Olivier Poels nous raconte un diner qui a duré 8 heures, réunissant 3 empereurs : Bismarck, le Tsar Alexandre II et le Kaiser Guillaume , le 7 juin 1867 dans l'un des plus prestigieux restaurants de l'époque, à Paris.
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00:00 - Europe 1, historiquement votre, avec Stéphane Bern.
00:04 - Mais aïe, quelle époque, mais aïe, quelle époque !
00:07 - Oui, mais aïe, quelle époque, une époque et même plusieurs qu'on vous raconte chaque jour pendant deux heures.
00:11 Toujours avec Jean-Luc Lemoyne, David Castellopéz qu'on retrouve dans un instant,
00:14 et maintenant avec vous Olivier Pouls, notre guide culinaire vivant et même bon vivant.
00:19 Ça s'est passé dans le passé, on remonte en juin 1867, précisément le 7 juin.
00:25 C'est le jour qu'on choisit trois empereurs, Bismarck, le tsar Alexandre II et le kaiser Guillaume,
00:33 pour un repas resté célèbre dans un haut lieu de la gastronomie de la capitale, Olivier.
00:37 - Oui, vous imaginez bien que ce jour-là, on s'affaire sévèrement dans les cuisines de ce qui est à l'époque
00:44 l'un des plus prestigieux restaurants de Paris.
00:47 Au fourneau, le chef a un peu la pression, comme vous l'avez dit, il s'apprête à recevoir non pas un ni deux,
00:52 mais bien trois empereurs à sa table, votre rêve en quelque sorte Stéphane.
00:55 - Mais il n'y a pas un Abolion III.
00:57 - Non, vous l'avez dit, il y a Guillaume Ier.
00:59 - Il y a deux empereurs et un premier ministre.
01:01 - Et Guillaume Ier qui est roi de Prusse, c'est lui qui a convié Alexandre II, le tsar de toutes les Russies,
01:06 il y a le Tsarovitch qui est là aussi, et le prince de Bismarck, pour un dîner qui se veut mémorable,
01:11 et qu'on a d'ailleurs que l'histoire a gardé comme le dîner des trois empereurs.
01:15 Il faut dire que les trois hommes sont à Paris pour visiter l'exposition universelle,
01:20 et après avoir assisté à une représentation à l'opéra, les voilà au Café Anglais.
01:25 - Oui, l'adresse la plus chic du Paris de l'époque.
01:28 - Oui, elle a été créée en 1802 à l'angle de la rue Gramnon et du boulevard des Italiens.
01:33 Au départ c'est une simple rôtisserie qui va devenir un des tout premiers restaurants gastronomiques de la capitale.
01:40 Le lieu doit son prestige à un chef, Adolphe Dugleret, disciple du grand Antonin Carême,
01:46 et qui va en faire, dès les années 1840, l'endroit en vue de la capitale.
01:51 Guillaume Ier est un client fidèle, il aime venir déguster entre autres le fameux potage germini,
01:58 qui est à base de crème et d'oseille.
02:01 Mais revenons à notre soirée, puisque les convives s'impatientent un peu, comme nous.
02:05 Durant huit heures, vous avez bien entendu, huit heures,
02:08 ils vont manger un défilé de plats absolument incroyable.
02:12 J'ai retrouvé le menu, vu le temps qui m'est imparti, je ne peux vous citer que quelques séquences,
02:16 mais quand même, ça devrait vous ouvrir l'appétit.
02:19 On commence traditionnellement par des potages,
02:22 vient ensuite le filet de sol à la vénitienne, les escalopes de turbot au gratin,
02:27 de la selle de mouton, alors ça ce ne sont que les relevés, c'est ce qui précède les entrées.
02:32 - Non. - Ah oui, parce que voici maintenant le homard à la parisienne,
02:36 le pâté chaud de caille, le poulet à la portugaise, les canetons à la rouennaise,
02:41 le caneton à la rouennaise, c'est une recette qui va donner plus tard le célèbre canard au sang de la tour d'argent,
02:46 ou encore des hortelans, vous savez ces petits oiseaux qu'on ne peut plus aujourd'hui commercialiser,
02:52 présentés sur des canapés. Et enfin, évidemment, les desserts.
02:56 - Et on imagine des vins exceptionnels. - Là, j'en bave rien que d'en parler,
03:00 un Madère 1810 retour des Indes.
03:02 Ce que ça veut dire retour des Indes, c'est que ce sont des vins qui ont fait l'aller-retour en bateau
03:06 jusqu'au comptoir des Indes, ça a pour effet de les faire vieillir prématurément
03:10 et de les oxyder dans les tenneaux, ça leur donne un goût un peu particulier.
03:14 Il y a les plus grands Bordeaux de l'époque qui sont présentés dans les millésimes
03:18 1847 et 1848, avant le fameux classement de 1855,
03:23 donc Château-la-Tour, Margaux, Lafitte et Iquem, on savait déjà faire,
03:26 uniquement des premiers Grands Queues classés. Et puis Duchamp-Bertain, 1846,
03:31 David le vôtre était en moins bonne forme, il était moins vieux,
03:35 mais aussi le champagne préféré du Sarre, le Cristal de Roderer,
03:39 dans la bouteille, a été spécialement créé pour lui, c'est une bouteille à fond plat,
03:43 pour éviter qu'on puisse mettre dedans des explosifs qui pourraient lui sauter à la figure
03:48 au moment où on lui sert son champagne.
03:49 - Et après ça j'imagine que tout le monde était copieusement repu.
03:52 - Pas tout à fait, puisque sur les coups de 1h du matin,
03:56 après avoir fumé quelques cigares et absorbé force digestif,
04:00 le Sarre s'est plaint de ne pas avoir dégusté du foie gras.
04:03 Alors on lui a gentiment fait comprendre que le foie gras ne se servait pas en joint à Paris,
04:08 3 terrines lui ont donc été envoyées quelques mois plus tard.
04:11 - Eh bien moi en tout cas j'aurais pas voulu régler l'addition.
04:14 - Eh bien en vous cotisant avec David et Jean-Luc, vu le montant de vos rémunérations,
04:18 vous devriez pouvoir y arriver.
04:20 L'addition payée par Guillaume Ier s'est montée à 400 francs de l'époque par convive,
04:24 ce qui en francs d'aujourd'hui, en euros d'aujourd'hui, représenterait 9000 euros par personne.
04:31 - Donc 3 fois 9. - Oui 3 fois 9, ça fait quand même un peu d'argent.
04:35 - Pour la petite histoire, le café anglais a disparu en 1913,
04:40 une partie de ces boiseries et de ces somptueux miroirs ont été rachetés et installés à la Tour d'Argent,
04:47 et c'est également à la Tour d'Argent que se trouve la table sur laquelle fut servi ce repas mémorable.
04:53 - Ah ben c'est passionnant, merci beaucoup mes aïeux qu'à l'époque, merci Olivier.