Guillaume Faury, PDG d'Airbus ce 26 avril 2023
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00:00 Guillaume Fauri, bonjour.
00:01 Bonjour Nicolas.
00:02 Et bienvenue à ce micro.
00:03 Quelques éléments rapides pour planter le décor.
00:06 Airbus est leader mondial devant Boeing.
00:08 Vous avez dégagé en 2022 le bénéfice le plus important de votre histoire avec plus
00:13 de 4 milliards d'euros.
00:15 Voilà pour la photo à l'instant T.
00:17 Jeudi, vous présenterez les résultats de l'ensemble de la filière pour 2022.
00:22 Dans 10 jours, vous présenterez les résultats financiers du premier trimestre 2023 pour
00:28 Airbus.
00:29 On va parler dans quelques instants d'écologie, de géopolitique.
00:32 Mais question panoramique pour commencer.
00:33 Pour l'aéronautique, pour votre secteur, la page du Covid est-elle définitivement
00:39 tournée ? La reprise est-elle solide pour Airbus ? Sommes-nous revenus tout simplement
00:45 à la situation d'avant crise ?
00:46 Alors, ça dépend beaucoup de la perspective qu'on prend.
00:49 Du point de vue du marché, c'est-à-dire du transport aérien, oui, les passagers sont
00:54 revenus.
00:55 La demande est différente de ce qu'elle était avant le Covid, mais elle est revenue
00:59 à peu près au même niveau en quantité de passagers transportés.
01:02 En revanche, pour le secteur de la construction aéronautique, qui est notre secteur, on n'a
01:07 pas du tout tourné la page du Covid, au sens où les supply chain, c'est-à-dire les fournisseurs,
01:13 ne sont pas du tout revenus en termes de capacité à fournir et à livrer au niveau où on était
01:18 avant la crise.
01:19 Et pour prendre un chiffre, on a livré 860 appareils en 2019.
01:23 On n'en a livré que 660, c'est-à-dire 200 de moins l'année dernière, alors que la
01:28 demande est complètement revenue.
01:29 Donc l'ensemble du système de production n'est pas revenu au niveau de capacité où
01:34 il était avant la crise, alors que la demande, elle, est là.
01:37 Et donc c'est cet écart entre la demande et l'offre qui est le gros problème qu'on
01:41 a à gérer aujourd'hui.
01:42 C'est pour ça qu'on parle de montée en cadence.
01:43 Il manque des pièces pour fabriquer des avions, on peut le dire aussi simplement que ça ?
01:47 Il manque des pièces, il manque des équipements, il manque des bras, il manque des composants
01:50 électroniques, il manque de la matière première, il manque de la logistique autour du monde.
01:54 C'est tout ce système qui n'est pas revenu au niveau de performance où il était avant
01:57 la crise.
01:58 Il manque quoi par exemple ?
01:59 Des calculateurs, des pièces assez simples, ce qu'on appelle des brackets, il manque
02:04 des sièges.
02:05 Il manque des sièges ?
02:06 Oui, il manque des choses comme ça, des choses assez basiques en fait.
02:09 Et vous voyez le retour à la normale à quel horizon ?
02:13 Alors on sait que 2023 va continuer à être une année difficile et on pense qu'on sera
02:18 revenu au niveau de production qu'on avait avant la crise à la fin de l'année 2024
02:23 ou dans l'année 2025.
02:24 Donc ça fait à peu près cinq ou six ans de crise sur le plan de la capacité à produire.
02:29 Je le disais, vous êtes numéro un devant Boeing, votre éternel rival.
02:34 Est-ce que ce match-là est définitivement gagné, plié ?
02:37 Est-ce que Airbus est et restera à l'avenir le leader incontesté du secteur ?
02:44 Dans l'industrie, il faut être très humble et très modeste.
02:48 En 2018, il semblait que Boeing soit inaccessible et que jamais personne ne pourrait battre
02:55 Boeing.
02:56 Quelques années plus tard, la situation est très différente.
02:58 Ça fait effectivement quatre années de suite qu'on est leader mondial.
03:00 Mais chaque année, le titre est remis en jeu, c'est comme en sport.
03:03 Il ne faut surtout pas considérer que le match est plié.
03:06 Il n'est jamais plié et Boeing revient.
03:08 Boeing est une société qui a beaucoup de capacités à développer, à produire, à
03:14 entreprendre.
