Pour commémorer l’anniversaire de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie le 8 mai 1945, le Président Macron a fait à Lyon un discours où il a non seulement rappelé le sacrifice de Jean Moulin et loué « l’esprit de résistance » qui caractériserait la nation française, mais aussi vanté les vertus de « la République », laquelle aurait selon lui toujours été un cadre politique nécessaire et juste.
L’historien Julien Théry revient, pour Le Média, sur les biais par lesquels le président s’efforce ainsi d’enrôler l’histoire et la mémoire au service de son entreprise d’imposition à la société française d’un projet néolibéral qu’elle rejette manifestement. Ce projet macroniste est pourtant, à l’évidence, en contradiction complète avec le programme politique promu à l’époque par la Résistance et en particulier par son Conseil National (CNR), fondé par Jean Moulin en 1943. Avec la mise sur pied d’un organisme pour lequel il a choisi le même acronyme, le Conseil National de la Refondation, mais dont l’objectif est précisément de détruire l’héritage du CNR historique (services publics, sécurité sociale, retraites, interdiction de la concentration des média…), E. Macron n’a pas hésité, selon son habitude, à recourir à la manipulation. De même, la célébration de la victoire sur les fascismes ‒ non seulement allemand et italien, mais aussi, on l’oublie vite, français, avec le régime de Vichy ‒ s’accord mal avec la façon dont E. Macron et son gouvernement prennent grand soin de ménager l’extrême-droite, mènent une politique à bien des égards proche du programme du RN, et s’efforcent de mettre au premier plan la valeur du travail, au détriment des intérêts des travailleurs dans le rapport de force avec le patronat, comme le faisait l’idéologie pétainiste. L’unanimisme national qu’E. Macron s’efforce de promouvoir entre bien plus en résonnance avec les valeurs maréchalistes qu’avec celles, émancipatrices, de la Résistance.
L’historien Julien Théry revient, pour Le Média, sur les biais par lesquels le président s’efforce ainsi d’enrôler l’histoire et la mémoire au service de son entreprise d’imposition à la société française d’un projet néolibéral qu’elle rejette manifestement. Ce projet macroniste est pourtant, à l’évidence, en contradiction complète avec le programme politique promu à l’époque par la Résistance et en particulier par son Conseil National (CNR), fondé par Jean Moulin en 1943. Avec la mise sur pied d’un organisme pour lequel il a choisi le même acronyme, le Conseil National de la Refondation, mais dont l’objectif est précisément de détruire l’héritage du CNR historique (services publics, sécurité sociale, retraites, interdiction de la concentration des média…), E. Macron n’a pas hésité, selon son habitude, à recourir à la manipulation. De même, la célébration de la victoire sur les fascismes ‒ non seulement allemand et italien, mais aussi, on l’oublie vite, français, avec le régime de Vichy ‒ s’accord mal avec la façon dont E. Macron et son gouvernement prennent grand soin de ménager l’extrême-droite, mènent une politique à bien des égards proche du programme du RN, et s’efforcent de mettre au premier plan la valeur du travail, au détriment des intérêts des travailleurs dans le rapport de force avec le patronat, comme le faisait l’idéologie pétainiste. L’unanimisme national qu’E. Macron s’efforce de promouvoir entre bien plus en résonnance avec les valeurs maréchalistes qu’avec celles, émancipatrices, de la Résistance.
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00:00 Et si on revenait sur les commémorations du 8 mai 1945 qui ont été pour le moins
00:04 agitées en ces temps de casseroleades et d'intervilles d'Usbulle, pas pour raconter
00:08 les mésaventures d'Emmanuel Macron notamment à Lyon, mais pour aller dans le fond des
00:11 choses, c'est-à-dire évoquer l'instrumentalisation de l'histoire contemporaine par le pouvoir
00:15 dans le but de se légitimer.
00:16 Selon notre historien Julien Théry, la Macroniste sait en réalité très peu de quoi elle parle
00:21 quand elle évoque le 8 mai, ce qui est logique selon lui parce qu'elle se caractérise
00:24 de manière générale par une inculture générale qui serait le pendant du vide néolibéral.
00:29 On a voulu décortiquer avec lui les commémorations qui ont eu lieu, ce qui a été dit mais
00:33 aussi et surtout ce qui a été occulté.
00:35 Bonjour Julien.
00:39 Salut.
00:41 Alors j'aimerais qu'on commence par évoquer la figure de Jean Moulin, chef de la Résistance
00:47 intérieure française durant la deuxième guerre mondiale, mort torturée par les nazis
00:51 le 8 juillet 1943.
