Aujourd'hui, dans "Bienfait pour vous", Mélanie Gomez et Julia Vignali ouvrent le dossier santé du jour avec Constance Lasserre.
Retrouvez "La question du jour" sur : http://www.europe1.fr/emissions/vite-fait-tres-bien-fait
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00:00 maintenant sérieusement au niveau gourmandise avec notre invitée, c'est vous Constance Lasserre, bonjour !
00:04 - Bonjour !
00:05 - Vous êtes gastronome, comédienne et auteur de ce livre
00:08 "Plaidoyer pour la gourmandise" publié chez Equateur.
00:11 Alors Constance, l'idée de ce livre vous est venue en lisant les commentaires
00:15 sous les vidéos que vous postiez sur les réseaux sociaux.
00:18 Vous êtes créatrice de contenus spécialisés dans le domaine de la nourriture.
00:22 On vous dit souvent gourmande, mais souvent ce n'était pas vraiment un compliment en fait.
00:26 Qu'est-ce que vous avez observé ?
00:27 - Oui c'est exactement ça en fait, je publie sur les réseaux sociaux des petites reviews de restaurants.
00:31 Donc je me filme en train d'aller au restaurant et puis je me filme, je monte mes réactions
00:35 en m'entrain de dire "Miam, ça j'adore, ça c'est bon, ça c'est sucré, ça c'est acide etc."
00:40 Et très vite, j'ai commencé à avoir des commentaires de gens qui me disaient
00:43 "Oh là là, mais qu'est-ce que t'es gourmande, dis donc, en voilà une qui sait se faire plaisir etc."
00:48 Et ça peut avoir un côté où on peut se dire "Ah c'est gentil, c'est pas méchant."
00:52 Et en même temps je me suis dit, par rapport à d'autres créateurs de contenus,
00:55 par exemple des gens qui présentent des habits ou des livres,
00:58 on leur dira jamais "Dis donc, t'aimes bien les livres toi."
01:01 - Oui, genre "Tu te mets pas trop de limites."
01:03 - Ouais c'est ça, ou "T'en as pas marre d'acheter des vêtements ?"
01:05 - Sous le temps un peu du reproche quoi, c'est ça quelque part.
01:08 - Voilà c'est ça, et donc je sentais qu'il y avait quand même quelque chose un petit peu de pernicieux
01:11 derrière de "Un peu mais dis donc, elle se permet tout celle-là quoi."
01:14 Alors que moi je me le permets pas et donc elle, elle le fait.
01:16 Donc il y avait ça et même des commentaires qui étaient beaucoup plus virulents de
01:20 "Tu t'arrêtes jamais de te goinfrer, t'en as pas marre, bientôt le diabète,
01:24 attention au cholestérol." Enfin, plein de choses comme ça.
01:27 - Ça allait loin quand même, effectivement.
01:27 Est-ce que vous n'avez pas l'impression que notre rapport, mais là de manière générale,
01:30 à la gourmandise a justement changé ces dernières années sur les réseaux sociaux ?
01:34 Par exemple on a l'impression qu'il y a un peu deux camps,
01:36 ceux qui montrent qu'il faut manger hyper sainement, la "healthy food" etc.
01:40 et puis ceux qui font au contraire des orgies de nourriture, de "porn food" comme on dit.
01:45 Il y a un juste milieu quand même, non ?
01:47 - Oui c'est exactement ça avec les réseaux sociaux, comme tout est très visuel,
01:51 on a besoin de comprendre tout de suite le message,
01:53 et on a besoin de savoir si on est dans le "healthism" comme on dit,
01:56 avec des avocados toast, des jus verts, des graines de chia,
01:59 des choses on va se dire "sain, sain, sain", ça va crier "sain",
02:02 et d'autres choses au contraire, "porn food", dégoulinant de fromage,
02:05 des burgers à cinq étages, des pizzas avec des coquillettes dessus,
02:08 recouvertes de fromage, recouvertes de voilà.
02:10 Donc c'est vrai qu'on dirait qu'il n'y a aucun extrême,
02:13 et que soit on mange extrêmement mal, soit on mange "extrêmement bien" mais sans plaisir.
02:18 Et moi ce que j'essaye de montrer c'est justement que la gourmandise c'est entre les deux.
