur agrégé de droit public à Paris, Frédéric Rouvillois enseigne le droit constitutionnel,
00:10 mais aussi le droit des libertés fondamentales.
00:13 Et il est notre invité pour présenter son nouveau livre intitulé "Le gouvernement
00:17 des juges".
00:18 C'est aux éditions Desclés de Brouwer et en vente sur le site TVL.fr, sur la boutique
00:23 TVL.fr.
00:24 Professeur Rouvillois, bonjour.
00:26 Bonjour.
00:27 C'est un plaisir de venir à TV Liberté avec ce terme "Le gouvernement des juges".
00:31 Je pense que vous vous posez la question de la place du juge dans nos sociétés modernes.
00:36 Dans nos sociétés modernes, en réalité cette place du juge a toujours été importante.
00:41 Y compris sous l'ancien régime où au fond les juges occupent une place sinon déterminante,
00:49 du moins essentielle, y compris sur un plan politique.
00:52 Et au fond, même si le terme "le gouvernement des juges" est un terme relativement récent,
00:57 puisqu'il remonte au début du XXe siècle, au fond la question peut presque se poser
01:04 à l'époque, enfin sous l'ancien régime, mais par exemple à l'époque de Louis XV
01:08 ou de Louis XVI avec la réforme de Goupoux, avec Louis XVI qui ne sait pas très bien
01:11 comment faire.
01:12 Et ces juges qui veulent effectivement prendre de plus en plus de pouvoir, qui veulent au
01:18 fond, qui aimeraient bien gouverner à la place du roi.
01:20 Vous êtes professeur de droit constitutionnel, je l'ai dit, on est dans l'histoire du
01:24 droit, on va être dans l'histoire tout court parce que c'est important de faire
01:27 je pense un petit point d'histoire pour nos téléspectateurs.
01:30 C'est en 1921 que dans un essai marxisant, Édouard Lambert popularise cette expression
01:36 "gouvernement des juges", elle-même qui avait d'ailleurs été forgée aux Etats-Unis
01:40 par un juriste, lui marxiste, dès 1911.
01:43 Donc c'est ça, cette notion de gouvernement des juges, elle apparaît aux Etats-Unis
01:48 dans cette période de 1910-1911.
01:49 Et la période aux Etats-Unis, alors ce qui est important effectivement, comme vous l'avez
01:53 esquissé, d'une part c'est que, il est bien évident que le terme de gouvernement
01:58 des juges a une connotation négative.
02:00 A de très rares exceptions près, quand on parle de gouvernement des juges, c'est
02:05 pour expliquer que les juges assument un pouvoir qui n'est pas le leur.
02:09 Autrement dit qu'ils sont dans un processus d'usurpation du souverain qui en démocratie
02:15 donc est le peuple.
02:16 Les juges qui gouvernent, c'est les juges qui ne font pas leur boulot, qui est de juger,
02:21 qui est d'appliquer la loi, mais qui se substitue donc à ceux qui devraient le faire.
02:26 – À l'exécutif et au législatif.
02:27 – Exactement.
02:28 Ça c'est le premier point.
02:30 Le deuxième point que vous avez mis en avant, c'est le caractère marxiste à la fois
02:38 du professeur de droit public français Édouard Lambert, qui va populariser ce terme effectivement
02:43 en France et dans le monde francophone, et également des racines américaines de la
02:50 chose.
02:51 Il y a effectivement, dès le départ, une connotation marxiste, socialiste, etc.
02:57 Et surtout, je dirais, une dimension très clairement politique.
03:02 Et c'est ce que j'ai essayé de montrer dans ce livre, qui n'est pas du tout un
03:06 livre réservé aux juristes.
03:08 Le sous-titre c'est "Histoire d'un mythe politique" et c'est ce que j'ai
03:12 voulu essayer de montrer.
03:13 Voilà.
03:14 Qu'on va concevoir et utiliser ce terme, cette formule de gouvernement des juges, en
03:20 fait, non pas pour des raisons qui seraient purement juridiques ou scientifiques, mais
03:26 bien pour des raisons politiques, pour contester un système politique dans sa totalité ou
03:32 dans les dérives qui conduiraient à donner trop de pouvoir au juge.