00:52 Avant d'en parler, j'aimerais qu'on regarde un extrait de l'hommage très émouvant
00:56 que lui avait rendu Jean Malraux lors du transfert de ses cendres au Panthéon en 1964.
01:00 Entre ici Jean Moulin avec ton terrible cortège, avec ceux qui sont morts dans les caves sans
01:10 avoir parlé comme toi et même ce qui est peut-être plus atroce en ayant parlé.
01:18 Avec tous les rayés et tous les tendus des camps de concentration, avec le dernier corps
01:26 trébuchant des affreuses files de nuit et brouillard enfin tombé sous les crosses,
01:33 avec les 8000 françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme
01:40 morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres, entre avec le peuple
01:47 né de l'ombre et disparu avec elle, nos frères dans l'ordre de la nuit.
01:53 André Malraux bien évidemment.
01:55 Alors Julien, qui était ce Jean Moulin et pourquoi tient-il une place centrale dans
01:59 l'histoire en France ?
02:00 Difficile de ne pas être pris à la gorge même quand on l'entend pour la 20e fois
02:05 par ce discours d'André Malraux le 19 décembre 1964 au moment où les cendres de Jean Moulin,
02:11 ce qu'on pense peut-être être les cendres de Jean Moulin entre au Panthéon.
02:15 C'est l'une des raisons, ce moment-là, et pas seulement les faits eux-mêmes, même
02:20 s'ils sont primordiaux, mais ce moment-là, ce discours de Malraux, c'est l'une des
02:24 raisons pour lesquelles Jean Moulin, c'est une personnalité qui est ressortie au sacré,
02:28 en quelque sorte, au sacré laïc, au plus profond peut-être de ce qui peut unir les
02:35 Français, la France, la nation.
02:36 Et ça participe en même temps, cette sorte de canonisation laïque de Jean Moulin, aussi,
02:45 c'est un autre côté de la chose, du mythe résistentialiste, c'est-à-dire de cette
02:49 idée qui a été amplement diffusée par le gaullisme, notamment, selon laquelle, en
02:53 fait, la plupart des Français auraient résisté, la plupart des Français auraient...
02:56 Ce serait opposé à l'occupant et à la collaboration, donc, au régime du maréchal
03:02 Pétain, ce qui est évidemment absolument faux.
03:04 Les résistants ont été tout à fait minoritaires et il y a eu de très nombreuses trahisons
03:09 de la part des Français qui ont activement collaboré.
03:12 Jean Moulin, donc, c'était au départ un homme, un haut fonctionnaire de la Troisième
03:18 République, un homme de gauche, un homme sérieusement de gauche.
03:22 Il a travaillé notamment avec les gouvernements du Front populaire, donc ces grands gouvernements
03:27 de gauche des années 1936-1937.
03:29 Il a soutenu les républicains espagnols.
03:32 Il a fait passer des armes en secret aux républicains engagés dans le combat contre le fascisme
03:36 franquiste.
03:37 Il était préfet de La Veyron, puis, au moment de la défaite, donc en 1940, il était préfet
03:44 de L'Eure et Loire.
03:45 Je disais, c'était quelqu'un qui était de sensibilité radicale socialiste.
03:49 C'était un homme qui aimait aussi la belle vie, les arts, les intellectuels, les femmes.
03:56 C'était un bon vivant.
03:57 Et c'est quelqu'un qui, cependant, a préféré, au moment où il a été révoqué parce que
04:03 l'épéthéniste ne lui faisait pas confiance à l'automne 1940, donc, comme préfet,
04:09 il a préféré finalement rentrer dans la clandestinité, rejoindre le général de
04:12 Gaulle et puis se présenter à lui, organiser avec lui un plan pour unifier la résistance
04:19 et prendre tous les risques en revenant clandestinement sur le territoire français pour prendre des
04:25 contacts avec les différents mouvements et les unifier.
04:28 Il y arrive en mai 1943 à réunir les huit grands mouvements dans un organisme dont il
04:35 va être le premier président, extrêmement prestigieux, qui s'appelle le Conseil national
04:40 de la résistance.
04:41 Et le héritage de la résistance, c'est ça.
04:43 C'est un héritage, bien sûr, d'opposition au fascisme.
04:47 C'est aussi un héritage qui prend en compte l'analyse, les résultats de l'analyse
04:53 qu'ont fait les résistants des causes du fascisme.
