Chroniqueuse : Maud Descamps
Maud Descamps reçoit ce matin François-Henri Désérable, pour son nouveau livre « L'usure d'un monde » dans lequel il raconte sa traversée de 42 jours de l'Iran, dans un contexte de répression contre les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini.
Maud Descamps reçoit ce matin François-Henri Désérable, pour son nouveau livre « L'usure d'un monde » dans lequel il raconte sa traversée de 42 jours de l'Iran, dans un contexte de répression contre les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini.
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00:00 Bonjour François-Henri Désirable, bienvenue sur le plateau de Télématin.
00:03 Vous avez sillonné l'Iran pendant 42 jours, c'était fin 2022,
00:06 au plus fort de la révolte, au plus fort de la répression surtout.
00:09 Vous commencez votre récit avec une anecdote,
00:12 vous recevez un coup de fil assez inattendu,
00:15 vous êtes assis dans l'avion, prêt à décoller pour Téhéran.
00:18 Vous nous racontez la suite de l'histoire ?
00:20 Je reçois l'appel d'un numéro inconnu, je décroche
00:22 et c'est la cellule de crise du ministère des Affaires étrangères
00:25 qui me dit "Monsieur Désirable, descendez de cet avion,
00:28 vous faites face à un risque d'arrestation
00:30 et de détention arbitraire assez élevé.
00:33 Mais au même moment, j'entends "veuillez attacher vos ceintures,
00:36 mettre vos téléphones portables en moins d'avion
00:38 et bienvenue à bord de ce vol pour Téhéran".
00:40 Donc il était trop tard, je prends l'avion
00:43 et je me retrouve à Téhéran début novembre 2022.
00:46 Est-ce que vous êtes vraiment posé la question de descendre de l'appareil ?
00:48 On sent que pour vous il fallait aller en Iran malgré la menace.
00:52 Vous savez à ce moment-là, il y avait déjà 500 morts dans les manifestations,
00:55 15 000 prisonniers politiques, 70 journalistes arrêtés en Iran
00:59 et puis les journalistes occidentaux ne se voyaient plus délivrés de visa.
01:02 Moi j'ai eu la chance d'en obtenir un précisément
01:05 parce que je ne suis pas journaliste.
01:07 Et donc il m'a comblé une responsabilité,
01:09 je me suis dit qu'il fallait témoigner de ce qu'il se passait là-bas.
01:13 Alors justement, vous décollez, vous atterrissez à Téhéran,
01:16 qu'est-ce que vous allez chercher là-bas ?
01:18 Est-ce que vous le savez en arrivant ?
01:20 Je vais chercher déjà la découverte de ce pays qui…
01:23 J'avais beaucoup lu sur l'Iran,
01:26 notamment un livre de Nicolas Bouvier qui s'appelle "L'usage du monde".
01:29 Donc je rêvais d'aller en Iran depuis longtemps.
01:31 J'avais entendu parler de l'hospitalité, de la curiosité,
01:35 de la délicatesse du peuple iranien.
01:40 Je suis allé la vérifier sur place,
01:42 je n'ai jamais rencontré un peuple aussi hospitalier,
01:44 c'était extraordinaire.
01:46 Et puis j'y ai découvert surtout un courage,
01:49 le courage des Iraniens.
01:51 Et finalement, vraiment sans fausse monestie, ce livre,
01:53 je me suis fait un peu le greffier du courage de cette jeunesse iranienne
01:57 qui descend dans la rue et qui manifeste en dépit des risques énormes encourus.
02:04 – Vous arrivez quelques temps après la mort de Mahsa Amini,
02:08 cette jeune femme qui a été tuée parce qu'elle ne portait pas une tenue réglementaire.
02:13 Vous arrivez au plus fort de la révolte et au plus fort de la répression.
02:16 Quand on est sur place, comment on fait pour parler justement
02:19 de ce sujet très très sensible du régime d'Emmola
02:22 avec les Iraniens et les Iraniennes que vous croisez ?
02:24 Dans le livre, vous dites qu'il faut prendre toutes les précautions du monde.
02:27 – Oui mais alors c'est très simple, parce qu'ils viennent vous parler spontanément,
02:29 les Iraniens, mais au début ils sont un peu circonspects,
02:32 c'est-à-dire qu'ils ne savent pas à quoi s'en tenir avec vous.
02:34 Donc ils y vont petit à petit et quand ils se sentent en confiance,
02:38 là ils disent vraiment "moi il y en a marre, mort au dictateur"
02:42 et donc ça se fait…
02:44 – La parole se libère facilement.
02:46 – Oui la parole se libère et il y a eu un moment, j'ai rencontré une jeune fille
02:48 qui m'a parlé de l'écho de Téhéran, elle m'a dit "est-ce que tu veux entendre
02:51 le merveilleux écho de Téhéran ?"