03:35 Et au fond, ce que fait Édouard Lambert en 1921, c'est très exactement, au fond,
03:42 avec quasiment les mêmes termes, ce que fait Éric Zemmour en 2022.
03:45 Alors, pour que ça soit bien clair dans notre esprit, à cette époque, on est en 1921,
03:52 à cette époque, donc avant la Seconde Guerre mondiale, disons, le camp qu'on pourrait
03:55 qualifier de progressiste, la gauche terme est peut-être impropre, le camp progressiste,
04:00 c'est plus un argumentaire contre le pouvoir des juges, les progressistes sont vraiment
04:05 en guerre contre ce pouvoir des juges.
04:07 Oui, alors ça, effectivement, ça nous surprend à certains égards aujourd'hui, puisque
04:12 depuis pas mal de temps, au fond, les juges sont passés du côté des progressistes et
04:19 on a du côté de la gauche et on a donc plutôt le sentiment spontanément que ce serait un
04:25 peu le contraire, ça devrait être le contraire.
04:27 Sauf qu'effectivement, au début du XXe siècle, les juges, qu'il s'agisse d'ailleurs
04:34 des petits juges, enfin des juges de base, ou des grands juges, notamment aux États-Unis
04:40 de la Cour suprême, et en France, des hautes juridictions que sont le Conseil d'État
04:45 et les Cours de la législation, sont réputés clairement, nettement, à droite, très conservateurs,
04:52 et c'est pour ça, donc, que la gauche va se révolte contre leur soi-disant abus de
04:58 pouvoir, en expliquant que, c'est l'idée centrale de l'ouvrage d'Edouard Lambert
05:05 en 1921, l'idée qu'en fait, aux États-Unis, la Cour suprême est une espèce de contre-pouvoir
05:12 malsain qui empêche, en réalité, l'évolution progressiste de la société et notamment
05:19 l'adoption de lois qui seraient favorables à la condition ouvrière, à l'émancipation,
05:28 etc. etc. Donc, vous voyez, c'est cette idée qui est très claire, les juges sont
05:34 de droite, ils sont conservateurs, par conséquent, il faut contester leur pouvoir qui est perçu
05:40 comme un abus de pouvoir, contraire à une démocratie qui, elle, irait du côté, effectivement,
05:48 du progrès. – Mais alors, dans l'ouvrage, et ça c'est
05:50 assez incroyable, vous évoquez un phénomène remarquable, alors que l'on observe au
05:57 cours de la seconde moitié du XXe siècle, ce que vous appelez un renversement des fronts,
06:02 c'est-à-dire qu'on voit en effet la gauche passer du côté des partisans du gouvernement
06:07 des juges et la droite se ranger du côté des adversaires de ces juges qui nous gouvernent.
06:11 – Exactement, c'est-à-dire, en fait, pour la première moitié du XXe siècle,
06:14 grosso modo, aux États-Unis comme en France, il y a une espèce de parallélisme entre
06:19 les deux qui est extrêmement intéressant, la gauche est contre les juges et donc accuse
06:25 ces derniers de vouloir tendre au gouvernement des juges, tandis que la droite, au contraire,
06:30 se méfiant des emportements d'une démocratie majoritaire susceptible d'aller dans le
06:38 mauvais sens, la droite est au contraire favorable à cette puissance conservée par les juges
06:45 et qui serait au fond la seule manière de protéger les libertés et notamment le droit
06:53 de propriété.
06:54 C'est quelque chose de très saisissant, en France par exemple, je dirais, en France
07:01 pendant la première moitié du XXe siècle, plus on est à droite et plus on est favorable
07:04 au gouvernement des juges.
07:05 C'est-à-dire que la droite libérale explique qu'il faut effectivement des juges, notamment
07:11 qui contrôlent la conformité des lois à la Constitution, parce que sinon les libertés
07:15 sont menacées, mais qu'il n'y a pas vraiment de gouvernement des juges.
07:19 La droite conservatrice ou réactionnaire, incarnée par Raphaël Hallibert, qui tournera
07:25 un peu mal par la suite en devenant le premier garde des Sceaux du Maréchal Pétain, Raphaël
07:31 Hallibert explique qu'il faut absolument des juges, et les juges les plus puissants
07:35 possibles.