03:15 Vous êtes inquiet ou tout de même confiant dans la solidité d'Airbus ?
03:20 Airbus est une société très solide.
03:23 On est aussi en train d'investir beaucoup.
03:24 On innove énormément.
03:25 On a pris un virage extrêmement important en 2019 sur la décarbonisation du transport
03:29 aérien, qui est vraiment le sujet de transformation qui est devant nous.
03:32 Et je suis confiant qu'on va continuer à être une société très performante.
03:36 Mais j'aime l'idée qu'il faut toujours avoir peur de la compétition pour rester
03:40 sur ses gardes, pour surtout pas devenir complaisant.
03:43 Je partage avec vous le fait que je pense que le match n'est jamais plié.
03:47 Est-ce que vous vous attendez à une avalanche de commandes au prochain salon du Bourget
03:52 qui va se tenir au mois de juin ?
03:54 Ce salon du Bourget est le premier depuis quatre ans, puisque celui de 2021 avait été
03:59 annulé, ce qui est rarissime dans l'histoire du salon du Bourget.
04:01 Donc, on veut en faire un très grand salon.
04:03 Pendant le Covid et depuis toutes ces années, le secteur s'est habitué à peut-être moins
04:08 compter sur les salons pour les annonces de commandes.
04:12 Donc, il y aura des annonces de commandes au salon du Bourget.
04:14 Mais je pense que sur l'année, globalement, on va encore avoir une année de très forte
04:17 prise de commande dans l'industrie et en particulier pour Airbus.
04:20 Guillaume Faury, vous avez pour ambition de produire 65 avions à 320 par mois en 2024,
04:27 75 rapidement après.
04:30 Est-ce que ces objectifs ne sont pas trop élevés, notamment pour les 10 000 sous-traitants
04:34 qui travaillent pour vous et qui doivent suivre la cadence ?
04:37 Alors, les 65 dont on parle, c'est le même niveau que celui qu'on avait en 2019.
04:42 Donc, il s'agit juste de revenir au niveau 2019 cinq ans plus tard.
04:45 Il faut remettre les choses en perspective.
04:47 Mais pourtant, oui, c'est difficile de remonter pour les raisons que j'ai expliquées tout
04:50 à l'heure.
04:51 Il y a toute la supply chain mondiale.
04:52 On a trois millions de pièces sur un avion.
04:54 Donc, quand il en manque une, l'avion ne décolle pas, il ne part pas.
04:57 Donc, il faut vraiment que tout le monde soit au rendez-vous et c'est ça le gros défi
05:00 qu'on a devant nous.
05:01 Et donc, on essaye d'accompagner le mieux possible nos fournisseurs.
05:03 Ils sont contents de revenir à des niveaux de production élevés, mais ils ont beaucoup
05:06 de mal à le faire.
05:07 Mais ils peuvent tenir la route ?
05:09 On l'a déjà fait.
05:11 On va le refaire.
05:12 La question n'est pas de savoir si on va y arriver, c'est à quelle vitesse on y arrive.
05:15 Et on est tous mobilisés pour ça.
05:17 Vous employez plus de 130 000 salariés à travers le monde, près de 50 000 en France.
05:22 Vous cherchez à recruter 3500 personnes ici cette année, spécialistes en intelligence
05:27 artificielle, cybersécurité, dans l'exploitation des données, les nouvelles énergies.
05:32 Vous allez les trouver ou c'est pas si facile que ça ?
05:36 Non, c'est pas facile.
05:37 C'est une très bonne question.
05:38 Les métiers sur lesquels on recrute ont changé.
05:41 On demande beaucoup plus de types de compétences différentes aux gens qui nous rejoignent.
05:48 Et donc trouver les gens pour faire fonctionner une industrie comme la nôtre aujourd'hui,
05:53 c'est compliqué.
05:54 Pourtant on est très attractif.
05:55 Airbus est la marque la plus attractive, l'employeur le plus attractif en France et très attractif
05:59 en Europe.
06:00 Donc on n'a pas à se plaindre par rapport à beaucoup de nos collègues.
06:03 Mais pour autant, oui, le sujet de l'emploi aujourd'hui est un gros sujet.
06:07 Et d'ailleurs, au Salon du Bourget, ce sera un des sujets principaux qu'on va mettre
06:10 en avant pour montrer l'ensemble des métiers, l'attractivité, le futur de ce secteur qui
06:16 est absolument exceptionnel au niveau technologique.