04:55 Et donc, c'est un programme politique, économique et social qui a défini très largement la
05:01 construction des grands services publics, les nationalisations, la prospérité, le
05:07 regain d'égalité, disons, que la France a connu à partir des années 50 et jusqu'à
05:13 un retournement dont Emmanuel Macron est absolument emblématique, qu'il met en œuvre
05:18 en ce moment, retournement néolibéral conservateur.
05:22 Lors de son hommage à Jean Moulin, Macron a voulu engager une mini polémique, on va
05:27 dire, et répondre à Jean-Luc Mélenchon, qui dénonçait la mauvaise République que
05:30 représente à ses yeux la Ve République.
05:32 On écoute.
05:33 Moulin et Bloch nous disent que la République française n'est par définition ni mauvaise
05:38 ni défaste, elle est nécessaire, vitale, juste.
05:44 Elle l'était en 1792, en 1848, en 1870, en 1946, en 1958.
05:55 Elle l'est encore aujourd'hui.
05:57 Fidélité véritable à l'aspiration profonde de notre nation.
06:02 L'indépendance et l'humanisme.
06:05 Oui, nous vivons dans le pays où on ne peut jamais séparer impunément l'idée de République
06:12 et celle de progrès humain.
06:13 La France républicaine est indissociable depuis les Lumières et la Grande Révolution
06:20 des valeurs de justice et de liberté.
06:22 Et chaque fois qu'elle est menacée, chaque fois qu'elle est abandonnée ou trahie, se
06:30 dressent des Français ou des amoureux de la France, fidèles à l'esprit de résistance
06:35 qui caractérise profondément notre peuple.
06:37 C'est toujours assez périlleux de faire parler les morts, mais est-ce que là, l'angle
06:43 d'attaque de Macron qui se justifie du point de vue de l'histoire républicaine, car Jean
06:49 Moulin avait de très fortes convictions républicaines ?
06:51 Alors, je ne suis pas sûr du tout que la République telle que cela représentait Jean
06:56 Moulin, celle qu'il a servie quand il servait le Front populaire, ait grand chose à voir
07:00 avec la République d'Emmanuel Macron.
07:01 Il est même fort possible qu'elle lui soit tout à fait antithétique et opposée.
07:06 Là, on a un tour de passe-passe tout à fait typique de la Macronie avec une certaine perversité
07:12 qui consiste à faire comme si la République, ça ne pouvait être qu'une chose et comme
07:17 si historiquement, elle n'avait été que dans un sens.
07:21 Et alors, on mélange tout.
07:22 On mélange la République de 1848 qui est démocratique et sociale, qui est écrasée
07:27 par les forces des propriétaires et qui se transforme en République censitaire, en quelque
07:32 sorte, deux années plus tard.
07:34 On mélange finalement la République sociale que défendaient à nouveau les communards
07:38 et la République versaillaise qui les a écrasées et qui les a fusillées.
07:42 Il est évident que parler de République, une fois quand on dit République, en fait,
07:46 on n'a rien dit et on n'a surtout pas dit démocratie.
07:49 Je rappelle que la "Respublica" au départ, c'est le système de Rome.
07:52 Rome n'est absolument pas une démocratie.
07:54 Rome est au contraire une société dans laquelle les ordres sociaux sont cloisonnés et dans
08:02 laquelle il n'y a évidemment aucune égalité.
08:04 Donc là, il y a une sorte de tour de passe-passe.
08:08 Et alors, ce qui est d'autant plus amusant que Macron ici inclut la République de 1958.
08:16 Et là, ça nous renvoie à la question du 8 mai, de cette célébration finalement de
08:21 la victoire sur le fascisme que doit être le 8 mai.
08:23 Le fascisme, bien sûr, de l'Allemagne hitlérienne, le fascisme italien, mais aussi le fascisme
08:28 français qui est arrivé au pouvoir à la faveur de la défaite de Carente.
08:32 Maurras, le chef de file, le grand penseur de l'extrême droite, disait "c'est une
08:37 divine surprise parce que cette défaite qu'on regrette évidemment, du point de vue nationaliste,
08:41 a permis l'instauration du régime idéal".
08:44 Et c'est un régime de type fasciste, celui de la Révolution nationale de Pétain.
08:49 Alors, cette République de 1958 que Macron, là, avec beaucoup d'effronterie, mis sur
08:56 le fait que les gens ne savent pas, met sur le même plan que la République de 1848,
09:00 par exemple, alors que ça n'a rien à voir, c'est l'opposé.