07:36 Et il explique qu'au fond, les États-Unis, dans lesquels les juges sont si puissants,
07:41 sont, dit-il, le pays le moins démocratique du monde, au sens positif qu'il entend,
07:49 qui lui-même étant adversaire de la démocratie, considère que les États-Unis c'est merveilleux
07:54 grâce à ça, grâce aux juges.
07:55 Mais, comme vous l'indiquez, il y a effectivement un grand retournement, un basculement, qui
08:03 se produit aux États-Unis en deux temps, en 1937 puis en 1953.
08:10 En 1937, lorsque Roosevelt parvient à faire nommer une majorité, finalement, de gauche,
08:17 on va dire, progressiste, démocrate, au sein de la Cour suprême.
08:21 Puis, à partir de 1953, lorsque le fameux juge Warren prend la tête de la Cour suprême,
08:27 qui va devenir véritablement le fer de lance du progressisme aux États-Unis, avec notamment
08:34 immédiatement l'année suivante le fameux arrêt Brown contre la ségrégation raciale,
08:41 et ensuite jusqu'à les non moins fameux arrêts relatifs à l'avortement dans les années 70.
08:55 – Mais professeur, est-ce qu'on peut parler d'un renversement, d'un basculement définitif
09:00 ou est-ce que ce n'est pas tout simplement au gré des circonstances ?
09:02 Un concours de circonstances aujourd'hui, la Cour suprême, puisque on parle de celle-ci,
09:06 les grands juges, la Cour suprême est conservatrice, et donc là on peut se penser que les démocrates
09:10 ne considèrent pas que la Cour suprême est le sauveur de la démocratie.
09:12 – Exactement, voilà.
09:13 En fait, il y a une espèce de symétrie entre le positionnement politique des juges,
09:21 et notamment de la Cour suprême, ou en France du Conseil constitutionnel,
09:25 et l'utilisation par la droite ou par la gauche de la thématique du gouvernement des juges.
09:30 Et c'est en ce sens qu'on est vraiment en face de ce que Sorel appelait un mythe,
09:35 c'est-à-dire un instrument intellectuel qui ne sert pas à décrire la réalité,
09:41 mais qui sert au fond à la faire évoluer, à la transformer.
09:46 C'est en cela que c'est quelque chose de tout à fait intéressant,
09:51 on est au-delà effectivement de quelque chose de scientifique,
09:54 de strictement ou de rugueusement juridique,
09:57 pour être en face de la construction et l'utilisation d'un outil politique.
10:04 – Est-ce que, professeur, aussi, ce n'est pas l'intervention des opinions publiques ?
10:08 On le voit par exemple en France, le Conseil constitutionnel
10:11 va rendre un avis sur les retraites,
10:14 est-ce que c'est le juge qui fait le droit ou c'est le juge qui fait de la politique ?
10:20 – Alors justement…
10:21 – Je vais vous en parler une seule fois, le Conseil d'État en Vendée,
10:24 la statue de Saint-Michel sur l'espace public,
10:26 le Conseil d'État répond "ça n'est pas possible".
10:28 Et ceux qui défendent les juges vont vous dire "le Conseil d'État répondu en droit".
10:32 Et ceux qui défendent la réalité et la vraie vie vont vous dire que c'est une décision inique.
10:39 Les opinions publiques.
10:40 – Oui, alors on pourrait dire que l'un n'empêche pas l'autre,
10:44 ça peut être en droit et inique en même temps.
10:48 Le terme que vous avez employé, cher Martial, est extrêmement intéressant.
10:52 Vous avez parlé de l'avis du Conseil constitutionnel
10:54 qui va être rendu sur la loi sur les retraites.
10:56 Or, c'est une erreur, mais une erreur qui est très intéressante en fait.
11:02 Pourquoi ? Parce qu'un avis, c'est une simple consultation.
11:05 On donne un avis à quelqu'un qui va ensuite se décider.
11:08 En réalité, ce que va rendre le Conseil constitutionnel,
11:14 ça s'appelle juridiquement une décision.
11:16 Une décision.
11:18 Autrement dit, il ne va pas donner un avis aux uns et aux autres,
11:22 il ne va pas dire "du côté du droit, ce serait plutôt comme ceci ou comme cela".
