La vie quotidienne d'un bourreau : Nicolas Roch, l'homme aux 300 têtes

Nota Bene

Il y a pas si longtemps, on était en 2021. Et 2021, c’est une année pas comme les autres pour une machine un peu particulière, une invention tellement associée à l’histoire de France qu’on a du mal à trouver quelque chose de typiquement français, à part peut-être le croissant, la Tour Eiffel et la tendance à râler. Cette invention, c’est la guillotine. Cela dit, que serait la guillotine sans le bourreau ? Des bourreaux qui ont fait fonctionner la guillotine, il y en a eu beaucoup. Certains sont très connus comme Louis Deibler et son fils Anatole, ou Charles-Henri Sanson, le nom le plus connu d’une famille où on exerçait cette profession de père en fils. Mais il ne faut pas non plus oublier Nicolas Roch, qui a été l'un des bourreaux français les plus productifs du 19e siècle.   Écriture : Benjamin Brillaud, Jean-Christophe Piot et Samuel Brémont  ➤ Découvrez le blog de Jean-Christophe Piot et Samuel Brémont juste ici : https://enmarge.org/   Montage : Dead Will / Wilfried Kaiser  https://www.youtube.com/c/DEADWILL  ———————————————————————————————————————————— ➤➤➤ Sources en fin de description  ———————————————————————————————————————————— Découvrez ma boutique en ligne  ➜ https://nota-bene.creator-spring.com/   ———————————————————————————————————————————— Vous pouvez acheter mes ouvrages ici  ➜ https://www.notabenemovies.com/ouvrages/  ———————————————————————————————————————————— Rejoignez-moi sur les réseaux ! ➜ Nota Bene : https://www.youtube.com/@notabenemovies ➜ Nota Bonus : https://www.youtube.com/@NotaBonus ➜ Twitch : https://www.twitch.tv/notabenemovies  ➜ Facebook : http://facebook.com/notabenemovies  ➜ Twitter : https://twitter.com/NotaBeneMovies ➜ Instagram : https://www.instagram.com/notabenemovies ➜ TikTok : https://www.tiktok.com/@notabenemovies  ➜ Snapchat : https://t.snapchat.com/NV73QSxl ➜ Tipeee : https://www.tipeee.com/nota-bene ➜ Site internet : https://www.notabenemovies.com/ ➜ Podcast : https://www.notabenemovies.com/podcasts/ ———————————————————————————————————————————— ➤➤➤ Pour en savoir plus : ———————————————————————————————————————————— https://docs.google.com/document/d/1yjCqVzBX4S8Zbo9t0bRh_1XmOjZFwvxq63G4C_sf-QU/edit?usp=sharing

Transcript

00:00 Mes chers camarades, bien le bonjour ! Ça n'aura échappé à personne, on est en 2022,

00:04 moment où je publie cette vidéo, et donc il y a un an, on était en 2021. Et 2021, c'est une année

00:08 pas comme les autres pour une machine un peu particulière, une invention tellement associée

00:13 à l'histoire de France qu'on a du mal à trouver quelque chose de plus typiquement français,

00:17 à part peut-être le croissant, la tour Eiffel et la tendance à râler. Cette invention, c'est la

00:22 guillotine. Une machine qui a servi un beau matin de janvier 1793 à découper Louis XVI en deux

00:28 parties non égales et qui a une charge symbolique si puissante que la simple évocation de son nom

00:33 nous fait immédiatement surgir des images en tête. Une bonne partie de ces images sont associées à la

00:39 Révolution française, forcément, et plus exactement à la terreur entre 1793 et 1794,

00:46 une époque où il faut bien reconnaître qu'on avait tendance à couper des têtes à tour de bras.

00:51 La guillotine, on voit tout de suite à quoi ça ressemble. De grands montants de bois qui

00:56 montent à près de 4 mètres de haut, avec une planche à bascule sur laquelle on couchait le

00:59 condamné, une lunette pour lui bloquer la tête et surtout, surtout, le fameux couperet d'acier

01:05 découpé en trapèze. Si vous sentez un petit frisson derrière la nuque, c'est tout à fait normal.