06:18 Sans langue de bois, les jeunes veulent travailler aujourd'hui pour une entreprise qui fabrique
06:21 des avions ?
06:22 Oui, vous voyez le classement récent, mais Airbus en numéro 1 du classement pour les
06:26 ingénieurs.
06:27 Donc oui, on est très, très attractif parce que je pense que de plus en plus de jeunes
06:30 ont compris que l'aviation, c'est le mode de transport du futur.
06:33 Il faut le décarboner.
06:34 C'est ce qu'on appelle notre quatrième révolution dans l'aviation.
06:37 Et c'est un très gros travail.
06:38 Enfin, ce n'est pas non plus quelque chose d'impossible.
06:41 On a une feuille de route pour le faire.
06:42 Et oui, les jeunes s'engagent dans un secteur d'avenir qui est d'ailleurs le secteur le
06:46 plus porteur en France aujourd'hui.
06:48 Alors parlons d'écologie.
06:49 Précisément, chez Airbus, vous croyez et travaillez beaucoup sur l'hydrogène.
06:54 Mais la solution pratique aujourd'hui n'est-elle pas du côté des biocarburants employés à
06:59 1%, à 2% en 2025 ? Pourquoi ne pas s'organiser pour monter très rapidement à 50% ? Est-ce
07:07 que l'hydrogène n'est pas un horizon beaucoup trop lointain pour commencer à s'attaquer
07:13 sérieusement à cette question de l'écologie et de la pollution du transport aérien ?
07:18 La feuille de route qui consiste à décarboner l'aviation aujourd'hui, elle est établie
07:22 et elle est très solide.
07:23 Mais elle ne repose pas que sur l'hydrogène.
07:25 D'ailleurs, si on regarde 2050, l'hydrogène a une toute petite contribution à la décarbonisation
07:30 de l'aviation en 2050.
07:31 C'est vraiment la solution de la deuxième moitié de ce siècle, l'hydrogène.
07:34 Mais c'est une solution qui est absolument exceptionnelle parce qu'elle ne met pas un
07:37 gramme de carbone dans l'atmosphère.
07:38 En revanche, à court terme, la feuille de route passe par le remplacement des avions
07:44 très consommants qui représentent encore 80% de la flotte en service, par des avions
07:48 beaucoup plus économes qui sont également certifiés pour 50% de ce qu'on appelle les
07:53 SAF, les carburants durables pour l'aviation, qui sont peu utilisés aujourd'hui mais qui
07:57 ont un énorme potentiel de contribution à la décarbonisation.
08:00 Donc nous Airbus, aujourd'hui, on passe énormément de temps sur ce sujet du développement des
08:04 SAF autour du monde parce que c'est un des éléments essentiels de la décarbonisation.
08:08 Et puis on prépare une autre génération d'avions qui rentrera en service entre 2035
08:12 et 2040, qui va consommer encore 20 à 25% de carburant en moins pour pouvoir utiliser
08:18 100% de carburant durable parce que ces carburants seront aussi plus chers.
08:21 Il faut que l'équation économique fonctionne.
08:23 Donc c'est toutes ces étapes qui sont indispensables au fait d'arriver à décarboner mais qui
08:27 sont aujourd'hui celles sur lesquelles on investit.
08:29 Guillaume Fauré, à ce micro, l'ingénieur Jean-Marc Jancovici disait le 24 novembre
08:34 dernier que l'avion est né avec le pétrole et mourra avec le pétrole.
08:38 On entend beaucoup de bruit sur l'avion à hydrogène qui va permettre de sauver l'aviation
08:43 commerciale mais on exagère disait-il, ou on rend excessivement simple la solution aux
08:48 problèmes.
08:49 Sur ce point, vous lui répondez quoi ?
08:50 Un, que c'est désespérant comme message et que deux, c'est inapproprié.
08:55 Le désespoir est parfois une forme de lucidité.
08:57 Pas dans ce cas-là, c'est aussi inapproprié.
09:00 Ça me rappelle Lord Kelvin qui était un grand mathématicien et physicien qui a dit
09:05 en 1895 "faire voler des objets plus lourds que l'air est physiquement impossible".
09:11 Et en 1903, les frères Wright ont fait voler leur avion.