09:02 Cette République de 1958, il ne faut pas oublier qu'elle est le résultat d'un
09:06 putsch, un putsch militaire de l'armée française en Algérie, qui unit trois forces,
09:12 les gaullistes bien sûr, les ultra, les colons algériens français, et la vieille
09:18 extrême droite française pétiniste réunie tous les trois en chœur, sur un malentendu
09:22 sans doute, mais pour porter De Gaulle au pouvoir.
09:24 Alors De Gaulle va les décevoir au bout d'un certain temps, mais il ne faut pas oublier
09:28 donc que cette République-là, celle de 58, présidentialiste et même monarchique,
09:32 qui donne tous les pouvoirs, ça s'est aggravé avec les différentes réformes constitutionnelles
09:35 depuis au président, qui lui permet de faire passer des lois dont la population ne veut
09:40 pas, cette République, cinquième République de 1958, elle n'est pas totalement étrangère
09:45 au vieux fond pétiniste, aux aspirations pétinistes de la France, et les circonstances
09:49 de son avènement sont là pour le rappeler.
09:52 Voilà, donc tour de passe-passe, oui bien sûr, réponse à Mélenchon, manipulation
09:59 aussi à la fin du discours, je ne sais pas si tu as remarqué, il termine en disant,
10:02 sur un ton habituel, sacerdotal, comme s'il était un peu en train de faire un serment
10:07 après la messe, unanimiste, donc on est tous une nation, bien sûr, les intérêts des
10:12 petits sont les mêmes que ceux des grands, il dit à la fin "l'esprit de résistance,
10:16 c'est la France".
10:17 Ça fait beaucoup rire quand on sait comment sa police traite ceux qui y protestent, sans
10:23 même aller jusqu'à la résistance, on ne peut plus manifester son dissensus finalement
10:26 sans risquer la mutilation maintenant en France.
10:29 Mais, je ne sais pas si tu te souviens, il a fait une sortie, parmi beaucoup d'autres,
10:32 sur les gaulois réfractaires, il y a quelque temps.
10:35 Les gaulois réfractaires, alors c'est le discours qu'on tient pour parler de ceux
10:39 qui n'acceptent pas les réformes nécessaires néolibérales, qui précisément minent le
10:44 programme du CNR, c'est ceux qui considèrent que la vie de ceux qui ne possèdent pas le
10:48 capital, la vie de ceux qui ne sont pas des bourgeois, ne doit pas être intégralement
10:51 vouée au travail, jusqu'à la mort.
10:53 Alors, donc c'est des gaulois réfractaires quand on n'arrive pas à leur imposer des
10:57 réformes néolibérales, mais quand on veut faire un grand rituel d'unité républicaine,
11:02 on exalte l'esprit de résistance.
11:03 On manie tout, et c'est au contraire, ça s'appelle de la manipulation.
11:07 Tu estimes qu'Emmanuel Macron, dans sa pratique politique, est très loin de ce que tu appelles
11:11 l'esprit du 8 mai.
11:12 Tu nous expliqueras ce que tu entends par cette expression, mais on voulait d'abord
11:15 regarder un extrait de prise de parole de Macron au moment où il réhabilitait partiellement
11:19 le maréchal Pétain, ennemi juré de la France libre et donc de Jean Moulin.
11:23 Je considère qu'il est tout à fait légitime que nous rendions hommage au maréchal, qui
11:29 ont conduit aussi l'armée à la victoire, et que cet hommage soit rendu, comme il l'est
11:32 d'ailleurs chaque année par l'armée française.
11:34 Mon chef d'état-major particulier sera présent à cette cérémonie.
11:37 Je ne fais aucun raccourci, mais je n'occulte aucune page de l'histoire.
11:42 Et maréchal Pétain a été, pendant la première guerre mondiale, aussi un grand soldat.
11:46 De manière générale, c'est quoi l'esprit du 8 mai ?
11:49 Alors, comme pour la mémoire de tout événement historique, c'est disputé, c'est controversé.
11:57 Tout le monde n'est pas d'accord.
11:58 Le 8 mai, ce n'est pas la même chose pour tout le monde.
12:01 Manifestement, ceux pour qui le 8 mai, c'est la victoire sur le fascisme, y compris français,
12:05 comme je le disais tout à l'heure, ne sont pas entièrement en phase avec le 8 mai tel
12:10 que le voit Emmanuel Macron, qui est finalement un moment que l'on doit commémorer dans
12:15 un esprit d'unité nationale, avec quand même des tonalités qui ne sont pas si éloignées
12:20 du pétennisme, quand on met l'accent justement sur le fait qu'il y a un intérêt commun
12:25 qui doit prévaloir.