01:09 Et si je vous parle de la guillotine aujourd'hui, c'est parce que 2021 n'est pas tout à fait une

01:14 année anodine pour celle qu'on appelait la Veuve, la Louison ou encore l'abbaye de Mont-à-regret.

01:19 Cette année, le 9 octobre 2021, ça fera très exactement 40 ans que la guillotine aura pris

01:25 sa retraite une bonne fois pour toutes. En 1981, la France, qui était le dernier pays de l'Union

01:31 Européenne à prévoir la peine capitale, renonçait enfin à exécuter des condamnés. L'abolition,

01:37 portée par le garde des Sceaux Robert Badinter, un célèbre avocat, a été l'une des premières

01:42 mesures de François Mitterrand, élu en mai 1981. Et c'est aussi l'une des plus marquantes. 40 ans

01:49 plus tard, c'est toujours l'une des premières décisions auxquelles on pense quand on parle

01:53 de François Mitterrand. Ce qui en dit long quand on pense qu'il a quand même gouverné le pays

01:57 pendant 14 ans ! Sans compter que, pour être honnête, au moment de la loi Badinter en 1980,

02:02 on ne guillotinait plus beaucoup en France depuis quelques années. Ça faisait déjà 4 ans que la

02:07 Veuve n'avait plus fonctionné depuis l'exécution au baumette du dernier guillotiné de France,

02:11 un homme qui avait tué et torturé une jeune femme. Oui mais voilà, il y a des textes qui

02:17 marquent la mémoire collective. L'abolition, c'est la fin d'un des rares articles du Code pénal que

02:23 tout le monde a probablement entendu au moins une fois dans sa vie. Une phrase très courte,

02:28 dont le texte n'a jamais changé depuis sa première rédaction, le 6 octobre 1791.

02:34 "Tout condamné à mort aura la tête tranchée". Sympa non ?

02:39 En 1981, au moment de l'abolition, ces huit petits mots sont ceux de l'article 12 du Code pénal de

02:45 l'époque. Derrière, il y avait toute une série d'autres textes qui listaient les 69 bonnes raisons

02:51 de vous faire envoyer faire un petit tour sur la bascule à Charleaux. C'était plutôt pittoresque

02:56 d'ailleurs, allant du bon vieil homicide sous toutes ses formes, paricide, infanticide,

03:01 bref tous les trucs en cide, jusqu'à l'enlèvement de mineurs en passant par l'entreprise de

03:06 démoralisation de la nation, les crimes avec torture, la castration suivie de la mort aussi,

03:11 tiens, juste à côté de l'espionnage et des attentats à l'explosif. Dans l'armée,

03:15 il y avait aussi la révolte d'au moins huit militaires en présence de l'ennemi.

03:18 Alors pourquoi huit ? Aucune idée, apparemment,

03:21 sept ça passe mais huit c'est tout de suite plus grave.

03:24 Être condamné à la peine capitale jusque là, cela voulait obligatoirement dire passer par la

03:28 guillotine. A une exception près, les personnes condamnées à mort par des tribunaux militaires.

03:33 Elles n'étaient pas guillotinées mais fusillées. Ce qui est arrivé par exemple à Bastien Thiry,

03:40 le lieutenant-colonel qui avait monté l'attentat du petit Clamart pour essayer de tuer le général

03:44 de Gaulle en 1962 et qui est d'ailleurs le dernier condamné à mort fusillé en France.

03:50 Mais voilà, à cette exception près, pour tous les autres, la peine de mort,

03:54 ça voulait dire la guillotine. Cette belle machine, que le monde nous en vit ou pas,

03:59 aura donc fonctionné de 1792 à 1977, soit pas loin de deux siècles, quasiment sans coupure.

04:08 Enfin, sans interruption quoi.

04:10 Cela dit, que serait la guillotine sans un personnage indispensable ?

04:14 Celui sans lequel tout le monde se regarderait pour la faire fonctionner ? Le bourreau.