02:22 Et justement vous parlez dans votre livre de ce rapport un peu sensuel et charnel à notre alimentation.
02:28 C'est vrai que manger avec gourmandise c'est un peu sexy en fait ?
02:31 Comme la chronique de Clément Lannoy qui était assez sexy aujourd'hui.
02:33 On a toujours l'impression que ceux qui piquent corps ou qui ne mangent que des graines,
02:36 ils ne mangent pas la vie à pleines dents quoi, c'est clair de le dire.
02:39 C'est vrai qu'entre l'appétit pour la nourriture et l'appétit sexuel, il y a évidemment des liens.
02:44 Après moi quand je dis charnel et sensuel, c'est plutôt justement le côté éveil des sens,
02:48 et le fait de faire passer avant tout les sens, donc vraiment le sens premier du mot sensuel,
02:52 et la chair, les plaisirs de la chair, en opposition à ceux de l'intellect en fait et de l'esprit.
02:57 Donc c'était plutôt ça, c'était aussi de revenir à la nourriture d'abord par les sens,
03:01 par la bouche, les papilles, avant de réfléchir à nos calories etc.
03:05 Mais c'est ce lien justement avec la sensualité qui en a fait peut-être à l'époque un péché capital ?
03:09 Évidemment, parce que la nourriture tout comme le sexe est un vecteur de plaisir immense,
03:13 et que c'est un besoin qui est de base vital, mais dont on peut "abuser" pour un but qui n'est que le plaisir.
03:19 - Mais c'est bien le plaisir pourtant, on n'a pas le droit de se donner du plaisir comme ça ?
03:23 - Ah bah si, on a totalement le droit !
03:25 - C'est ce qu'on va faire ce matin !
03:26 - Non mais parce que moi j'ai lu aussi dans votre livre, j'ai halluciné qu'il y avait une pétition
03:29 qui a récemment été envoyée au Pape pour justement retirer la gourmandise des 7 péchés capitaux.
03:34 - Signée Clément Elle !
03:35 - On en est où de cette requête, vous savez pas ?
03:38 - Bah non, alors malheureusement, ça avait été commencé par Lionel Poilane, le boulanger assez connu,
03:42 ça a été repris par sa fille quand il est décédé au début des années 2000,
03:46 et donc elle a présenté un recueil de textes qu'elle a emmené au Pape avec des confrères etc.
03:51 défendant la gourmandise. Malheureusement ça n'a pas abouti,
03:54 le projet était de soit enlever la gourmandise de la liste des péchés,
03:57 soit de la remplacer par le mot "gloutonnerie"
03:59 qui serait en fait plus proche de la traduction de la Bible dans les autres langues.
04:02 Par exemple en anglais c'est "gluttony", donc on a vraiment cet aspect glouton,
04:05 alors que la gourmandise pour les français en tout cas c'est vraiment le fait d'être gourmet.
04:09 Et donc pour Lionel Poilane et ses concitoyens, ça n'était pas un péché.
04:13 - Et c'est pour ça que le Pape aurait dû l'enlever.
04:15 - Et ce sera une émission très gourmande aujourd'hui, pas gloutonne.
04:18 Donc bien fait pour vous, on vous invite à revisiter ce matin la notion de gourmandise.
04:22 De nos jours notre rapport à ce que nous mangeons n'a plus rien d'anodin,
04:25 tout est calculé, pesé, et bien si on arrêtait ça pour retrouver juste un rapport joyeux à la nourriture,
04:31 à tout de suite sur Europe 1.
04:33 Europe 1, bien fait en vous.
04:35 Mélanie Gomez, Julia Vignali.
04:40 - Ravie de vous retrouver sur Europe 1, nous sommes ensemble jusqu'à midi,
04:44 et ce matin dans notre émission on vous explique comment croquer encore davantage la vie à pleines dents.
04:48 On va parler de gourmandise dans l'assiette grâce à l'éclairage de Constance Lasser,
04:53 gastronome, comédienne et auteur de "Plaidoyer pour la gourmandise",
04:57 un livre publié chez Equateur.
04:59 Alors Constance, les régimes existent depuis des années et ça continue,
05:04 est-ce que notre quête de minceur et notre envie de manger,
05:07 justement envie de manger sain tout le temps, n'a pas été déréglée selon vous,
05:11 justement par ces régimes à la mode et à répétition ?