09:14 Donc voilà, il ne faut pas regarder que dans le rétroviseur, il faut regarder devant
09:18 et on a les solutions pour décarboner l'aviation.
09:20 Donc dire "ça ne marchera jamais", il y a beaucoup beaucoup de cas dans lesquels ça
09:24 a été pris en défaut.
09:25 Mais en l'occurrence, sur le sujet de l'aviation, évidemment on va arriver à décarboniser
09:28 l'aviation, c'est évident.
09:29 Mais il allait plus loin, il posait même le problème de manière radicale pour la
09:34 pollution liée à l'aviation.
09:36 Jean Covissi dit "soit on gère par les prix, soit on gère par les quantités".
09:40 Autrement dit, soit on élève drastiquement les prix d'un billet pour dissuader de prendre
09:46 l'avion, soit on limite le nombre de déplacements d'avion dans une année ou dans une vie.
09:54 Et voilà ces mots, je suis à titre personnel assez favorable à un système communiste.
09:59 Riche ou pauvre, vous auriez droit à trois ou quatre vols dans votre vie, dont deux dans
10:05 votre jeunesse.
10:06 Fin de citation de Jean-Marc Jean Covissi.
10:08 Comment réagit M.
10:09 Herbus en entendant ces propos ?
10:11 Je vous l'ai dit, je trouve ça désespérant et inapproprié.
10:14 Limiter le nombre de vols, c'est ignorer quelques réalités simples.
10:19 Si vous allez de Paris à Toulouse, et l'avion n'est pas fait pour ça, mais on peut aussi
10:22 aller de Paris à Toulouse en avion, la consommation d'un passager par 100 km, c'est à peu près
10:29 2 litres au 100.
10:30 Si vous y allez en voiture, avec une voiture traditionnelle, vous êtes avec 6 ou 7 litres
10:35 au 100, donc vous consommez beaucoup plus à faire votre trajet en voiture qu'à le
10:38 faire en avion.
10:39 Donc mettre une sanction sur l'avion en disant "ah là là, il ne faut pas prendre l'avion",
10:42 c'est ignorer des choses assez simples.
10:44 Si vous regardez le trajet en Europe, le trajet moyen en avion, c'est 1700 km.
10:48 En train, par exemple, puisque c'est aussi un sujet qu'on entend beaucoup, c'est plutôt
10:52 de l'ordre de 250 ou 300 km.
10:54 Donc on n'est pas du tout sur des choses comparables.
10:57 Et évidemment, aujourd'hui, voyager autour de la planète que les gens puissent se rencontrer,
11:02 c'est absolument indispensable pour que sur cette planète, on vive en paix et surtout
11:06 on attaque les gros sujets de société, qui sont des sujets mondiaux, comme par exemple
11:10 la décarbonisation elle-même.
11:12 Donc l'aviation c'est la solution, ce n'est pas le problème.
11:14 Maintenant oui, il faut décarboniser l'aviation, ça c'est absolument clair.
11:17 Mais vous pensez, en voyant l'ampleur de la catastrophe climatique, vous ne pensez pas
11:25 qu'il y aura nécessairement à un moment ou à un autre besoin de tournants plus drastiques ?
11:31 Jean-Marc Jancovici en dessine un, mais il peut y en avoir mille autres.
11:35 Écoutez, moi je voyage beaucoup, de ce point de vue-là je prends l'avion, et je vois
11:40 ce qui se passe dans le monde.
11:41 Dans beaucoup, beaucoup de pays qui sont en développement, l'aviation est une solution
11:45 absolument indispensable à ce développement et au fonctionnement des sociétés, en particulier
11:50 dans des pays où la géographie fait qu'on ne peut pas avoir un réseau dense, ferroviaire
11:55 ou routier, comme des pays comme l'Indonésie ou l'Australie avec sa géographie, ou même
12:00 les Etats-Unis.
12:01 Donc il faut regarder les solutions avec ce qu'elles apportent et aussi avec leurs problèmes.
12:06 Je ne suis pas du tout en train de dire qu'il n'y a pas de problème d'émission de carbone
12:09 dans l'aviation, au contraire.
12:10 Mais ce problème on va le régler, et quand on l'aura réglé, on aura le mode de transport
12:14 idéal.
12:15 L'aviation ne met pas d'impact sur sa route, on n'a pas besoin de créer des voies, d'abîmer
12:20 le sol, de dévaster la faune, la flore, d'impacter le sous-sol, parce qu'on ne met pas de voies
12:26 pour l'aviation.