04:18 Bourreau, c'est le mot courant. Il y a plusieurs titres officiels au fil des siècles mais en 1981,

04:24 au moment de l'abolition, celui qui fait tomber le coup près est l'exécuteur en chef des arrêts

04:29 criminels. Là encore, ça a bougé au fil du temps mais c'est rarement un fonctionnaire,

04:34 plutôt un agent contractuel de la fonction publique. Avec un contrat un peu spécial quand même.

04:39 Des bourreaux qui ont fait fonctionner la guillotine, il y en a forcément eu pas mal en

04:44 deux siècles. Certains sont très connus, comme Louis d'Eblé et son fils Anatole,

04:47 les deux grands bourreaux de la Troisième République. Ou encore Charles-Henri Samson,

04:52 le nom le plus connu d'une famille où on était bourreau de père en fils. C'est celui qui a

04:57 exécuté Louis XVI, Danton, Robespierre ou Camille Desmoulins, mais surtout, c'est lui qui a établi

05:02 un record franchement macabre et qu'on égalera à priori jamais, avec 2918 exécutions à son actif.

05:10 Un sacré palmarès, et c'est vraiment pas moi qui utilise ce terme pour le plaisir,

05:14 parce que c'est vraiment le mot que les bourreaux utilisaient, palmarès. La

05:18 plupart prenaient consciencieusement des notes le soir de leurs exécutions,

05:21 et c'est d'ailleurs grâce à ces palmarès que les historiens connaissent le détail de

05:25 certaines exécutions ou des derniers mots des condamnés. Franchement, c'est quand même toujours

05:29 mieux quand on peut s'appuyer sur des gens qui étaient aux premières loges.

05:32 Charles-Henri Samson, c'est un peu le Maradona de la guillotine. On ne fera jamais mieux. Même

05:38 si dans la profession, il a été grandement aidé par la période durant laquelle il faisait son

05:42 office, la Révolution. Durant la Terreur, le tribunal a fonctionné d'avril 1793 à juillet

05:49 1794. Et sur 4021 jugements, il a prononcé 2585 peines de mort. Quand c'est vous qui les appliquez,

05:58 ça aide un peu à faire du chiffre. Charles-Henri est donc un cas exceptionnel,

06:02 qui ne peut pas être représentatif du bourreau standard si l'on peut dire.

06:06 Nicolas Roch, lui, est l'exemple de l'exécuteur des temps ordinaires, celui des crimes de la

06:11 vie quotidienne. Et malgré ça, c'est un des bourreaux français les plus productifs du XIXe siècle.

06:16 Né à Mande en 1813 en Lauser, mort à Paris en 1879, il travaille dans le domaine pendant près

06:23 de 55 ans et compte à son palmarès quelques 300 têtes coupées, directement ou comme assistant.

06:30 55 ans de carrière pour un homme qui a vécu 66 ans ! Et oui, Nicolas Roch commence sa vocation

06:36 de bourreau à l'âge de 11 ans seulement. A 11 ans, il y en a qui se font des combats de Pokémon,

06:42 et il y en a qui font des trucs comme Nicolas Roch quoi. Il n'y en a pas beaucoup, heureusement.

06:48 Si le travail des enfants a été parfaitement accepté au XIXe siècle, vous vous doutez qu'on

06:52 n'en était quand même pas à filer les clés de la guillotine à des gosses qui auraient l'âge

06:56 d'être en 6e aujourd'hui. En revanche, on ne voyait absolument aucun problème à ce qu'ils

07:01 aillent aider leur papa quand il allait couper des gens en deux. Transmettre des valeurs,

07:05 ça reste important. Nicolas Roch, fils de bourreau, se forme ainsi au métier, en accompagnant son père

07:11 dès qu'il y avait un condamné à guillotiner quelque part. Son père, son oncle et son grand-père

07:16 d'ailleurs, car bourreau est un métier qui se transmet souvent de père en fils en France depuis

07:21 le haut Moyen-Âge. Une tradition familiale quoi, et une tradition sacrément installée qui va durer

07:25 jusqu'à la fin, dans les années 1970. Marcel Chevalier, le dernier bourreau de France,