05:14 - Oui en effet les régimes existent depuis le 15e siècle, d'abord dans un souci de santé,
05:18 et ensuite depuis le 19e siècle pour atteindre cet idéal de minceur qui a commencé à émerger,
05:23 et en effet en imposant des règles exogènes à son organisme,
05:27 en disant "je vais manger ça parce que dans tel but etc.",
05:32 on se déconnecte en fait de ses sensations, de ses goûts,
05:35 et à force d'organiser son alimentation autour de règles et de choses qu'on nous a dit,
05:40 voire même de gourous, à la fin on ne sait même plus ce que vraiment nous on aime,
05:44 et on ne sait plus exercer ses papilles, ses sens finalement.
05:47 - Est-ce que c'est pas l'industrie alimentaire aussi qui nous a peut-être un peu faussé l'essence ?
05:51 Je veux dire, aujourd'hui on a des produits très transformés,
05:54 et on nous fait croire par le marketing notamment que c'est ça la gourmandise,
05:58 que c'est ça qu'on doit aimer, que c'est ça qui est gourmand,
06:01 alors qu'en réalité la gourmandise c'est quelque chose de très subjectif.
06:04 - Oui tout à fait, les produits ultra transformés, il y a énormément de sucre ajouté,
06:08 on le sait, il y a des exhausteurs de goût,
06:09 et c'est vrai que ça uniformise, ça façonne énormément nos goûts,
06:13 et il faut savoir que le goût c'est à la fois naturel mais aussi énormément construit,
06:16 ça dépend énormément de notre éducation, de ce dont on a grandi,
06:19 et c'est vrai qu'aujourd'hui on se dit que pour se faire plaisir,
06:22 il va forcément devoir manger très gras, très sucré, etc,
06:25 alors que la gourmandise elle se trouve dans tout,
06:27 voire même dans des brocolis rôtis, quand on en a envie, mais il n'y a rien de meilleur.
06:31 - Avec une petite sauce au sésame moi je dirais.
06:33 - Non c'est pas mal la sauce au sésame, vous avez rendu gourmand les brocolis.
06:37 Alors j'imagine que tout ça, toutes ces questions qu'on se pose, posent des problèmes,
06:40 notamment avec l'augmentation des troubles du comportement alimentaire,
06:44 je pense notamment à l'orthorexie,
06:46 ou même des troubles plus graves encore comme l'anorexie ou la boulimie.
06:50 - Oui tout à fait, alors l'orthorexie n'est pas encore reconnue comme une maladie mentale
06:54 au sens des troubles du comportement alimentaire,
06:56 mais en effet c'est cette obsession de manger sain,
06:58 qui peut altérer vraiment notre vie, notre santé mentale,
07:02 notre bien-être social, notre bien-être de tous les jours,
07:04 où vraiment il y a des gens qui, à force de vouloir manger que sain,
07:07 se coupent des autres parce qu'ils ne mangent pas comme nous,
07:09 passent des heures à réfléchir, sont obsédés par la nourriture,
07:13 et au final la santé globale, parce qu'on parle beaucoup de santé physique,
07:16 mais la santé c'est à la fois la santé mentale et la santé physique,
07:19 c'est l'OMS qui le dit, et en fait avoir une bonne santé physique
07:22 au détriment d'une santé mentale détériorée, ce n'est pas terrible.
07:25 - Alors on a du mal à le croire, mais vous-même Constance,
07:27 vous avez été à une époque de votre vie une anti-gourmande,
07:30 c'était motivé par quoi ? Par la quête de minceur justement dont on parlait ?
07:33 Par un besoin de contrôle ? Expliquez-nous cette période-là.
07:36 - Oui c'était tout à fait ça, la quête de minceur,
07:38 je m'étais aperçue que j'avais pris du poids une année vers mes 20 ans,
07:43 et en effet je me suis dit "mais ça va pas du tout,
07:45 il faut que je re-rente dans mes anciens pantalons, il faut que je maigrisse",
07:47 et donc là j'ai commencé à appliquer des conseils qui sont assez classiques,
07:50 qu'on voit partout, réduire les glucides, manger des pommes,
07:53 boire plus d'eau, faire du sport, et j'ai perdu plus de 10 kilos je crois,
07:56 en 6 mois à peu près, donc voilà, je sais faire, je sais comment ça marche.