12:27 L'infrastructure c'est l'air, c'est la nature qui nous l'offre.
12:30 Donc je pense vraiment que l'aviation c'est le mode de transport du futur, et il faut
12:33 travailler sur rendre ce mode de transport du futur compatible de l'environnement.
12:37 Et c'est ce qu'on fait.
12:38 On va passer au standard d'Inter où de nombreux auditeurs nous attendent déjà.
12:43 Bonjour Philippe !
12:44 Oui ?
12:45 Philippe Pelliot de Savoie, bienvenue !
12:46 Oui bonjour ! Moi c'est une constatation.
12:47 Le PDG d'Airbus nous a dit qu'il avait du mal à monter en puissance.
12:57 Moi c'est ce que j'ai vécu jusqu'au Covid.
13:03 On a demandé aux très petits sous-traitants, parce que nous on est sous-traitants d'équipementiers,
13:09 de baisser les prix.
13:10 Il n'y avait que ce mot à la bouche, baisser, baisser, baisser les prix.
13:14 On nous disait même, il ne faut pas investir en France, il faut aller investir en zone
13:20 euro, en zone dollar.
13:22 Il faut aller investir en Inde.
13:25 Le Covid est arrivé, on nous a arrêté toutes les productions, et maintenant que ça a redémarré,
13:33 nous les petits décolteurs, on est allés voir ailleurs, on est allés voir d'autres
13:41 marchés.
13:42 On nous demande beaucoup de choses, on nous dit qu'il ne faut pas rester en France, parce
13:48 que la France c'est rien du tout.
13:49 Donc voilà, c'est la constatation.
13:52 Merci Philippe pour ce témoignage.
13:55 Je voulais réagir.
13:56 Guillaume Faurie, d'un mot ?
13:57 Oui, peut-être.
13:58 Bonjour Philippe.
13:59 D'abord c'est vrai que le Covid ça a été un choc pour l'industrie terrible, puisqu'on
14:02 a baissé énormément la production sur une période très courte, et beaucoup de gens
14:06 ont dû s'adapter et trouver des solutions de survie.
14:08 Donc on est bien conscient de cette situation.
14:09 Je suis aussi, comme ça a été dit précédemment par Nicolas, responsable du JIFAS.
14:14 On a 444 entreprises au JIFAS aujourd'hui d'ailleurs, ça croît fortement.
14:18 Et oui, on fait tout ce qu'on peut pour que la fabrication, le développement, la fabrication
14:23 en France soit compétitif, le reste, parce qu'on a absolument besoin de cet écosystème
14:27 ici.
14:28 Le sujet du dollar est un sujet qui est très compliqué dans notre secteur, puisque l'aviation
14:32 est essentiellement en dollars, les transactions sont en dollars, le pétrole qui est un gros
14:36 poste de coût pour les compagnies aériennes est en dollars, et on a besoin de trouver
14:40 un équilibre euro/dollar qui a des impacts assez forts pour tout le monde.
14:44 Maintenant, j'espère que vous allez revenir dans l'aviation, on a connu notre crise la
14:47 plus sévère depuis l'histoire de l'aviation, de très très très très loin, on est en
14:51 train de s'en remettre, tout le monde est à peu près debout, et c'est un très gros
14:54 travail du JIFAS et des autres associations professionnelles de garantir la survie du
14:58 secteur, et donc maintenant on est reparti à l'attaque.
15:00 Vous êtes à la tête d'une entreprise mondiale, vous vous êtes récemment rendu en Chine
15:05 lors de la visite du président Macron, vous avez annoncé que vous alliez doubler votre
15:11 capacité de production d'avions sur le sol chinois, et y installer une deuxième ligne
15:17 d'assemblage finale.
15:18 Ne redoutez-vous pas, Guillaume Fauré, que la Chine capte vos technologies, et se passe
15:24 tout simplement de vous d'ici 10-15 ans ?
15:28 La Chine a une feuille de route très ambitieuse dans beaucoup de domaines, dans beaucoup de
15:33 secteurs, et en particulier dans l'aéronautique, donc on est très lucides là-dessus, et on
15:37 sait qu'on est à la fois avec un client, un partenaire, et aussi un concurrent très
15:40 sérieux, qui d'ailleurs vient de rentrer en service le premier avion commercial qui
15:45 s'appelle le C-919, et qui a comme vocation à faire concurrence à notre avion, à la
15:51 320 d'Airbus.