12:26 Il n'y a pas de conflit au sein de la société.
12:28 Et d'ailleurs, finalement, tout le monde doit être réuni dans l'esprit de travail.
12:33 Tu sais bien que depuis la crise des retraites, Macron essaie de se rétablir en promouvant
12:38 ce qu'il appelle un pacte de la vie au travail.
12:40 C'est assez glaçant comme manière de formuler les choses.
12:42 Le dernier régime qui a mis le travail au cœur de sa devise, de son esprit général,
12:47 c'est Vichy.
12:48 Travail, famille, patrie, à la place de liberté, égalité, fraternité.
12:53 La Macronie a déployé des éléments de langage pour dire que ça allait être, il
12:56 fallait mettre en avant travail, ordre, progrès.
12:59 Donc le travail, c'est pour le grand patronat.
13:02 Il faut que tout le monde bosse le plus tard possible pour nourrir le capital, pour que
13:06 les plus valuables aillent au capital.
13:08 L'ordre, c'est pour la droite et l'extrême droite.
13:09 Et puis le progrès, c'est pour la gauche de gouvernement, pour leur faire un petit
13:12 peu plaisir.
13:13 Mais il y a cette idée que les intérêts sont les mêmes pour tout le monde dans une
13:17 société.
13:18 Les intérêts de Légoutier sont les mêmes que les intérêts de Bernard Arnault, naturellement.
13:22 Et puis, qu'on doit tous communier dans le souvenir de grands moments de l'histoire
13:29 dont en fait, toute conflictualité est oubliée.
13:33 Alors, quand on considère que le 8 mai, c'est la victoire sur le fascisme en général,
13:40 on n'a pas le sentiment quand même que l'esprit général du macronisme est en phase.
13:46 Il y a plein d'éléments qui permettent de le souligner.
13:51 Alors, Pétain, naturellement, ça, le Pétain, le grand soldat.
13:55 Bien sûr, il faut à tout prix distinguer entre le Pétain qui a été frappé de la
14:01 dignité nationale, donc qu'on n'est plus censé légalement célébrer, au terme de
14:05 son procès en 1945, condamné à mort en plus, gracié par le général, et le Pétain vainqueur,
14:11 dit-on à Verna.
14:12 Ce n'est pas lui qui est mort.
14:13 Il ne faisait pas partie des centaines de milliers, même des millions d'hommes qui
14:17 sont morts.
14:18 Mais c'est un vieux thème mitterrandien.
14:20 Et on sait toutes les ambiguïtés de François Mitterrand concernant cette période, les
14:25 amitiés même qu'il a gardées.
14:27 Ça, ce n'est pas très loin quand même et ça ménage l'esprit de l'extrême droite
14:33 française avec, par exemple, ce vieux slogan "Pétain à Douaumont".
14:38 Il faut mettre les cendres du général Pétain, du maréchal Pétain, pardon, non pas à l'île
14:43 d'Yeux où elles sont aujourd'hui, où il est mort en exil après avoir été gracié,
14:46 mais les ramener à Douaumont, qui est l'un des villages qui ont été rasés pendant
14:50 la bataille de Verdun, qui l'a mené.
14:53 Bon, j'allais dire que c'est presque un passage obligé, finalement, dans une tradition
14:59 mitterrandienne que de dire que Pétain, quand même, il faut garder un certain nombre d'éléments.
15:05 Mais on sait très bien, plus largement, que depuis qu'il est au pouvoir, Macron n'arrête
15:10 pas de ménager l'extrême droite.
15:13 Alors toujours en tenant un double discours, mais globalement, il veille toujours à donner
15:18 des gages.
15:19 Tu te souviens peut-être quand Éric Zemmour, avant la présidentielle, a été victime
15:24 d'une altercation dans la rue, quelqu'un qui l'a interpellé.
15:26 Macron, président de la République, a tenu à faire savoir par les journalistes qu'il
15:31 l'avait appelé pour savoir s'il allait bien, etc.
15:35 Pendant une demi-heure, on dit les médias, il a eu cette conversation avec Zemmour.
15:39 Je crois qu'il a été question aussi que Zemmour lui...
15:42 Que chacun connaît.
15:43 Créature de Bolloré dans son combat civilisationnel, suprémaciste blanc, ouvertement raciste.
15:49 Macron, je crois, lui a demandé une note sur l'immigration.
15:52 Par ailleurs, il y a un an, il y a un rugbyman, un Fédérico Aramburu, qui est assassiné
15:59 par des sbires d'extrême droite, des gars du GUD à Paris parce qu'il avait pris la
16:03 défense d'un homme noir.