08:00 - Sauf que votre corps il a lâché, parce que vous étiez trop faible,
08:03 vous avez même été hospitalisée, et je crois que c'est un yaourt nature
08:07 qui a tout changé, est-ce que vous pouvez nous raconter ?
08:09 - Oui c'est ça, donc j'ai été hospitalisée parce que mon corps
08:12 n'avait plus les ressources de me faire tenir,
08:14 et après 24 heures, 48 heures sous perfusion,
08:17 donc je n'avais pas le droit à de nourriture solide,
08:18 et la première chose qu'on m'a donnée c'était un yaourt nature,
08:21 et moi qui avais diabolisé la nourriture pendant de nombreux mois,
08:24 là avec un simple yaourt j'ai eu un plaisir,
08:26 mais j'en ai eu les larmes aux yeux tellement c'était simple,
08:29 et tellement c'était beau, et de juste sentir sur ma langue le goût du yaourt,
08:33 parce que je n'étais pas en besoin de nutriments,
08:35 j'avais des perfusions donc j'avais tout ce qu'il me fallait,
08:37 mais il me manquait cette sensation de vie que me procurait l'alimentation.
08:41 - Qu'est-ce que vous recommandez justement pour les auditeurs d'Europe 1
08:43 qui nous écoutent pour remettre un peu de gourmandise dans leur vie ?
08:47 Vous parlez dans votre livre de l'alimentation intuitive,
08:49 est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est,
08:50 et puis comment on peut s'y mettre ?
08:52 - Oui, alors l'alimentation intuitive c'est un nom,
08:54 mais en fait ça devrait désigner la façon dont on mange par intuition,
08:57 donc sans se mettre de barrière, sans se poser de questions,
08:59 c'est un peu ce qu'on fait quand on est enfant,
09:01 quand on n'a plus faim on arrête de manger,
09:02 si on n'aime pas on ne mange pas, tout simplement,
09:05 et donc ça on peut tous le faire en se donnant cette liberté de se dire
09:09 "Et là si je pouvais manger ce que je voulais, qu'est-ce que je ferais ?"
09:12 Et c'est souvent un petit peu effrayant,
09:13 parce que les gens se disent "Mais si je pouvais manger ce que je voulais,
09:15 je ne mangerais que des pizzas et des burgers tout le temps,
09:17 et des gâteaux à longueur de journée",
09:19 et en fait on se rend compte que notre corps il s'auto-régule,
09:22 et qu'après avoir fait 2, 3, 4 repas un peu gras,
09:24 on va sûrement avoir très très très envie de brocoli, comme on disait.
09:26 - Moi c'est la mâche, comme ça quand j'ai mangé trop de gras j'ai des envies de mâche.
09:29 - Ah bon ? - Oui la salade c'est délicieux,
09:30 et je sais pas j'ai un besoin. - Ou de soupe, ou de bouillon.
09:32 - Non ça ça m'arrive jamais par contre.
09:33 - Ah oui le bouillon après des gros repas ? - C'est logique, ouais ouais ouais.
09:36 - Mais dites-moi j'imagine que vous vous êtes contre les "cheat meals",
09:39 vous savez ce sont ces repas ou ces snacks craquages qu'on s'autorise une fois par semaine,
09:43 maximum, j'imagine que votre philosophie à vous
09:46 c'est plutôt de distiller la gourmandise un petit peu partout, non ?
09:49 - Oui exactement, j'aime pas du tout le mot de "cheat meals"
09:51 parce qu'à se tricher en fait ça veut dire qu'on fait quelque chose de mal,
09:55 et pareil le mot "craquage", si on craque ça veut dire qu'il y a quelque chose qui a été trop serré en fait.
09:58 Donc je pense qu'en se faisant plaisir au quotidien,
10:00 on n'a même pas besoin de craquer et on peut se faire plaisir.
10:03 - Mais ça veut dire quoi se faire plaisir au quotidien ?
10:05 Vous par exemple, quel est le dernier plaisir que vous avez eu, que vous vous êtes autorisé en gourmandise ?