15:52 Donc voilà, c'est le jeu de la concurrence, il faut être très attentif à ce qu'on fait,
15:55 on produit localement, mais on est en concurrence avec Comac, comme on est en concurrence avec
16:00 Boeing, et pourtant on produit aussi aux Etats-Unis.
16:02 Voilà, c'est le jeu global, on est dans un...
16:04 Vous ne dites pas, là on fait une erreur stratégique potentiellement ?
16:07 Non, au contraire, en Chine on a investi localement, ça nous a permis de passer en deux décennies
16:12 de 15% de parts de marché à 50% de parts de marché, la Chine aujourd'hui c'est 20%
16:17 du marché mondial, donc pour pouvoir investir, pour pouvoir croître, pour pouvoir se développer,
16:20 pour pouvoir investir dans les technologies de la décarbonisation, il faut cette surface
16:26 industrielle, donc ça marche très bien, on est quand même très attentifs à ce qu'on
16:29 fait, il faut être très lucide sur les jeux de compétition qui se développent autour
16:36 du monde, et avec une Chine qui est très ambitieuse, voilà, donc c'est une question
16:38 de réglage, mais aussi dans la mesure où on est très utile sur place, voilà, on est
16:43 un joueur sur lequel la Chine compte, et donc on fait partie de l'écosystème.
16:46 Et vous poursuivez cette implantation en Chine au moment où la Chine est au cœur d'un
16:51 affrontement géopolitique avec les Etats-Unis, au moment où des inquiétudes pèsent sur
16:56 le sort de Taïwan, sur cet aspect-là du sujet, se développer en Chine pour Airbus,
17:03 n'est-ce pas tout simplement risqué ?
17:05 Non, je viens de vous expliquer pourquoi on fait…
17:08 Il peut y avoir des risques économiques, mais il y a des risques aussi strictement
17:11 géopolitiques.
17:12 Oui, non, mais il y a des raisons…
17:13 On a pu voir avec la Russie ce qui s'est passé pour le groupe Renault et pour tous
17:18 les groupes internationaux qui ont été obligés de plier bagage au moment où la
17:23 guerre a éclaté.
17:24 Non, à la question, est-ce qu'il y a des risques ? Oui, aujourd'hui, il y a des
17:27 risques partout.
17:28 Et notre métier, c'est aussi de gérer des risques, d'anticiper, d'essayer de
17:31 trouver des solutions qui sont plus résilientes par rapport à ce qui peut se passer au niveau
17:34 géopolitique.
17:35 Donc c'est une grosse partie du temps du management de réfléchir aux risques, de
17:38 regarder ce qui peut se passer, comment on réagirait, comment on anticipe les situations.
17:42 Et c'est vrai que le monde post-Covid est géopolitiquement très instable et très
17:46 imprévisible.
17:47 Donc ça, je ne vais pas vous dire le contraire.
17:48 En même temps, compte tenu de ce qu'on est capable de voir, des opportunités et
17:52 des risques et de l'équilibre entre les deux, on continue à considérer que le marché
17:56 chinois est très important, qu'on veut y être présent et on fait ce qu'il faut
17:59 pour y être sans se mettre en danger, mais en utilisant la capacité de l'entreprise
18:04 à être présente, à investir, à servir le marché chinois et à profiter aussi de
18:08 la croissance et du développement là-bas.
18:09 Et puis, à amener des solutions qui sont des solutions très compétitives et qui sont
18:12 les meilleures solutions au niveau de l'empreinte environnementale, qui devient aussi pour la
18:16 Chine un sujet très important.
18:17 Voilà, donc il y a beaucoup d'ambiguïtés et de contradictions à gérer.
18:21 C'est notre métier, mais quand même, aujourd'hui, la bonne décision de notre point de vue,
18:24 c'est de continuer à être présent en Chine.
18:25 Toujours à l'échelle mondiale, vous le savez, les Américains subventionnent désormais
18:30 massivement leur industrie avec l'IRA, l'Inflation Reduction Act, 430 milliards de dollars d'investissement.
18:40 Emmanuel Macron avait parlé de choix super agressifs quand il était à Washington,
18:45 des choix qui vont fragmenter l'Occident.