16:04 Aucun communiqué de l'Élysée, en aucune manière.
16:09 On a fêté l'anniversaire de cet assassinat par un représentant du gouvernement français
16:16 parce qu'on ne veut pas fâcher l'extrême droite.
16:19 On sait bien par ailleurs que Darmanin, qui lui-même est passé par l'extrême droite,
16:24 qui n'a pas pu s'empêcher de mettre quelques éléments d'antisémitisme dans un de ses
16:27 bouquins pseudo historiques.
16:29 Tout le monde peut voir cette vidéo dans laquelle il est confronté à Marine Le Pen et où il
16:34 lui dit "vous n'êtes pas assez à droite, vous n'êtes pas assez ferme sur l'immigration,
16:37 vous n'êtes pas assez ferme dans la défense de la police".
16:40 Donc voilà, si tout ça c'est conciliable avec l'esprit antifasciste du 8 mai, pourquoi
16:47 pas, mais ça me paraît quand même bien difficile.
16:50 - Et tu évoques aussi des pulsions racistes instrumentalisées en cas de difficultés
16:56 politiques.
16:57 - Oui, ça fait partie des techniques de communication habituelles, ça ne date pas de Macron.
17:03 Manuel Valls a été un pro en la matière, mais ça date malheureusement des gouvernements
17:07 socialistes, dès 1983 quand il y a des grandes grèves des ouvriers des usines Talbot, alors
17:13 que le gouvernement socialiste est au pouvoir, les ministres socialistes dénoncent la radicalisation
17:18 religieuse des ouvriers pour ne pas avoir à faire droit à leurs revendications.
17:22 C'est une technique qui est très souvent utilisée, qui est extrêmement mortifère
17:25 évidemment.
17:26 On a très bien vu par exemple que face au mouvement des gilets jaunes, qui en fait n'était
17:31 pas raciste, qui a beaucoup déçu finalement le gouvernement, ce qui a empêché de les
17:35 diaboliser, tout de suite après on a eu quoi ? La loi séparatisme.
17:38 Il faut désigner un ennemi, un ennemi de l'intérieur, alors cette fois-ci c'est
17:43 l'islam.
17:44 Voilà, mais les communicants ont l'habitude de ce genre de choses.
17:47 On a bien vu que là, pour essayer de sortir de la crise des retraites, il a été question,
17:52 c'est repoussé maintenant mais ça va revenir, de faire une loi sur l'immigration, une loi
17:56 aussi dure que possible sur l'immigration.
17:59 Voilà, le racisme comme roue de secours, comme dernière carte pour sauver les réformes
18:04 néolibérales, pour sauver les réformes qui détricotent le programme du CNR, qui
18:12 détricotent l'état social, ça ne me paraît pas complètement progressiste ni dans la
18:16 ligne de la tradition antifasciste.
18:17 Justement lors des commémorations du 8 mai, on parle de moins en moins de ce Conseil
18:21 national de la résistance, de son programme politique, de sa vision du monde.
18:25 Comment cette occultation se manifeste et comment tu l'expliques ?
18:29 Point par point, tout ce que le CNR avait préconisé, tout le programme politique sur
18:35 lequel les membres de différentes sensibilités du CNR étaient tous d'accord.
18:40 Tous ces éléments ont été remis en cause par le néolibéralisme, par la révolution
18:46 conservatrice, à commencer par la nationalisation des grandes ressources EDF, GDF, en continuant
18:52 par la sécurité sociale qui incluait dans le programme du CNR, et ça a été dans une
18:56 certaine mesure mis en œuvre, bien sûr, la retraite.
18:59 Le fait qu'il ne doive plus y avoir, comme c'était le cas auparavant, des masses de
19:05 retraités pauvres.
19:06 Ce que Macron vient d'imposer contre le pays, c'est le retour, on va le voir rapidement,
19:12 le retour de la pauvreté des retraités.
19:15 C'est diamétralement opposé à ce programme-là.
19:21 Le MEDEF, notamment Denis Kessler, un des intellectuels du MEDEF, il l'a écrit explicitement,
19:27 s'est fixé, il y a entre 20 et 30 ans, pour programme de détricoter l'état social.
19:33 C'est aussi une idée qu'ont eu un certain nombre de pères de l'Europe, comme on dit,
19:37 je pense à quelqu'un comme Thomas O'Padua-Schioppa, un grand artisan de l'Europe italien, qui
19:40 dit "mais il faut que les populations perdent cette habitude finalement de bien vivre".