10:09 - Alors hier j'étais à un festival culinaire ce week-end, il s'appelle "Taste of Paris"
10:14 et je me suis régalée, j'ai goûté à un dessert incroyable à base de fraises,
10:17 champagne avec une coque en sucre magnifique,
10:20 et c'était un plaisir incroyable, et aussi d'échanger aussi avec les pâtissiers,
10:23 de mettre en valeur tout ce savoir-faire en fait, c'est tellement important
10:26 et ça fait du bien à tout le monde.
10:28 - J'ai faim. Merci Constance, on reste ensemble,
10:30 vous ne bougez pas, on a encore besoin de votre aide pour arriver à démocratiser la gourmandise,
10:34 ce si beau défaut que vous défendez pour rétablir le vrai bien manger.
10:38 Alors à tout de suite sur Europe 1.
10:39 - Soyez les bienvenus si vous nous rejoignez sur Europe 1,
10:47 on est toujours en train de s'intéresser au bienfait de la gourmandise.
10:51 On tente de voir comment retrouver une relation curieuse, décomplexée et sensorielle à notre assiette
10:56 grâce à vous Constance Lacerre.
10:58 Je rappelle que vous êtes gastronome, comédienne et autrice du plaidoyer pour la gourmandise,
11:02 publié chez Equateur.
11:04 Alors on l'a dit Constance, vous êtes sur Instagram, TikTok,
11:07 vous testez des restaurants, vous faites des recettes,
11:09 vous partagez vos coups de cœur culinaire avec votre communauté.
11:13 Pour vous la gourmandise ça rime forcément avec cette notion de partage et de convivialité ?
11:17 - Oui c'est hyper important, la gourmandise c'est vraiment quelque chose qui se partage,
11:21 et on dit que voilà, un repas partagé on a dix fois plus de plaisir à le manger seul,
11:25 et c'est même hyper important parce qu'en se concentrant sur l'environnement,
11:29 la conversation, tout ce qui se passe, le fait de débriefer ensemble aussi,
11:33 c'est hyper important pour moi quand je vais tester un restaurant,
11:35 de jamais être seule et d'être accompagnée,
11:37 de pouvoir discuter en fait de ce qu'on ressent, de ce qu'on aime,
11:39 ça décuple vraiment le plaisir.
11:41 - Et Constance dans votre livre, vous parlez aussi de votre famille,
11:44 et notamment de la cuisine de votre maman.
11:46 Est-ce que la gourmandise est quelque chose qu'il faut transmettre à votre avis aux enfants,
11:50 comme d'autres valeurs qui sont des valeurs piliers dans l'éducation ?
11:53 - Tout à fait, on transmet aux enfants l'amour de l'art,
11:56 l'amour de la culture, l'amour des livres, etc.
11:59 L'amour des belles choses, et pour moi la gourmandise c'est l'amour des bonnes choses,
12:02 et c'est aussi important que le reste, et c'est aussi une éducation des sens,
12:05 une éducation des goûts, et une éducation du bien manger,
12:07 et de savoir s'intéresser, je pense dès le plus jeune âge,
12:10 à ce qui est bon, pourquoi, et pourquoi est-ce qu'on aime ce qu'on aime finalement.
12:13 - Votre maman était aussi gourmande que vous, elle vous l'a transmis,
12:16 vous pensez que ça vient d'elle ?
12:17 - Ma maman est gourmande, mais je pense que c'est plutôt quelque chose que j'ai découvert moi-même,
12:21 parce que j'ai pas trop été élevée dans la gourmandise,
12:23 le repas c'était quelque chose d'assez machinal, on va dire,
12:26 il y avait du plaisir bien sûr à manger, mais c'était pas non plus un moment hyper important.
12:31 - Vous prépariez pas les repas avec votre maman ?
12:33 - Non, jamais, ça je regrette énormément d'ailleurs,
12:36 parce qu'elle voulait tout faire toute seule,
12:38 et nous on arrivait, on mettait les pieds sous la table,
12:39 on se disait "Oh, pourquoi on a encore des haricots verts ?"
12:41 - Mais vous pensez qu'il faut préparer nos repas avec les enfants,
12:43 par exemple pour les initier à la gourmandise ?