07:30 était entré dans le métier en épousant la nièce d'un de ses prédécesseurs, André Aubrecht. C'est

07:36 un peu comme chez les artisans, quand vous voyez la pancarte "Maison sans eau, charcutier traiteur

07:41 de père en fils depuis 1875". Et bien là, c'est un peu pareil d'une certaine manière. Il y a eu la

07:46 dynastie des Samson, il y a eu celle des Deblé, des Aubrecht et il y a eu la famille Roch. Et c'est

07:52 plutôt logique, parce que bourreau, c'est un métier tellement à part, avec tellement de superstitions,

07:57 de craintes, de mépris social autour, que ça ne poussait pas vraiment le petit dernier à faire

08:02 des rencontres en dehors de son entourage immédiat. Bref, voilà comment Nicolas Roch commence sa

08:07 carrière autour de 10 ans, avec très vite quelques exécutions marquantes à son actif.

08:12 Tout petit, son travail consistait par exemple à passer les outils quand on montait la guillotine

08:16 le matin ou la veille d'une exécution, ou à faire des nœuds autour des mains des condamnés,

08:21 pour éviter les mouvements de recul ou de rébellion devant l'échafaud.

08:24 Le genre d'expérience qui vous forge le caractère, surtout quand les exécutions

08:28 sortent un peu de l'ordinaire. C'est le cas en 1833 à Perbeil, en Ardèche. Ce jour-là,

08:35 le 2 octobre, il n'y a pas une exécution de prévu. Mais trois d'un coup, c'est l'affaire

08:40 de l'Auberge Rouge. Un fait divers glauque, comme on aimerait en voir moins souvent. Deux ans plus

08:46 tôt, on a découvert que le couple qui tenait l'auberge de Perbeil avait une légère tendance

08:50 à assassiner certains visiteurs pour leur voler leur argent, tout ça avec l'aide d'un de leurs

08:55 serviteurs. Et comme la justice aime bien les symboles, la guillotine a été montée dans la

09:00 cour de la fameuse auberge pour une exécution publique rassemblant de 20 à 30 000 spectateurs.

09:05 C'est énorme mais bon, qu'est-ce que vous voulez ? Fallait bien s'occuper avant Netflix !

09:09 Ce jour-là, Nicolas Rocque a 20 ans, et déjà une sacrée expérience. Mais à cause du froid,

09:15 de la pluie et des cris de la foule, Nicolas n'est pas au mieux de sa forme professionnelle. Au

09:19 moment où il ramasse dans la bassine la tête de la femme de l'aubergiste, Marie Martin,

09:23 les cheveux lui glissent entre les doigts et il la laisse rouler dans la boue de la cour. Son père,

09:28 furieux, lui passera un savon au motif que ce n'est pas comme ça que l'on travaille et qu'il ne fera

09:33 sûrement pas carrière comme ça. Mais voilà, les erreurs, c'est formateur. Nicolas Rocque va bien

09:39 retenir la leçon. Une exécution, c'est une affaire sérieuse et tout, absolument tout,

09:44 doit être fait correctement. Et cette conscience professionnelle va lui permettre de monter tous

09:49 les échelons de sa drôle de profession. À une époque où beaucoup de bourreaux ont tendance

09:53 à boire plus que de raison pour oublier qu'ils ne font peut-être pas le métier le plus normal

09:57 du monde, son sérieux va attirer l'attention. Nicolas Rocque, c'est l'assurance d'un boulot

10:02 bien fait. Carré quoi, propre, enfin propre je sais pas, mais bien nettoyé après on va dire.