11:26 Il va décider définitivement, il n'y a aucun recours.
11:31 Que la loi sur les retraites, que le départ à 64 ans, etc.
11:39 c'est ou ce n'est pas conforme à la Constitution.
11:44 Si c'est conforme à la Constitution, si ce n'est rien à voir,
11:47 la loi sera promulguée par Macron dans la foulée et il n'y aura plus rien à faire.
11:53 Et notamment, il n'y aura pas de référendum possible ensuite.
11:57 Si en revanche, il explique que tel ou tel point n'est pas conforme,
12:03 alors ça devient plus compliqué.
12:06 Le point non conforme ne pourra pas faire l'obligation d'une promulgation.
12:11 Et éventuellement, si trop d'éléments sont non conformes dans cette loi,
12:15 la loi dans son entier ne pourra pas être promulguée.
12:19 Il s'agit bien d'une décision et non pas d'un avis.
12:22 Le fait que tout le monde parle d'avis, vous n'êtes pas le seul,
12:25 tout le monde utilise ce terme.
12:27 Dans tous les médias, télévisés, radios, etc. on parle d'avis.
12:31 Et c'est intéressant parce que, en se faisant,
12:35 au fond, on a l'impression que le Conseil n'a pas le pouvoir qui est en réalité le sien.
12:43 Qui n'est pas tout à fait le big boss.
12:46 Ce qu'il est, en un sens, c'est lui qui décide.
12:51 Ce qui est très intéressant sur cette thématique du verbe en juge,
12:57 c'est de prendre conscience que la règle de droit,
13:03 tant qu'elle n'est pas mise en application par un juge,
13:07 c'est une suite de mots, ce sont des phrases.
13:13 C'est le juge qui va, en l'appliquant et donc auparavant en l'interprétant,
13:20 qui va lui donner sa signification.
13:23 Et lorsque c'est un petit juge,
13:26 son interprétation pourra éventuellement être remise en cause par le juge supérieur,
13:31 et ceci jusqu'au juge suprême,
13:33 lorsque c'est le Conseil constitutionnel,
13:35 en revanche, il n'y a aucun recours possible.
13:40 Le sens qu'il va donner, en l'occurrence, à la loi,
13:45 et le sens qu'il va donner à la Constitution, et aux dispositions de la Constitution,
13:51 sur lesquelles il va s'appuyer pour éventuellement censurer ou pour confirmer la loi,
13:57 eh bien, il est le seul maître à bord.
14:00 C'est ça qui est absolument fascinant dans cette histoire-là.
14:03 Il est vraiment le maître, et il est le maître dès lors qu'il doit appliquer une loi, ou une règle.
14:09 – Je reviens à ma question, pardonnez-moi.
14:12 Est-ce que ce basculement que vous évoquez, c'est-à-dire le contournement,
14:17 la gauche soutient le gouvernement des juges et la droite le dénonce,
14:22 est-ce que c'est un basculement définitif, ou est-ce qu'il évolue au gré des saisons ?
14:27 Si vous me permettez l'expression.
14:29 Regardez, en 1964, François Mitterrand publie "Le coup d'État permanent",
14:33 c'est un bouquin obligatoire quasiment à lire quand nous étions étudiants,
14:37 et moi j'ai le souvenir que le futur président se montrait déjà très critique
14:41 à l'égard du Conseil constitutionnel, or il était à ce moment-là de gauche.
14:45 – Oui, alors… – À ce moment-là en 1964.
14:47 – De ce point de vue-là, la gauche a évolué comme les juges eux-mêmes,
14:58 et elle a évolué également comme la Cour suprême américaine.
15:02 Lorsque François Mitterrand écrit "Le coup d'État des juges" en 1964,
15:06 la Cour suprême américaine est dans sa pleine apogée de gauche, si vous voulez.
15:11 Elle est vraiment, comme je vous disais, le fer de lance,
15:14 elle est l'idole des progressistes du monde entier.
15:17 Et ce que dit Mitterrand dans ce livre,
15:20 c'est certes que le Conseil constitutionnel français est actuellement lamentable,
15:26 il explique que c'est le porte-coton, je me rappelle, du président de la République,
15:29 le porte-coton c'est celui qui lui apporte le papier toilette.