12:45 - Oui, je pense que c'est hyper important,
12:47 et aussi d'apprendre à connaître les produits bruts,
12:49 combien d'enfants ils ont pas vu un vrai poisson qui est autre que le poisson pané carré ?
12:54 Et oui, c'est hyper important de s'y intéresser, c'est crucial.
12:57 - D'autant plus que ça fait partie de notre patrimoine, Mélanie,
13:01 est-ce que d'ailleurs en dehors de la France, il y a d'autres pays
13:03 qui pourraient être qualifiés de patrie de grands gourmands,
13:05 où vraiment nous la France on est au top ?
13:09 - Moi je vais quand même pas dire la France,
13:11 je dois le dire on est quand même au top du top,
13:12 mais par exemple l'Italie, un pays incroyable,
13:15 il y a de gros gourmands là-bas aussi.
13:16 - Il y a une grosse concurrence entre les Français et les Italiens,
13:18 mais aussi moi j'adore tout ce qui est le Japon,
13:20 ils ont une culture gastronomique qui est tellement riche, foisonnante.
13:23 - J'ai l'impression qu'ils sont moins gourmands que nous quand même,
13:25 c'est vrai que la cuisine japonaise, la vraie cuisine japonaise est excellente,
13:27 avec des goûts qu'on a vraiment pas l'habitude en plus de goûter, de tester chez nous.
13:32 - Exactement, en fait c'est pas forcément qu'ils sont moins gourmands,
13:34 c'est que leurs goûts sont formatés hyper différemment des nôtres,
13:36 et donc ils ont beaucoup d'appréciation pour le fad,
13:38 par exemple ce que nous on va appeler fad, il y a l'umami qui est ce cinquième sens,
13:42 un petit peu cette cinquième saveur.
13:43 - C'est quoi l'umami alors, comment on le traduirait en français ?
13:45 - C'est hyper dur à dire mais c'est vraiment savoureux,
13:47 c'est quelque chose qui fait qu'on a envie d'y revenir, qui fait saliver,
13:50 c'est une sorte de complétion des goûts, un accord un peu magique.
13:55 - Mais dites-moi la gourmandise, est-ce que franchement c'est juste une affaire de goût et de gastronomie ?
13:59 Je pense qu'on peut être gourmand dans son approche globale de la vie,
14:02 je crois que vous pensez ça également.
14:03 - Et nous aussi !
14:04 - En fait c'est un mode de vie, c'est ça ? Expliquez-nous ce qu'est au fond la gourmandise au sens très large du terme.
14:09 - En effet, on dit souvent l'expression "il est gourmand de ça", "il est friand de",
14:14 "il a un appétit de", etc.
14:16 Donc oui c'est vraiment une façon de voir la vie avec joie, avec curiosité,
14:20 une façon d'assumer ses plaisirs, de revendiquer son bien-être avant tout,
14:25 et c'est vraiment, je pense qu'il faut être gourmand de tout,
14:28 s'intéresser à tout, partager, et le monde se porterait mieux si on était tous gourmand.
14:32 - La gourmandise au sens large, est-ce que ce n'est pas ce qui nous pousse justement à explorer,
14:36 à être curieux, à faire des choses inattendues ?
14:39 Dans le livre, vous donnez l'exemple d'un de vos voyages à New York, je crois.
14:43 Racontez-nous un peu ce voyage.
14:44 - Oui, exactement. - Et en quoi il a été gourmand, surtout ?
14:46 - Je suis partie en sédure dans le cadre de mon école de gommer,
14:49 j'étais en stage en marketing dans une entreprise de shampoing,
14:52 et j'ai trouvé vraiment énormément de plaisir à arpenter la ville,
14:56 à découvrir des mets différents, nouveaux,
14:59 et donc je parcourais, je faisais 45 minutes de métro pour aller manger des raviolis chinois
15:03 dans un boui-boui au fond du Queens,
15:05 puis ensuite je revenais à Manhattan et je mangeais une barbe à papa en forme d'ours.
15:10 - Vous avez pris combien de kilos pendant ce voyage à New York ?
15:13 - Franchement, je n'en ai pas pris. - Parce qu'on marche à New York.
15:16 - Je marchais énormément, c'était tout un plaisir,
15:19 et en fait j'ai moi-même retrouvé mon rapport au plaisir et à la gourmandise
15:24 grâce à cette néophilie, à cette exploration sans fin.