10:07 Après tout, un exécuteur, c'est un monsieur dont on attend qu'il applique la loi, toute la loi,

10:11 et rien que la loi. Et la loi dit une chose que l'article 2 du code pénal de 1791 résumait

10:18 en quelques mots. "La peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu'il

10:23 puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés." Les textes ne sont plus les mêmes

10:28 quand Nicolas Rocque se lance dans le métier, mais l'esprit est resté. Le travail du bourreau

10:33 consiste à ce que ça se passe vite, efficacement, et froidement. Le bon exécuteur, c'est celui qui

10:39 n'a pas besoin de se trouver ivre mort pour se donner du courage au moment de lâcher un coup

10:43 près d'acier surmonté d'un poids de 50 kg sur le cou du condamné qui attend que ça passe 2,50 m

10:49 plus bas. La peine capitale, c'est la justice qui passe, pas la vengeance. Et elle passe aussi vite

10:55 et aussi humainement que possible. Je sais, ça fait un peu drôle de le dire comme ça,

11:00 et pourtant on l'a un peu vite oublié, mais comparé aux supplices de l'ancien régime comme

11:05 la roue, le bûcher ou encore l'écartèlement, il y a une certaine forme de progrès avec la guillotine.

11:10 La petite french touch quoi ! Concrètement, comment ça se passe une exécution au temps

11:15 de Nicolas Rocque ? On amène le ou la condamné, les mains liées dans le dos, on l'allonge sur la

11:21 planche qu'on a dressée, on le fait basculer, on place sa tête dans la lunette et on lâche le

11:26 petit loquet qui retient la lame. En tout, il se passe seulement quelques secondes entre l'arrivée

11:31 du condamné sur place et sa mort. Pas d'émotion inutile, pas de remarques, pas d'injures, pas de

11:38 gifle, pas de coups, pas de cruauté inutile. On tue légalement le plus calmement du monde.

11:46 Sauf que tout le monde n'a pas le calme et les nerfs que ça demande, des qualités qui valent

11:50 à Nicolas Roche une carrière impressionnante. Nicolas Roche, c'est pas une assurance vie,

11:55 certes, mais en tout cas c'est une assurance tout risque. En 1838, à 25 ans, Nicolas Roche prend

12:02 son premier poste d'exécuteur principal dans le Vaucluse, après des années à avoir travaillé

12:07 comme adjoint. En 1843, on révoque le bourreau du Jura, un ivrogne de première catégorie,

12:12 dont il prend la place. Il y reste 10 ans avant de prendre un poste à Amiens en 1853,

12:19 à 40 ans tout juste. Il y reste 18 ans pour 30 exécutions. Rien que ce parcours, d'ailleurs,

12:26 en dit long sur la carrière de bourreau. Quand on imagine la guillotine, on situe toujours un

12:30 échafaud en plein Paris. Au début de la carrière de Nicolas Roche, ça n'est pas ça du tout. Des

12:36 guillotines et des bourreaux, il y en a beaucoup répartis sur toutes les cour d'appel du territoire.

12:40 Une machine par département d'abord, puis une par cour d'appel, celle où un accusé a été

12:45 condamné une bonne fois pour toutes. Et oui, on n'allait pas s'amuser à chaque fois à déménager

12:50 une seule et unique guillotine dans tout le pays, ça aurait pris des mois ! En tout cas,

12:54 au début du XIXe siècle. Car petit à petit, les transports s'accélèrent, les voies ferrées se

12:59 développent, les routes sont de mieux en mieux entretenues. Bref, le pays se transforme et il

13:03 devient de plus en plus facile d'aller relativement vite d'un coin à l'autre de la France, surtout

13:08 sous Napoléon III. Résultat, quand le second empire passe la main et que la IIIe République

13:12 est proclamée, on décide de centraliser un peu. En novembre 1870, un décret d'Adolphe Crémieux

13:18 supprime tous les postes de province et crée un corps d'exécuteurs basé à Paris qui se déplace

13:24 en province à chaque fois qu'il faut procéder aux exécutions décidées par les tribunaux locaux.

13:28 Forcément, ça ne laisse plus beaucoup de place et on conserve seulement les meilleurs.