15:32 – De Gaulle. – Voilà, de Gaulle donc.
15:35 Mais qu'au fond, ce qu'il faudrait, c'est d'avoir un Conseil constitutionnel
15:42 ou une Cour suprême de gauche, comme on a aux États-Unis,
15:46 qui pourrait faire ce que font les juges américains.
15:51 Donc il est dans ce positionnement-là, et il restera toujours dans ce positionnement.
15:56 Il a toujours été méfiant effectivement à l'égard du Conseil constitutionnel
16:00 tel que celui-ci avait été construit par De Gaulle et Debré en 1958
16:04 avec la Constitution de la Seigneurie républicaine,
16:06 mais toujours très attiré, très intéressé par cette espèce de modèle américain
16:13 ou de contre-modèle américain de la Cour Warren,
16:15 comme on l'appelle, du nom du président de cette Cour suprême,
16:19 qui est celle qui montre le chemin, si j'ose dire,
16:23 à toute la gauche bien-pensante dans les années 60, 70, 80, etc.
16:28 Alors ensuite, effectivement, il y a un retournement,
16:30 et c'est la réponse à votre question, aux États-Unis,
16:33 il y a eu un retournement de tendance,
16:36 mais qui est lié assez largement au mode de nomination des juges américains,
16:42 un retournement de tendance que nous constatons,
16:46 avec joie pour certains d'entre nous en tout cas,
16:49 actuellement avec, effectivement, une Cour suprême
16:52 qui est très majoritairement conservatrice,
16:57 c'est celle qui a adopté la fameuse décision d'Obs
17:00 sur la question de l'avortement en juin dernier,
17:05 et qui donne évidemment des éruptions cutanées incessantes
17:11 aux progressistes et à la gauche,
17:14 et a fortiori à l'ultra-gauche wokiste américaine,
17:17 qui voit effectivement l'ennemi à abattre,
17:20 et qui est absolument furieuse contre Biden,
17:24 parce que celui-ci n'a pas osé faire ce que eux demandaient instamment,
17:30 c'est-à-dire de nommer de nouveaux juges au sein de cette Cour suprême,
17:34 en plus des neuf existants,
17:36 pour pouvoir contrebalancer la majorité conservatrice,
17:40 et rendre cette Cour suprême aussi progressiste qu'elle a pu l'être dans les années 60.
17:47 Donc effectivement, aux États-Unis,
17:50 ça dépend au fond des nominations, des hasards du calendrier politique,
17:55 puisque tous les juges américains sont nommés par le Président des États-Unis
18:00 avec l'accord du Sénat.
18:02 En France, on a un système un peu différent, pour le Conseil constitutionnel,
18:06 qui fait que c'est plus compliqué d'avoir des changements de majorité.
18:10 On a 9 juges, 3 nommés par le Président de la République,
18:12 3 par le Président du Sénat, 3 par le Président de l'Assemblée nationale.
18:15 Et donc, voilà.
18:17 Par ailleurs, il y a le phénomène, et là vous parliez tout à l'heure d'opinion,
18:21 le fait que les juges sont, notamment en France,
18:26 affreusement perméables aux évolutions intellectuelles, sociétales, culturelles, etc.
18:33 et qu'ils sont devenus, à beaucoup d'égards,
18:36 comme ils ont pu l'être aux États-Unis,
18:39 les meilleurs défenseurs d'une remise en cause des fondements de notre civilisation française.
18:47 À beaucoup d'égards.
18:48 – Plus sous la pression des médias, d'ailleurs, que des opinions publiques.
18:51 – Où vous avez raison, c'est que la droite en France,
18:53 la droite classique, elle s'est montrée de plus en plus critique
18:56 à l'égard de cette justice constitutionnelle, ces grands juges,
18:58 qu'on pourrait dire, et ça aboutit, vous avez cité Zemmour,
19:02 à un livre qu'il a écrit en fin des années 90,
19:05 je crois, "Le coup d'État des juges".
19:07 Est-ce qu'il maintiendrait, il maintient encore ce point de vue ?
19:11 – Alors, il maintiendrait ce point de vue,
19:12 et il le maintiendrait de manière encore plus globale que moi,
19:15 parce qu'effectivement, mon livre est centré sur le juge suprême,
19:19 en quelque sorte, c'est-à-dire le juge constitutionnel,
19:22 celui qui va contrôler la loi.