18:47 Sans langue de bois, Guillaume Faury, faut-il s'en inquiéter pour l'industrie européenne ?
18:54 Alors, l'IRA est un package qui, vu de l'aviation, est très positif.
19:01 Mais qui, vu de l'industrie européenne, est très négatif.
19:04 Il est très positif d'un point de vue de l'aviation parce qu'il subventionne très
19:08 fortement la transition sur les carburants.
19:10 Et ça, on voit la vitesse à laquelle l'industrie s'adapte à ce que fait les États-Unis.
19:15 Et on voit énormément d'investissements là-bas et on va pouvoir acheter des carburants
19:19 décarbonés à des prix très compétitifs.
19:21 Donc cet outil IRA est extrêmement puissant pour accélérer la décarbonisation.
19:25 Et les États-Unis ont vraiment surpris par la puissance de l'outil qu'ils ont mis en place.
19:31 Mais inversement, ça attire les investissements aux États-Unis, donc c'est défavorable à
19:35 l'industrie européenne.
19:36 L'Europe a choisi des méthodes qui sont beaucoup plus coercitives, avec des taxes,
19:40 avec des barrières, pour essayer de transformer son industrie.
19:44 Et effectivement, c'est beaucoup plus intéressant d'aller là où il y a des aides que d'aller
19:47 là où il y a des problèmes, là où il y a des taxes.
19:49 Et donc les États-Unis sont en train de déstabiliser le jeu.
19:52 Mais je pense qu'il faut quand même se poser la question...
19:54 Vous êtes inquiet pour le tissu industriel européen ?
19:57 Oui, oui, en tant qu'Européen, je pense que l'IRA est très dangereux pour l'Europe et
20:01 l'Europe a beaucoup de mal à réagir.
20:02 Mais c'est aussi un stimulus.
20:04 C'est une solution qui fonctionne très efficacement.
20:07 Il faut que les Européens s'en inspirent.
20:09 Donc avoir peur du modèle américain, c'est bien.
20:12 Mais il faut en faire quelque chose de positif.
20:14 Pour l'instant, il n'y a que des demi-mesures qui ont été mises en place.
20:16 Et je suis inquiet de la capacité de l'Europe ou de l'incapacité de l'Europe à aller aussi
20:21 vite, aussi fort et à mettre en place des outils qui entraînent, qui motivent l'investissement
20:28 plutôt que des outils coercitifs, une fois encore.
20:30 Sur l'application de France Inter, une question de Pascal.
20:33 La SNCF aimerait taxer le secteur aérien pour mieux se développer.
20:37 Qu'en pensez-vous ?
20:38 Je serais très choquant parce que le ferroviaire est déjà aujourd'hui extrêmement subventionné
20:42 par l'argent public.
20:43 Il est économiquement peu efficace.
20:45 Et aller taper les autres secteurs qui sont eux économiquement efficaces pour se développer,
20:50 il y a vraiment un problème d'équité qui est profondément choquant.
20:54 Aujourd'hui, c'est beaucoup le contribuable qui paie le billet de train.
20:57 Il n'y a pas de raison d'aller taper les autres secteurs.
20:59 Surtout un secteur comme l'aviation qui investit dans sa décarbonisation pourrait être le
21:02 mode de transport idéal.
21:03 Le ferroviaire a ses avantages, mais il a aussi ses inconvénients, en particulier
21:08 l'infrastructure.
21:09 L'infrastructure est extrêmement lourde, elle est extrêmement dommageable pour les
21:12 écosystèmes et c'est très très très long d'investir sur des nouvelles lignes.
21:15 Il faut à peu près 25 ans pour investir une ligne à grande vitesse et c'est des
21:19 petits nombres de kilomètres par rapport à ce qu'on peut faire avec l'aérien.
21:22 Je trouve ça très très choquant.
21:23 Un mot sur la situation politique et sociale du pays après trois mois de conflit sur la
21:28 réforme des retraites.
21:29 Comment le grand patron que vous êtes, Guillaume Faurie, voit-il la France en ce moment et
21:35 le climat qui y règne ?
21:36 Alors quand on voyage à l'étranger, l'image qui nous est renvoyée est quand même très
21:41 négative.
21:42 Il faut quand même en être conscient.
21:43 On a nos débats nationaux, on a nos enjeux et chacun voit les choses à sa façon.