13:32 Nicolas Roque fait partie du lot, mais pas encore comme l'exécuteur en chef de France

13:37 métropolitaine, le poste étant occupé par Jean-François Heidenreich. Roque n'est encore

13:42 qu'adjoint, ce n'est pas lui qui lève la petite manette qui déclenche la chute du couperet. En

13:47 revanche, c'est lui qui supervise le montage de la guillotine, ce qu'on appelle les "bois de

13:51 justice". Son boulot, c'est aussi de surveiller le prisonnier dès qu'on le sort de sa cellule,

13:55 pendant tout le processus de préparation, avec tous les rituels macabres qu'on connaît,

13:59 le réveil au petit matin, souvent avec l'aumônier, les cheveux qu'on coupe pour dégager la nuque,

14:03 la chemise qu'on déchire jusqu'aux épaules, le dernier verre d'alcool, une ou deux cigarettes,

14:08 et puis le trajet final jusqu'à l'échafaud. C'est encore Roque qui se place de l'autre côté

14:13 de la guillotine, celui de la tête, et c'est encore lui qui agrippe le condamné par les oreilles,

14:18 juste avant que le couperet ne tombe. En fait, ce geste très particulier, qui consiste à prendre

14:23 les oreilles du prisonnier, c'est même une idée à lui. Encore une fois, Roche est un professionnel

14:28 qui veut que tout se passe bien, c'est-à-dire vite. Le problème, c'est qu'aller savoir pourquoi,

14:34 certains condamnés ont tendance à être légèrement paniqués au moment fatidique.

14:37 Pour éviter de faire perdre du temps à tout le monde, la demi-lune supérieure de la lunette,

14:41 celle qui vient immobiliser la tête du futur cadavre, était jusque-là équipée d'une sorte

14:46 de grappin de ferraille qui immobilisait la nuque pour éviter un réflexe brusque. Et vous ne le

14:51 savez peut-être pas, mais une nuque qui se tord au dernier moment, c'est un coup à ce que le

14:56 travail ne soit pas aussi propre qu'il devrait l'être. D'autant que le grappin a tendance

15:00 à blesser les condamnés. Et rappelez-vous le credo des bourreaux, la simple privation de la vie,

15:06 pas de souffrance physique inutile. Nicolas Roch a alors cette idée de tenir la tête du condamné

15:11 pour la courber dans la dernière seconde qui précède la mort. Une méthode aussitôt adoptée

15:17 par la profession. Pour le bourreau, c'est certes un peu violent, parce que cela consiste littéralement

15:21 à se retrouver avec une tête de 4 kilos dans les mains la seconde qui suit, et à se prendre en

15:25 général une bonne éclaboussure sanglante, mais c'est professionnel. Bref, Nicolas Roch a le

15:31 mérite d'innover, et ça lui vaut enfin le graal. A la mort de Jean-François Heidenreich en 1872,

15:38 c'est lui qui est nommé "Monsieur de France", le surnom des exécuteurs en chef. Il perçoit un

15:44 solde de 6 000 francs par an, payé par douzième et sans retenue, avec 5 assistants sous ses ordres.

15:50 A 59 ans, Nicolas Roch n'a physiquement rien de particulier, même s'il était plutôt grand et

15:55 bien bâti. On n'a que très peu de portraits de lui, mais on sait qu'il avait un visage doux,

16:00 un nez busqué et les yeux gris. Sa seule originalité, des anneaux d'or aux oreilles

16:05 qu'il va enlever une fois exécuteur en chef. Non, la véritable particularité de Nicolas Roch,

16:10 ce n'est pas un trait physique, ce sont deux choses. La vitesse d'exécution d'une part,

16:15 et surtout l'allure. Le cérémonial, le rituel presque mis en place lors de son office, ainsi

16:21 que l'image qu'on a du bourreau et de ses aides, ces gens qu'on voit habillés tout en noir sur les

16:26 photos de l'époque, c'est de lui que ça date. A chaque exécution, il se présentait en redingote

16:31 bien taillé, avec un hall form pour se distinguer de ses aides, habillés eux-mêmes de la même

16:36 manière mais avec un chapeau melon. A travers ça, l'idée de Roch est de rappeler que c'est

16:40 la justice qui passe, avec ce côté austère, sobre, grave et silencieux. C'est finalement un

16:47 bourreau et des aides habillés comme des croque-morts que l'on nous présente. Pas de brutalité, pas de

16:53 plaisanterie. Dans un certificat de 1869, le procureur de la Somme a même salué sa manière

16:58 de faire avec exactitude, célérité et humanité. Et Roch confiera un jour à un journaliste,

17:05 juste après une exécution, "une fois dans mes mains, il ne souffre pas longtemps".