19:46 La vie est dure, il y a des souffrances.
19:50 C'est essentiellement ça, il ne faut pas espérer qu'un état social puisse aider
19:55 tout le monde.
19:56 C'est l'inverse du programme du CNR.
20:00 Par ailleurs, dernier point qui me semble particulièrement important, le CNR avait
20:05 pleinement conscience que c'est la mainmise des grands intérêts privés sur les médias
20:12 dans les premières décennies du XXe siècle qui avait pourri le débat public.
20:15 L'inexistence de médias indépendants qui avait donné cette presse absolument dégoûtante,
20:22 patronale, extrême, des années 20 et 30 en particulier.
20:26 Et donc il avait mis dans son programme "interdiction priorité à l'interdiction des concentrations
20:31 dans les médias, pour la liberté de l'information".
20:33 Tu vois où on en est ?
20:35 - Oui, aujourd'hui justement ça s'illustre la trahison de l'esprit du CNR.
20:41 - On veut faire vivre un média indépendant alors que toutes les masses médias sont possédées
20:45 par des Bolloré, des Pinot, des Kretinsky, etc.
20:48 Autrement dit, on est dans la situation, beaucoup de gens disent souvent "j'ai l'impression
20:51 qu'on en revient aux années 30".
20:52 Alors évidemment, il y a des différences, mais de fait, effectivement, du point de vue
20:57 de l'état des médias, du point de vue de la situation mortifère de l'espace public,
21:04 même cause, mêmes effets.
21:05 Regarde, Zemmour, c'est Bolloré, c'est l'œuvre de Bolloré.
21:10 - Le général de Gaulle était loin d'être un homme de gauche, mais quelque part gardait
21:13 une forme de respect pour l'esprit du CNR et une sorte de défiance vis-à-vis d'un
21:20 capitalisme débridé.
21:21 On regarde des images d'Archive d'ailleurs.
21:22 - Seulement, voilà, la propriété, la direction, le bénéfice des entreprises dans le système
21:31 capitaliste n'appartient qu'au capital.
21:34 Et alors ceux qui ne le possèdent pas se trouvent dans une sorte d'état d'aliénation
21:42 à l'intérieur même de l'activité à laquelle ils contribuent.
21:47 Non, le capitalisme du point de vue de l'homme n'offre pas de solution satisfaisante.
21:56 - Le 8 juillet 1945, c'est également des massacres occultés, les massacres de Setif
22:02 et d'Eghelmet en Algérie.
22:03 Que nous dit cette concomitance entre des réjouissances à Paris et le sang versé dans
22:08 les colonies ? Et quel rapport Emmanuel Macron entretient avec la mémoire de la guerre d'Algérie
22:12 ?
22:13 - Je veux bien qu'on t'emmène là-dessus, mais si tu veux juste un petit commentaire
22:14 quand même sur ce que disait de Gaulle.
22:16 Là, c'est un discours en juin 68, donc au moment où il a eu à faire face à une opposition
22:21 énorme de gens qui d'ailleurs se réclamaient de la résistance et où il dit le capitalisme
22:26 ça suffit pas.
22:27 Le capitalisme finalement, ça ne peut pas être le garant d'un équilibre social.
22:35 Alors, il continuait en disant la solution c'est la participation.
22:38 Il faut que les ouvriers possèdent des parts de capital.
22:40 Depuis, on en est revenu et on sait que ce n'est pas comme ça que ça fonctionne.
22:45 Et même les néolibéraux n'osent plus y croire en quelque sorte.
22:48 Mais effectivement, comme tu le disais, ça montre à quel point de Gaulle avait encore
22:54 en tête, il avait dû réactiver ça à cause de mai 68, mais était encore dans un esprit
22:59 disons tout à fait antithétique à l'idéologie néolibérale qui est celle d'Emmanuel Macron,
23:04 qui était déjà celle de Nicolas Sarkozy et de François Hollande.
23:09 Et pour terminer là dessus, CNR, cet esprit du CNR, pour illustrer un petit peu le caractère
23:16 retort des stratégies macronistes, tu sais qu'il a créé un CNR aussi Macron.
23:22 Raffinement de perversité quand même.
23:25 Pour détricoter les acquis du CNR, le Conseil national de la résistance, on va créer le
23:30 Conseil national de la refondation.
23:32 C'est quand même très fort.
23:34 Il faut oser.
23:35 Alors pour en revenir à ce que tu disais, je voulais qu'on y revienne un petit peu.
23:42 Effectivement, le 8 mai 1945, c'est une date qui n'a pas le même sens pour tout le monde.