15:27 - Et la gourmandise, c'est également quelque chose qui nous ramène en enfance,
15:31 vous parlez de la madeleine de Proust,
15:33 et dans votre cas c'est un plat tunisien,
15:35 racontez-nous comment il s'appelle et qu'est-ce qui provoque en vous ?
15:38 - Vous ne voulez pas le prononcer alors qu'il est écrit devant vous,
15:40 c'est le "moukia".
15:42 - C'est la "mlouria", moi je ne suis pas tunisienne.
15:46 - Ah oui, on ne le dit pas bien effectivement.
15:48 - Oui, en effet c'est un plat de feuilles de corrette séchées broyées,
15:51 un plat tunisien, donc c'est très particulier,
15:53 ça ressemble à une bouillie vert foncé, donc ce n'est pas forcément la chose la plus appétante.
15:56 - Il y a plein d'épices, je suis là.
15:58 - Pas nécessairement, mais en fait c'est un goût très unique, très terreux, très férox,
16:02 qui moi quand j'en ai goûté m'a rappelé le goût d'un plat typique malgache,
16:06 parce que ma maman est malgache, qui s'appelle le "raftout",
16:08 et qui est vraiment l'emblème du pays,
16:10 et pareil qui a cette même apparence, un peu verdâtre, etc.,
16:14 et un goût un peu comme des épinards mais en beaucoup plus fort.
16:16 Et moi j'avais goûté ça étant petite et je n'avais pas du tout aimé,
16:19 et quand j'ai regoûté la "mlouria" 15 ans après,
16:22 j'ai eu une sorte de révélation,
16:24 j'ai repensé à ce "raftout" et à mes origines qui me sont revenues comme ça d'un coup.
16:27 - C'est drôle parce que dans votre livre vous parlez du "gourmand moderne",
16:31 est-ce que vous pouvez nous donner sa définition ?
16:33 - Pour moi le gourmand moderne,
16:35 c'est un gourmand qui est en adéquation avec son temps,
16:39 et donc qui adapte sa façon de consommer avec ses valeurs, ses convictions.
16:44 Je pense que la nourriture, ça dit énormément de notre société, de notre époque, etc.,
16:49 et le gourmand moderne, il y a des problématiques aujourd'hui d'environnement, d'éthique,
16:52 de répartition de la valeur, de répartition des richesses,
16:55 et le gourmand moderne fait des choix, il sait ce qu'il met dans son assiette,
16:58 il est conscient, et pour moi c'est ça en fait, le gourmand moderne il est conscient,
17:01 il sait à qui il va donner de l'argent, il essaye de faire en sorte
17:04 que son alimentation reflète la vision du monde dans lequel il aimerait vivre.
17:08 - Et puis la gourmandise, moi je trouve que ça ouvre des débats,
17:11 parce qu'elle est subjective en fait, débattre de nos préférences culinaires par exemple,
17:15 c'est un bon exercice pour stimuler la gourmandise collective ?
17:18 En France on adore parler de bouffe quand on n'est pas à table, même quand on est à table !
17:22 - Oui c'est vrai, il y en a qui disent que les Français sont vraiment les seuls,
17:24 quand ils mangent ils parlent des repas qu'ils ont mangés avant,
17:27 et des repas qu'ils ont mangés après, et même quand ils ne mangent pas ils sont en train d'en parler,
17:32 et c'est effectivement hyper important de redonner à la nourriture cette place-là
17:36 qu'elle a d'un divertissement, d'un hobby, d'une passion,
17:40 qui est tout à fait aussi valable que d'autres,
17:42 et il faut discuter, il faut débattre, la pizza à l'ananas,
17:46 chocolat blanc, chocolat au lait... - Non, ça va pas quoi !
17:49 - Voilà, c'est un débat sans fin, et ça dit tellement de nous,
17:52 à la fois de nos papys, mais aussi de nos opinions sur le monde, donc c'est hyper important.
17:55 - Très bien, bon la pizza c'est que quatre fromages !
17:57 Merci beaucoup Constance Lacerre pour cet entretien joyeux sur la gourmandise,
18:01 merci d'avoir été avec nous sur Europe 1 depuis 11h et d'avoir répondu à nos questions.