17:10 C'est sa fierté professionnelle à lui, et il en a eu du boulot Nicolas Roch.

17:15 A partir de sa nomination, il coupera en moyenne une tête par mois pendant 7 ans,

17:19 toujours au même endroit, juste devant les murs de la prison de la Roquette,

17:24 dans le 11e arrondissement de Paris. Ce qui est bien pratique d'ailleurs,

17:27 puisqu'il habite juste à côté rue de la Folie-Régnaud. A l'époque, on exécute encore en

17:32 public, et ça continuera jusqu'en 1939. En revanche, la guillotine est montée au niveau du sol,

17:38 elle n'est plus boulonnée sur un échafaud comme avant. Ça fait d'ailleurs râler les amateurs,

17:42 parce que la plupart des spectateurs ne voient rien d'autre que le haut des montants et ne

17:46 comprennent que c'est terminé que lorsque le couperet tombe. La seule solution pour avoir

17:50 une bonne vue sur le spectacle est de louer une place dans les appartements des immeubles en

17:53 face de la prison, ce que font souvent les journalistes ou les gens un peu bizarres.

17:57 Ce choix de rendre moins visible et moins spectaculaire les exécutions est fait pour

18:01 éviter les mouvements de foules, les injures, les jets de pierre, les cris, bref, tout ce qui

18:06 relève du trouble à l'ordre public. Ce qui vient vite quand on exécute des condamnés particulièrement

18:11 détestés. Tout doit être fait pour rendre ça le plus fluide possible. Le temps où le

18:15 transport entre la prison et l'échafaud prenait de longues minutes, voire des heures, est fini.

18:20 Et c'est toujours ça de gagné pour réduire les souffrances morales du condamné qui sait

18:23 qu'il ne lui reste que quelques instants à vivre. En revanche, Nicolas Roch est bien placé pour

18:28 constater l'effet que ça leur fait quand ils sortent et voient d'un seul coup apparaître la

18:32 fameuse silhouette de la guillotine et surtout la forme oblique du couperet qui brille dans la

18:37 lumière étrange du petit jour. Une vision qui en général provoque une sorte de fascination

18:41 terrifiée et soudaine qui peut soit paralyser les condamnés, soit provoquer une dernière révolte

18:47 qui peut sérieusement compliquer la tâche des bourreaux. Parfois, ça virait même à la farce

18:52 macabre. En mai 1853, à Châlons-sur-Saône, Nicolas Roch avait participé comme assistant

18:57 à l'exécution de Claude Montcharmont, un paysan qui avait assassiné trois personnes.

19:02 Mais Montcharmont était une force de la nature et l'énergie du désespoir a fait le reste. Il a

19:09 tellement hurlé, il s'est tellement débattu et s'étant arc-bouté de tout son corps à chaque

19:13 marche de l'échafaud qu'il a fini par épuiser les deux hommes. Ça a duré 35 minutes sans que

19:19 Nicolas Roch et le bourreau n'arrivent à le faire bouger. Il a fallu finalement le ramener en cellule

19:23 pour l'exécuter plus tard, dans l'après-midi, après l'avoir ligoté dans tous les sens,

19:27 cette fois pour le faire tenir tranquille. Dans une interview, Roch dira ceci "L'amour

19:33 propre de mon confrère a été la cause de tous ces inconvénients. Je voulais lier le condamné

19:37 à ma manière, qui n'a jamais défaut. Ce que je voulais faire le matin, on me le laisse à faire

19:42 le soir, et tout se termina à ravir." Bref, un cauchemar et une scène d'horreur qui a marqué

19:48 le public et les participants, même les plus farouches partisans de la peine de mort.