02:53 et on était place Engelab qui est la place de la Révolution,
02:56 l'équivalent de la place de la Concorde à Paris.
02:58 Et dans une petite rue, elle met ses mains en cornets autour de sa bouche
03:01 et elle crie "Marc Bas, dictateur, mort au dictateur".
03:03 – Là vous avez eu un petit peu peur à ce moment-là.
03:05 – Oui parce que j'ai fait un pas de côté, il y a eu une sorte de démission du courage de ma part
03:09 et j'en ai eu honte pendant quelques temps parce que j'ai eu peur d'être arrêtée
03:13 et finalement, elle ne s'en est pas aperçue, je me suis rapproché d'elle
03:16 et surtout on a vu une personne au troisième étage qui a ouvert sa fenêtre
03:19 et qui a crié à son tour "mort au dictateur" puis une voiture qui est passée
03:22 qui a baissé sa vite, qui a crié "mort au dictateur".
03:24 J'ai compris que c'était comme ça que commençaient les manifestations en Ian,
03:26 c'est quelqu'un qui lève la voix et qui prend son courage à deux mains
03:30 et qui crie un slogan et puis d'autres personnes s'agrègent à cette personne
03:34 et puis ça forme un attroupement, puis une foule et puis ensuite
03:37 tout le monde se met à courir, la foule se disperse quand les forces antirépressions arrivent.
03:41 François-Henri Désirable, j'aimerais qu'on regarde une photo qui est publiée,
03:44 page 65 de votre livre. Cette photo, c'est celle-ci, elle est accompagnée de cette légende
03:48 "Le passé de l'Iran, deux pas derrière son futur".
03:52 À votre avis, il va ressembler à quoi le futur de la jeunesse iranienne ?
03:56 Ça c'était au sortir du métro disparant et on voit cette jeune fille justement
03:59 qui ne porte pas le voile, qui est deux pas devant une femme entièrement couverte en tchador.
04:04 Le futur de la jeunesse iranienne, c'est difficile à dire.
04:07 Vous savez, les Iraniens sont des pessimistes enthousiastes,
04:09 c'est-à-dire qu'ils ont du mal à croire à l'astute du régime
04:11 mais ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour que cela advienne.
04:14 Donc je pense qu'à long terme, la République islamique est condamnée,
04:20 à brève échéance, je n'en sais rien et ce serait… non, je ne vais pas me risquer à des…
04:25 À des pronostics, en effet.
04:27 Vous évoquiez évidemment l'usage du monde de Nicolas Bouvier,
04:31 votre livre "L'usure du monde" est évidemment un écho à ce livre-là,
04:34 c'est un livre qui vous a bouleversé, qui a un peu changé votre vie.
04:38 Quand on entreprend le même périple que Nicolas Bouvier mais 60 ans plus tard,
04:42 est-ce qu'il y a quelque part une forme de désillusion quand on arrive en Iran ?
04:46 Non, parce qu'il y a aussi le même enchantement, revoir les mêmes paysages,
04:50 les villes par lesquelles il est traversé et les villes qu'il a traversées en 1953,
04:56 donc à 70 ans d'écart, mais il faut dire que l'Iran a beaucoup changé.
05:01 Le pays est toujours aussi beau mais l'Iran a beaucoup changé,
05:03 et puis surtout le régime n'est absolument plus le même.
05:05 Même si, autant de Bouvier, c'était le régime du chat qui n'était pas
05:08 beaucoup plus tendre que la République islamique.
05:10 Oui, que celui-ci. Vous dites dans votre livre aussi que le métier d'écrivain-voyageur,
05:14 quelque part, a aussi beaucoup évolué, notamment les réseaux sociaux ont beaucoup changé
05:18 la manière de voyager et surtout il n'y a plus de place pour l'aléa.
05:22 Qu'est-ce qui a changé concrètement ?
05:24 C'est-à-dire que maintenant, dans la moindre gargote au fin fond du désert iranien,
05:29 dans le désert de l'Aout, le moindre resto a une note sur TripAdvisor,
05:34 donc vous pouvez là, en ce moment, savoir quel est le plat du jour
05:38 dans n'importe quel restaurant.
05:40 Il y a moins de magie.
05:41 Il y a moins d'inattendus, en tout cas.
05:45 Donc il faut essayer de combattre ça justement en n'allant pas sur Internet
05:50 et laisser l'inconnu vous guider vos pas.
05:54 En tout cas, vous nous livrez un très très beau récit.
05:57 "L'usure du monde" s'est publié chez Gallimard.
06:00 Merci beaucoup d'être venu nous voir ce matin, François-Henri Désirable.