21:47 Mais il faut aussi se rendre compte que c'est très très pénalisant pour l'image de
21:51 la France et la façon dont la France a besoin de se développer, d'avancer et d'être
21:56 perçue comme un lieu où on a envie d'investir et où on a envie de se développer.
22:01 Donc ce qui me préoccupe aujourd'hui, c'est l'incapacité à tourner une page.
22:04 Il ne faut pas qu'on regarde dans le rétroviseur, il faut avancer.
22:08 On peut être content ou pas content et je ne porte pas de jugement politique sur ce
22:11 qui s'est passé.
22:12 En revanche, je porte un jugement économique.
22:13 Le jugement économique, c'est voilà, il faut avancer.
22:15 Il faut avancer vite maintenant.
22:16 Il y a plein d'autres sujets de transformation.
22:18 Il faut tourner la page, il faut que tout le monde se remette au boulot.
22:22 Il faut qu'on rende notre pays à l'attaque, compétitif, avec de l'envie.
22:27 Ce n'est pas avec de la peur, avec de la résistance qu'on va devenir bon.
22:31 C'est en étant au boulot, innovant, avec de la solidarité autour des enjeux qu'on
22:37 a à traiter.
22:38 Il y a des grands enjeux de transformation absolument essentiels.
22:40 Celui de l'énergie, celui du transport, celui de la société.
22:43 Donc voilà, je pense vraiment qu'il faut avancer.
22:45 Et une fois encore, ce n'est pas un jugement par rapport à ce qui a été fait.
22:47 C'est une observation par rapport à ce qu'il y a à faire devant nous.
22:50 La dette publique française se rapproche du seuil symbolique des 3000 milliards d'euros.
22:56 La charge de la dette augmente fortement.
22:58 L'État doit payer beaucoup plus pour emprunter l'argent qui lui permet de rembourser sa
23:02 propre dette.
23:03 La situation des comptes publics vous inquiète ?
23:06 Oui, profondément.
23:07 Profondément, parce que je pense qu'il faut un État agile, il faut un État capable
23:10 de réagir à des crises.
23:11 Il faut un État capable d'investir.
23:13 Et donc, quand la charge de la dette prend cette capacité d'investissement et on le
23:19 met ailleurs, c'est un problème.
23:20 Et un État très endetté est un État qui a moins de capacité de manœuvre.
23:23 Donc, il faut vraiment revenir à une situation de dette gérable.
23:26 C'est quelque chose dont nous, les industriels, on avait peur quand on a vu la dette monter
23:32 parce qu'on pensait toujours qu'à un moment donné, les taux d'intérêt pouvaient remonter.
23:35 C'était une hypothèse qui était considérée comme relativement peu probable.
23:38 Maintenant, on est dans ce scénario-là.
23:39 Il faut que les États qui sont endettés, et en particulier la France, fassent le boulot
23:43 de se remettre dans une situation gérable.
23:45 Dans une entreprise, cette situation serait juste considérée comme intolérable.
23:48 Ce serait un problème presque existentiel pour l'entreprise.
23:50 Pour les États, ce n'est pas aussi existentiel.
23:52 Mais il faut s'attaquer au problème.
23:53 - Dernière question. Air France et Airbus ont été relaxés mi-avril dans l'affaire
23:57 du crash Rio-Paris.
23:58 Le tribunal correctionnel de Paris a mis hors de cause les deux entreprises sur le plan
24:03 pénal, jugeant que si des imprudences, des négligences avaient été commises, aucun
24:08 lien de causalité certain n'avait pu être démontré avec cet accident le plus meurtrier
24:13 de l'histoire des compagnies françaises.
24:15 Comment avez-vous reçu cette décision ?
24:16 - Tout d'abord, et j'étais présent à l'ouverture du procès, on pense aux familles de victimes.
24:21 On ne peut pas être patron d'Airbus sans avoir l'obsession de la sécurité des vols.
24:27 On a 5 millions de passagers par jour sur nos avions.
24:31 Il faut le dire très clairement et commencer par ça.
24:33 Ensuite, moi je me sens responsable de chaque personne qui monte dans un Airbus.
24:37 Pour autant, les charges qui nous ont été reprochées dans cette affaire, on n'était
24:42 pas d'accord.
24:43 Et donc, voilà, ce n'est pas à moi de commenter sur la justice, mais on pense que ça correspond
24:49 effectivement à ce qui devait être dit.