23:47 Et pour les Algériens en particulier, elle a un sens bien différent puisque le 8 mai
23:51 1945, les Algériens, l'Algérie c'est la France, veulent manifester aussi célèbre
23:58 la victoire.
23:59 Sauf qu'il y a un mouvement de plus en plus important qui grossit depuis un certain temps
24:06 en faveur de l'indépendance.
24:07 En tout cas, il y a ce qu'on appelle le nationalisme algérien, un mouvement décolonial notamment
24:12 sous la au-lai de Messali Hadj.
24:14 Les autorités qui ont longtemps été vichistes, qui sont devenues gaullistes, posent des conditions
24:21 drastiques à ce que les Algériens manifestent.
24:23 Ils ne doivent absolument pas brandir de drapeau algérien.
24:26 Or, il y en a qui le font.
24:29 Et notamment un garçon qui s'appelle Bouzid Saal qui finit par brandir le drapeau et qui
24:35 est immédiatement abattu par un policier français.
24:38 Et c'est le début d'émeutes d'abord anti-européennes et surtout de massacres qui répondent à
24:45 ces émeutes anti-européennes.
24:46 Et des milliers d'Algériens, de civils algériens sont massacrés de manière sommaire pendant
24:52 des semaines et des semaines jusqu'à la mi-juin.
24:53 C'est ce qu'on appelle donc, ça commence avec les grandes émeutes de Sétif et Gelma.
24:57 Et donc c'est le 8 mai 1945.
24:59 C'est tout à fait saisissant je trouve de voir qu'on célèbre la victoire sur la barbarie
25:04 le 8 mai 1945 en disant bien sûr c'est pas nous c'était les autres, c'était Hitler
25:09 etc.
25:10 Mais que dans le même temps, le même jour, on continue à perpétrer des actes de barbarie
25:17 très loin chez les indigènes.
25:19 Ça rappelle aussi que le nazisme et le fascisme en général c'est pas un accident.
25:24 Il vient pas de nulle part.
25:27 C'est le produit de l'Occident, du bain général des sociétés occidentales qu'elles
25:33 soient républicaines ou qu'elles aient sombré dans des régimes autoritaires fascistes
25:37 depuis la fin du 19e siècle.
25:39 Je pense qu'il serait bon, ce serait juste aussi que désormais, c'est le combat notamment
25:44 du parti des indigènes de la République mais pas seulement, que désormais on célèbre
25:47 aussi, on commémore, on se souvienne aussi, on réfléchisse à ce qui s'est passé à
25:51 cette époque là dans les colonies.
25:53 D'autant plus que ces violences absolument terribles commises par les colons, il n'y
25:57 a pas qu'en 1945 en Algérie qu'elles se développent bien sûr.
26:01 Madagascar en 1947 etc.
26:03 De manière plus large, comment peut-on décrire la stratégie mémorielle du macronisme s'il
26:09 y en a une ?
26:10 Tu vois bien c'est une stratégie unanimiste et en cela il y a un côté vichiste, c'est-à-dire
26:18 qu'on n'admet pas les conflits, on n'admet pas les divergences.
26:21 Il faut une unité dans une fiction d'intérêt commun et que chacun reste à sa place surtout.
26:26 Il y a vraiment cet esprit là.
26:29 Après tu as commencé par l'admission en me prêtant des propos que je tiens, que je
26:36 maintiens effectivement selon lesquels il y a une vacuité intellectuelle du néolibéralisme
26:40 qui va de pair avec l'inculture crasse de la Macronie.
26:42 Ils n'ont aucune culture historique, ils ne savent pas de quoi ils parlent.
26:46 Il faut quand même se figurer que le ministre des armées de la République française,
26:49 monsieur Lecornu, a confondu dans son discours pour le 8 mai, moment par excellence où il
26:55 doit exercer ses fonctions de manière rituelle, l'armistice du 11 novembre 1918 et la capitulation
27:03 du 7 mai pour ce qui est de l'Ouest et du 9 mai pour ce qui est de l'URSS de l'Allemagne
27:08 nazie.
27:09 Alors que lui ne savait pas bien.
27:11 Mais ses conseillers, qui sont censés avoir un emploi du temps, être très agités,
27:15 être fatigués, mais ses conseillers sont censés avoir un minimum de notions de base.
27:19 Ils ne les ont même pas.
27:20 Et c'est une illustration parmi d'autres de cette inculture historique générale.
27:24 Malheureusement on en est là.
27:27 Merci Julien en tout cas.