19:52 Pour éviter ça, Nicolas Roch fait visser sur le haut de la machine une plaque de bois qui cache

19:57 le mouton de bois et la lame. Là encore dans un seul but, rendre la mécanique de l'exécution aussi

20:02 fluide et rapide que possible, avec l'idée que c'est encore le meilleur moyen de rendre une mise

20:07 à mort légale aussi humaine que possible. Tout ça, toutes ces innovations, ce quotidien du bourreau,

20:13 Roch l'a raconté à des proches et à des journalistes. Il a aussi pris des notes,

20:17 comme d'autres avant lui. Ces documents sont des sources précieuses pour les historiens qui

20:21 travaillent sur la peine capitale. Et surtout, loin de la froideur des décisions de justice,

20:26 ils ouvrent une perspective directe sur ces derniers moments de condamné, leurs derniers

20:31 mots et leurs dernières pensées ou leurs derniers gestes. C'est morbide, glauque,

20:36 et parfois, il faut bien l'avouer, abominablement drôle dans la catégorie humour noir et macabre.

20:42 Comme par exemple le 9 avril 1872, où Nicolas Roch passe une sale journée. Le matin même,

20:48 il a dû chercher le levier qui lâche le coup près pendant plusieurs minutes,

20:51 parce que quelqu'un l'avait déposé quelque part et il ne le retrouvait pas. Tout ça pendant

20:56 que le condamné du jour devait commencer à trouver le temps long, la tête déjà en position.

21:00 Parfois, les témoignages sont étonnants d'humanité, comme le 21 avril 1874, quand Philippe Mitron,

21:06 un meurtrier de 28 ans, tombe dans les bras de Roch, juste devant la guillotine,

21:11 et l'embrasse en le remerciant de mettre fin à ses souffrances. Jean-Marie Siméon,

21:15 un paysan de 68 ans qui se retrouve là après avoir étranglé sa sœur pour une sombre histoire

21:19 d'héritage, passe devant Roch et l'encourage même en lui disant "allons, du courage, ça ne sera

21:26 rien". Quatre ans plus tard, pour son avant-dernière exécution, Nicolas Roch exécute deux hommes à

21:31 quelques minutes d'intervalle, dont Paul Lébié, un jeune étudiant en médecine qui se contente

21:36 d'un sobre "au revoir messieurs". Tout se passe bien, on commence à démonter, le cercueil part,

21:41 quand Roch pique soudain un coup de colère. Ses assistants ont oublié la tête de Lébié dans la

21:47 bassine de métal où elle était tombée. Alors vous me direz, elle ne devait plus beaucoup lui

21:51 manquer, mais quand même, il y a un respect qui est dû aux morts et Roch était à cheval sur la

21:56 question, comme son assistant et successeur Louis Deblay. A cette date d'ailleurs, Deblay n'attendra

22:00 pas bien longtemps avant d'assumer à son tour la charge d'exécuteur en chef. Le 18 décembre

22:05 1878, Nicolas Roch procède sans encombre à l'exécution d'un certain Motin à Alençon.

22:11 Et ça sera sa dernière, puisque le 24 avril 1879, il s'écroule victime d'une attaque qui finit par

22:17 l'emporter le lendemain à 66 ans. Monsieur l'exécuteur des affaires criminelles laissait

22:21 derrière lui une femme, huit enfants et une réputation de vrai papa gâteau auprès de ses

22:27 petits-enfants qui en faisaient à peu près tout ce qu'il voulait d'après les rubriques

22:31 nécrologiques. Trois semaines plus tard, le 15 mai, Louis Deblay exécutait Jean Laprade,

22:35 un parricide. Nicolas Roch était peut-être mort, mais la justice devait continuer de passer. Même

22:41 si en l'occurrence, ça consistait surtout à faire passer 15 kilos d'acier à travers les

22:45 vertèbres des gens. Merci à Jean-Christophe Piau et Samuel Brémont pour la préparation de cette

22:50 émission, n'hésitez pas à aller découvrir leur blog dans la description, en marge, c'est

22:54 vraiment bien ! Et n'oubliez pas de vous abonner à la chaîne Nota Bene pour ne pas louper les

22:59 prochains épisodes ! A bientôt !

23:01 *Musique*

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