19:25 Zemmour, dans son livre, évoque certes le juge constitutionnel,
19:28 mais il va au-delà, et d'ailleurs, il est allé au-delà
19:30 dans ses discours de candidat à la présidence de la République l'an dernier,
19:36 puisqu'il évoque qu'au fond, les juges, non seulement du bas en haut,
19:42 depuis le juge d'instance, le juge d'instruction, etc.,
19:46 jusqu'au juge constitutionnel, et d'autre part,
19:49 il évoque également, et il a raison de le faire,
19:51 ça, je l'évoque un petit peu dans mon livre,
19:54 le juge européen, et notamment la Cour de justice de l'Union européenne,
20:01 et surtout, bien sûr, la Cour européenne des droits de l'homme,
20:07 qui est là, pour le coup, le fourrier le plus intense du progressisme tous azimuts.
20:14 – Alors, gouvernement des juges, mytho-réalité,
20:17 en fait, vous n'avez pas véritablement répondu,
20:19 parce que, je vous écoute, alors, vous me dites d'un côté,
20:21 ben voilà, certains juges, pas ceux du Conseil constitutionnel,
20:25 eh bien, c'est vrai, ils sont protégés par leur statut,
20:27 mais il y a toujours une possibilité de réserver,
20:30 ou de remettre en cause leurs décisions,
20:32 puis d'un autre côté, vous dites, bien,
20:35 comme un peu Christophe Boutin dans la préface de votre ouvrage,
20:38 que si le juge, il est recruté par sa connaissance du droit, certes,
20:42 il est surtout aussi recruté, maintenant, pour sa conformité à la DOXA
20:46 et à son obéissance à l'oligarchie.
20:48 Donc, alors, est-ce que c'est un mythe, une réalité ?
20:50 Est-ce que c'est un fantôme ? C'est une évidence.
20:52 Il faut répondre à ça, ce mythe.
20:53 – Oui, alors, pour ce qui est tout à fait de recrutement,
20:55 effectivement, il suffit d'écouter un petit peu la radio, la télévision, etc.
21:00 et de voir que personne n'est dupe, de ce point de vue-là,
21:04 quand on regarde la composition actuelle du Conseil constitutionnel,
21:08 il n'y a pas un seul spécialiste, si je veux dire,
21:10 pas un seul professeur de droit public ou de droit constitutionnel,
21:14 et il y a une dame comme Madame Gourault qui est licenciée en histoire,
21:17 c'est bien, licenciée en histoire, mais à priori ça…
21:20 Mais ceci dit, à mes étudiants, je leur explique qu'au fond,
21:24 il suffit, je dirais même pas d'avoir le bac, parce qu'eux ont le bac,
21:28 mais Jean-Louis Debré, par exemple, mais pas bachelier, vous savez,
21:33 il a réussi à monter dans les échelons de la hiérarchie universitaire
21:39 à travers la capacité en droit qui, jadis, permettait,
21:43 peut-être encore maintenant, permettait à des non-bacheliers
21:46 de contourner le baccalauréat et de faire des études de droit.
21:51 Donc voilà, c'est le premier point.
21:55 Et pour conclure, mythe ou réalité…
22:00 – Il faut lire le livre, non ? Il faut une réponse.
22:03 – Je dirais à la fois l'un et l'autre.
22:06 De fait, c'est une réalité, le pouvoir,
22:10 je ne dirais peut-être pas la toute puissante des jugements,
22:12 en tout cas la très grande puissance des juges
22:13 et le pouvoir sans doute abusif des juges est une réalité.
22:19 Maintenant, mythe, oui, mythe aussi, parce que c'est mythe au sens de Sorel,
22:24 au sens d'instrument politique, effectivement, pour aller dans l'arène,
22:29 dans le combat politique et pour éventuellement contester
22:33 le pouvoir de ses ennemis.
22:33 – Donc le gouvernement des juges, au final, fantôme ou évidence,
22:37 les deux à la fois ? – Les deux à la fois.
22:39 – En même temps ? – En même temps.
22:41 – Merci Professeur Rouvillois.
22:43 [Générique]

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